• il y a 3 mois
Xerfi Canal a reçu Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à emlyon business school, Institut Français du Gouvernement des Entreprises, pour parler de la théorie face à la réalité.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Pierre-Yves Gomez, professeur émérite. Déjà, donc, bienvenue à la retraite. Émérite
00:15à EMB Business School, fondateur de l'Institut français de gouvernement des entreprises. Je
00:20dis Pierre-Yves Gomez déjà à la retraite parce que j'ai été ton élève, ton étudiant, il y a 30 ans.
00:26Et j'aimerais faire ressentir le bonheur que c'est d'échanger avec Pierre-Yves Gomez. On ne voit
00:31pas le monde tout à fait de la même façon après avoir discuté avec Pierre-Yves Gomez et avant.
00:35Et aujourd'hui, l'heure est grave quand même. On se pose beaucoup de questions et je pense que
00:41tu peux aider vraiment à prendre beaucoup de recul. J'ai envie de débuter cet échange par
00:47Algérie. C'est-à-dire l'Algérie pour parler théorie, idée, idéologie face à la réalité du
00:57vécu. Rien que ça en cinq minutes. Idée, idéologie, réalité du vécu. Alors oui, Algérie parce que je
01:04suis né en Algérie. J'ai eu l'occasion de l'évoquer à plusieurs reprises. Je suis né au moment de
01:12l'indépendance. Donc français d'Algérie. Petit. Voilà, mon père est ouvrier. Ma mère n'avait pas
01:20de profession. Donc de petits gens. Né à Oran en 1960. Et donc 1962, c'est l'indépendance. Et
01:31l'indépendance d'Algérie, pour Oran, c'est 5000 morts le 5 juillet. Puisque c'est un massacre. Et
01:37ma famille va partir en bateau en janvier, dans des conditions très difficiles. Et bon voilà,
01:44elle arrive en France, en métropole, avec des difficultés. Puis une vie, une carrière. Et
01:50pourquoi ça a été important pour moi, même fondateur pour moi. Parce que j'arrive plein de
01:55cette souffrance, ce drame épouvantable de la grande histoire vécue par un petit garçon. Petit
02:03garçon de trois ans. Mais c'est la grande histoire. C'est l'indépendance, les indépendants,
02:07les transformations du monde, etc. J'arrive portant tout ça, malade, etc. Et ce que je reçois à
02:13l'école de la République, à laquelle je dois tout. Mais je reçois une information idéologique sur ce
02:21que je vivais. C'est-à-dire que mes maîtres me trompent. Maîtres pour lesquels j'ai la plus
02:28grande admiration et la plus grande confiance. Et pourtant là, je sais qu'ils me trompent. Que
02:31c'est pas comme ça que ça se passe. C'est pas ce qu'il se passe dans une famille concrète de gens
02:35normaux. En tout cas, des petits gens qui étaient là, pris dans les soubresols de l'histoire. Moi,
02:40j'ai vécu ça. Et j'ai vécu cette dissonance entre apprendre et apprendre faux. Apprendre pas
02:49juste, plutôt. Parce qu'on raconte l'histoire d'une manière idéologique, très générale,
02:54avec des faits qui ne doivent pas exister. Par exemple, le massacre de Rang, on en a parlé
02:59qu'il y a 3-4 ans parce qu'il y a eu une émission de télévision. Personne ne parlait de ça.
03:035 000 morts, c'est 4 fois le massacre en Israël le 7 octobre. C'est 4 fois en une journée. Les
03:11gens saignés, égorgés. C'est épouvantable. Et ça, c'est pas dit. Et ça peut pas se dire. Parce
03:19qu'il n'y a pas de lieu pour le dire. Pendant des années, il n'y aura pas de lieu. J'ai vécu ça,
03:23d'autres ont vécu les harkis, d'autres ont vécu les people. Et j'ai été très marqué par cette
03:31dissonance qu'il y a entre l'idéologie, la façon de raconter, de faire un discours sur le monde et
03:37la réalité qui est vécue. Et je crois que j'ai consacré ma vie à essayer non pas de donner la
03:41parole à ceux qui n'ont pas de mots, d'autres le font bien mieux que moi, mais à faire le lien
03:47entre les idées parce que nous avons besoin d'idées pour comprendre le monde. On a besoin
03:50d'idées, on a besoin de modèles, on a besoin de décrypter. Mais sans perdre de vue que l'important,
03:58ce sont les faits. L'important, c'est l'expérience vécue par les personnes. Et si les idées n'arrivent
04:03pas à rendre compte de l'expérience vécue, c'est qu'elles sont fausses, comme en science
04:07expérimentale. Lorsque l'expérience de laboratoire ne reporte pas les idées, c'est que l'idée,
04:13que l'hypothèse est fausse. Et bien, c'est vrai aussi en sciences sociales. Et je crois que toute
04:17ma vie, je l'ai consacré, toute ma vie professionnelle, je l'ai consacré à ça, à essayer... D'abord,
04:22j'abomine, j'ai horreur des idéologies, et à essayer de montrer qu'il y a dans les idées des
04:27nuances, et qu'une idée n'est avérée que si elle rencontre l'expérience et si elle ne la
04:33contredit pas. Surtout si elle ne l'efface pas, si elle ne la gomme pas, si elle ne l'obscure pas,
04:38si elle ne la rend pas invisible. Merci Pierre-Alexandre Aize.

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