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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marc-Eric Caton, je ne sais pas si vous allez continuer sur le même air, mais je vous salue.
00:10 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:12 Non, je ne chanterai pas.
00:13 Vous allez plonger dans les couches géologiques.
00:17 À la recherche de l'anthropocène, à la recherche des preuves dans la croûte terrestre
00:21 que la planète a changé d'époque irréversiblement sous le coup de nos activités humaines.
00:25 C'est ce à quoi s'est consacrée durant 15 ans une commission de géologues, mais
00:30 fin mars, la sévère Union Internationale des Sciences Géologiques en a décidé autrement.
00:35 Bonjour Jérôme Gaillardet.
00:36 Bonjour.
00:37 Vous êtes professeur de géochimie à l'Institut de Physique du Globe et à l'Institut Universitaire
00:40 de France.
00:41 Vous avez publié mardi avec un collectif de géoscientifiques une tribune dans le journal
00:46 Le Monde intitulée "Non, les scientifiques de la Terre ne rejettent pas l'anthropocène.
00:50 Dites-nous, qui a le pouvoir de fixer le calendrier officiel de l'histoire de la Terre, de définir
00:55 les aires, les périodes, les époques ?
00:57 Oui, alors ce calendrier géologique est dans les mains de plusieurs commissions qui sont
01:02 emboîtées comme des poupées russes.
01:04 Une toute une bureaucratie assez compliquée qui se réunit périodiquement, tous les ans,
01:09 et qui vote sur les décisions à prendre pour diviser le temps géologique en différents
01:18 segments.
01:19 Une espèce de segmentation du temps géologique qui est entre les mains de ces X commissions.
01:24 C'est incroyable qu'ils votent pour déterminer, c'est rare en science.
01:27 Oui, c'est inhabituel.
01:28 La science ne procède pas par vote, la vérité scientifique ne s'impose pas par des votes,
01:32 mais là, en l'occurrence, c'est plutôt de la bureaucratie scientifique.
01:38 Donc à un moment donné, il faut recueillir une majorité.
01:41 Et c'est cette institution, l'Union Internationale de Sciences Géologiques avec ses différentes
01:46 commissions, qui a refusé au mois de mars d'acter le changement d'époque, d'acter
01:51 l'anthropocène.
01:52 Et qui définit une ère géologique, Jérôme Gagnardet ? Qu'est-ce qui caractérise l'holocène
01:57 dans lequel nous vivons ?
01:58 L'holocène, c'est la période géologique dans laquelle on est, si l'on s'en tient
02:01 au calendrier géologique qui a été voté par ces commissions.
02:04 Il est défini par un réchauffement climatique qui a commencé il y a à peu près 12 000
02:10 ans.
02:11 Il a été défini à partir d'enregistrements de carottes faites dans les glaces au Groenland.
02:17 Donc jusqu'à preuve du contraire, pour ces commissions, nous sommes toujours dans l'holocène.
02:22 Venons-en maintenant à la proposition, rejetée plus largement à la manière dont la géologie
02:27 appréhende l'anthropocène.
02:29 Le premier point pour les géologues, c'est d'identifier une couche particulière de sédiments.
02:34 Voilà, tout découpage du temps géologique est associé à un lieu particulier, que l'on
02:40 appelle dans le langage technique un stratotype ou un clou d'or, l'expression est plus facile
02:45 à imaginer, qui correspond à la description très précise de cette époque géologique-là.
02:54 Donc toute époque géologique dans le calendrier est associée à un lieu bien précis de référence.
03:00 Et le lieu de référence proposé par la commission anthropocène, mais rejeté on l'a dit, c'est
03:06 le lac Crawford près de Toronto au Canada.
03:09 Qu'est-ce qu'on observe ? Qu'est-ce qui caractériserait l'anthropocène dans ce lieu ?
03:13 Oui, il y a eu plusieurs propositions, on en a eu une douzaine, mais celle du lac Crawford
03:16 était apparemment celle qui était la plus facile à recueillir la majorité des votes.
03:22 C'est une carotte des sédiments dans un lac, et ce lac a enregistré en particulier un signal
03:31 global dans les années 1945 par l'arrivée d'un atome, d'un élément chimique qui n'existe
03:37 pas dans la nature, le plutonium, qui a été créé par les expériences nucléaires.
03:42 Oui, ça c'est important, c'est vraiment à partir du plutonium qu'on déterminerait
03:48 l'anthropocène dans le sol ?
03:50 C'était la proposition de ce groupe de dire, voilà, dans ce lac on peut identifier une
03:55 carotte, des roches très précises, et quand on les analyse, on voit qu'à partir de 1945,
04:01 c'est à peu près la date, il y a une apparition de ce plutonium, donc ça justifie le changement
04:08 de l'holocène vers l'anthropocène.
04:10 Mais plus globalement, au-delà du plutonium qui serait le témoin des activités nucléaires
04:15 des humains, je crois qu'on cherche aussi des traces de microplastiques, d'autres éléments
04:21 qui ne sont pas natifs ?
04:22 Voilà, il y a eu plein d'autres arguments, bien entendu la quantité de CO2 dans l'atmosphère
04:28 qui a décollé après la deuxième guerre mondiale, les microplastiques, les poussières,
04:33 il y a tout un tas d'arguments qui permettent de définir l'anthropocène, et il y a eu
04:37 de multiples propositions par cette commission, ce groupe de travail sur l'anthropocène,
04:42 et le lac Rochford était celle qui était la mieux positionnée.
04:45 En rejetant ces propositions, l'Union internationale des sciences géologiques réaffirme, en quelque
04:51 sorte, me semble-t-il, vous allez me dire, que l'histoire de la Terre ne peut se rabattre
04:55 sur l'histoire humaine.
04:56 Est-ce que vous y voyez une forme de climatoscepticisme, Jérôme Gaillardet ?
05:01 Non, je ne pense pas que c'est directement du climatoscepticisme.
05:05 C'est cette commission, ou ces commissions, qui ont une logique qui est leur logique propre,
05:10 et ils ont défini des critères pour que l'on décide de subdiviser l'histoire de
05:16 la Terre, en l'occurrence, en époque.
05:19 Il ne s'agit pas du nerf, l'anthropocène, il s'agit d'en faire une époque succédante
05:24 à l'holocène.
05:25 Donc, selon leurs critères internes, les définitions que ce groupe de travail sur l'anthropocène
05:31 donne pour cette commission ne sont pas suffisantes pour que l'on décide que dans le calendrier,
05:39 on change d'époque.
05:40 Mais vous n'y voyez pas de refus, ou de volonté de poursuivre une séparation formelle
05:46 entre le calendrier humain et le calendrier géologique ?
05:49 Ça peut se croiser ?
05:50 Alors, c'est un petit peu l'objet de la tribune qu'on a écrite.
05:54 Nous, scientifiques de la Terre, nous sentons un peu trahis par ce petit groupe de stratigraphes
06:00 qui ne veut pas reconnaître l'anthropocène comme une vérité du calendrier géologique.
06:06 Nier l'anthropocène sur tout un tas d'autres critères, en particulier la composition
06:12 chimique de l'atmosphère, la dérégulation des cycles bio-géochimiques comme celui
06:17 de l'azote, du phosphore, l'érosion des sols, enfin que sais-je, la liste est très
06:20 longue, c'est pas correct.
06:23 C'est ne pas reconnaître un événement majeur qui arrive à la planète, qui est que l'homme
06:28 est devenu une force géologique.
06:30 De votre point de vue, Jérôme Gaillardet, et puis on conclura sur ça, est-ce que le
06:34 terme même d'anthropocène, dont on rappelle qu'il n'est pas une création journalistique
06:38 mais celle du prix Nobel de chimie et météorologue Paul Kroutzen, est-ce que ce terme garde sa
06:44 valeur scientifique ou est-ce qu'il faut le reléguer du côté du militantisme ?
06:47 Non, non, il garde toute sa valeur scientifique.
06:50 L'anthropocène, c'est un terme frontière, c'est un terme qui permet de faire parler
06:54 des communautés qui ne se parlaient pas avant, des géologues, des spécialistes de la Terre,
06:58 mais aussi des anthropologues, des sociologues, et de faire une politique de la Terre.
07:03 Le fait que l'on soit dans l'anthropocène change tout à la politique de la Terre que
07:07 l'on doit mener.
07:08 Nous ne sommes plus dans la Terre de l'ancien régime climatique, comme disait Latour, on
07:13 est dans une nouvelle Terre.
07:14 Donc on vit plus comme avant.
07:16 Et donc symboliquement, c'est très important de savoir que l'époque dans laquelle on vit
07:21 n'est plus l'époque qu'ont connue des générations d'humains sur la planète avant ça.
07:26 Et c'est peut-être ça qu'a rejeté finalement notre Union internationale des sciences géologiques,
07:31 l'idée d'une science politique de la Terre.
07:33 Oui, cette idée que quand on fait des sciences, on ne fait pas de la politique, on ne va pas
07:37 mélanger les faits et les valeurs.
07:38 Mais tout ça, c'est illusoire.
07:41 Faire des sciences de la Terre aujourd'hui, c'est faire de la politique.
07:44 Merci beaucoup Jérôme Gaillardet, professeur de géochimie à l'Institut de physique du
07:48 globe et à l'Institut universitaire de France.
07:50 Merci.