Anne Fulda reçoit Cyril Roger-Lacan pour son livre «Corrompre» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'Heure des livres, Cyril Roger-Lacan.
00:02 Merci.
00:03 Alors vous venez, parce que vous avez déjà publié plusieurs livres.
00:07 Celui-ci est votre quatrième, qui paraît en même temps qu'un recueil de poèmes,
00:12 qui s'appelle Avant l'âge.
00:13 Celui-ci s'appelle Corrompre.
00:14 Il est paru chez Grasset.
00:16 C'est un livre dense, sombre, fouillé, qui est une plongée un petit peu dans les petites et grandes turpitudes.
00:23 Et il m'agouille finalement d'une très grosse entreprise avec des portraits assez beaux et féroces,
00:32 d'une chaîne du pouvoir, de haut en bas.
00:36 Alors on a l'impression, on se demande pourquoi vous êtes penché sur ce monde-là.
00:41 C'est un monde que vous avez connu.
00:42 Pourquoi décider de le regarder de près, comme ça, comme un entomologiste ?
00:48 Je crois que la fiction se nourrit toujours de choses qu'on a vécues, qu'on a connues.
00:55 Et c'est vrai que c'est peut-être plus un monde, ou des mondes, qu'un monde dont il est question dans ce livre.
01:01 Et il y a des mondes, effectivement, que j'ai connus, qu'on peut d'ailleurs, les uns et les autres, connaître.
01:06 C'est un livre sur ce que Sartre appelait les violences immobiles,
01:12 c'est-à-dire pas les grandes violences spectaculaires qui font l'actualité chaque jour,
01:17 mais des choses plus insidieuses, dans lesquelles on est peut-être les uns et les autres,
01:22 enfermés à notre insu, auquel il peut nous arriver de coopérer, sans s'en rendre compte,
01:28 et qui font un peu la toile de fond aussi de nos vies et de la marche du monde.
01:33 Alors vous plongez finalement dans les entrailles d'une société, d'une énorme société,
01:38 qui s'appelle la Compagnie Fermière de France,
01:41 une entreprise dont l'Empire s'est un peu étendue dans des domaines très différents,
01:46 distribution d'eau, de gaz, transport, traitement des déchets.
01:49 Et en fait, vous décrivez avec beaucoup de précision une espèce de glissement de plaque tectonique,
01:57 en fait, entre le monde d'hier, ceux qui avaient le pouvoir et qui l'ont encore, et celui d'aujourd'hui.
02:04 Il se trouve que la compagnie est rattrapée par une affaire, elle va être cotée en bourse à New York,
02:12 donc il faut absolument mettre un peu les choses au clair.
02:16 C'est le choc de deux mondes que vous décrivez.
02:17 Est-ce que le monde d'avant, celui dont vous décrivez les usages, est tellement mieux que celui d'aujourd'hui ?
02:27 Je ne crois pas qu'il soit mieux, ou je ne suis pas certain qu'il soit pire non plus.
02:32 Oui, c'est le récit, comme vous le dites très bien, d'un glissement entre une grande société,
02:40 il y en a qui ont contrôlé beaucoup de choses dans le monde d'avant en France,
02:48 qui avaient trouvé un certain nombre d'équilibres,
02:50 qui tiraient tout de même un certain nombre de ficelles, mais tout ça dans un entre-soi,
02:54 qui est aussi l'entre-soi du capitalisme français.
02:57 Et puis effectivement, au tournant du millénaire,
03:01 ces sociétés ont été invitées à se projeter beaucoup plus au large.
03:05 Et il est arrivé qu'elles y perdent un peu toute cette grammaire des rapports de force qui était la leur.
03:10 Donc c'est un peu aussi une histoire d'un pouvoir qui perd ses repères,
03:16 et puis un peu des soldats perdus qui, à la fin, payent le prix.
03:22 Il y a cette citation d'Horat-Bley que j'aime beaucoup, en exergue du livre,
03:25 "Alors quand je les verrai tomber à la rivière et prêts à se noyer,
03:30 au lieu d'aller les chercher et de leur tendre la main,
03:33 je leur ferai un beau et long serment sur le mépris du monde et la fuite du siècle.
03:39 Et quand ils seront raides morts, j'irai les repêcher."
03:43 Alors là, on ne les repêche pas beaucoup.
03:45 - Non. Vous écrivez par exemple à un moment,
03:47 "La compagnie piétinée hors de France, sommée de sang volé hors du charnier natal,
03:50 ces vieux gerfaux n'y parvenaient point, repus qu'ils étaient depuis si longtemps,
03:54 de viandes abondantes et mûres, qui travaillaient entre de la griffe et du bec,
03:57 avec une délectation patiente, minutieuse."
04:00 Alors ça, c'est pour les tenants du pouvoir de l'ancien monde.
04:05 Dans le nouveau monde, il y a par exemple de drôles de métiers.
04:08 Il y a des déontologues. Vous parlez d'une déontologue
04:11 qui finalement, malgré le ronflant de la fonction, ne sert pas à grand-chose.
04:15 Et puis une directrice des ressources humaines qui a finalement assez peu d'humanité aussi.
04:19 - Oui, c'est des fonctions ambiguës.
04:24 C'est des fonctions ambiguës dans un monde qui a cherché à se raconter autrement.
04:29 Mais il y a effectivement, notamment derrière le portrait peut-être de ce qu'on appelle
04:34 la gestion des ressources humaines, cette idée que des vies s'accomplissent
04:40 ou s'épuisent dans des grandes organisations,
04:43 sans finalement que le regard comporturel soit très intime, très profond,
04:48 et finalement pas toujours très respectueux non plus.
04:51 - Et avec cette impression qu'à la fin, ce sont un peu toujours les mêmes
04:54 qui payent les pots cassés, à qui on demande de partir.
04:57 Je terminerai là-dessus, parce qu'on a terminé,
04:59 mais cette référence comme un fil rouge à Babar.
05:03 Pourquoi Babar est-il si important chez vous ?
05:06 - Kundera, qui le livre est dédié, disait quand j'écris un roman,
05:12 je cherche un équilibre entre la lucidité et la fantaisie.
05:15 Je crois que la lucidité, vous l'avez gentiment dit, elle est apparente dans ce livre.
05:19 Moi, j'avais besoin de la fantaisie aussi.
05:21 Et la fantaisie de Babar qui résonne avec un certain nombre d'épisodes du livre
05:25 et qui résonne dans la tête des personnages,
05:27 puisque tout ça est au fond une histoire assez intime aussi d'un pacte corruptif,
05:31 elle sauve un peu peut-être la voix intérieure de chacun d'entre nous.
05:35 - En tout cas, c'est à lire.
05:37 Ça s'appelle "Corrompre", c'est paru chez Grasset.
05:40 Merci beaucoup Cyril-Roger Lacan.
05:41 - Merci Anne.
05:42 - Merci Anne.
05:44 [Musique]
05:48 [SILENCE]