Aujourd'hui à 7h50, notre invitée est Marjane Satrapi, réalisatrice, autrice, dessinatrice franco-iranienne (Persépolis). Elle viendra parler du livre "Femme, Vie, Liberté" (L'iconoclaste) avec Ali Baddou et Marion L'Hour. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50-du-week-end/l-invite-de-7h50-du-we-du-samedi-07-octobre-2023-9132365
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00:00 Le lendemain de l'annonce du prix Nobel de la paix est décerné à la militante iranienne
00:03 Narghas Mohammadi, emprisonnée par la République islamique.
00:06 Ali Baddou et moi sommes ce matin avec une Iranienne de France, réalisatrice, autrice
00:10 de BD, très impliquée dans ce combat pour les droits humains et contre l'oppression
00:14 des femmes.
00:15 Bonjour Marjane Satrapi !
00:16 Bonjour !
00:17 Je rappelle que vous coordonnez un magnifique roman graphique aux éditions de l'Iconoclast
00:21 qui s'appelle « Femme, vie, liberté » et qui parle justement de ce mouvement féministe
00:25 en Iran.
00:26 Quel est votre sentiment à l'annonce de ce prix Nobel décerné à Narghas Mohammadi ?
00:30 Mon sentiment c'est énormément de joie et c'est une reconnaissance internationale
00:36 pour le combat mené par les Iraniennes mais également par les Iraniens.
00:39 C'est une reconnaissance de l'opposition iranienne qui sont nombreux.
00:44 N'oublions pas que plus de 82% du pays sont contre la République islamique et s'ils
00:49 tient c'est à base de violences extrêmes.
00:54 Vous êtes en contact régulier avec des proches en Iran.
00:57 Ils portent quel regard sur ce prix Nobel ?
00:59 Écoutez, tous les Iraniens sont heureux.
01:02 Moi, des proches, je n'en ai plus tellement, enfin par mes parents.
01:06 Pendant cette année de révolution en Iran, je me suis approchée de plusieurs jeunes
01:11 pour avoir leur sentiment.
01:12 C'est extraordinaire de voir comment ils sont évolués dans la compréhension de la
01:18 culture démocratique parce que la démocratie avant tout c'est une culture.
01:22 Ce n'est pas on va mettre des bombes et après deux machines à Coca-Cola et on installe
01:26 la démocratie.
01:27 La démocratie c'est une culture qui doit d'abord être intégrée.
01:30 Cette culture est intégrée.
01:31 Les gens veulent réellement un pays séculaire et cela dépasse la jeunesse ou des gens qui
01:38 ressembleraient à moi.
01:40 Même une femme de martyr qui porte un tchador, qui est une grande musulmane, elle est vraiment
01:48 croyante, pratiquante, religieuse, elle est couple de 18 ans de prison parce qu'elle
01:54 aussi elle veut un état laïque, elle aussi elle veut un état séculaire dans lequel
01:58 la religion et l'état sont séparés.
02:00 Vous avez parlé de joie Marjane Satrapi et c'est un sentiment qui est assez étonnant
02:05 d'entendre confesser.
02:06 Une joie pour le prix Nobel même si on sait que ça ne va pas forcément faire libérer
02:12 Narges Mohammadi.
02:13 Vous avez eu une phrase que je trouve géniale, c'est comme si on avait baissé la culotte
02:18 au mola.
02:19 Absolument.
02:20 Expliquez-nous ça.
02:21 Écoutez, moi je pense déjà qu'il y a une seule chose qui est plus belle que la liberté,
02:27 c'est la lutte pour la liberté.
02:28 C'est la chose la plus belle et c'est pour ça que ça inspire.
02:31 Quand vous avez en fait, au début on est là très émus, oui voilà le peuple iranien,
02:38 le peuple iranien et puis après on entend qu'en fait on reprend les accords sur le
02:43 nucléaire iranien comme si de rien n'était.
02:46 Que petit à petit la Belgique invite le boucher de Téhéran, le maire de Téhéran à Bruxelles
02:52 et puis Ibrahim Raisi, il est invité en Afrique du Sud.
02:56 Et puis après maintenant ils vont présider le forum des droits de l'homme à partir
03:00 du mois de novembre aux Nations Unies.
03:02 Ça leur donne un sentiment d'impunité en disant on va tuer tous ces gens-là, donc
03:07 on va tuer plus de 80% du pays et ça va très bien, ça roule.
03:11 Et donc le symbole du Nobel c'est que le pouvoir est à nu ?
03:14 Exactement, quand vous donnez le Nobel à Narges Mohammadi, vous êtes en train de célébrer
03:20 ces gens justement qui se font tuer, qui se font massacrer et oui c'est de baisser la
03:27 culotte et voilà, c'est de le mettre devant le fait accompli.
03:30 Vous pouvez faire ça mais il y a le prix Nobel quand même qui est décerné et n'oublions
03:34 pas qu'au courant de ce 21e siècle qui n'est pas si long que ça, il y a deux femmes iraniennes,
03:40 deux qui ont eu le prix Nobel de la paix, toutes les deux pour la même raison.
03:44 Il est peut-être temps pour la communauté internationale d'entendre notre voix.
03:47 Et l'autre c'était Chirine Ebadi.
03:49 Narges Mohammadi, la lauréate du prix Nobel cette année, elle est détenue dans la prison
03:52 d'Evin dont il est question.
03:54 Dans l'ouvrage « Femmes, vie, liberté », il y a quelques pages qui lui sont consacrées.
03:57 Qu'est-ce qu'elle a de particulier cette prison ?
03:59 La prison d'Evin, c'est la prison politique qui existe depuis le temps du chat.
04:05 Il y avait des gens qui étaient déjà emprisonnés à la prison d'Evin, c'est dans le nord
04:11 du pays.
04:12 C'est la prison de l'horreur, c'est la prison de la torture, c'est la prison de
04:16 l'exécution.
04:17 Narges Mohammadi, au sein même de cette prison d'Evin, n'a cessé d'envoyer des messages,
04:23 n'a cessé d'aller dans la cour avec ses co-détenus.
04:29 Ils brûlaient leur voile.
04:30 N'a cessé d'être très actif au sein même de la prison.
04:34 Et quand elle fait ça, ça veut dire qu'on la tape, qu'on la torture.
04:37 C'est pas sans impunité.
04:38 154 coups de fouet, elle n'est sortie que quelques mois depuis 2011.
04:42 Et elle raconte cette pièce blanche où on enferme les prisonniers politiques, où il
04:47 n'y a rien du tout.
04:48 Il n'y a rien, oui.
04:49 Torture psychologique.
04:50 Là pour le moment, elle est en prison.
04:52 Elle a été in and out en prison, je ne sais pas, 15 fois.
04:55 Deux ans, huit ans, elle est sortie.
04:58 Donc depuis 1998 jusqu'à maintenant, elle est en prison.
05:01 Là, elle a écopé de 31 ans de prison.
05:04 Pourquoi ? Pour défendre les droits de l'homme.
05:07 Dans Femme vit liberté, les auteurs des pages qui sont consacrées à cette prison et à
05:13 Narges Mohammadi disent que les femmes qui sont détenues comme elle et comme Nasrin
05:17 Sotoudeh qui est une avocate, sont une monnaie d'échange.
05:20 Ça veut dire quoi ?
05:21 On fait une pression en disant « si vous ne nous donnez pas ça, on va les exécuter ».
05:30 Mais c'est pour ça aussi que les prix sont importants.
05:33 Parce qu'aller exécuter quelqu'un qui a eu un prix Nobel de la paix, ça va devenir
05:37 un peu plus difficile.
05:38 Donc ce genre de prix, ça les protège aussi.
05:41 Ça la protège, elle.
05:42 Il y a 20 ans, vous étiez aux côtés de Chérie Nebadi lorsqu'elle a reçu le prix Nobel
05:48 de la paix.
05:49 Qu'est-ce qui a changé en 20 ans entre ces deux prix Nobel, décernés à deux femmes
05:54 iraniennes qui se battent pour les droits des êtres humains ?
05:57 Au moment où Chérie Nebadi a eu son prix Nobel, son discours et même le discours général
06:02 dans le pays, c'était « on veut des réformes ». Le mouvement vert était « où est mon
06:06 vote ? ». Il y avait toujours cette idée, enfin ce rêve, que cette république islamique
06:13 pouvait évoluer pour devenir quelque chose.
06:15 Changer de l'intérieur.
06:16 Voilà, changer de l'intérieur.
06:17 Force est de constater que la religion et l'État ne font pas bonne affaire, jamais,
06:24 nulle part.
06:25 Et que ce que demandaient les Iraniens il y a 20 ans, qui était la réforme, aujourd'hui
06:31 c'est transformé de « on ne veut plus de cette république islamique ». Ils le disent
06:35 tous les jours.
06:36 Ils ne veulent plus porter de voile.
06:38 Et ce voile, ça peut paraître dérisoire quand vous êtes en Europe, ce voile c'est
06:42 tout le symbolique de la république islamique.
06:44 C'est quand vous dites à une femme « tu te voiles », ça veut dire « je t'enlève
06:49 aussi la moitié de tes droits ». Et il n'y a aucune société qui peut prétendre aux
06:52 droits humains.
06:54 Les droits humains passent par les droits de la femme, c'est sans considération féministe.
06:57 C'est comme ça, les droits de la femme sont les droits de la société.
07:00 Une société qui fait la perte des genres, qui estime que ses femmes valent la moitié
07:06 des hommes, ne peut pas être une société démocratique.
07:08 Mais on voit aujourd'hui, il y a une adolescente de 16 ans, Armita Garavand, qui est dans le
07:14 coma parce que d'après une ONG, elle a été agressée dans le métro pour s'être
07:17 promenée, elle aussi, sans voile.
07:19 Et il y a une journaliste qui a essayé d'en rendre compte et qui a elle-même été arrêtée
07:22 pendant…
07:23 Oui, et puis sa mère a été arrêtée.
07:24 Même en venant dans la télévision de l'État en disant « ah ma fille, elle a fait une
07:32 chute de tension », ils l'ont arrêtée et sont menaces.
07:35 Il ne faut pas qu'elle parle à la presse, il ne faut pas qu'elle fasse ceci.
07:38 Une fois qu'ils ont tué les gens, une fois qu'ils les ont torturés, violés, emprisonnés,
07:44 en plus on s'en prend à leur famille.
07:46 Mais on a l'impression que malgré ce mouvement Femmes, Vie, Liberté qui dure depuis un an,
07:51 malgré les prix Nobel, ça ne bouge pas tellement ?
07:54 Vous savez, il y a Anna Arendt qui dit quelque chose qui est très vrai.
08:00 Toutes les dictatures, jusqu'à 15 minutes avant, vous avez l'impression qu'elles
08:05 sont indéboulonnables.
08:06 Au moment où ils tombent, les gens se disent « comment ils ont tenu aussi longtemps ? ».
08:11 Vous savez, la République islamique, ce n'est pas des diamants purs.
08:15 On en fait un monstre aussi en Occident, on a l'impression qu'ils sont hyper forts.
08:20 Tout montre en fait que la peur a changé de camp.
08:24 Vous ne déployez pas autant de violence, vous ne déployez pas autant de police, d'armes
08:29 et de tout dans la rue.
08:30 Si on n'a pas peur !
08:31 Exactement !
08:32 Peur de perdre le pouvoir.
08:34 Bien sûr !
08:35 Et quel rôle on peut jouer, nous, ici, en Europe, en Occident ?
08:38 En parlant !
08:39 En parlant pour que cette chose ne leur donne pas le sentiment d'impunité.
08:43 Je le dis toujours, on ne demande pas aux Européens, on ne demande à personne de venir
08:48 faire la révolution à notre place, absolument pas.
08:51 Mais il y a une chose entre ça et de faire comme si de rien n'était.
08:56 Juste en parler et de les dénoncer.
09:00 Ça suffit.
09:01 Marjane Setrapi, réalisatrice-autrice de bandes dessinées, merci d'être venue nous
09:05 répondre aujourd'hui sur France Inter.
09:07 Et ce magnifique album « Femmes, vie, liberté » et cette phrase extraordinaire, elle aussi
09:11 « C'est comme si on avait baissé la culotte des mollas ».
09:14 Merci infiniment Marjane Setrapi d'être venue nous répondre sur Inter.
09:18 Merci à vous.