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00:00 La tradwife est-elle une invention marketing ?
00:02 La traditional wife, c'est cette tendance sur les réseaux sociaux avec des influenceuses
00:05 qui prônent le dévouement des femmes à leur foyer et à leur mari
00:09 en leur mitonnant des bons petits plats.
00:10 "This is so good."
00:11 Exactement comme ces trois cuisinières qui ont vendu des millions de livres à des époques différentes
00:16 et qui ont façonné chacune à leur manière l'image de la ménagère idéale.
00:20 Mais ces trois femmes ont un point commun.
00:22 Elles n'ont jamais existé et sont de pures inventions industrielles.
00:27 Vous ne la connaissez sans doute pas mais Betty Crocker était l'une des femmes les plus populaires
00:31 aux Etats-Unis dans les années 40.
00:32 En 1921, Washburn Crosby, une entreprise qui vend de la farine,
00:36 publie de la réclame dans un journal local.
00:39 L'entreprise reçoit rapidement de nombreux courriers de lecteurs
00:42 qui demandent des conseils sur la cuisson de leur pain ou de leur gâteau.
00:45 Le directeur de l'entreprise a alors une idée de génie.
00:47 Il pense que les réponses seraient plus crédibles si elles étaient écrites par une femme.
00:51 Il imagine un nom, Betty Crocker.
00:53 Crocker du nom d'un cadre de l'entreprise et Betty parce que c'est un prénom rassurant.
00:57 Mais rapidement, Betty ne répond plus seulement aux questions des lecteurs.
01:00 Elle se met à proposer des recettes.
01:01 Sa popularité est telle qu'elle nécessite l'emploi de 21 personnes
01:05 chargées d'élaborer ses fameuses recettes.
01:07 En 1924, elle a droit à sa propre émission de radio
01:10 qui est sans doute la première émission culinaire de l'histoire.
01:12 Aujourd'hui, je vais vous donner un menu
01:14 pour la sorte de repas de famille que chaque femme devrait connaître pour son mari.
01:18 Plus que des recettes, ces émissions sont un véritable manuel
01:22 pour ce qu'on appelle alors la "housewife" ou mère au foyer.
01:24 Un rôle très genré, cantonné à la cuisine et au service du mari.
01:28 Dans l'entre-deux-guerres, il y a de grandes entreprises sidérurgiques ou minières
01:32 qui s'intéressent aussi pour que les hommes soient efficaces.
01:35 Le type de nourriture, les gènes des vies au foyer.
01:38 Et donc, les femmes avaient un rôle en tant que pouze.
01:41 Elles devaient en fait assurer au four l'efficacité de la force de travail.
01:51 C'est à cette époque que les femmes deviennent une cible pour les publicitaires
01:54 car ce sont elles qui gèrent les économies du foyer.
01:56 C'est elles qui font les achats, qui sont au centre de la consommation,
01:59 qui assurent aussi le bien-être physique de la famille.
02:04 À partir des années 30, Betty a un visage officiel, dessiné par un artiste.
02:08 Il sera modernisé régulièrement mais toujours avec son gilet rouge,
02:11 son allure impeccable et son air légèrement sévère.
02:14 Betty doit rester ce visage vaguement familier auquel tout le monde peut s'identifier.
02:18 Betty Crocker participe à l'effort de guerre dans les années 40.
02:20 Le gouvernement demande à l'entreprise de faire des émissions spéciales
02:24 sur comment cuisiner en période de rationnement.
02:26 Même après 20 ans d'existence,
02:27 beaucoup d'auditeurs restent persuadés que leur cuisinière préférée est bien réelle.
02:31 On dira même que Betty est la deuxième femme la plus populaire des Etats-Unis
02:34 après Eleanor Roosevelt, la première dame.
02:37 Après la radio, la cuisinière a droit à son show à la télé
02:40 avec une actrice au début des années 60.
02:42 Mais la supercherie est comprise par les Américains au fil du temps.
02:45 L'image de Betty est progressivement remplacée par une cuillère rouge.
02:48 La marque existe encore aujourd'hui,
02:50 et elle a même servi de modèle à une autre Betty en Europe.
02:53 Les Suisses aussi ont eu leur influenceuse cuisine dans les années 50,
02:58 véritable tradwife avant l'heure.
02:59 Comme sa grande sœur américaine Betty Crocker,
03:01 Betty Bossy était une star nationale
03:03 qui a vendu des millions de livres de cuisine,
03:05 mais qui n'a jamais existé.
03:07 Tout commence en 1956 avec une publicité distribuée dans les grands magasins d'alimentation.
03:12 La feuille s'intitule "Que vais-je cuisiner aujourd'hui ?"
03:14 et elle est signée Betty Bossy.
03:15 Derrière ce personnage, cette fois, il y a une femme.
03:18 Amy Creolamag, rédactrice publicitaire de la marque Astra,
03:21 qui vend des huiles et des graisses pour la cuisine.
03:23 Et bien sûr, Betty Bossy n'oubliera pas de vanter les produits Astra dans ses recettes.
03:27 Plutôt malin.
03:28 D'ailleurs, Betty a tellement le sens des affaires
03:30 qu'elle se décline aussi en produits électroménagers.
03:32 Les ingénieurs s'attellent aussi à étudier
03:35 comment faire en sorte que les logis soient gérés de manière
03:40 tout à fait semblable à l'usine, avec les mêmes normes de rationalité.
03:45 Se met en place aussi cette idée que dans la maison,
03:47 il doit y avoir certains électroménagers
03:50 qui permettent aussi justement une efficacité
03:53 dans l'exécution de certaines tâches.
03:55 Elle aime ses apparences, mais elle va cuisiner ?
03:59 Comment les fonctionnements l'aident ?
04:01 En 1973, un livre de Betty sur les pâtisseries
04:04 est vendu à 1,3 million d'exemplaires.
04:06 Betty Bossy recevra même plusieurs demandes en mariage.
04:09 En France, une autre cuisinière fictive
04:11 va connaître une énorme popularité à la même époque.
04:14 [Musique]
04:16 Vous êtes peut-être déjà tombé sur un livre
04:18 de cette mystérieuse cuisinière, Françoise Bernard.
04:21 Un nom culte qui sent les trentes glorieuses
04:23 et les tables de cuisine informiques
04:24 dont les influenceuses tradwives pourraient bien s'inspirer aujourd'hui.
04:27 Au début des années 50, les communicants de la marque Astra,
04:30 qui vend notamment de la margarine,
04:32 proposent aux consommateurs des recettes
04:34 et décident de les signer avec ce nom,
04:35 composé des deux prénoms les plus populaires de l'époque,
04:38 Françoise et Bernard.
04:39 L'entreprise veut aller plus loin dans l'incarnation
04:41 et embauche une secrétaire, Andrée Joncquoi,
04:44 pour vendre ses recettes.
04:45 Le grand problème de la ménagère moderne,
04:47 c'est que je suis très pressée pour faire la cuisine.
04:50 Je n'ai pas de temps, je n'ai pas beaucoup de moyens
04:53 et je n'ai pas toujours beaucoup de connaissances.
04:54 Faisant farcie aux noix, croute aux oeufs pochés,
04:57 il faut quand même aimer les plats en sauce
04:58 et les repas riches en calories.
05:00 En plus des recettes,
05:01 Françoise prodigue des conseils pour bien tenir son foyer,
05:04 comment dresser une table
05:05 et bien accueillir ses invités,
05:07 avec toujours le souci de présenter une image
05:09 idéalisée de la ménagère.
05:10 Françoise Bernard insiste aussi sur une dimension
05:13 de transmission de la cuisine,
05:14 entre mère et fille évidemment.
05:16 Pour les cadres de l'entreprise,
05:17 la cuisine doit rester une affaire de femme.
05:19 Avant 1965, elle n'a pas le droit de travailler
05:22 sans l'autorisation de son mari,
05:24 ni d'avoir un compte en banque,
05:26 quand elle est mariée.
05:27 Elle est également seconde,
05:29 légalement, dans le foyer,
05:30 puisque la notion de chef de famille
05:32 ne sera supprimée qu'en 1970.
05:34 Mais l'influenceuse transforme l'image de la ménagère
05:37 et la fait rentrer dans la modernité des Trente Glorieuses.
05:40 Elle a intégré le micro-ondes dans ses recettes
05:42 et ne s'adresse plus seulement aux femmes au foyer,
05:44 mais aussi aux femmes qui sont dans la vie active
05:46 et qui ont moins de temps à consacrer à la cuisine.
05:48 Ironie de l'histoire,
05:49 André ou Françoise avouera qu'elle n'y connaissait
05:52 pas grand chose en cuisine
05:53 et que ça ne l'intéressait pas beaucoup.
05:55 André rachète à l'entreprise le nom de son alter-ego
05:58 et continue à vendre des millions de livres
06:00 jusqu'aux années 2010.
06:02 Elle meurt en 2021, à l'âge de 100 ans.
06:05 Si vous souhaitez en savoir plus sur l'histoire
06:06 des femmes au foyer,
06:07 vous pouvez écouter cette émission.