Alimentation : "Par rapport aux années précédentes, les prix d'achat des distributeurs auront des hausses limitées", déclare Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales agricoles
Les négociations commerciales agricoles se sont tenues entre le 1er décembre dernier et le 31 janvier, pour les produits à marques nationales, dans un contexte d'inflation qui reflue désormais. Notre invité, Thierry Dahan, dresse un bilan des négociations passées.
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00:00 L'invité éco, Camille Revelle.
00:05 Bonsoir à toutes et à tous. On a beaucoup parlé sur France Info des négociations
00:09 commerciales de l'agroalimentaire. Elles se sont tenues entre le 1er décembre dernier
00:14 et le 31 janvier. C'est le moment de faire le bilan avec notre invité. Bonsoir Thierry
00:18 Daron.
00:19 Bonsoir.
00:20 Vous êtes médiateur des relations commerciales agricoles. Vous avez été nommé par le gouvernement
00:24 fin 2021. Si on résume votre rôle, comment peut-on dire ? C'est de faciliter les dialogues
00:29 entre les parties quand on n'arrive pas à trouver d'accord ?
00:31 Oui, chaque fois qu'il y a un contrat qui concerne des produits agricoles, le lait,
00:36 le blé, l'huile, etc., qu'il soit transformé ou simple, il y a dans certains cas un contrat.
00:42 Et notamment au moment de les vendre à la grande distribution ou pour les vendre au
00:46 consommateur. Et on passe des contrats. Quand on n'est pas d'accord, on peut faire appel
00:50 à moi.
00:51 Et donc sous votre égide, il y a l'observatoire de la négociation commerciale qui dresse un
00:55 bilan de ces négociations dont on parlait. Voilà ce qu'on lit dans celui de cette année.
00:58 D'abord, les industriels ont demandé en moyenne une hausse de tarif à 4,5%. C'était
01:03 la demande ça ? Avec des écarts selon les types de produits ?
01:06 Ce qui est normal puisque si vous avez des produits qui augmentent, c'est normal que
01:11 vous demandiez des hausses. Par exemple, l'huile d'olive a augmenté et puis les
01:14 céréales ont baissé. Donc on n'a pas demandé de hausse pour les céréales.
01:17 Et qu'ont-ils obtenu au final ?
01:19 Ils ont obtenu quelque chose qui est dans le ventre mou, entre -1 et 1. On ne sait pas
01:23 trop avec la précision de notre méthode, on ne peut pas faire beaucoup mieux. Mais
01:29 disons qu'en gros, il y a un accord pour dire que ça a été moins de 1% cette année
01:32 pour ces prix de gros.
01:33 Ce qui veut dire qu'au bilan, on a quoi ? Des distributeurs plutôt satisfaits ? Des
01:37 industriels moins satisfaits ? Des fournisseurs déçus ?
01:40 Ça va dépendre des produits et des industriels naturellement. Mais disons que par rapport
01:47 aux deux années précédentes où il y avait eu beaucoup de hausses, donc beaucoup de
01:50 crainte de faire passer ça aux consommateurs, cette année normalement il y a des hausses
01:54 qui vont être limitées. Enfin, on verra dans les rayons parce qu'après tout les
01:59 grandes surfaces peuvent aussi augmenter leurs marges.
02:01 Parce qu'il faut le préciser, ces chiffres ce sont les prix d'achat des distributeurs.
02:04 Donc ce n'est pas une mesure de ce qu'on va voir ?
02:06 Non, ça peut être différent s'il y a d'autres coûts qui doivent être passés.
02:10 Et d'ailleurs c'est souvent le cas. C'est-à-dire que lorsque vous avez des hausses générales
02:15 par exemple de l'énergie, des salaires, les distributeurs aussi doivent couvrir leurs
02:19 coûts. Donc il peut que la hausse soit plus importante.
02:21 Elles sont toujours difficiles ces négociations ?
02:23 Elles sont toujours difficiles et en tout cas avec la loi EGalim c'est difficile puisqu'il
02:29 y a un enjeu particulier qui est de ne pas pouvoir négocier les hausses de matières
02:34 premières agricoles. C'est le cœur de la loi EGalim. Et donc évidemment si on n'est
02:38 pas d'accord sur la quantité qu'on ne doit pas négocier, ça devient vite difficile.
02:43 Si par exemple vous demandez 4% dont 2% de hausses agricoles, les 2% ils sont acquis.
02:48 Vous n'avez pas le droit de les négocier. Alors évidemment si vous n'êtes pas d'accord
02:51 là-dessus, on est mal parti.
02:52 C'est la troisième série si je ne me trompe pas de négociation sous la loi EGalim. Si
02:57 c'est aussi difficile c'est quoi ? C'est que ça ne marche pas ?
02:59 C'est un peu plus compliqué que ça. C'est que la loi a voulu préserver le pouvoir des
03:08 négociations des contractants et n'est pas assez directive. On a laissé plusieurs options
03:13 dont une très ouverte, la fameuse option 3 où on ne dit pas grand chose sur les prix
03:18 agricoles. On dit simplement ne vous inquiétez pas je fais certifier cette hausse par mon
03:22 commissaire au compte.
03:23 Alors pas assez directive, ça veut dire quoi ? Il faudrait qu'elle soit plus directive.
03:27 A quel sujet et envers qui ?
03:29 Je pense que la loi et la manière dont les acteurs la pratiquent est un petit peu influencée
03:38 par une image qu'il faut écarter à mon avis qui est l'image de l'indexation.
03:42 Vous voyez le prix de l'essence à la pompe. Le prix du pétrole augmente, le prix de l'essence
03:47 à la pompe va augmenter. On n'est pas du tout dans ce schéma là. Lorsque vous passez
03:50 un contrat pour un an, vous vendez du beurre, des yaourts, des madeleines, ce que vous voulez,
03:56 votre contrat il est passé pour un an. Vous n'allez pas indexer. Et donc il faut avoir
04:00 un prix indicateur qui permet de dire le prix de 2024 ne va pas être celui de 2023. C'est
04:05 tout. Et là dessus il faut être beaucoup plus exigeant en termes de méthode. Ce que
04:10 ne fait pas la loi et ce qui est à mon avis la critique principale.
04:12 La Fédération du commerce et de la distribution vous dit qu'un prix normatif des matières
04:16 premières agricoles calculées par les industriels pourrait être imposé aux distributeurs,
04:20 mais très fin à une construction en marche en avant du prix signifie qu'il n'existerait
04:25 plus de prise en compte des coûts de production des producteurs. Qu'est-ce que vous en pensez-vous ?
04:29 Oui, je comprends la critique mais elle est un petit peu, passez-moi l'expression, à
04:33 côté de la plaque. Parce que pour avoir une prise en compte des coûts de production des
04:38 agriculteurs il faut avoir un contrat à mont. Or sur la quinzaine de matières premières
04:42 agricoles qui sont importantes pour les produits, il n'y en a qu'une aujourd'hui qui est
04:46 contractualisée, c'est le lait. Donc si on regarde le lait, évidemment on va prendre
04:52 le contrat. Mais pour toutes les autres il n'y a pas de contrat. Donc c'est une critique
04:56 qui tombe un petit peu à côté. Et comment être sûr que les industriels jouent le jeu
04:59 lors de ces négociations ? Parce que le problème aujourd'hui c'est de vouloir absolument
05:05 faire une sorte de méthode inquisitoriale où on va regarder dans leur facture exactement
05:09 combien ils ont acheté. En réalité ça ne sert strictement à rien de mon point de vue
05:13 puisque de toute façon on a un contrat qui va durer un an et ils vont acheter différemment
05:17 au mois d'avril, au mois de juillet, au mois de septembre. Donc ce dont on va avoir besoin
05:22 c'est une méthode partagée sur laquelle les grandes surfaces et l'industriel sont
05:27 d'accord en disant voilà on a des indicateurs de marché, de contrat. Le beurre a pris 5%,
05:34 l'huile végétale a baissé de 5%. Tout ça est public. On va vous donner une méthode
05:38 qui permet de recaler nos produits en fonction de ces indicateurs publics. C'est ça que
05:41 j'appelle les prix normatiques. Et là le premier maillon de la chaîne, c'est-à-dire
05:44 les agriculteurs eux-mêmes, s'y retrouveraient pour vous ? Alors ils ne sont pour l'instant
05:49 pas tellement concernés puisque la loi Egalim, encore une fois, c'est une loi qui aujourd'hui
05:53 pour son point de départ, c'est-à-dire la contractualisation, a une base très étroite
05:58 qui est à 90% le lait pour des raisons techniques pas expliquées ici mais parce que c'est
06:04 un produit qui se prête bien à la contractualisation. Il y a une obligation pour la viande de bœuf
06:09 donc qui a commencé à être mise en place mais elle est très limitée. Il y a des organisations
06:13 où il y a une prise en charge des coûts de production dans la volaille par exemple
06:17 mais c'est quand même très limité et il y a des produits qui sont explicitement
06:22 dehors d'Egalim. Les fruits et légumes frais, le poisson, les céréales non transformées,
06:29 etc. Donc il y a une image d'Egalim qui doit concerner tous les agriculteurs, en réalité
06:38 ça n'en concerne qu'une partie. Une dernière question, peut-être on en a parlé, le gouvernement
06:42 en a parlé, un des systèmes des centrales d'achat européennes, c'est un contournement
06:46 d'Egalim pour vous ça ? C'est un contournement d'Egalim dans la mesure où, en tout cas
06:50 prenons la principale enseigne qui a pratiqué ceci, c'est-à-dire Leclerc, qui le fait
06:55 depuis 5 ou 6 ans. Qui n'est pas la seule. Qui n'est plus la seule depuis 2 ans mais
06:59 enfin c'est Carmel qui a donné le mauvais exemple. Vous avez les 3 principaux industriels
07:04 français du lait, c'est-à-dire Lactalis, président, Danone et puis Saventia, c'est-à-dire
07:11 Caprice des Dieux et Lévire, pour les noms que les français connaissent, qui négocient
07:15 or Egalim à Bruxelles. Donc je vous ai dit deux choses qui vont être contradictoires.
07:20 Le seul secteur où Egalim peut marcher c'est le lait et les grandes distributions sortent
07:25 d'Egalim en allant négocier à l'étranger. Effectivement, le lait c'est le vaisseau
07:29 amiral d'Egalim. Si on commence à partir à l'étranger et à ne plus appliquer la
07:33 loi, ça va être difficile. Merci beaucoup Thierry Dahan, vous êtes médiateur des relations
07:37 commerciales agricoles et vous étiez l'invité Echo de France Info.