• il y a 8 mois
Sébastian Roché est directeur de recherche au CNRS, auteur de "La nation inachevée : la jeunesse face à l'école et la police".

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Transcription
00:00 Stéphane Carpentier, RTL Matin jusqu'à 9h15.
00:04 Merci à vous tous d'être là, il est 9h moins 10, nous avions envie ce matin de prendre le temps pour analyser les annonces de la semaine de Gabriel Attal
00:11 concernant la violence chez nos jeunes après les épisodes de ces dernières semaines et le rôle que doit tenir l'école.
00:17 Le Premier Ministre vaut aujourd'hui une justice plus dure, ce qui a fait mondir magistrats et avocats, et une école plus sévère, ce qui a fait réagir le monde enseignant.
00:25 S'il fallait résumer le principe de sa politique, tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies, tu défies l'autorité, on t'apprend à la respecter.
00:32 Sébastien Rocher va donc nous aider à analyser ces mots, directeur de recherche au CNRS. Bonjour à vous.
00:38 Bonjour.
00:39 Vous êtes sociologue, merci d'être connecté en direct ce matin.
00:41 D'un point de vue général, d'abord, quel regard vous, vous portez sur ce que veut faire le chef de Matignon ?
00:47 C'est assez confus, moi je dirais, d'abord. On a l'impression qu'il mélange la morale, le civisme, la République, tout ça, c'est des notions qui sont assez différentes.
01:03 Mais peut-être le fil directeur, c'est de dire, bon, la sanction et la punition sont la colonne vertébrale de sa réponse et de la cohésion nationale.
01:15 En fait, on n'a pas besoin de s'intéresser trop aux problèmes, à la nature des problèmes.
01:19 Ce qu'il faut, c'est plus de contraintes à l'école et plus de sanctions pénales si besoin.
01:27 Si je comprends ce que vous nous dites ce matin sur RTL, c'est qu'il confond, selon vous, l'autorité et l'obéissance, c'est ça ?
01:34 Oui, alors, le Premier ministre dit qu'il va rétablir l'autorité de l'État en utilisant plus de sanctions, plus de coercition dans le cadre scolaire, plus d'éducation morale,
01:47 et ensuite des peines plus dures, c'est le but, donc plus d'incarcération des jeunes.
01:52 Mais ça, c'est la coercition, c'est le contraire de l'autorité.
01:56 L'autorité, c'est quand vous êtes respecté parce qu'on croit à la valeur de ce que vous avez dit, c'est quand vous entraînez.
02:03 C'est complètement différent du fait de contraindre, parce que précisément, l'autorité, c'est entraîner sans contraindre.
02:11 C'est quand vous avez perdu votre autorité, vous pouvez être amené à rechercher à contraindre.
02:17 Donc, il faut respecter l'État avant tout, c'est ça que vous nous dites. Et cette notion, en fait, notre jeunesse aujourd'hui, elle l'a perdue ?
02:23 Le rapport à l'État, ça s'appelle la culture civique, d'ailleurs c'est un terme qu'a utilisé Gabriel Attal.
02:31 Mais le fait qu'on respecte les institutions, qu'on respecte le Premier ministre ou qu'on respecte le Président de la République,
02:39 c'est quelque chose qui va se construire dans la tête des adolescents.
02:43 C'est ce que j'ai montré à partir de plusieurs études publiées dans un bouquin qui s'appelle "La nation inachevée, la jeunesse face à l'école et la police".
02:54 J'ai montré comment se formait cette relation à l'État.
02:57 Elle ne se forme pas dans le vide, elle se forme sur la base de l'expérience concrète de la place qu'on a dans la société et qu'on vous donne.
03:04 Si vous êtes scolarisé dans un établissement ghetto, que vous n'avez pas de chance de réussir à l'école,
03:11 que vous êtes maltraité, par exemple, lors des contrôles de police, vous vous faites une idée de l'État et de ses responsables qui est une piètre idée.
03:20 Et à ce moment-là, ce qu'il dit n'a plus d'importance. Lorsque vous ne donnez pas de valeur à celui qui vous envoie un message, le message n'a pas de valeur.
03:28 Alors comment on fait ? Ça doit être à l'école que ça doit se passer, cette culture civique ?
03:32 Cette culture civique, elle ne s'apprend pas à l'école.
03:35 Contrairement à ce que croit Gabriel Attal, ce n'est pas en injectant de l'éducation civique dans les cours qu'on développe une culture civique.
03:47 Parce que les cours, vous pouvez apprendre des dates, la date de la Révolution française, mais ça ne provoque pas un attachement affectif.
03:55 L'attachement affectif, il est lié dans la qualité de la relation que les adolescents ont, par exemple, avec leurs profs, avec leur école,
04:02 avec d'autres fonctionnaires, avec ceux qui représentent l'État.
04:06 Et si vous êtes laissé pour compte, j'ai envie de dire, par les services publics, par l'ensemble des fonctionnaires,
04:12 vous pouvez vous bien traiter comparativement aux autres, mais vous ne développez pas de culture civique positive.
04:17 Donc encore une fois, les cours, le fait de vous faire ranger la classe après l'école, ou de vous faire vous lever devant le professeur,
04:25 on peut vous l'imposer, mais ça, ça ne développe pas un attachement à la culture civique.
04:30 Sébastien Rocher, le Premier ministre voudrait une justice plus sévère, plus dure en tous les cas avec les mineurs.
04:36 Est-ce qu'être plus sévère avec un jeune, violent, délinquant, ça paye concrètement ?
04:41 Concrètement, ça ne fonctionne pas et c'est même l'effet inverse qu'on va observer.
04:47 Alors, le vocabulaire du Premier ministre, c'est le vocabulaire de la droite conservatrice américaine des années 80.
04:54 Quand il parle d'excuse de minorité, un terme qui n'existe pas en droit, mais on comprend ce que ça veut dire,
05:00 on va dire en fait traiter les mineurs comme des majeurs.
05:03 Ne pas aménager les peines, incarcérer plus souvent.
05:07 Ces méthodes-là, elles ont été analysées par des études très précises,
05:11 des études un peu comme des études de type médical, où on compare ceux qui reçoivent une sanction aggravée aux autres.
05:17 Et on voit que lorsque vous augmentez la quantité de mois de prison que vous distribuez aux jeunes pour le même délit,
05:23 des jeunes avec le même profil, à ce moment-là, vous augmentez la récidive.
05:28 Donc, vous mettez en danger la société, parce que votre solution aggrave le problème,
05:32 et vous mettez aussi en danger le futur de ces jeunes, leur capacité à se réinsérer.
05:37 Merci de nous avoir expliqué les choses, Sébastien Rocher, sociologue, donc directeur de recherche au CNRS,
05:41 et je le rappelle, auteur de "La Nation inachevée, la jeunesse face à l'école et la police",
05:45 publié chez Grasset, invité de RTL Matin, entretien qu'on va retrouver sur notre site rtl.fr.

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