Vendredi 3 mai 2024, ART & MARCHÉ reçoit Julie Rybicki, (Avocate en droit de la propriété intellectuelle) et Christophe Hioco (Président de la commission juridique et fiscale, Syndicat National des Antiquaires)
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00:00 *Générique*
00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:14 En première partie d'émission, nous parlons de clauses de non-reventes,
00:18 avec l'avocate en droit de propriété intellectuelle Julie Rybicki,
00:22 une clause que les galeristes peuvent imposer aux collectionneurs, on fait le point dans un instant.
00:27 Pour l'interview de la semaine, nous nous intéressons à la réglementation à venir sur l'importation des biens culturels
00:33 qui inquiètent la profession des antiquaires.
00:36 Avant son application en juin 2025, ils cherchent à faire entendre l'impact que pourrait avoir cette réglementation sur leur profession.
00:44 Christophe Yoko, qui est président de la commission juridique et fiscale du syndicat national des antiquaires,
00:49 est avec nous dans un instant.
00:51 Merci à vous toutes et tous qui nous rejoignez, tout de suite c'est Art et Marché.
00:55 [Générique]
00:59 C'est une clause qu'il faut avoir en tête lorsqu'on achète une œuvre d'art.
01:03 Le contrat peut contenir une clause de non-reventes.
01:06 Julie Rybicki, qui est avocate en droit de la propriété intellectuelle,
01:09 est avec nous en visio pour nous donner plus de détails sur cette clause.
01:13 Merci beaucoup d'être avec nous.
01:14 Est-ce que vous pouvez nous expliquer dans quel cas cette clause est applicable
01:18 et surtout, on parle de combien de temps de détention d'une œuvre ?
01:23 Merci beaucoup, Cibile.
01:25 Oui, effectivement, c'est une pratique de plus en plus courante dans le marché de l'art,
01:29 que les galeristes imposent ce type de clause, on appelle ça des clauses de non-resell agreement,
01:34 surtout dans le marché américain mais de plus en plus aussi dans le marché français.
01:38 L'objet est simple, c'est d'interdire la revente d'œuvres d'art,
01:41 notamment dans nos enchères, pendant un certain délai.
01:45 Ce délai est entre trois ans et cinq ans maximum,
01:48 je pense que c'est une durée relativement longue et raisonnable pour cette interdiction.
01:54 Et le but ultime, c'est d'éviter la spéculation de l'artiste
01:57 et d'éviter effectivement de mettre un terme prématurément à sa carrière,
02:02 parce qu'on sait très bien que la code de l'artiste peut aussi vite monter qu'elle n'est descendue.
02:06 Donc c'est vraiment une clause pour protéger les artistes.
02:08 Et donc est-ce que c'est une clause qui s'applique de plus en plus ?
02:13 Pourquoi est-ce que les galeristes voient de plus en plus de revente de plus en plus rapide ?
02:20 Exactement, en fait il y a des œuvres d'art,
02:22 et surtout vous devez connaître des artistes qui sont fortement sollicités,
02:26 et pour lesquels il y a des collectionneurs qui sont même sur des listes d'attente.
02:29 Donc pour éviter qu'effectivement de manière, et d'en faire un véritable marché,
02:33 qui a une autre valeur, qui est moins éthique mais plus business,
02:36 et effectivement de permettre à certains artistes de voir leur code monter,
02:41 c'est vraiment une clause de protection.
02:43 En vérité, et moi je me suis intéressée sur la valeur juridique de ce type de clause,
02:48 parce que ça vient quand même limiter un droit qui est absolu,
02:51 c'est un droit de propriété, normalement on peut faire ce qu'on veut de son œuvre d'art,
02:55 il y a les droits d'auteur, mais en tout cas sur son droit de propriété,
02:58 normalement on a le droit de le revendre,
03:00 là effectivement on est limité sur une certaine période.
03:04 Alors après il faut faire attention sur ce type de clause,
03:06 parce qu'effectivement la limitation doit être temporaire,
03:09 cette clause doit être bien lisible dans les actes d'achat,
03:13 ça ne doit pas être écrit en petit caractère,
03:15 elle doit être justifiée par un intérêt sérieux et légitime,
03:20 alors c'est vrai que souvent les galeristes ne l'écrivent pas,
03:23 mais ce serait bien que ce soit écrit noir sur blanc,
03:25 que le but est d'éviter la spéculation,
03:27 et elle ne doit pas créer un déséquilibre significatif,
03:30 c'est-à-dire qu'elle ne doit pas empêcher non plus un collectionneur de revendre son œuvre à un moment donné.
03:35 Donc voilà vraiment l'intérêt de cette clause,
03:37 mais en réalité c'est plutôt une clause, un outil qui est plutôt dissuasif,
03:42 puisque ça permet simplement d'éviter cette spéculation, cette revente,
03:47 mais à ma connaissance il n'y a pas encore eu de procédure judiciaire
03:50 pour faire annuler ce type de clause en cas de violation.
03:53 Merci beaucoup Julie Ribicky,
03:55 je rappelle que vous êtes avocate en droit de la propriété intellectuelle,
03:58 et vous étiez avec nous en visio pour nous donner plus de détails sur cette clause de non-revente,
04:03 et tout de suite on passe à l'interview de la semaine.
04:05 [Musique]
04:10 Une réglementation sur l'importation des biens culturels devrait s'appliquer à partir de juin 2025,
04:15 elle durcit les conditions d'entrée des biens culturels dans l'Union Européenne,
04:20 et elle inquiète la profession des antiquaires.
04:22 Christophe Yocot est avec nous,
04:24 il est président de la commission juridique et fiscale du syndicat national des antiquaires.
04:28 Merci beaucoup d'être présent.
04:30 Est-ce que vous pouvez nous dire déjà sur cette réglementation,
04:34 quels sont les biens culturels concernés par cette réglementation ?
04:38 Oui, vous avez raison parce qu'on parle d'archéologie, mais ce n'est pas seulement l'archéologie,
04:42 c'est les biens culturels qui ont plus de 250 ans,
04:46 qui peuvent venir en effet de sites d'archéologie,
04:48 mais qui peuvent venir également du démembrement de monuments,
04:53 de temples, Khmer, Indien, Jeune Césou,
04:57 et donc tout ceci est couvert, il y a une liste qui est très longue d'objets qui sont couverts,
05:02 et qui amène la nécessité d'avoir des autorisations, des licences d'importation,
05:07 lorsque ces pièces ont plus de 250 ans, quelle que soit leur valeur, même une valeur minime,
05:12 et de l'autre côté si ces pièces ont plus de 200 ans,
05:17 là il y a une première dérogation qui se fait pour des pièces qui sont au-delà d'une valeur de 18 000 euros.
05:22 Voilà là aujourd'hui ce qui est couvert par cette question d'importation.
05:26 Et bien évidemment tout ce qui a comme origine cette importance est provenance hors communauté européenne.
05:31 Des vieux tableaux, des tableaux anciens européens ne sont absolument pas concernés par cette réglementation,
05:38 ce qui est assez logique d'ailleurs.
05:40 - Et justement dans cette réglementation,
05:42 quels sont les aspects qui pourraient avoir le plus d'impact sur la profession denticaire ?
05:47 - Alors je dirais les aspects qui auront le plus d'impact,
05:51 c'est en fait la limitation qui va être apportée dans la capacité d'apporter.
05:55 Et je suis sûr qu'on va en parler dans le détail et les raisons.
05:59 Mais je dirais que même plus que les antiquaires,
06:01 ceux qui vont être vraiment impactés à terme, ce sont les collectionneurs,
06:06 ou les gens aujourd'hui qui par héritage, par famille, ont des biens culturels qui rentrent dans ces catégories-là.
06:15 On peut toujours imaginer qu'un antiquaire décide de s'orienter vers une autre spécialité
06:21 en raison des contraintes de ces réglementations.
06:24 Par contre un collectionneur, ça fait partie de son patrimoine ou un patrimoine familial,
06:28 là il est bien évident que l'impact est tout à fait différent.
06:31 - Parce qu'aujourd'hui, comment ça se passe pour importer un bien culturel en dehors de l'Europe,
06:37 pour notamment l'archéologie ou les antiquaires ?
06:40 J'imagine qu'il y a déjà tout un certain nombre de recherches qui est faite pour vérifier la provenance de cet objet.
06:47 - Oui, vous avez raison.
06:48 Et en fait, soyons très clairs, cette réglementation en tant que telle,
06:52 le principe est louable.
06:54 Il est bien évident qu'une époque où des sites archéologiques pouvaient être pillés ou des temples démembrés,
07:01 c'est heureusement il y a fort longtemps et c'est quelque chose, de toute façon,
07:04 si ça se passait encore, qui est tout à fait plus que critiquable,
07:08 qui doit être interdit et qui doit être contrôlé.
07:10 Donc le point, le sujet n'est pas là.
07:12 Le sujet ensuite, c'est ce qui va être demandé par cette réglementation
07:16 qui existe depuis 2019 mais dont l'application va réellement se faire le 28 juin 2025
07:23 avec la mise en place d'un système informatique et de la demande de licences d'importation.
07:27 Donc aujourd'hui, un marchand et une maison de vente,
07:30 qui sont très concernés également par cette réglementation,
07:33 va s'assurer qu'on a des documents ou un faisceau d'indices
07:38 qui nous rassurent sur la provenance de ces pièces.
07:42 On est extrêmement vigilants, justement, de ne pas avoir...
07:45 J'ai eu un cas récent, moi, par exemple, d'une pièce où,
07:48 faisant des recherches sur Internet, sur les bases interpolées,
07:51 on fait tout un travail sur les provenances,
07:53 je me suis aperçu qu'en fait cette pièce était encore dans un temple indien dans les années 80.
07:58 Et donc, c'est une pièce sur laquelle, bien évidemment, on a annulé la transaction
08:03 et ensuite on s'est même retourné vers l'ambassade d'Inde
08:06 puisqu'il était clair que cette pièce avait été volée sur ce temple.
08:10 Donc déjà, on a un travail très important et qui est critique pour nous, bien évidemment,
08:16 en termes de provenance des pièces.
08:18 Des documents, des photos, des recherches.
08:22 Là, j'avais trouvé ça, en fait, sur un document, un article
08:25 qui avait été fait par un conservateur du Musée américain sur ce temple.
08:29 On avait retrouvé la photo de la pièce.
08:30 - Parce que qu'est-ce qui va changer, là ?
08:32 C'est le niveau de sanction, le niveau de réglementation ?
08:34 Parce que toutes ces recherches que vous faites,
08:36 est-ce que c'est obligatoire dans un sens légal du terme ?
08:39 - Je dirais que cette réglementation, quand on la regarde bien,
08:42 au niveau de ces décrets d'application qui datent de 2021,
08:46 aujourd'hui, on va nous demander énormément de documents,
08:49 comme par exemple de pouvoir avoir un document qui autorise l'exportation de cette pièce
08:54 par le Cambodge, par la Colombie, par je ne sais quel pays,
08:57 puisqu'on est dans l'archéologie ou des membrements de monuments.
09:01 Et à l'époque, en fait, dans l'essentiel des cas, ces documents n'existaient pas.
09:05 Donc déjà, c'est un premier obstacle.
09:07 Bon. Ensuite, on sait parfaitement bien que,
09:10 parce que le sujet de provenance, il y a encore 25 ans, 30 ans,
09:13 peut-être même 20 ans, n'était pas si sensible qu'aujourd'hui,
09:16 ce qui est regrettable d'ailleurs, soyons clairs,
09:18 vous avez énormément de collectionneurs qui n'ont pas de documents
09:21 ou qui n'ont pas gardé simplement les documents nécessaires.
09:25 Donc ils vont pouvoir nous dire, on va agir sur la bonne foi,
09:27 ils vont nous montrer des photos de la pièce chez eux,
09:30 mais il est rare, malheureusement, d'avoir des documents.
09:33 Et en particulier par rapport, vous avez mentionné l'UNESCO,
09:37 par rapport à ce qui est demandé dans cette réglementation,
09:40 d'avoir une confirmation que cette pièce vient d'avant avril 1972.
09:47 Ça fait partie des dérogations qui sont possibles.
09:50 Donc aujourd'hui, à partir du moment où chaque professionnel,
09:53 maison de vente, où nous faisons notre travail de diligence, je dirais,
09:58 ça nous permet d'éviter justement les écueils de provenance qui seraient douteuses.
10:03 Mais à partir de ce 28 juin 2025, on va demander un certain nombre de documents
10:09 et je crains que dans la grande majorité des cas,
10:12 il soit très difficile de ne pas fournir ces documents,
10:15 simplement pour les raisons que j'ai mentionnées.
10:17 On a même les situations, alors je sais qu'il y a aussi un allègement,
10:20 qui fait qu'on ne sait pas en fait de quel pays précisément cette pièce vient.
10:25 - Qui se tourne ? - Lorsqu'on parle d'art du Gandhara,
10:27 si le Pakistan, c'est l'Afghanistan, donc il faudrait qu'on ait un document du Pakistan,
10:31 un document de l'Afghanistan, puis de toute façon, je suis certain qu'à cette époque,
10:34 ces documents n'existaient pas.
10:36 - Mais est-ce que si ça se fait progressivement, si par exemple dans 10, 15 ans,
10:40 tout le monde a maintenant en tête qu'il faut avoir ces documents-là,
10:43 peut-être que ça va rentrer et devenir un réflexe ?
10:46 On ne sait pas que ce soit possible ?
10:48 - D'abord, il faut que les documents existent.
10:50 Donc il y aurait même un risque plutôt d'avoir des faux.
10:53 Et d'ailleurs, on l'a vu dans des périodes récentes.
10:57 Donc non, en fait, je dirais, ce qui est également un souci extrêmement important,
11:02 qu'il faut penser, c'est pour ça que je pense, moi, aux collectionneurs,
11:05 parce que d'abord, on vit grâce à des collectionneurs.
11:08 C'est qu'avec tous ces documents, il sera très difficile d'apporter tous ces objets culturels
11:14 et de nouveau, l'étendue est très importante.
11:16 Tout ce qui est art d'Asie est concerné, art pré-colombien, ainsi de suite.
11:20 Et donc à partir du moment où ça sera difficile de les importer,
11:24 il y a quand même d'autres pays qui, eux, ne vont pas être concernés.
11:28 Donc je dirais, vous voyez, dans cette situation, je vais prendre un exemple très, très simple.
11:32 Et pour être très direct, je dirais, c'est un peu la revanche du Brexit.
11:36 Le Brexit a amené un déplacement des marchés.
11:41 Parce qu'au lieu d'avoir un transit efficace à l'intérieur de la communauté européenne,
11:47 bien évidemment, c'était beaucoup plus compliqué avec le Royaume-Uni,
11:50 en particulier avec Londres, qui est une grande place.
11:53 Là, les Anglais, qui ont participé en fait, en 2019, à la définition de ce règlement,
12:00 puisqu'ils faisaient partie de la communauté européenne,
12:02 ont décidé, je dirais, presque sans grande surprise, de ne pas l'appliquer.
12:07 Et au contraire même, de faciliter les formalités des douanières
12:11 qui ont été mises en place au moment du Brexit.
12:13 Donc ils suivent exactement le chemin inverse.
12:16 Je ne les critique pas. Je dis que c'est une réalité.
12:18 Donc l'Europe, bien sûr, c'est important, mais c'est qu'une partie du monde.
12:22 La communauté européenne n'est qu'une partie du monde.
12:24 Et donc, c'est pour ça que je parle de revanche du Brexit.
12:27 On va avoir clairement un déplacement de l'activité, de Paris en particulier,
12:33 qui est devenu la grande place en Europe, vers Londres, pour ces raisons-là.
12:38 Il nous reste quelques secondes.
12:40 Juste, est-ce que vous pouvez nous dire ce qu'il est possible pour la profession de faire pour alerter
12:45 avant, est-ce qu'il y a des changements possibles, avant justement le juin 2025 ?
12:49 Bon. Alors, je dirais que nous avons deux actions actuellement,
12:52 et que nous menons vraiment quotidiennement,
12:54 qui sont d'une part un dialogue avec le ministère des Cultures et les douanes.
12:59 Et je dois dire que nous avons des interlocuteurs à chacun des niveaux,
13:03 en particulier au niveau des douanes, qui seront amenés à contrôler en fait cette application.
13:08 Donc nous travaillons avec eux pour mieux comprendre les règles d'application.
13:12 Et en fait, leur soumettre même des cas concrets, qui concernent tous ces objets culturels.
13:17 Et bien évidemment, au niveau européen, où là c'est un effort international,
13:21 avec nos confrères d'autres pays d'Europe, et même anglais dans certains cas,
13:24 c'est voir au niveau de la communauté européenne quels pourraient être à terme les aménagements.
13:29 L'objectif est louable, l'objectif n'est pas de détruire ce règlement,
13:34 c'est simplement qu'il soit réalisable, et qu'on n'ait pas un appauvrissement final
13:39 de la culture extra-européenne en Europe.
13:43 Parce qu'on pourra continuer à exporter, par contre il sera très difficile d'importer.
13:47 Donc les conclusions sont simples.
13:49 Merci beaucoup Christophe Yoco.
13:50 Je rappelle que vous êtes président de la Commission juridique et fiscale du Syndicat national des Antiquaires.
13:54 Merci d'avoir été avec nous.
13:55 Et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Arrêt marché.
13:59 [Musique]