Nicolas Jambou signe un documentaire poignant sur la plateforme Explore de l’Equipe.
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00:00Bonjour Nicolas Jamboux, des balles de tennis aux balles des fusils, ce garçon s'appelle
00:05Sergiy Stakhovski, il est ukrainien. On va commencer par le présenter parce que ceux
00:09qui suivent le tennis le connaissent peut-être, mais ce n'est pas non plus une star des cours.
00:13Quel est son palmarès ? C'est un joueur qui a été au summum de sa carrière à la 30e place
00:20mondiale. C'est un joueur qui est l'un des deux meilleurs ukrainiens des 20 dernières années,
00:26mais c'est vrai qu'en France, même parmi les connaisseurs du tennis, on ne le connaît pas
00:31spécialement. C'est une star en Ukraine, il a quand même gagné 4 tournois ATP, il a battu des
00:37grands joueurs, et notamment Roger Federer à Wimbledon. Au moment où il était au top,
00:45Federer passe sur la fin de carrière. Non, en 2013, au moment où Federer était quasiment
00:49invincible, c'est le grand fait de sa carrière. Quand on regarde de près la carrière de ce
00:55joueur, on s'aperçoit de son patriotisme. Par exemple, il a toujours privilégié la Coupe Davis
01:00aux tournois individuels. Oui, il a toujours aimé ça. D'ailleurs, c'est le joueur ukrainien à avoir
01:07joué le plus de matchs en Coupe Davis de l'histoire. Il a toujours aimé ça, il n'en a quasiment loupé
01:13aucun. Il était très attaché à son pays en tant que joueur de tennis. Il avait aussi arrêté de
01:19parler aux journalistes russes ? Il ne voulait plus aller jouer là-bas non plus ? Oui, en 2014,
01:23au moment de l'annexion de la Crimée, il fait partie des rares sportifs ukrainiens à s'engager
01:29à ce moment-là, vraiment en faveur de son pays, à dénoncer l'annexion russe. C'est le début de la
01:35guerre. A partir de 2014, il n'a plus jamais mis les pieds en Russie pour jouer au tennis. Il n'a
01:42plus jamais parlé à un journaliste russe. C'est un peu le début de son engagement. Exactement.
01:45Alors en février 2022, la Russie déclare la guerre à l'Ukraine. Sergiy est à la retraite depuis un
01:50mois seulement. Il vit à Dubaï avec femme et enfant. Mais il décide immédiatement de s'engager,
01:55d'aller sur le front pour défendre son pays. Comment le monde du tennis a vécu cette décision ?
01:59Parce que vous avez rencontré des joueurs anciens ou encore actifs. Est-ce qu'ils ont été surpris
02:03par le choix de Stakhovski ? Plus exactement, il était en vacances à Dubaï avec sa famille,
02:09avec son ex-femme et ses enfants. C'est devenu son ex-femme après. C'est devenu son ex-femme avec
02:14sa femme à Dubaï en vacances. Forcément, je pense que tout le monde a été marqué et choqué par
02:22cette décision. Au début de la guerre, il y a d'autres sportifs ukrainiens qui sont allés se
02:28battre. Mais je pense qu'il n'y a pas de mots. Tous ceux que j'ai interviewés n'ont pas trouvé
02:32de mots. Ils parlaient de valeur, de courage, de décision forte. Mais je voyais bien que tout le
02:36monde était un peu perturbé parce que je pense qu'il n'y a pas de mots pour décrire un tel choix.
02:41Vous êtes allé en Ukraine, vous Nicolas Jamboux, pour vous entretenir avec lui. Vous le filmez
02:46lors de ses permissions, pendant des entraînements. Les images du front, ce sont aussi les vôtres ?
02:51On a un caméraman qui est allé passer deux jours sur le front, près de Bakhmout, à quelques
02:57kilomètres. Mais c'est essentiellement un documentaire. Ce n'est pas un reportage de guerre,
03:01ce film. C'est essentiellement un documentaire d'archives. On a récupéré des dizaines et des
03:06dizaines de vidéos filmées par ses camarades d'unité et par lui-même avec un téléphone,
03:11avec une GoPro. Je pense que la force du documentaire, c'est de pouvoir voir des images du
03:16front assez rares et en étant vraiment avec lui sur le terrain de guerre. Et qu'est-ce qu'il vous
03:22dit sur les raisons de son engagement ? Alors ça reste assez flou. Là encore, je ne suis pas sûr
03:27qu'il y ait des mots pour expliquer vraiment cette décision. C'est assez mystérieux. Il parle
03:33d'éducation, il parle d'attachement à son pays, il parle de valeur. Mais en fait, j'ai commencé à
03:41travailler sur Sergei Stakhovski il y a huit mois et aujourd'hui encore, je n'ai pas vraiment une
03:45réponse à cette question. Pourquoi est-ce qu'il a décidé d'aller se battre ? Il est multimillionnaire,
03:50il partait en vacances à Dubaï avec sa famille, il pouvait s'acheter une maison en Côte d'Azur
03:55comme la plupart des retraités de joueurs de tennis. Et il décide du jour au lendemain,
04:00au quatrième jour de guerre, de partir en Ukraine. Il n'y a pas vraiment de raison évidente à expliquer
04:05comme ça, en tout cas en une phrase. Mais il n'a pas eu peur ? C'est ce qu'il dit. Bien sûr, il dit
04:11quand il arrive au quatrième jour de guerre, là au moment où des millions d'Ukrainiens sont en
04:15train de fuir et en train de passer la frontière pour aller vers la Slovaquie, pour aller vers la
04:20Pologne. Lui, il fait le chemin inverse. Et à ce moment-là, il dit je vais vers le chaos et je ne
04:26sais pas si je vais revenir parce que les premiers jours de guerre, on pensait que potentiellement
04:30Kyiv serait pris en une semaine par les Russes. Donc évidemment, à ce moment-là, il ne savait pas
04:36du tout ce qui allait se passer. Maintenant, il dit que sa routine sur le front est presque plus
04:42simple que ses premiers jours de guerre parce qu'il dit que tout est clair, tout est droit. Mais je
04:46pense que c'est surtout aussi qu'il est passé en mode guerre. Il ne réfléchit plus trop à ce qui
04:51lui arrive quotidiennement. Alors justement, il a beaucoup changé, c'est ce qu'il vous dit. Parce
04:55que quand la guerre a éclaté, il était donc marié à une Russe. Ils ont divorcé depuis. Non pas
05:01parce qu'ils étaient devenus ennemis, ils soutenaient plutôt l'Ukraine. Mais il vous dit qu'il a changé
05:04avec la guerre. En quoi n'est-il plus le même ? C'est assez marquant parce que moi, quand j'étais
05:10adolescent, je suivais énormément le tennis et je me souvenais de ce joueur pour le coup parce que
05:15je ne loupais pas beaucoup de matchs. Et je me souviens d'un joueur chambreur, assez souriant. Et là,
05:24moi, j'ai rencontré en Ukraine quelqu'un de très froid, quelqu'un de très dur, quelqu'un de très
05:28distant de ses émotions. Et même entre novembre et février, les deux moments où je suis allé le
05:35suivre à kiff, j'ai vu un changement. Parce qu'en ce moment, ça se passe mal pour l'Ukraine,
05:42parce que les Russes progressent sur la zone de front, parce que pendant la première année et
05:46demie de guerre, les Ukrainiens étaient très optimistes et c'est de moins en moins le cas.
05:49Et effectivement, entre-temps, il y a eu le divorce avec son ex-femme russe. Je pense qu'il
05:57s'est passé tout un tas de choses, un tas de paradoxes dans sa tête. Depuis 2014, il était
06:01très opposé à la Russie, mais sa femme était russe. En Ukraine, notamment au sein des milieux
06:07nationalistes, il était déjà un peu critiqué à ce moment-là pour ça. Je pense qu'il s'est passé
06:11beaucoup de choses dans sa tête et ça fait partie des choses qui l'ont fait changer.
06:16Il vous dit « je ne tire sur personne, je ne lance pas de grenade, donc ça va ». Vous ne l'avez pas
06:22trouvée inquiétante, finalement, cette réponse ? En gros, il n'est pas devenu dingue et dangereux,
06:26donc ça pourrait être pire. Est-ce qu'il va si bien que ça ?
06:28C'est hyper difficile à savoir, mais effectivement, ce n'est pas une réponse très rassurante.
06:35Ce n'est pas une réponse très rassurante. Et encore une fois, ce qui m'a marqué, c'est qu'à chaque
06:41fois que je le lançais sur sa santé mentale de soldat, on le sait, quand on lit même des récits
06:45de lettres de poilus, on sait ce que ça fait la guerre chez un homme. Et à chaque fois que je le
06:53lançais sur ce sujet de la santé mentale, il maintenait toujours une distance vis-à-vis de ses
06:57émotions et donc il répondait par des phrases très factuelles, comme celle-là « je ne vous tire pas
07:05dessus, je ne lance pas de grenade, donc ça va ». Vous savez où il se trouve, Stakowski, aujourd'hui,
07:10et comment il va ? Demain ou après-demain, il repart en mission près de Tchassifyach,
07:16qui est une des villes menacées en ce moment par l'avancée des Russes à l'Est. Et en fait,
07:22il est dans une unité où ils alternent entre cinq à six semaines sur le front et trois,
07:28quatre semaines à Kiev de préparation de mission. Il y a les témoignages de Sergi Stakowski,
07:34de sa famille, de joueurs et joueuses de tennis, tout ça entrecoupé d'une voix qui raconte les
07:39étapes de la guerre, ce qui se passe sur le terrain. Et cette voix, c'est notre consoeur
07:42de France Info, Isabelle Labéry, qui présente le podcast « Guerre en Ukraine », un nouvel épisode
07:45de chaque semaine, je le précise. Alors, ce ne sont pas des extraits du podcast qu'on entend dans
07:50votre film. Isabelle, elle a spécialement travaillé pour vous, c'est ça ? Oui, j'écoute très souvent
07:58le podcast « Guerre en Ukraine », j'aime beaucoup ce podcast, j'aime beaucoup sa voix. Elle est à la
08:04fois très spécialiste de l'Ukraine et en même temps, elle a une voix de podcast que j'avais envie
08:09d'avoir pour faire la voix de la guerre, pour raconter la guerre en fait dans ce film. Et donc,
08:15assez naturellement, j'ai pensé à elle et elle m'a accompagné sur ce film. Alors, ce documentaire,
08:19ça y est, est disponible sur l'Equipe Explore, qui est l'espace documentaire du site. Est-ce
08:24qu'une diffusion sur la chaîne, l'équipe, est prévue ? C'est l'inconnu pour l'instant, je ne sais
08:29pas du tout. Pour l'instant, c'est sur la plateforme l'Equipe Explore qui fait des pas
08:33de côté sur le sport. Et c'est produit d'ailleurs par Maniana Films, qui est une toute nouvelle
08:39société de production. Mais ce sera disponible sur Explore, sur la chaîne, je ne sais pas encore.
08:43Merci beaucoup Nicolas Jambot.
08:44Bonne journée, merci.