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A l’heure où les anciennes colonies françaises en Afrique tournent le dos à la France, Jean-Pierre Augé qui fut officier de la DGSE (du renseignement français), publie un récit d’atmosphère passionnant : "Afrique adieu !". Pendant près de 20 ans, le colonel Augé a été l’une des chevilles ouvrières des services spéciaux français en Afrique. Dans son livre, il raconte l’action secrète de la France sur ce continent où recrutements et manipulations de sources humaines clandestines sont le lot commun du métier pour recueillir le renseignement à haute valeur ajoutée.
Témoin de premier plan, l’auteur a servi l’Etat français au Niger, au Tchad et en Côte d’Ivoire. Tout au long de l’ouvrage, on évoque la perte de l’influence française, le rôle souvent agressif des Etats-Unis, la montée de l’islamisme salafiste. Jean-Pierre Augé voit de son poste d’observateur et acteur, la montée du sentiment anti-français et plus simplement la haine du Blanc. Un témoignage inédit qui nous transporte au cœur de la DGSE de 1986 à 2002. Avant la démilitarisation du renseignement français.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:06 Afrique à Dieu, les mémoires d'un officier du secteur Afrique noire de la DGSE
00:10 et cela constitue évidemment un témoignage rare.
00:13 Ce livre est publié aux éditions Mareuil Editions
00:16 et vous le retrouvez bien évidemment en vente sur le site de TV Liberté,
00:20 tvl.fr à la rubrique boutique.
00:23 À l'heure où les anciennes colonies françaises en Afrique tournent le dos à notre pays,
00:27 Afrique à Dieu est un récit d'atmosphère, dit son auteur, parfaitement passionnant.
00:31 Et son auteur, j'ai le plaisir de le recevoir, il s'agit du colonel Jean-Pierre Auger.
00:36 Bonjour mon colonel.
00:37 Alors, 20 ans de bons et loyaux services au sein des services spéciaux
00:41 et vous ouvrez votre récit par une citation assez troublante de Montesquieu, je la cite,
00:46 "L'espionnage serait peut-être tolérable s'il pouvait être exercé par des honnêtes gens."
00:51 Espion, c'est donc être malhonnête, vous êtes un homme malhonnête.
00:55 Non, c'est une malhonnêteté qui est à géométrie variable, j'allais dire.
01:06 Je ne pense pas avoir été malhonnête, je pense effectivement ne pas peut-être toujours avoir été
01:14 d'une limpidité extraordinaire dans mes contacts avec les étrangers que je voyais
01:23 et dont j'attendais une certaine collaboration.
01:28 Non, en revanche, pour être plus sérieux, ce métier-là exige de la part de ceux qui le pratiquent
01:37 une certaine et même une grande honnêteté intellectuelle voire morale.
01:44 C'est compliqué de lier les deux, c'est-à-dire de faire un métier où on est obligé de prendre
01:50 quelques distances avec la morale parfois, mais on se dit que c'est pour son pays,
01:58 que c'est pour défendre les intérêts de son pays et j'y peux rien, mais moi je suis encore patriote.
02:06 Patriote. Alors vous évoquez dans l'ouvrage, dans un chapitre important, la quête du Graal,
02:10 c'est-à-dire que pour rejoindre la DGSE, vous dites "j'ai mené une quête, la quête du Graal".
02:15 Et c'est d'autant plus troublant que vous êtes un militaire formé à Saint-Cyr, légionnaire,
02:20 prêt à être affecté à la tête d'une compagnie de Saint-Cyrien à Coëtquidant.
02:24 Donc la carrière militaire qui s'offre à vous, elle est à la fois audacieuse
02:28 et elle va devenir forcément prestigieuse. Et vous, vous faites le choix,
02:32 peut-être moins reluisant quand même en apparence, des services spéciaux.
02:36 Et donc, c'est pour vous la quête du Graal, rien de moins que cela.
02:41 Cette quête, elle a été amorcée dans les tout premiers mois de ma présence à la DGSE.
02:50 Avant, la DGSE, pour moi, je ne la connaissais pas.
02:54 Je n'avais aucune raison de rêver, je ne suis pas entré à la DGSE par vocation, si vous voulez.
03:00 En revanche, lorsque j'y ai mis les pieds, avec les personnes et les chefs notamment qui m'ont employé,
03:07 j'ai découvert combien ce métier me convenait.
03:13 Car les qualités premières pour moi, en dehors de cette loyauté vis-à-vis du service,
03:20 c'était l'initiative, le travail en solitaire, bien souvent, le courage qu'ils demandaient.
03:28 Bref, tout un tas de qualités qu'on devrait retrouver également dans les armées.
03:33 – Vous ne vous regrettez pas ? – Pas du tout.
03:35 – Non, je crois même que cette vie-là, je l'aurais changée pour rien au monde.
03:43 Je ne suis pas sûr que j'aurais été beaucoup plus heureux dans des États-majors
03:47 où le travail est certainement passionnant,
03:50 mais où il aurait fallu que je me plie à un certain nombre de choses.
03:55 Je me connais, je pense que ça n'aurait pas été toujours facile.
03:59 – Alors on découvre dans le livre aussi que quand on a commencé la carrière
04:03 de membre des services secrets français, ça nécessite plusieurs mois d'instruction
04:07 et un changement même profond de personnalité, voire même de changer de patronyme.
04:13 – Oui, en fait, c'est un métier, tous les métiers, il faut les apprendre.
04:20 Ce métier-là a quelque chose de caractéristique,
04:24 c'est qu'il doit se faire dans le confidentiel, dans le secret,
04:30 et ça impose de connaître les techniques qui permettent de travailler en relative sécurité.
04:36 C'est-à-dire de ne pas s'exposer soi-même, ça me paraît évident,
04:40 mais surtout de ne pas exposer le service, et derrière le service, un petit peu la France aussi.
04:46 – Néanmoins, ça nécessite de faire abstraction de sa propre personnalité, cela.
04:51 – Oui, mais… – Jusqu'à changer de patronyme, ça n'est pas rien.
04:54 – Non, d'abord, le patronyme, je l'ai changé surtout en France.
05:00 Mais à l'étranger, il m'était difficile de le changer compte tenu des fonctions que j'occupais.
05:05 – On va en reparler.
05:08 – Non, il y a bien d'autres moyens de vivre sa propre vie au marge de son métier.
05:16 La chasse en a été l'un des premiers, des premières échappées,
05:22 des belles échappées de temps en temps pour se ressourcer un peu dans la nature.
05:27 – C'est une formation pointue, mais qui n'empêche pas de faire des erreurs.
05:30 Vous en évoquez, vous parlez d'erreur de jeunesse,
05:33 comme de référer à sa hiérarchie des valises de billets déversées
05:36 par des gouvernements africains à des candidats à la présidentielle.
05:40 Il y a des choses qui ne se disent pas.
05:44 – Bon, à l'époque, c'était une chose courante.
05:48 Les Africains sont généreux, en règle générale,
05:51 et les chefs d'État qui avaient beaucoup d'argent et qui…
05:55 En fait, la France s'occupait de leur sécurité,
05:59 là je schématise un peu, mais s'occupait de leur sécurité,
06:06 et eux, en contrepartie, estimaient normal de donner leur eau bol
06:11 à la démocratie française, on va dire ça comme ça, aux différents candidats.
06:17 C'était une autre époque, d'autres mœurs, d'autres coutumes.
06:20 – Mais il ne fallait pas en parler ?
06:23 – Peut-être, j'aurais pu ne pas en parler,
06:25 ça aurait même été certainement aussi bien, mais je l'ai fait,
06:28 voilà, je pensais qu'il fallait que j'en refais.
06:30 – Alors j'ai lu, j'ai essayé moi aussi de faire dans le renseignement,
06:34 et en fait, vous dites, l'élection présidentielle là,
06:38 celui qui a gagné n'était pas concerné par les valises de billets,
06:42 c'est un de ceux qui n'a pas gagné qui en bénéficiait.
06:46 J'ai regardé quelle élection présidentielle il s'agissait,
06:48 celle de 1995, le gagnant est Jacques Chirac,
06:51 le non-gagnant, le perdant donc, est Lionel Jospin,
06:55 et le troisième de la bande est à l'époque Édouard Balladur.
07:00 Et donc je me suis dit, quel est le bénéficiaire des largesses ?
07:03 Puisqu'il n'a pas été élu, Lionel Jospin, Édouard Balladur ?
07:07 – Écoutez, je ne sais pas, difficile de vous répondre,
07:12 ce que je sais en revanche, c'est que ce n'est pas la seule valise de billets
07:17 qui a circulé à cette époque, je pense qu'il y en a eu plus d'une,
07:21 et je n'étais pas là pour les intercepter,
07:23 je l'ai fait une fois, parce que les circonstances s'y prêtaient,
07:28 sachant bien que je ne m'attendais pas forcément à avoir des billets
07:34 où j'avais cherché.
07:35 – L'idée générale c'est que tous les candidats du système étaient…
07:39 – Écoutez, je n'ai pas de preuves pour l'affirmer,
07:42 mais je pense sincèrement que les présidents africains
07:47 qui avaient les moyens d'aider les candidats,
07:51 oui, l'ont fait à moult reprises et pour moult candidats.
07:55 – Vous allez être officier du secteur Afrique, donc Afrique noire,
07:58 de 1986 à 2002, donc c'était une longue période,
08:02 tour à tour officier de liaison auprès des autorités nigériennes,
08:06 puis conseiller spécial du président tchadien Déby,
08:09 le père de l'actuel président,
08:11 ou encore chargé de mission à la présidence ivoirienne.
08:15 Quels sont concrètement, dans ces cas-là,
08:17 pendant cette période-là, vos missions de renseignement ?
08:20 Et quelle est la part d'hommes ?
08:21 Est-ce que vous vous en référez à votre hiérarchie ?
08:23 En fait, quel est votre rôle ?
08:25 – Alors le rôle principal, lorsque l'on est placé auprès d'autorités,
08:30 soit présidentielles, soit gouvernementales,
08:33 soit de services de sécurité,
08:36 c'est de…
08:41 d'essayer de bien trouver les renseignements
08:48 qui vont dans le sens d'un problème de sécurité pour la France,
08:54 ou pour les Français qui y résident, par exemple.
08:57 Donc, lorsqu'on est près de ces autorités,
09:02 il s'agit auprès d'elles de faire confiance à ce qu'elles vous disent, déjà.
09:08 Mais bon, la confiance, ça, c'est limite.
09:10 Il faut également, par d'autres canaux,
09:14 confirmer les renseignements qui nous sont donnés.
09:16 C'est-à-dire, on n'est pas le porte-voix
09:18 ou le porte-parole du président auprès duquel on est.
09:22 On est près de lui parce que c'est une bonne situation pour voir ce qui se passe,
09:27 mais on est également là pour informer Paris
09:29 de tout ce qui peut poser problème dans les jours, semaines ou mois à venir.
09:34 – Les chefs d'État africains qui sont à vos côtés savent ce que vous faites.
09:37 – Oui, tout à fait.
09:38 – Vous êtes membre de la DGSE. – Tout à fait.
09:40 Et ils savent qu'ils peuvent compter sur moi
09:42 pour transmettre à Paris, si besoin est,
09:45 des demandes de l'aide, enfin bref, tout ce qui peut leur être utile.
09:56 Ils ont, à l'époque, conscience que la France est également un bras armé
10:02 qui peut être mis à leur disposition si leur propre pays est menacé.
10:05 On l'a vu au Tchad avec le voisin libyen ou le voisin soudanais.
10:10 Bref, nous étions, la France et les services, une garantie de sécurité.
10:19 – Dans le récit que vous faites de votre présence au Niger à Niamey,
10:22 on est très surpris par exemple par vos relations avec l'ambassadeur.
10:25 Parce que la logique voudrait, comme tous les citoyens,
10:27 qu'on se dise que si le chef du gouvernement africain
10:30 veut parler au chef d'État français, il suffit qu'il passe par l'ambassadeur.
10:34 Or, vous consercutez, d'une certaine manière, le rôle de l'ambassadeur.
10:39 Est-ce que c'est dû à cela, le fait que les relations
10:42 entre l'ambassadeur et vous, à Niamey, sont déplorables ?
10:46 – Non, d'abord cet ambassadeur avait quelque chose de particulier.
10:50 C'était un ancien inspecteur des douanes
10:53 qui est rentré dans l'équipe de Chirac auprès de Faucard.
10:58 Donc, lui, on peut dire qu'il avait une certaine maîtrise du renseignement.
11:03 Du renseignement type Faucard.
11:05 Et je pense que, dès le départ, avoir près de lui
11:10 quelqu'un qui avait le droit d'écrire ce qu'il voulait
11:13 sans lui en référer à sa propre hiérarchie, c'était insupportable.
11:18 Ce qu'il n'a pas compris, c'est que lorsqu'on a de bonnes relations,
11:22 lorsqu'il y a un minimum de confiance mutuelle, tout peut s'arranger.
11:27 Et il aurait eu beaucoup à gagner à se rapprocher de moi
11:31 dans pas mal de circonstances.
11:35 Notamment, je prends un exemple tout bête,
11:40 quand il envoie des dépêches à Paris disant que le prochain président sera untel
11:45 et que je me doute que ce ne sera pas untel,
11:48 moi j'envoie à Paris mes propres renseignements
11:50 et c'est celui dont j'estimais qu'il avait le plus de chances d'être élu, qu'il l'a été.
11:59 Tout au long de l'ouvrage, on évoque la perte de l'influence française,
12:04 qui s'est précipitée dans les deux dernières décennies,
12:08 mais dans cet épisode, Nigerien, vous ré-relatez le rôle des USA.
12:12 Comment jugez-vous en 2024 l'annonce de la junte au pouvoir
12:16 qui donne 4 mois aux Etats-Unis pour quitter le pays,
12:18 les soldats américains qui vont quitter la base d'Agadez,
12:21 semble-t-il dans un accord de transparence entre les deux parties ?
12:27 Est-ce que c'était déjà inscrit ?
12:29 Non, tout ça n'était pas du tout inscrit.
12:34 Les américains, ils mériteraient d'avoir un ouvrage écrit sur l'histoire contemporaine
12:43 de l'implication américaine en Afrique, généralement au détriment de la France.
12:48 Bon, je ne l'écrirai pas.
12:50 Généralement ou systématiquement ?
12:52 C'est entre les deux.
12:55 Parfois plus près du systématique, mais on va dire entre les deux.
12:59 Et ça vaut dans X pays, je l'ai connu au Tchad,
13:04 là en ce moment, de façon plus moderne, on a vu leur rôle auprès de Kagame,
13:08 on a vu leur rôle auprès de Kabila.
13:13 Sincèrement, nos amis américains,
13:17 je sais qu'on a besoin d'eux dans un certain nombre de domaines
13:20 qui nous ont donné des coups de main dans les opérations récentes comme Barkhane,
13:25 mais c'est un peu compliqué de leur faire vraiment confiance.
13:32 Alors avant d'évoquer le déclin de la France,
13:34 il y a un épisode aussi relaté dans le livre,
13:36 et qui fait de vous, et donc de la France, un faiseur de roi.
13:41 C'est le terme.
13:42 Puisque j'évoque bien évidemment votre aventure tchadienne,
13:44 dont on l'évoquait à l'instant,
13:45 vous expliquez l'action souterraine de la France auprès d'Idriss Déby,
13:49 le président tchadien, le père de l'actuel président tchadien,
13:52 et c'est vous qui lui proposez d'organiser
13:54 tout simplement un second tour de l'élection présidentielle
13:55 alors qu'il est manifestement élu dès le 1er août.
13:58 Bon alors d'abord je réfute le mot "faiseur de roi",
14:01 parce que les Africains, et Idriss Déby en est le premier,
14:05 il s'est fait tout seul.
14:06 C'est-à-dire que la France ne lui a pas donné de coup de main,
14:10 elle ne s'y est pas opposée.
14:11 Ça c'est vrai.
14:12 Les armées françaises ne sont pas intervenues
14:14 pour s'opposer à son entrée dans le Jamaïna.
14:18 Cela dit, c'est lui qui a pris l'airi,
14:20 c'est lui qui a pris la tête d'une formation armée,
14:22 et c'est lui qui a renversé Issa-Nabré.
14:24 Donc la plupart des présidents africains se sont fait eux-mêmes.
14:29 En revanche, il est vrai que, j'en faisais état tout à l'heure,
14:35 qu'ils étaient heureux de savoir pouvoir compter sur la France
14:39 dans des périodes de troubles ou dans des périodes de complots
14:43 ou de tentatives de coups d'État.
14:47 La France, oui, a été auprès d'eux,
14:50 de toute cette génération de la France afrique.
14:53 - Vous allez le voir, lui disant,
14:54 il va falloir faire un second tour de l'élection présidentielle,
14:57 parce que vous avez fait 60%,
14:58 mais il faut quand même un second tour pour valider,
15:01 aux yeux de la communauté internationale, va-t-on dire, ce résultat.
15:04 Et il vous répond oui, d'autant plus facilement
15:06 que vous avez un bureau dans le palais présidentiel
15:09 et que vous avez d'ailleurs été informé des résultats officieux du scrutat,
15:13 quasiment au même temps que lui, peut-être même avant lui.
15:16 Tout ça vous paraît normal ?
15:18 Ça peut pas être ce genre de roi ?
15:20 - Là, il faut également resituer cet épisode dans le contexte du moment.
15:24 Nous avons un président qui est en place
15:30 et nous allons avoir les premières élections démocratiques au Tchad.
15:37 Bon, ce président, il dit avoir gagné 60% des voix au premier tour.
15:46 Enfin, il dit, son équipe lui dit.
15:49 Deux solutions, soit on dit, ben voilà, il est élu au premier tour,
15:52 et cette communauté internationale, qui lui est, derrière les Américains d'ailleurs,
15:56 je le précise, tout à fait défavorable,
15:59 va sauter sur l'occasion pour dire,
16:01 c'est pas possible qu'il ait gagné avec 60% des voix.
16:05 Donc, la solution prônée par Paris,
16:08 et qui m'a été proposée, présentée au président,
16:14 c'est de dire, de toute façon, Déby gagnera,
16:17 parce que la quinzaine d'opposants qui se présentaient à lui,
16:23 l'un de ces 15 opposants pouvait avoir quoi ? 15% des voix, maximum.
16:29 Donc, il aurait gagné. C'était évident.
16:32 L'idée, c'est que, pourquoi pas donner, entre guillemets,
16:35 sa chance à celui qui est arrivé en deuxième position, au deuxième tour ?
16:39 Après, on en pense ce qu'on veut, des élections démocratiques en Afrique.
16:43 Mais l'idée, elle était là.
16:45 C'était de désamorcer un peu une critique qui serait venue,
16:50 notamment des États-Unis d'Amérique, qui avaient soutenu Abreuil jusqu'au bout.
16:53 – Vous avez rencontré Idriss Déby.
16:56 Il a fait cinq mandats.
16:57 Il a été tué, comme maréchal, puisqu'il était aussi maréchal.
17:01 Il s'est parti faire la guerre.
17:03 Il a été tué dans des circonstances qui restent encore peu claires,
17:07 mais enfin, semble-t-il, assassiné, tué,
17:10 lors d'un acte de combat.
17:14 Son fils a pris sa succession.
17:15 Quel regard vous portez, Kassim ?
17:17 – Alors, j'ai commencé la lecture du livre de son fils, de Bédouin, président.
17:24 Et malheureusement, je ne peux pas vous en dire davantage,
17:29 parce que je n'en suis qu'au début,
17:30 mais j'ai une bonne impression à la lecture des premières pages.
17:35 Je pense que la difficulté au Tchad,
17:37 celui qui ne connaît pas le Tchad, ne peut pas comprendre cela.
17:40 Ce pays est totalement morcelé, divisé en ethnies rivales depuis des siècles.
17:46 Donc, ce qu'il faut à la tête du Tchad, si on veut qu'il y ait la paix civile,
17:51 c'est un homme fort.
17:53 Alors, cet homme fort, il y en a eu qui étaient originaires du Sud,
17:56 comme Tombalbay, avec des résultats assez douteux.
17:59 Déby, c'est pour ça que je défends un peu sa mémoire,
18:02 pendant 30 ans, il a maintenu la paix civile
18:06 dans son pays.
18:07 Et bien, ça, déjà, c'est quasiment miraculeux.
18:10 Alors, quant à son fils, savoir ce qu'il va réussir à faire,
18:15 je ne le sais pas.
18:16 Mais ce que je sais, c'est que mon démocratie,
18:19 qui, dans le monde entier, recule un peu,
18:22 au Tchad risque de reculer encore davantage.
18:25 C'est clair. Dans tout le livre, petit point par petit point,
18:28 on voit se dessiner une critique du quai d'Orsay, trop éloigné du terrain,
18:33 une critique, donc, du gouvernement français à l'égard de l'Afrique.
18:37 Alors, là encore, il faut nuancer tout ça.
18:41 Je dis que, vis-à-vis des ambassadeurs,
18:43 vous savez, les ambassadeurs, il y en a qui sont extraordinaires,
18:47 formidables, qui ont vite compris.
18:49 Et il y en a d'autres dont l'ego ou le manque de compétence
18:56 gêne le travail qui devrait être complémentaire
19:01 de l'ambassadeur et du représentant des services.
19:05 L'un travaillant avec ce qu'il a entre les mains,
19:09 c'est-à-dire ce qu'on veut bien lui confier dans les soirées ou dans ses contacts,
19:13 l'autre ayant, utilisant des moyens appropriés pour en savoir davantage.
19:21 Donc, moi, j'ai connu le meilleur et presque le pire.
19:25 – Mais est-ce que la rupture, elle se fait pas sur quelqu'un qui dit,
19:27 comme vous l'affirmez, je vous en donne acte,
19:29 je suis un patriote qui travaille au service de la France, exclusivement,
19:33 et puis des diplomates qui sont politiques,
19:35 qui n'ont peut-être pas les mêmes valeurs ou le même patriotisme ?
19:37 – Oui, mais là, je vous réponds au Tchad, par exemple,
19:41 j'ai eu un ambassadeur extraordinaire qui m'a tiré d'un mauvais pas
19:46 quand l'ambassadeur des États-Unis lui a demandé de me rapatrier en France,
19:51 par exemple, et il lui a répondu qu'il ne me connaissait pas,
19:54 que je ne dépendais pas de lui.
19:58 Mais ce sera toujours un problème, un ambassadeur,
20:04 c'est un problème de relation personnelle d'homme à homme.
20:08 Et s'il ne comprend pas que le monsieur des services
20:14 peut lui être très utile à certains moments
20:16 et qu'il veut se démarquer totalement de ce personnage,
20:22 les problèmes arrivent, tôt ou tard, les problèmes arrivent.
20:25 – J'ai trouvé ce mot dans un article d'un hebdomadaire français,
20:27 je le reprends néanmoins à mon compte,
20:28 votre livre raconte aussi, dit cet hebdomadaire,
20:31 le crépuscule de la France-Afrique et de la France en Afrique.
20:35 France-Afrique, ce mot, et de la France en Afrique,
20:38 ce n'est pas exactement la même chose, qu'elles en sont les raisons profondes.
20:41 Est-ce qu'il y a des responsabilités françaises ?
20:44 On verra après les responsabilités autres, mais françaises.
20:49 – D'abord, déjà, moi je situe le crépuscule de la France-Afrique
20:54 entre 1990 et 2000.
20:56 Donc il y a eu des périodes où la disparition d'Oufouette-Boigny,
21:02 le chanteur et le promoteur de la France-Afrique,
21:05 et pas de la France-Afrique de Verchave, de l'économiste Verchave,
21:09 c'était un concept noble, c'était un concept gaullien,
21:13 c'était l'entretien d'une amitié entre la France et ses anciennes colonies,
21:19 fondée sur une coopération qui bénéficierait également aux colonies.
21:26 – La carrière des Focards.
21:28 – Alors Focard, là je suis un petit peu plus, il est extraordinaire,
21:32 il a fait des choses formidables, mais il en a fait d'autres beaucoup plus douteuses.
21:36 Donc mon but n'est pas de critiquer M. Focard,
21:39 je m'en tiens au concept de la France-Afrique.
21:42 Et moi j'y étais adhéré.
21:45 Bon, après, effectivement, comme tous les concepts,
21:47 comme tous les vœux, les choses,
21:51 bon, ont évolué pas toujours dans le bon sens.
21:54 Mais il y a eu des signes, je vous le dis, la mort d'Oufoé de Boigny, 93.
21:57 Ensuite, 94, la chute du franc CFA.
22:02 95, la dissolution du ministère de la coopération.
22:07 Vous voyez, tout ça allait un peu déjà dans le même sens,
22:10 c'est-à-dire la France-Afrique avait du plomb dans l'aile.
22:13 – Et ce déclin qui se produit parallèlement à la montée du sentiment anti-français,
22:18 de la haine du blanc même,
22:19 est-ce que c'est aussi le produit de l'arrivée en Afrique noire d'un islam
22:24 qu'on peut considérer comme radical ou dite salafiste ?
22:26 Est-ce que c'est concordant ?
22:29 – Alors moi, je n'ai connu que cela,
22:31 c'est-à-dire cet islam wahhabi, salafiste,
22:34 enfin qui venait d'Arabie Saoudite, du Qatar, de l'Iran, Chine,
22:42 oui, c'était la menace première.
22:44 J'ai vu des pays comme le Niger notamment,
22:47 qui étaient des pays très neutres, d'un islam très tolérant,
22:52 où le tchad, où franchement l'islam à l'époque n'était pas,
22:57 enfin j'allais dire la priorité,
23:00 devenir des relais de cette influence islamique.
23:08 Les choses ont changé depuis, si on veut se projeter à maintenant,
23:12 vous avez la menace chinoise qui est essentiellement économique,
23:16 la menace russe qui est essentiellement militaire,
23:20 où le pillage des ressources minières,
23:23 la menace turque qui est religieuse, iranienne aussi, voilà.
23:29 Donc en résumé, moi je n'ai connu que la menace islamique
23:34 qui a déjà été très prégnante.
23:36 – Alors comment stopper cette perte de l'influence française ?
23:38 On a le sentiment, sans vous faire faire de la politique,
23:40 qu'Emmanuel Macron n'a jamais trouvé les mots,
23:43 ni la parade, ni les hommes, ni le comportement
23:45 à l'égard des chefs d'État africains ?
23:49 – Je pense que les dirigeants actuels,
23:52 et vous citez le président de la République,
23:54 ne se sont pas fixés comme priorité de resserrer les liens avec l'Afrique.
24:02 Car si c'était le cas, là je serais inquiet,
24:06 parce que visiblement je ne vois rien de très substantiel,
24:10 de très efficace en tout cas.
24:13 Donc ils ont sans doute une autre vision,
24:16 je ne vais pas me prononcer sur cette vision,
24:21 il en va de la même chose,
24:24 je vais vous passer la balle à l'aise, de l'Europe,
24:26 si vous comprenez quelque chose en ce moment avec l'Europe,
24:29 moi qui, comme beaucoup de français, espérais beaucoup de l'Europe.
24:34 Avoir ce que l'on voit, ce n'est pas évident.
24:37 Donc l'Afrique est dans le même cas.
24:39 – Vous êtes le dernier survivant, et c'est ma dernière question,
24:42 des chefs de secteur avant la démilitarisation des renseignements français,
24:46 quel regard portez-vous sur cette période ?
24:48 Un regard global sur cette période ?
24:50 – Cette période que j'ai vécue.
24:51 – Que vous avez vécue ?
24:53 – Ah, elle a été, enfin pour moi, elle a été absolument formidable
24:57 jusqu'à l'année fin 99-2000, là rien à dire.
25:02 Et ensuite, Jean Féétard et Jean Guinel du Point le disaient,
25:09 ils disaient la direction des renseignements et à feu et à sang,
25:13 le directeur de cabinet à Aïe, mais tout ça a été vrai,
25:16 on était arrivé à des luttes de personnes internes
25:21 dues à la troisième cohabitation Chirac-Jospin,
25:24 qu'on n'avait jamais connue avant.
25:26 Et ça, je regrette d'être parti, enfin parti,
25:30 j'ai vécu ça de Côte d'Ivoire,
25:33 puis ensuite à la tête du 44e régiment d'infanterie,
25:36 j'ai trouvé ça bien malheureux pour la maison,
25:39 je pense qu'elle s'en est relevé depuis, je n'ai pas de contact,
25:43 enfin bref, j'ai tourné la page,
25:46 mais ça a été une période calamiteuse.
25:48 – Et le renseignement français aujourd'hui ? Calamiteux ?
25:51 – Ah aujourd'hui ? Ah ben non, j'imagine qu'ils sont très performants,
25:56 notamment contre le terrorisme.
25:59 Là je vous dis, moi je suis un retraité qui vit de pêche,
26:04 de chasse et de loisirs quasiment.
26:07 – Et vous n'avez plus aucun lien avec la DGSE ?
26:08 – Et je n'ai absolument aucun lien avec la DGSE
26:12 depuis que j'ai franchi sa porte,
26:14 même si j'ai des amis bien évidemment,
26:16 avec lesquels j'entretiens des relations amicales.
26:20 – Ils se sont sortis à Montesquieu, est-ce qu'on doit vous croire ?
26:24 Merci Colonel, merci mon collègue Jean-Pierre Augé,
26:27 Afrique, adieu, mémoire d'un officier du secteur Afrique noire de la DGSE,
26:30 et c'est chez Mareuil, édition en vente sur la boutique,
26:33 TVL sur TVL.fr, merci.
26:35 – Merci.
26:36 [Générique]

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