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Xerfi Canal a reçu Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à emlyon business school, Institut Français du Gouvernement des Entreprises, pour parler de l'aliénation consommation/captial. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Pierre-Yves Gomez.
00:09 Bonjour Philippe.
00:10 Pierre-Yves Gomez, professeur émérite, déjà, donc, bienvenue à la retraite.
00:13 Émérite à EMEON Business School, fondateur de l'Institut français de gouvernement des entreprises.
00:19 Et Pierre-Yves Gomez, j'ai envie qu'on parle ensemble d'aliénation.
00:23 L'aliénation, normalement, c'est une tension entre travail et capitale.
00:28 C'est censé être une aliénation du travail par le capital.
00:31 Pierre-Yves Gomez nous dit pas du tout.
00:33 Alors, pas du tout.
00:35 Oui, c'est bien.
00:37 Pas du tout.
00:38 Bien sûr qu'on a appris avec Marx, mais peut-être même avec les classiques,
00:43 que la tension entre capital et travail est au cœur même de l'aliénation,
00:48 parce que le capital, dans ce rapport de force, le capital a tendance à récupérer une partie...
00:53 La financiarisation, c'est dans toutes les têtes, quand même.
00:55 Mais avant même la financiarisation, le simple fait que le capital possède le pouvoir de gouverner,
01:02 on lui donne un rapport de force privilégié sur le travail,
01:05 et donc peut lui permettre aux capitalistes de retirer une partie de ce que Marx appelle la plus-value.
01:10 Alors, je n'ai pas la prétention, ni le désir de remettre en queue ça.
01:16 Mon sujet, c'est de dire, en fait, en étudiant le capitalisme à travers,
01:20 notamment mon prisme, qui est l'organisation,
01:24 je suis moins convaincu que je ne l'étais quand j'étais étudiant, c'est-à-dire à la fin des années 70,
01:29 que c'est ce rapport travail-capital qui fait l'aliénation.
01:33 Aujourd'hui, je suis profondément persuadé que c'est le rapport capital-consommation
01:38 qui fait l'aliénation capitaliste.
01:40 S'il y a l'aliénation, c'est là qu'il faut la chercher.
01:42 En fait, le travail peut s'émanciper,
01:48 parce que le travailleur est maître de son travail in fine.
01:52 S'il ne veut pas travailler, il ne travaille pas.
01:54 En tout cas, il travaille ailleurs.
01:56 Le consommateur, c'est très difficile de ne pas consommer,
01:59 dans un procès politique et social, c'est très difficile de ne pas consommer.
02:03 C'est-à-dire qu'il est pris dans la structure,
02:06 et une structure d'autant plus aliénante qu'on ne voit pas qui aliéne.
02:11 C'est le système de consommation qui est aliénant.
02:15 Ce qui m'a mis sur la piste, c'est que le premier grand texte d'économie,
02:22 on cite souvent Adam Smith, et je l'ai fait, donc je ne m'en reprends pas,
02:26 mais en tout cas, je participais à ça,
02:28 on cite le premier chapitre de la "Chaine des Nations"
02:30 qui commence par la description d'une organisation et du travail à la chaîne.
02:33 On se dit qu'à l'origine du capitalisme,
02:36 il y a bien ce rapport nouveau au travail que Smith met en évidence.
02:41 Pas du tout, il y a un texte précédent qui est bien plus important,
02:43 c'est la fable des abeilles, début du 18e siècle,
02:46 de Mandeville, où ce qu'elle dit en substance, c'est assez subtil,
02:52 c'est que plus on consomme, et plus on fait tourner l'appareil de production.
02:58 C'est la consommation qui est première.
03:00 Et ça c'est avant même l'expansion du capitalisme,
03:03 et ne parlons pas du capitalisme, de la consommation de masse,
03:05 qui viendra cinq, cinq ans plus tard.
03:07 À l'origine, il y a cette exigence de consommation qui fait tourner la machine.
03:14 Et c'est vrai que je l'ai mis au cœur,
03:18 je crois que le cœur même du capitalisme,
03:20 c'est l'industrialisation de la consommation.
03:25 Et bien sûr que pour industrialiser la consommation,
03:27 il faut industrialiser les produits, donc concentrer le capital.
03:30 Mais la concentration du capital,
03:32 elle n'a de sens que parce qu'il y a industrialisation de la consommation.
03:36 Et que nous sommes tous victimes consentant,
03:39 participants à ce système de consommation,
03:42 qui est un système à la fois émancipateur, comme toujours,
03:45 parce qu'il permet la liberté du choix,
03:47 enfin tout ce qu'on peut raconter sur le marché,
03:50 et en même temps, mais je dirais supérieurement,
03:53 qui est extrêmement aliénant,
03:54 parce qu'on n'a pas les moyens de combattre ce système.
03:57 Lorsqu'on consomme, on est seul.
03:58 Quand on travaille, on peut être coalisé.
04:00 Quand on consomme, on est toujours seul dans son choix.
04:03 Et donc, plus la consommation de masse se déploie,
04:07 plus l'aliénation s'approfondit,
04:09 parce qu'elle approfondit la solitude du consommateur
04:14 face à la machine à consommer.
04:15 Et aujourd'hui, je ne dis pas qu'on est à l'extrême,
04:17 parce qu'on ne sait jamais qu'elle sera à l'extrême de la chose,
04:20 mais on est évidemment à une période que Marx ne pouvait pas voir,
04:24 où l'essentiel de notre...
04:29 le bien-fondé de notre société passe par la consommation,
04:32 le pouvoir d'achat, c'est le pouvoir d'acheter, donc consommer,
04:36 et cette consommation est de plus en plus solitaire.
04:40 Elle est de moins en moins l'effet d'un groupe, d'une coopérative,
04:44 puis d'une famille, puis d'un couple,
04:46 et puis aujourd'hui, ce sont des personnes seules qui consomment.
04:49 Donc, une personne saine, c'est une personne qui a plus de chance d'être aliénée
04:53 que si elle peut se mobiliser autour d'elle d'autres consommateurs
04:58 qui pourraient l'aider à émanciper.
05:01 Merci Pierre-Yves Gomez.
05:02 Merci Jean-Philippe.
05:04 [Musique]

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