Argentine_ Le train des nuages _ Danger sur les rails _ ARTE

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Dans le nord de l'Argentine, le "train des nuages" traverse les paysages escarpés de la cordillère des Andes sur de vertigineux viaducs construits à quelque 4000 mètres d'altitude. Achevée en 1948, cette voie a notamment été conçue pour transporter les richesses minières de la région jusqu'au Chili voisin.

Depuis, des descendants de communautés autochtones se sont installés dans les villages qui bordent le chemin de fer, afin de proposer leurs produits aux voyageurs qui l'empruntent. De Salta, en Argentine, jusqu'à la frontière chilienne, un périple époustouflant sur l'une des lignes les plus hautes du monde.

Transcript
00:00 C'est un train légendaire qui circule dans le nord de l'Argentine.
00:09 Ses rails enjambent les vallées à des hauteurs vertigineuses.
00:16 Le Tren a las Nobes, le train des nuages, a longtemps été la ligne de chemin de fer
00:26 la plus haute du monde. Sillonnant des forêts de cactus, il grimpe
00:31 vers les hauts plateaux andins et traverse l'un des déserts les plus arides de la planète
00:36 à plus de 4000 m d'altitude. Une véritable prouesse technique.
00:41 Il y a 600 ans, des Incas en quête de terres agricoles ont traversé les Andes par le nord
01:05 et se sont établis dans la vallée fertile de l'Erma.
01:08 Quelques siècles plus tard, les conquistadors espagnols ont pris possession des vallées
01:13 du nord-ouest de l'Argentine. Elles font aujourd'hui partie de la province de Salta.
01:18 La région vit toujours de l'agriculture tropicale. On y cultive du tabac, des haricots,
01:29 de la canne à sucre, des vignes ou encore du pamplemousse rose.
01:38 Salta, la capitale de la province, est à deux heures d'avion de Buenos Aires. Les églises
01:52 néoclassiques et les places bordées de cafés témoignent de l'histoire coloniale, de
01:56 celle que l'on surnomme la Linda, la Belle. C'est à la gare de Salta que débute la
02:11 section C14 du réseau ferroviaire du nord du pays, la ligne qu'on surnomme le train
02:17 des nuages. Cette voie est aujourd'hui empruntée par les trains de banlieue. Les habitants
02:23 qui en ont les moyens vivent à l'extérieur de cette ville de 500 000 âmes à l'urbanisme
02:29 chaotique.
02:30 L'histoire du train des nuages commence en 1921. A l'origine, la ligne est conçue
02:47 pour l'acheminement de minerais et de produits agricoles vers le Chili voisin. Du côté
02:52 argentin, les rails serpentent sur 450 kilomètres à travers les Andes. Dans les années 1970,
02:59 un service voyageur avait été mis en place, mais de nos jours, le train des nuages ne
03:04 circule plus que sur un tronçon minuscule. Peu après Salta, un premier défi technique
03:12 s'impose, l'immense lit du rio Toro. Avec ses 260 mètres d'envergure, le viaducto
03:21 del Toro est le plus long de la ligne. 23 mètres plus bas, un mince filet d'eau coule
03:27 dans la vallée. Ce n'est qu'au printemps que le rio Toro se transforme en torrent.
03:31 Le chantier de cette impressionnante voie de chemin de fer a coûté la vie à de nombreux
03:42 ouvriers venus de tout le continent américain et d'Europe. Des tombes émaillent encore
03:47 aujourd'hui la voie ferrée, témoin silencieux de ces tragiques destins. Les rails suivent
03:56 en partie les anciennes pistes à bétail escarpées qu'empruntaient les éleveurs
04:00 pour traverser les Andes, souvent au prix de pertes considérables. La découverte de
04:19 gisements de salpêtres dans les vallées est à l'origine du projet ferroviaire. Il s'agissait
04:30 alors de relier le nord de l'Argentine à la côte pacifique, à l'ouest du continent.
04:35 En 1948, après 27 années de travaux éprouvants, l'ambitieux projet aboutit enfin. Plus de
04:51 600 ouvriers y auront trouvé la mort, la plupart fauchés par des dynamitages mal contrôlés.
04:57 D'autres ont été emportés par le redoutable viento blanco, le vent blanc, aussi glacial
05:12 que puissant. Le nombre exact de disparus reste inconnu à ce jour. Malgré les dangers,
05:27 la paie généreuse attire une importante main d'œuvre. Équipés de pelles, de pioches,
05:33 de carrioles et de mules, les hommes dégagent le terrain pour le futur tracé.
05:37 La section C14, également connue sous le nom de Trans-Andin du Nord, traverse 44 ponts
06:03 et viaducs avant d'atteindre les hautes plaines désertiques des Andes. L'entretien des rails
06:09 coûte cher dans cette région aux conditions extrêmes. Le transport de voyageurs n'est pas
06:14 rentable et même les trains de marchandises ne circulent désormais que rarement. Les gauchos
06:21 Diego Armando Lamas et Joaquim Kipildor font partie du peuple amérindien des Colas.
06:26 Les chansons des gauchos évoquent la mort proche, la nature hostile et ses dangers,
06:48 ainsi que les luttes contre le pouvoir colonial. Les deux gardiens de troupeaux
06:59 mènent une vie modeste mais libre le long de la voie ferrée. Leurs habits traditionnels
07:10 rendent hommage à une grande figure de la guerre d'indépendance argentine au début du 19e siècle,
07:15 le général Martin Miguel de Guaymes. "Et voilà, vous pourrez prenez le cheval.
07:25 Je mets mon chapeau et enfin le poncho. Il est très important car c'est le symbole de Salta.
07:43 C'est celui que portait Martin Miguel de Guaymes. Il l'a transmis à tous les gauchos de Salta.
07:54 On est paré. Le poncho rouge était l'uniforme des infernales,
08:04 un bataillon de gauchos. Sa couleur symbolise le sang versé.
08:08 Les gauchos sont attachés à leur terre et à leur culture.
08:17 "La vie a beaucoup changé depuis que le train ne passe plus. Il apportait de l'animation.
08:27 Maintenant on le voit plus qu'une fois par mois. Ils le font circuler pour assurer la
08:34 maintenance des voitures et ensuite il revient. Ce n'est plus du tout comme avant.
08:40 On a moins de travail avec les touristes. Autrefois, il passait régulièrement et
08:49 il s'arrêtait à la gare. Aujourd'hui, je me consacre à l'agriculture. Je cultive mes champs,
08:57 je m'occupe de mes quelques animaux et je suis heureux. Ce que je possède sur cette terre est
09:05 un don de Dieu. Alors je suis vraiment content. Je suis bien ici et si je peux,
09:13 j'y resterai jusqu'à mon dernier soupir. Je suis comblé."
09:18 Encadrée par les majestueuses montagnes de grès, la voie ferrée pénètre dans la Puna
09:45 Argentine. Un vaste plateau désertique planté d'immenses cactus scandélabres. Les autochtones
09:51 les appellent les "gardiens". Selon leur légende, chaque cactus est habité par l'âme d'un défunt,
09:58 destiné à quitter un jour son tombeau pour venger les victimes des massacres espagnols.
10:03 Primitivo Yapura est membre d'une association qui promeut le tourisme communautaire et rural.
10:13 Il connaît comme personne la flore de la Puna. "Autrefois, nos grands-mères et nos mères
10:21 utilisaient ces grandes épines pour leurs travaux de tissage. D'ailleurs,
10:26 elles s'en servent encore aujourd'hui. Il suffit de tirer dessus. Le vent souffle fort ici. Voilà
10:35 une autre espèce de cactus. On l'appelle Tunilla. Il est plus petit. Il pousse au ras du sol et
10:42 survit grâce à la pluie. Sinon, il se dessèche. Le savoir de nos ancêtres s'est transmis de
10:56 génération en génération. Aujourd'hui, on continue à l'appliquer en récoltant les herbes médicinales.
11:03 J'espère que cette connaissance des plantes sauvages va perdurer." La voie ferrée traverse
11:15 une région réputée pour ses sous-sols riches en minéraux. "La voie a été construite il y a une
11:24 centaine d'années pour convoyer le minerai des carrières de la région. Pendant un moment,
11:31 un service de transport de passagers avait été mis en place pour les habitants de la province.
11:35 Aujourd'hui, malheureusement, elle est un peu laissée à l'abandon. Mais bon, il nous reste
11:52 le train des nuages qui attire encore quelques touristes de temps en temps. On l'appelle comme
12:01 ça parce qu'il passe très haut dans la montagne. La région est très aride parce que les pluies
12:14 sont rares. Il pleut en janvier, février et après plus rien. Il y a quand même des plantes locales,
12:21 mais elles ne sont pas très nombreuses. Je vais récolter de la laréa pour la vendre. On s'en
12:34 sert pour soulager les douleurs osseuses. Ma grand-mère m'a enseigné cette pratique ancestrale
12:44 quand j'étais tout petit. La laréa était utilisée comme remède naturel contre les douleurs osseuses.
12:52 On la plongeait dans de l'eau chaude pour s'en faire des bains.
12:58 Les plantes qu'on trouve ici sont des espèces qui poussent uniquement entre 3000 et 5000 mètres
13:09 au-dessus du niveau de la mer. Et elles sont bourrées de nutriments car la région est riche
13:18 en minéraux. Primitivo compte bien rester ici. C'est l'une des rares personnes à avoir appris
13:29 à survivre dans cette région hors du commun. Au début des années 1980, l'État argentin a voulu
13:39 développer une offre touristique autour de la gare de Chorillos, un des arrêts du train des nuages.
13:44 La possibilité d'acquérir des terres bon marché a attiré plusieurs familles,
13:51 dont celle de Concepcion Sosa, qui proposait de l'artisanat d'art aux touristes de passage.
13:57 Concepcion fait partie du peuple des Diaguitas. Après la conquête de l'Amérique du Sud,
14:14 les Espagnols ont obligé les peuples autochtones à se convertir au catholicisme. Mais l'ancien
14:20 culte des divinités de la nature n'a jamais réellement disparu.
14:24 Concepcion prépare une offrande pour la Pachamama, la terre mère.
14:40 "Je cueille des plantes pour la Pachamama. Je vais les faire brûler pour chasser les
14:55 mauvais esprits. Comme je n'ai pas d'enceintes ou prêts, je ramasse des herbes du jardin et je
15:02 m'en sers comme en 100 faits maison. La fumée qui enveloppe les maisons, les plantes, les pâtures,
15:14 les champs, les collines et les sources d'eau, cette fumée sert à repousser les mauvaises énergies.
15:23 Je prie la Pachamama pour ne pas manquer de nourriture pour les animaux ni d'eau à boire."
15:34 Sur ce tronçon du train des nuages, les accidents sont récurrents et les travaux de réfection coûteux.
15:50 Depuis l'arrêt du transport de voyageurs à Chorillos, Concepcion mène une existence précaire.
15:55 "Ca fait sept ou huit ans que le train des nuages ne passe plus par Chorillos. Du temps où il
16:12 venait jusqu'ici, on menait une autre vie. Il nous apportait de l'animation et du travail à
16:20 nous autres les habitants de Chorillos, là où je vis depuis vingt ans. Je suis venue m'installer
16:29 ici parce que j'aime bien la région. C'est un coin qui me plaît." Sur cette terre sablonneuse et
16:40 rocailleuse, Concepcion sent plus qu'ailleurs la présence de ses divinités. "Je crois profondément
16:47 en la Pachamama. La terre-mère, notre terre nourricière, c'est elle qui nous donne tout ce
16:58 qu'on a. Tout ce qu'on lui apporte en offrandes, elle nous le rend. Elle nous procure les récoltes
17:08 qui nous permettent de régler nos dépenses, de vivre au quotidien, de garder l'envie et la force
17:15 de travailler. On lui demande la guérison, on lui demande de bénir ceux qui viennent d'en haut et
17:21 ceux qui viennent d'en bas. C'est notre mère bien-aimée qui prend soin de nous, qui nous éclaire
17:27 jour après jour, à chaque instant, de l'aube au crépuscule. Mère bien-aimée, je te remercie
17:37 pour tout ce que nous avons sur cette terre, nous tous qui vivons en ce bas monde."
17:42 La Pachamama n'est pas qu'une déesse généreuse de la fertilité. Parfois représentée sous forme
17:52 de dragon, elle peut se montrer orageuse et provoquer des séismes. Les offrandes
18:00 régulières servent à s'attirer ses grâces. "Pachamama sainte terre, Pachamama des collines,
18:15 Pachamama des montagnes, Pachamama des sentiers, Pachamama des étangs, Pachamama de tous les champs,
18:22 n'oublie pas ta fille chérie qui est ici sur terre et qui t'offre les feuilles sacrées,
18:27 source de vie. Pachita bien-aimée, n'oublie pas tes enfants sur cette terre. Maintenant
18:39 qu'on a perdu le train des nuages, je n'ai plus de quoi payer mes factures. Je continue mes travaux
18:45 d'artisanat mais je ne sais pas où je vais pouvoir les vendre car je n'ai nulle part où aller. Je n'ai
18:50 que l'endroit où je vis et le train n'y passe plus. Quand va-t-il revenir ? Pachitamama sainte
18:58 terre si seulement tu pouvais nous le ramener. "Pachamama sainte terre, je t'en prie,
19:20 guéris-moi, sauve-moi de tous les dangers, de tous les maux, mon corps est malade.
19:26 Pachitamama guéris-moi, Pachamama des montagnes, rends-moi la santé."
19:32 Alcool et cigarettes sont des ingrédients indispensables du rituel.
19:39 Musique.
19:41 Musique.
19:43 ...
20:10 -Le train des nuages fera-t-il un jour à nouveau halte ici ?
20:14 ...
20:24 Après Chorillos, la voie ferrée grimpe à pic
20:27 et passe de 2100 m à près de 3800 m d'altitude.
20:32 ...
20:38 A 130 km au nord-ouest, l'ancien village minier
20:41 de San Antonio de los Cobres
20:44 marque le début du dernier tronçon en activité du train des nuages.
20:48 ...
20:53 Le village tient son nom du cuivre, Cobres,
20:56 que l'on exploitait et expédiait autrefois à grande échelle.
21:01 Désormais, les mines ont fermé
21:03 et les habitants tirent l'essentiel de leurs revenus
21:07 sur des produits artisanaux,
21:08 tels que des ponchos, des tisanes ou des chaussettes en laine de lama.
21:13 ...
21:15 Les premiers occupants du plateau, éleveurs de lama pour la plupart,
21:20 menaient une existence relativement isolée.
21:22 ...
21:28 La découverte des gisements de cuivre
21:31 va bouleverser ce mode de vie autarcique.
21:34 ...
21:44 Le chantier du chemin de fer est éprouvant.
21:46 A presque 4000 m d'altitude,
21:49 beaucoup d'ouvriers souffrent du mal aigu des montagnes.
21:52 Mal équipés, ils posent la plupart des rails à main nue.
21:56 ...
22:24 Grâce aux 780 km de rails qui relient l'Argentine à la côte chilienne,
22:28 San Antonio a longtemps connu une modeste prospérité.
22:32 ...
22:41 Aujourd'hui, le village survit, difficilement,
22:44 grâce aux trains des nuages, qui circulent 3 fois par semaine.
22:48 Les passagers viennent principalement de la capitale provinciale Salta
22:52 et ont 3 heures de voyage en bus.
22:54 ...
23:13 Environ 50 000 personnes empruntent la ligne chaque année.
23:17 Le prix du billet est conséquent, 70 euros.
23:20 Il faut parfois s'armer de patience.
23:23 Aujourd'hui, c'est la vieille locomotive diesel
23:26 qui fait des siennes et qui refuse de démarrer.
23:29 Retard annoncé, 3 heures.
23:30 Tandis que les conducteurs se démènent pour trouver la panne,
23:35 les voyageurs s'impatientent.
23:37 ...
23:42 Il y a quelques années, un train a déraillé.
23:45 C'est d'ailleurs une des raisons
23:47 pour lesquelles il est strictement interdit
23:49 de s'adresser aux 2 conducteurs durant le trajet.
23:52 Ceux-ci sont pourtant intarissables lorsqu'il s'agit de parler de leur train.
23:57 ...
24:03 La locomotive a plus de 40 ans.
24:05 Louis Salanis et Andres Dominguez
24:08 savent que les incidents techniques font partie de leur quotidien.
24:12 ...
24:22 -Il y a des pannes,
24:23 comme sur n'importe quelle machine ou n'importe quelle voiture.
24:27 Nos locomotives sont vieilles, elles datent des années 78-79,
24:31 mais on continue à les maintenir en état de marche.
24:34 Beaucoup de gens y travaillent, et c'est grâce à eux qu'elles fonctionnent,
24:38 qu'on peut encore les faire circuler.
24:41 Il y a quelques problèmes techniques, mais ça arrive à tout le monde.
24:44 -Ce train est emblématique,
24:46 et on est très fiers de l'avoir dans notre province,
24:50 dans la région où on travaille.
24:52 C'est ce qui nous représente en premier lieu.
24:55 ...
24:57 -À part le climat et le froid,
24:59 on doit faire face à pas mal de difficultés,
25:02 mais ça nous plaît.
25:04 On adore conduire ces machines complètement démentes.
25:07 C'est fou.
25:08 On a ça dans le sang.
25:11 ...
25:14 -Avec 3 heures de retard,
25:16 le train des nuages est enfin prêt à démarrer.
25:19 ...
25:22 ...
25:34 De San Antonio de los Cobres, il faut une trentaine de minutes
25:38 pour rejoindre le viaduc de Polvorilla, le terminus du train.
25:42 Toujours à bord, le chef de train, Martín Iaguado.
25:46 ...
25:51 Les réservoirs sont plats.
25:53 Le train des nuages traverse un désert extrêmement sec.
25:57 En cas d'arrêt forcé au milieu de nulle part,
26:00 l'eau constitue un élément vital.
26:02 Les anciens l'appellent encore le dragon de la cordillère,
26:07 en souvenir de la locomotive à vapeur
26:09 qui tractait autrefois les wagons.
26:11 ...
26:18 Le diesel a remplacé la vapeur en 1977.
26:21 ...
26:28 Si le ciel affiche un bleu turquoise limpide en hiver,
26:32 il arrive que le train tutoie réellement les nuages
26:35 qui peuvent s'accumuler autour des viaducs.
26:38 ...
26:48 Le premier viaduc traverse la rivière San Antonio de los Cobres.
26:53 A partir de cet endroit, la ligne est l'une des plus hautes du monde
26:57 et offre une succession de points de vue plus époustouflants les uns que les autres.
27:02 ...
27:17 Glissement de terrain, éboulement, séisme,
27:21 cette partie des Andes est régulièrement victime de catastrophes naturelles.
27:25 ...
27:27 Peu de passagers ont conscience des dangers.
27:30 ...
27:50 Le chef de train, Martín Yaguado, lui, les connaît bien.
27:54 ...
27:58 -Il faut imaginer la quantité
28:03 et l'ampleur des obstacles qu'il a fallu franchir
28:07 pour construire une ligne de cette envergure.
28:11 ...
28:13 L'aménagement de ce tronçon a coûté de nombreuses vies
28:17 et on en trouve de touchantes évocations un peu partout sur le trajet.
28:21 ...
28:23 Par exemple, il y a une gare baptisée "Allemands morts".
28:27 En référence à un Allemand qui a péri en traversant la cordillère.
28:32 ...
28:35 C'était il y a longtemps,
28:37 avant même que le train n'atteigne ces latitudes.
28:40 ...
28:42 Le froid et les intempéries ont eu raison de lui.
28:45 ...
28:47 Et désormais, à cet endroit, il y a une gare qui lui rend hommage
28:51 et qui rappelle ce malheureux événement.
28:54 ...
28:57 -A l'est de San Antonio de los Cobres,
29:00 une station sismique enregistre en permanence les mouvements du sol.
29:04 Les sismologues Irénée Pérez et Juan Pablo Aguiar
29:08 viennent régulièrement relever les données.
29:11 Un séisme de magnitude 5 peut engendrer des dégâts sur la voie ferrée.
29:15 ...
29:18 ...
29:22 ...
29:26 -Irénée, voilà le sismomètre.
29:29 Il nous envoie le signal qu'il capte ici
29:32 au poste de surveillance de San Antonio de los Cobres.
29:36 On va pouvoir voir le séisme d'hier soir.
29:39 -Oui, oui, celui des Rourouis.
29:43 Oui, c'était un séisme de magnitude 4.
29:46 Il a aussi été enregistré par cette station.
29:50 -Ce capteur est extrêmement sensible.
29:54 C'est un STS 2.5.
29:58 Je sais que d'autres institutions s'en servent
30:02 pour enregistrer les explosions nucléaires, par exemple.
30:06 ...
30:09 Ou alors des petites explosions
30:12 ou même des événements très lointains.
30:15 ...
30:18 -Tout doucement.
30:20 Parfait.
30:22 ...
30:26 -Les voies ferrées peuvent être endommagées
30:29 quand le sol est déformé ou altéré par une onde sismique.
30:33 ...
30:35 Par exemple, lors du tremblement de terre de 1977 à San Juan,
30:40 la ligne de chemin de fer a été abîmée
30:43 et gondolée suite au passage de l'onde.
30:46 Cela a entraîné une déformation permanente du terrain.
30:50 -Cela va rester définitivement déformé.
30:54 Regardons la carte.
30:56 Voilà San Antonio de los Cobres.
30:59 Le séisme était tout près ?
31:02 -Oui, voilà l'épicentre.
31:05 Un séisme de magnitude 4 sur l'échelle des Richters.
31:09 -Magnitude 3.
31:11 -Ca, c'en est un autre.
31:13 Mais il est plus proche de l'endroit où on se trouve.
31:17 -C'est ça.
31:19 -Est-ce qu'un séisme pourrait frapper ici
31:22 et impacter le train des nuages ?
31:25 -C'est très probable.
31:27 On est dans une zone à forte activité sismique
31:31 qui a déjà connu plusieurs tremblements de terre.
31:35 Et ce type d'événements altère souvent le substrat,
31:39 ce qui peut avoir des répercussions sur les rails.
31:43 -C'est bien la gare qu'on voit là-bas ?
31:47 -Oui, absolument.
31:49 -Sous l'œil attentif des sismologues,
31:56 le train poursuit sa route à travers la Puna,
32:00 émaillée de hauts plateaux à plus de 4 000 m.
32:04 A cette altitude, la raréfaction de l'oxygène
32:08 met les voyageurs à rude épreuve.
32:11 ...
32:17 Dès 3 000 m, de nombreux passagers souffrent de migraines
32:21 et de sensations d'étouffement.
32:24 Une jeune femme semble mal en point.
32:29 Elle se plaint de nausées, de vertiges et de maux de tête.
32:33 C'est pour parer à ce type de complications
32:36 que le train des nuages dispose d'une station médicale
32:40 et d'une infirmière et d'une médecin.
32:43 La plupart du temps,
32:45 une dose d'oxygène permet de régler le problème.
32:49 -Votre nom ?
32:51 -Solana Sanguedolce.
32:53 -D'où venez-vous ?
32:55 -De Salta.
32:57 -On va vous donner un peu d'oxygène.
33:00 Que ressentez-vous ?
33:02 -J'ai du mal à respirer.
33:04 -Par manque d'air ou par gêne ?
33:07 -Par gêne.
33:10 -On va contrôler vos constantes vitales et votre saturation.
33:14 La saturation est à combien ?
33:17 -89. C'est un peu bas. Ouvre l'oxygène.
33:20 -Ca va vous aider à pallier le manque d'oxygène.
33:24 En fait, vous êtes en hypoxie.
33:27 Ce n'est pas une gêne respiratoire.
33:30 Le masque va permettre de rééquilibrer
33:33 votre taux d'oxygène dans le sang.
33:36 L'hypoxie touche la tête, le coeur,
33:39 les poumons.
33:40 C'est pour ça que vous avez des vertiges ou des nausées.
33:44 Mais l'oxygène est un remède souverain.
33:47 C'est tout ce qu'il y a à faire.
33:49 -On va regarder où en est votre saturation.
33:52 On va voir comment ça évolue.
33:58 Elle est passée de 89 à 92 %.
34:03 -C'est bien ? -Très bien.
34:06 -Merci. -Si besoin, on est là.
34:09 -Merci. Au revoir.
34:11 -Pendant ce temps-là, le train des nuages
34:21 enchaîne les lacets et poursuit lentement son ascension.
34:26 Musique intrigante
34:29 ...
34:51 A plus de 4 000 m, les rails traversent le terrain
34:55 d'une mine désaffectée, la Concordia,
34:58 qui avait été ouverte autour de 1900.
35:01 On y extrayait du plomb, du zinc, de l'argent et du cuivre.
35:05 Elle a été fermée en 1986,
35:08 suite à l'épuisement des ressources.
35:11 Ici aussi, les habitants placent leurs espoirs de renouveau
35:15 dans le tourisme.
35:17 Dans l'ancienne gare aux marchandises,
35:20 les ouvriers doivent faire passer la locomotive de la tête
35:24 et, à partir d'ici, les wagons seront poussés.
35:27 Piloter le train des nuages est un métier aux multiples défis
35:31 et les conditions météorologiques ne facilitent pas la tâche.
35:35 -L'hiver est rude dans la cordillère.
35:38 Les températures peuvent descendre jusqu'à -20 degrés.
35:42 On nous fournit des vêtements adaptés aux conditions extrêmes,
35:46 mais parfois, c'est vraiment dur.
35:49 Régulièrement, on doit descendre du train,
35:52 quitter le confort de la loco chauffée
35:55 pour se glisser en dessous et vérifier les freins,
35:58 s'assurer que toute la mécanique est en parfait état de marche.
36:02 C'est un travail pénible en hiver.
36:05 Mais bon, ça nous plaît.
36:08 Comme l'a dit mon collègue, on est passionnés par notre métier.
36:13 Musique intrigante
36:16 ...
36:33 -Le train des nuages poursuit son ascension
36:36 à une vitesse moyenne de 25 km/h.
36:39 Le clou du voyage approche.
36:42 Le viaduc, la polvoréia.
36:44 ...
36:51 C'est le moment de se poster au vitre.
36:54 Pour peu qu'on ait le coeur bien accroché.
36:58 La traversée de ce chef-d'oeuvre d'ingénierie
37:01 est la garantie d'une expérience spectaculaire.
37:05 A 63 m au-dessus du sol.
37:09 ...
37:13 L'élégant pont à Tréteau mesure près de 224 m de long
37:18 et ne pèse pas loin de 1 600 tonnes.
37:21 Le chantier a duré deux ans.
37:25 ...
37:54 ...
38:04 Le tronçon ouvert au service voyageur
38:07 s'arrête à la sortie du viaduc.
38:09 Depuis San Antonio de los Cobres,
38:12 le train a parcouru 22 km.
38:15 ...
38:24 Les trains de marchandises
38:26 circulent sur le reste de la ligne
38:29 malgré l'état très douteux de la voie.
38:32 Les hauts plateaux des Andes, battus par les vents glaciaux,
38:36 sont l'habitat privilégié de la vigogne sauvage,
38:40 un camélidée herbivore.
38:42 Situé à 4 100 m d'altitude,
38:45 Olacapato est le plus haut village d'Argentine,
38:48 planté au milieu d'un paysage volcanique hostile
38:51 et sans source d'eau potable.
38:53 Approchant de la frontière chilienne,
38:56 les rails traversent tant bien que mal
38:59 les canyons ensablés du Désert du Diable.
39:02 ...
39:08 Nous sommes dans le désert d'Atacama,
39:11 une des zones les plus arides de la planète.
39:14 Ce milieu extrême compte peu d'animaux et de plantes,
39:17 et encore moins d'êtres humains.
39:20 ...
39:25 Edu Samahagia est né ici.
39:28 Il possède une connaissance intime de la flore du désert,
39:32 un savoir transmis de génération en génération
39:35 par ses ancêtres autochtones.
39:38 ...
39:42 -Cette arbuste porte le nom de Tola.
39:45 Ici, on est à 3 500 m d'altitude.
39:48 La Puna est une région extrêmement hostile,
39:51 où l'oxygène se fait rare
39:53 et les précipitations sont quasi inexistantes.
39:56 Dans ces conditions,
39:58 les organismes ont du mal à se développer.
40:01 Cette plante a besoin de très peu d'eau pour survivre.
40:04 Les habitants de la région s'en servent pour se chauffer,
40:07 mais il y a beaucoup d'arbres par ici,
40:09 et que la Tola n'a aucune autre utilité.
40:11 Son nom vient du hameau voisin de Tolar Grande.
40:14 Il y a très peu de végétation dans ce coin,
40:17 ce qui empêche le développement d'autres formes de vie.
40:20 Les animaux sont rares aussi.
40:22 ...
40:24 -La fumée de la Tola
40:26 est également réputée pour favoriser les contractions.
40:29 ...
40:32 Les savoirs ancestraux assurent la survie des habitants du désert.
40:36 ...
40:39 -Les conditions de vie dans la Puna sont tellement difficiles
40:43 que pour habiter ici, il faut être né ici.
40:47 Bien souvent, les gens qui viennent d'ailleurs
40:50 ont du mal à s'y faire.
40:52 ...
40:57 -La région est célèbre pour ses "horos de mar",
41:01 les yeux de la mer.
41:03 Ainsi surnommées par les Autochtones,
41:06 ces petits lacs contiennent une eau
41:09 quatre fois plus salée que l'eau de mer.
41:12 ...
41:15 ...
41:18 ...
41:20 Ils sont habités par des micro-organismes extrémophiles
41:24 dont les particularités intéressent beaucoup
41:27 les chercheurs en biotechnologie.
41:29 ...
41:32 ...
41:35 ...
41:38 ...
41:40 Le chemin de fer a amené dans cette contrée
41:43 des ouvriers et des produits manufacturés.
41:46 ...
41:49 ...
41:52 ...
41:55 Le village de Tolar Grande
41:58 compte aujourd'hui une petite centaine d'habitants.
42:01 Coupés du monde, ils dépendent des privilégiés
42:05 qui possèdent une voiture pour faire les 6 heures de route
42:09 à travers le désert jusqu'au prochain supermarché.
42:12 ...
42:14 ...
42:17 ...
42:20 ...
42:23 ...
42:26 ...
42:29 ...
42:32 ...
42:35 La plupart sont des descendants de cheminots.
42:38 Ils appartiennent au peuple des Colas,
42:41 qui vivent à cheval entre le nord du Chili
42:44 et le nord-ouest argentin.
42:46 Mario Alencai est né à Tolar Grande.
42:49 Il est fils de mineurs devenus cheminots.
42:52 ...
42:55 ...
42:58 ...
43:00 -Ces maisonnettes, construites dans les années 1960,
43:03 servaient à loger des cheminots.
43:06 Avant, il y avait autres maisons
43:09 construites dans des matériaux différents.
43:12 Celles-ci ont été bâties avec des traverses de chemin de fer,
43:16 les barres qui maintiennent l'écartement des rails.
43:19 C'est pour ça qu'elles ont cet aspect.
43:22 Les murs sont des traverses jointes avec du ciment.
43:26 Et il n'y a aucun poteau-porteur, aucune ossature métallique, rien.
43:30 Que des traverses.
43:32 Et ces logements étaient réservés aux cheminots.
43:35 ...
43:38 ...
43:40 Tolar Grande est un village ferroviaire.
43:43 Il doit sa naissance au chemin de fer et à l'extraction minière.
43:47 ...
43:50 ...
43:52 A l'époque, la mine était artisanale, pas comme aujourd'hui.
43:56 Voilà, ça, c'est l'histoire du village.
43:59 Il a eu son heure de gloire, il est mort,
44:02 et il est en train de renaître de ses cendres.
44:06 -L'ancienne gare du village servait de lieu de transbordement
44:10 pour les minerais à destination du Chili.
44:13 Mais elle fait désormais partie du passé.
44:16 -Mes grands-parents et mes parents
44:19 étaient tous originaires de la province de Catamarca.
44:23 Ils sont venus ici pour chercher du travail.
44:26 Et ils en ont trouvé dans les carrières d'onyx d'Arita.
44:30 Il y en a une dizaine,
44:32 d'où on extrait de l'onyx de différentes couleurs.
44:36 Mon père a travaillé un certain temps dans les carrières,
44:40 et puis il a eu la chance d'être embauché dans la compagnie de chemin de fer.
44:45 -Les enfants et petits-enfants
44:47 placent leurs espoirs dans l'ouverture de nouvelles mines
44:51 et le maintien de l'activité ferroviaire.
44:54 -Voilà un fragment d'onyx.
45:07 C'est ce qu'on transportait avec le train.
45:11 On en voit encore les traces là-bas.
45:14 Il reste plein de débris de toutes ces pierres
45:18 qui arrivaient en camion depuis les carrières d'Arita.
45:22 Les chargements étaient stockés ici, à Tolar,
45:28 avant d'être transférés à bord des wagons
45:31 et emportés vers différentes destinations
45:34 pour être utilisés dans l'artisanat ou le bâtiment.
45:38 L'exploitation minière a connu un vrai boom.
45:48 Après l'onyx, on a découvert un gisement de soufre
45:52 et puis de sel de roche, de fer, de sulfate, etc.
45:56 Et tous ces matériaux étaient transportés par rail.
46:01 Ce n'était pas comme aujourd'hui où tout se fait par camion.
46:06 A l'époque, ça passait par le fret ferroviaire.
46:10 On a même encore des restes de voitures en bois
46:14 parce que le train transportait aussi du bétail
46:18 depuis Salta vers le Chili.
46:20 C'est vous dire combien le transport ferroviaire était important.
46:24 A la grande époque, il passait 4 trains de fret par jour.
46:29 Musique douce
46:32 ...
46:45 -Mario croit en l'avenir de Tolar Grandé
46:48 et au retour du train des nuages.
46:51 En attendant, les rails restent silencieux
46:54 tandis que la nuit glaciale enveloppe le petit village
46:58 de la lisière du désert.
47:00 ...
47:03 Pour rejoindre Tolar Grandé, depuis le viaduc La Polvorilla,
47:08 la voie ferrée traverse le salar de Positos.
47:12 ...
47:16 Puis la ligne pénètre dans le salar de Arizarro,
47:20 le 2e désert de sel d'Argentine et l'un des plus grands au monde.
47:25 C'est ici, en réalité, d'un immense lac salé
47:28 dont le sol est constitué de cristaux de sel et de sédiments.
47:32 ...
47:42 Dans la langue kunza, la langue du désert d'Atacama,
47:46 Arizarro signifie "le perchoir du condor".
47:50 Les crêtes étranges que l'on aperçoit au loin
47:54 sont des "yardingues",
47:56 des formations rocheuses dues à l'érosion éolienne.
48:00 ...
48:03 Les quelques véhicules tout-terrain qui circulent
48:06 appartiennent généralement à des chauffeurs professionnels
48:10 qui transportent des mineurs.
48:12 ...
48:19 La toute récente mine de Lindero
48:22 est située à près de 4 000 m d'altitude.
48:25 ...
48:33 Depuis 2018, on y extrait de l'or à ciel ouvert.
48:37 En 2021, la mine a produit
48:40 près de 3 tonnes du précieux métal.
48:43 ...
49:01 La durée de vie de la mine est estimée à 13 ans.
49:04 Plus de 300 ouvriers dorment et travaillent ici.
49:07 Les équipes se relaient chaque semaine.
49:10 ...
49:27 Les maisons délabrées de la précédente génération d'ouvriers
49:31 rappellent l'époque de l'extraction de minerais comme l'onyx.
49:35 ...
49:46 Aujourd'hui encore, les matières premières sont très convoitées,
49:50 mais certains sont simplement attirés par la magie des paysages.
49:54 ...
50:01 De la mine, on peut apercevoir
50:04 le mystérieux cono de Areta,
50:07 une pyramide volcanique composée de sel et de lave noire.
50:11 Le cône presque parfait
50:14 est un lieu sacré pour les Autochtones.
50:17 Haut de 200 m, large de 800 à la base,
50:21 le cono de Areta est l'une des formations naturelles
50:25 les plus étonnantes d'Argentine.
50:28 ...
50:44 Après avoir parcouru 400 km
50:47 et gravi plus de 2 000 m de dénivelé,
50:50 la ligne C-14 atteint la frontière chilienne.
50:54 ...
51:01 Le train des nuages ne circule plus que sur un tronçon infime,
51:05 fragment d'une époque où l'on rêvait de conquérir le monde par les rails.
51:10 ...
51:12 Des hommes ont risqué leur vie pour réaliser ce rêve téméraire
51:16 et sa promesse de développement économique.
51:19 Mais les temps ont changé.
51:22 Aujourd'hui, on rêve d'un train de nuit
51:25 qui permettrait aux passagers d'admirer le ciel limpide
51:29 en circulant sur l'une des voies ferrées
51:32 les plus étonnantes du monde.
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