L'historien Vincent Lemire était l'invité du Face à Face sur BFMTV et RMC.
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00:00 [Générique]
00:04 BFM TV face à face.
00:06 Apolline de Malherbe.
00:08 Il est 8h32 et vous êtes bien sur AMC et BFM TV.
00:11 Bonjour Vincent Lemire.
00:12 Bonjour.
00:13 Merci d'être dans ce studio ce matin pour répondre à mes questions
00:15 et tenter avec vous de mieux comprendre précisément, factuellement, historiquement, j'allais dire,
00:20 tout ce qu'il se passe en ce moment même à Gaza et en Israël.
00:24 Vous êtes historien, vous êtes professeur à l'université Gustave Eiffel,
00:27 vous êtes l'auteur récemment de deux ouvrages, l'un qui s'appelle
00:31 "L'anatomie d'un conflit" paru aux éditions des Arènes,
00:34 et puis ce best-seller désormais, "Cette histoire de Jérusalem"
00:38 qui est une bande dessinée historique que vous avez donc publiée et écrite.
00:43 Je voudrais qu'on comprenne beaucoup de choses.
00:45 D'abord ce qu'il se passe sur le terrain, et puis derrière les mots,
00:48 derrière les déclarations des uns et des autres,
00:50 qu'est-ce qu'il faut comprendre en vrai, j'allais dire.
00:53 - Notamment sur la question d'abord de la reconnaissance de la Palestine.
00:56 Hier soir, Emmanuel Macron a échangé au téléphone avec Mahmoud Abbas,
01:01 Mahmoud Abbas est le président de l'autorité palestinienne.
01:04 Il lui a dit au fond, pourquoi pas une reconnaissance de l'État palestinien,
01:09 mais un, pas sous le coup de l'émotion, et deux, uniquement si vous vous réformez.
01:15 Pour commencer à poser le décor, quand on dit la Palestine aujourd'hui,
01:19 c'est qui, c'est où, c'est quoi ?
01:22 - Alors, aujourd'hui, de la mer Méditerranée au Jourdain,
01:26 vivent 7 millions de Palestiniens et 7 millions de Juifs israéliens d'ailleurs.
01:30 50/50, ils sont autant.
01:33 Sur ces 7 millions de Palestiniens, il y en a un peu plus de 2 millions en Israël,
01:37 donc ils sont citoyens israéliens, ça c'est une chose.
01:40 Et puis il y en a 5 millions qui se répartissent entre Gaza et la Cisjordanie.
01:43 À peu près moitié/moitié, 2,3 millions à Gaza et le reste en Cisjordanie.
01:47 D'abord c'est intéressant pour les gens qui nous regardent,
01:50 Gaza c'est 1% de tout ce territoire-là,
01:53 et c'est plus de 35% de la population palestinienne.
01:57 - Pourquoi ce n'est pas la même autorité d'abord ?
02:00 Parce qu'en fait, quand on dit Mahmoud Abbas, vous avez distingué Gaza de la Cisjordanie.
02:04 Quand on parle avec Mahmoud Abbas, qui est officiellement le représentant de l'autorité palestinienne,
02:08 il ne règne pas sur Gaza.
02:10 - Non, parce qu'en 2006, il y a eu des élections législatives
02:13 qui ont été gagnées à la loyale par le Hamas, avec plein d'observateurs internationaux.
02:16 - Le Hamas a donc été élu ?
02:17 - Le Hamas a gagné ces élections législatives, largement.
02:19 Donc un certain Ismail Haniyeh a été nommé Premier ministre par Mahmoud Abbas,
02:23 on l'a oublié, c'est une forme de cohabitation,
02:25 il a été nommé Premier ministre par le président de l'autorité palestinienne.
02:28 Ça s'est mal passé.
02:30 Et en 2007, il y a eu une forme de guerre civile,
02:32 et le Hamas a pris le pouvoir à Gaza,
02:34 et a abandonné d'une certaine manière la Cisjordanie.
02:37 Donc on s'est retrouvé dans cette situation depuis 2007,
02:39 c'est le FATA, l'autorité palestinienne, l'OLP on va dire,
02:42 qui est en Cisjordanie, et le Hamas qui règne sur Gaza.
02:45 - Quand on dit donc qu'il y a la question du territoire,
02:48 il y a la question de l'autorité qui règne,
02:50 quand Emmanuel Macron dit "oui, mais si vous vous réformez, est-ce possible ?
02:55 Qu'est-ce qu'il faut réformer ?"
02:56 D'abord du point de vue de la démocratie.
02:58 Vous l'avez dit, il y a eu ces élections,
03:00 le Hamas a été élu, mais il n'y en a pas eu depuis.
03:03 Pourquoi ?
03:04 - Alors il n'y en a pas eu depuis,
03:05 un, parce qu'il y a des Palestiniens qui ne peuvent pas voter à ces élections,
03:09 par exemple les 400 000 Palestiniens de Jérusalem.
03:11 Jérusalem-Est, c'est un territoire occupé,
03:13 il y a quand même 400 000 Palestiniens qui sont là,
03:15 et Israël refuse qu'il y ait des bureaux de vote.
03:17 - Dans cet espace-là.
03:18 - Voilà.
03:19 Donc par exemple, l'autorité palestinienne dit
03:20 "on ne peut pas faire des élections parce qu'il y a eu plusieurs fois
03:22 des élections qui ont été annoncées et entre nous...
03:25 - Enfin, ils pourraient les faire au pire sans...
03:27 - Non, non.
03:28 - Quand je vous entends, j'entends une sorte de prétexte.
03:30 - Mais évidemment.
03:31 - Ça ne sous-estime pas la difficulté de ce passé,
03:35 malgré eux, de ces électeurs-là.
03:38 Enfin, ça n'est pas suffisant pour justifier qu'il n'y ait pas eu de...
03:41 - Si Mahmoud Abbas repousse à chaque fois les élections,
03:43 c'est que tout indique que, et avant le 7 octobre,
03:46 tout indique que le Hamas les gagnerait.
03:48 On a deux indicateurs sur l'opinion publique palestinienne.
03:51 C'est les élections étudiantes dans les facs.
03:54 Là, ça continue de voter tous les ans,
03:56 il y a les représentants des facs.
03:57 Et le Hamas ne cesse de gagner du terrain,
03:59 y compris en Cisjordanie, y compris à Birzeit,
04:01 ou y compris dans des universités où le FATA,
04:05 où l'OLP était très, très puissante.
04:07 Et puis, il y a les élections municipales.
04:09 Et pareil, les gens qui sont plutôt proches du Hamas marquent des points.
04:13 Donc, si ces élections n'ont jamais lieu,
04:14 c'est parce qu'on craint que le Hamas les remporte.
04:18 Ça fait un peu penser à la situation algérienne dans les années 90.
04:21 On ne vote pas parce qu'on connaît...
04:23 - Au confront, si je vous écoute,
04:25 vous donnez raison à Salman Rushdie quand il dit la semaine dernière
04:28 s'il y avait aujourd'hui une forme de liberté démocratique en Palestine,
04:32 ça deviendrait presque l'État des talibans.
04:34 - Alors, non, parce que moi, je ne dirais pas talibans.
04:37 Je dirais que le Hamas, a priori, remporterait ces élections.
04:41 Je note que le Hamas, d'ailleurs, depuis le 7 octobre,
04:43 dit qu'il pourrait tout à fait rejoindre l'OLP.
04:46 Alors, les gens qui nous regardent disent "mais comment c'est possible ?"
04:48 L'OLP, c'est une organisation de libération de la Palestine.
04:51 À l'intérieur, il y a des partis, par exemple le FATA,
04:53 qui était le parti de Yasser Arafat.
04:56 Mais il y a aussi le FPLP, qui refusait le processus d'Oslo.
04:59 Il pourrait y avoir un Hamas réformé.
05:01 Ça peut paraître scandaleux, ce que je suis en train de dire.
05:04 Mais si le Hamas est représentatif d'une partie de la population palestinienne,
05:08 et notamment si sa branche politique,
05:10 qui a fait des bougées assez sérieuses,
05:13 par exemple en 2017, sur la question de savoir
05:15 si on pourrait reconnaître éventuellement Israël dans des frontières de 1967,
05:19 on pourrait imaginer que le Hamas rejoigne à un moment l'OLP.
05:23 Et quand vous avez cité à l'instant le processus d'Oslo,
05:26 je tiens à préciser que vous faites référence aux accords d'Oslo.
05:29 Les accords d'Oslo, c'est 1993,
05:31 et Mahmoud Abbas, dont on parle à l'instant,
05:33 était l'un des signataires qui avait donc accepté de signer ces accords d'Oslo,
05:37 qui stipulaient, je cite, que l'État d'Israël a droit à une existence en paix et en sécurité.
05:42 Est-ce que ça, ça pourrait être validé par le Hamas ?
05:44 Alors, de 1964 à 1988, l'OLP refuse de reconnaître l'État israélien.
05:51 L'OLP se bat pour une Palestine souveraine, de la mer au Jourdain.
05:55 Cette fameuse expression, de la mer au Jourdain,
05:58 justement, je fais un petit écart là-dessus,
06:01 parce que c'est très intéressant,
06:02 on a quand même l'impression qu'autour de cette expression,
06:04 il y a une forme d'ambiguïté.
06:05 Certains disent, quand on dit de la mer au Jourdain,
06:07 ça veut dire la disparition d'Israël.
06:09 De facto, c'est clair.
06:11 Donc, quand on dit de la mer au Jourdain, ça veut dire qu'en fait, on veut la suppression d'Israël.
06:14 Oui, alors après, on peut habiller en disant,
06:15 ah oui, mais en fait, on veut un État binational dans lequel tout le monde aurait le droit de vivre.
06:18 Bon, c'est quand même, encore une fois, si on peut...
06:21 Dans leur bouche, en tout cas, au départ, quand cette expression est utilisée,
06:25 il n'y a pas d'ambiguïté possible.
06:26 Non.
06:27 Ça veut dire suppression d'Israël.
06:28 Si on a commencé à discuter avec l'OLP en 1988,
06:31 c'est parce que Yasser Arafat, en 1988, a eu cette fameuse phrase à Paris en disant
06:35 "la charte de l'OLP est caduque", vous vous souvenez ?
06:37 Il parlait avec François Mitterrand.
06:39 Et donc, on reconnaît Israël.
06:42 Je ne m'en souviens pas.
06:43 Et justement, c'est pourquoi je vous reçois ce matin.
06:45 C'est que je trouve ça très important et très intéressant de revenir aussi aux origines.
06:49 Et même à la question du droit international, on va y revenir ensuite.
06:51 Arafat a dit "la charte est caduque",
06:52 on reconnaît l'État d'Israël dans les frontières de 1967,
06:55 et nous, Palestiniens, on va se battre pour récupérer les 22% restants,
06:58 c'est-à-dire Cisjordanie plus Gaza.
06:59 C'est ça le processus d'Oslo.
07:01 C'est ça le pari de Yasser Arafat, et c'est ça qu'il a raté.
07:03 Le Hamas, il est créé quand ? En 1987.
07:06 C'est-à-dire exactement au même moment.
07:07 D'une certaine manière, il reprend la place laissée libre par...
07:12 Parce que Mahmoud Abbas met derrière lui cette fameuse phrase de la Mer au Jourdain,
07:19 le Hamas reprend ce flambeau-là.
07:20 Voilà, mais avec un autre programme aussi politique.
07:22 Ce n'est plus un mouvement laïque, c'est un mouvement islamiste.
07:24 Mais en 2017...
07:25 Allez-y, allez-y.
07:26 Non, non, en 2017, le Hamas, la branche politique du Hamas,
07:29 et c'est important parce que le 7 octobre, ça a été organisé par la branche militaire du Hamas.
07:32 On le sait ne serait-ce que pour des raisons opérationnelles.
07:34 On ne discute pas d'une opération terroriste comme celle du 7 octobre au bureau politique du Hamas,
07:39 où il y a des espions partout, des gens infiltrés à Doha, en Turquie, etc.
07:43 C'est la branche militaire, c'est Yaya Sinwar et Mohamed Def qui ont organisé le 7 octobre,
07:47 alors que la branche politique du Hamas, depuis 2017, était en train de savoir
07:52 est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de se normaliser, de se dédiaboliser, pour prendre un terme.
07:56 Et peut-être de, on va dire, pas reconnaître l'État israélien de façon explicite,
08:03 mais en tout cas de se dire "nous on va se battre à l'intérieur des frontières de 67".
08:06 Donc finalement de faire le même bouger en 30 ans qu'a fait l'OLP entre 64 et 88.
08:11 Vincent Lemire, si je vous écoute et que je reprends notamment votre déclaration sur le fait que
08:16 s'il y avait des élections aujourd'hui vraisemblablement et selon tous les éléments,
08:21 c'est plutôt le Hamas qui le gagnerait.
08:23 Alors la phrase d'Emmanuel Macron à Mahmoud Abbas hier soir, lors de leur coup de fil quand il dit,
08:27 et c'est l'Élysée qui nous en donne le compte-rendu,
08:30 "le Président de la République a rappelé le soutien de la France à une autorité palestinienne réformée et renforcée
08:35 en capacité d'exercer ses responsabilités sur l'ensemble des territoires palestiniens,
08:40 y compris dans la vente de Gaza, au bénéfice des Palestiniens".
08:43 Il y a beaucoup de choses dans cette phrase,
08:45 mais si on s'arrête notamment sur la question de l'exercice des responsabilités sur l'ensemble des territoires,
08:49 au fond vous nous dites que c'est impossible, en l'état c'est impossible.
08:52 Sauf si...
08:53 Le Hamas ne laisserait pas la branche du...
08:56 Et l'autorité palestinienne n'irait pas, elle annonce depuis le 7 octobre qu'elle ne rentrera pas dans Gaza,
09:01 derrière les chars israéliens ou même derrière une force internationale,
09:04 parce que ça ne marchera pas.
09:06 Il pourrait y avoir des éléments modérés du Hamas, représentatifs de la population,
09:12 qui rejoignent l'OLP et qui rejoignent aussi cette autorité palestinienne réformée.
09:18 Je remarque effectivement que la position française, elle bouge, elle bouge assez vite.
09:21 La déclaration d'hier compte rendu très précis sur le site de l'Élysée, je l'ai lu comme vous hier soir.
09:26 La France a quand même voté oui au Conseil de sécurité de l'ONU,
09:30 à la demande d'adhésion pleine et entière de la Palestine comme état membre de l'ONU,
09:34 il y a quelques semaines, elle a voté oui, elle aurait pu s'abstenir.
09:36 Ça veut dire que vous lisez dans cela, vous l'historien Vincent Lemire,
09:39 la possibilité que assez vite, finalement la France rejoigne la position de l'Espagne, de l'Irlande,
09:45 d'une reconnaissance de l'état palestinien.
09:47 Espagne, Irlande, Norvège, Norvège c'est Oslo, symboliquement,
09:51 la capitale de la Norvège c'est Oslo qui reconnaît cet état palestinien.
09:55 Et si on va au bout de ça, s'il y a effectivement reconnaissance de l'état palestinien,
09:59 on reconnaît quelle Palestine ?
10:01 Alors voilà.
10:02 Puisque en vous écoutant, elle est très morcelée.
10:04 C'est déjà arrivé dans l'histoire qu'on reconnaisse un état alors que c'est à la frontière sans partie.
10:08 Ça veut dire que ça va être théorique ?
10:09 Non, parce que quand même, ça donne une capacité juridique, ça donne une capacité diplomatique.
10:13 Un état, c'est une entité qui fait trois choses.
10:16 Ça représente une population, ça la protège.
10:19 Vous, vous êtes représenté par le gouvernement français, vous êtes protégé, vous avez un passeport.
10:24 Si vous arrive quelque chose à l'étranger, vous êtes représenté, vous êtes protégé,
10:28 mais vous êtes aussi encadré et contrôlé.
10:30 Si vous commettez un crime ou si vous êtes...
10:32 C'est ce qui manque aux Palestiniens aujourd'hui.
10:34 Et j'allais dire c'est ce qui manque aussi aux Israéliens.
10:36 Un état palestinien qui représente, qui protège et qui encadre.
10:41 Oui, mais j'ai envie de vous poser la question dans ces cas-là de la logique.
10:43 Si c'est le Hamas qui, effectivement, était à la direction de ça,
10:46 alors ça pourrait être, si je vous entends, un Hamas plus modéré, selon votre expression.
10:50 Est-ce que ce Hamas modéré considérerait qu'il est un crime, par exemple,
10:53 d'avoir été brûlé ou violé des femmes israéliennes ?
10:56 Est-ce que cette justice-là aurait ces critères-là ?
10:59 Par exemple, le Hezbollah, c'est pas des tendres.
11:03 Le choix de la Communauté internationale et de l'Union européenne, ça a été de dire
11:06 la branche militaire du Hezbollah, c'est une entité terroriste, on n'a pas le droit de leur parler.
11:10 Mais la branche politique, on a le droit de leur parler.
11:13 Et d'ailleurs, ils sont au gouvernement libanais.
11:15 Je veux dire, c'est pas forcément des gentils, on n'est pas obligés d'être copains avec eux,
11:20 mais s'ils sont représentatifs...
11:22 Il y aurait une logique démocratique.
11:24 Il y aurait une logique démocratique et il y aurait surtout une capacité fonctionnelle
11:27 à faire vivre, encore une fois, ces 7 millions d'habitants
11:30 qui habitent de la mer Méditerranée au Jourdain.
11:33 Rafa, ces images insoutenables, des morts brûlées vifs dans le camp de Rafa,
11:38 45 morts, des milliers, des centaines en tout cas de brûlés, de blessés.
11:45 Depuis, il y a la version israélienne qui, elle, dit qu'ils ont une responsabilité,
11:51 j'allais dire, indirecte.
11:53 Ils précisent, document à l'appui, que ce serait leurs missiles
11:57 qui auraient visé deux dirigeants du Hamas,
12:00 qui étaient dans des cabanes à côté du camp de réfugiés.
12:03 Mais qu'il y aurait eu là, sans qu'ils le sachent,
12:06 un stock d'armes et de munitions et que c'est ce stock
12:09 qui, sous le coup de la frappe israélienne, aurait entraîné l'incendie du camp.
12:14 Un, est-ce que cette version est crédible ? Est-ce qu'elle est possible ?
12:18 Alors ?
12:19 Et ensuite, est-ce que ça change quelque chose ?
12:22 Le Premier ministre a quand même dit très vite, c'est une erreur tragique.
12:27 Et en fait, même en hébreu, c'est même pas une erreur, c'est un dysfonctionnement.
12:30 Donc, pour une fois, les Israéliens ont quand même reconnu.
12:33 Alors ensuite, maintenant, on a un deuxième narratif sur la question de savoir
12:36 si c'était dans la zone sûre ou pas dans la zone sûre.
12:39 Là, il y a des débats. J'ai bien regardé.
12:41 C'est à l'intérieur du bloc 2371, le bloc 2371.
12:44 - Parfois, il faut préciser que cette partie-là de la bande de Gaza,
12:47 elle est vraiment quadrillée. - Elle est quadrillée.
12:49 - Très précisément cartographiée, je dirais, carré par carré.
12:52 - Les Israéliens, les Palestiniens, l'UNRWA, l'ONU, le Hamas,
12:55 on sait exactement quand on est...
12:57 Bon, ça s'appelle, c'est ce qu'on appelle la zone al-Mawashi.
12:59 Pour la petite histoire, c'est d'ailleurs là où il y avait
13:01 une colonie israélienne jusqu'en 2005.
13:03 C'est pour ça qu'il y a de la place.
13:04 C'est du côté, on va dire, sud-ouest de la bande de Gaza.
13:07 Et là où il y a eu la frappe, c'est le bloc 2371,
13:09 qui est légèrement au sud de ce périmètre-là,
13:12 où il y avait eu une extension de cette zone sûre.
13:14 Donc, on a frappé.
13:16 Alors, on a frappé pour tuer deux terroristes du Hamas
13:18 dont on a pratiquement découvert l'existence à ce moment-là.
13:21 C'est pas du tout des...
13:22 Et dont on nous a dit, ils avaient mené des opérations terroristes
13:25 en Cisjordanie. C'est sans doute vrai, mais c'est juste pour...
13:27 C'était eux la cible.
13:29 Non, mais oui, mais c'est pas grand-chose.
13:31 C'est pas les têtes du Hamas.
13:33 C'est des anciens qui ont commis des attentats.
13:36 Bon.
13:37 Alors, est-ce que l'incendie, ensuite, est dû au fait
13:40 qu'il y avait du carburant ou des explosifs à proximité ?
13:43 C'est tout à fait possible.
13:45 Mais, je veux dire...
13:47 Et là, c'est la réponse à ma deuxième question.
13:49 Est-ce que ça change quelque chose au fond,
13:50 que ce soit direct ou indirect ?
13:51 Non, en l'occurrence, c'est là qu'on va...
13:53 C'était inévitable.
13:54 Ça fait des semaines que la communauté internationale dit
13:57 "Ne rentrez pas dans Rafah, il y a 1,5 million d'habitants
14:00 à Rafah aujourd'hui."
14:01 Rafah, jusqu'au 7 octobre, c'est 275 000 habitants.
14:05 La dernière fois que j'ai été à Gaza, c'était en juin dernier.
14:07 275 000 habitants, et c'était déjà très dense.
14:10 Au moment où les opérations israéliennes démarrent,
14:12 c'est 1,5 million d'habitants.
14:14 Vous vous rendez compte ?
14:15 C'est même pas...
14:16 C'est pas imaginable.
14:17 On ne peut pas faire la guerre, même...
14:19 Dans une densité...
14:21 Non, donc c'était inévitable.
14:23 Ça va arriver, ça va réarriver.
14:24 D'ailleurs, hier, il y a encore eu...
14:26 Les bombardements continuent, les attaques contre Rafah continuent.
14:29 Est-ce qu'il existe encore la possibilité d'une trêve ?
14:32 Vincent Lemire, juste avant qu'il n'y ait les attaques sur Rafah,
14:36 il y avait ces évocations de pourparlers,
14:39 de discussions avec le Hamas,
14:41 un échange de trêve contre libération d'otages.
14:45 Est-ce que ces discussions se poursuivent malgré tout ?
14:47 Oui, elles se poursuivent.
14:48 C'est possible, et c'est la seule solution
14:51 à la fois libérer les otages et protéger les civils de Gaza.
14:54 Il arrive dans des situations historiques
14:55 qu'on soit dans une contradiction morale ou dans un dilemme.
14:58 Est-ce qu'il faut sauver les enfants et les femmes de Gaza
15:01 ou est-ce qu'il faut sauver les civils israéliens ?
15:02 Les deux.
15:03 Comment ?
15:04 Par un cessez-le-feu.
15:05 On a deux problèmes, une seule solution.
15:08 Les otages n'ont jamais été libérés autrement que dans un cessez-le-feu.
15:11 Parce que ne serait-ce que sur le plan logistique, sécuritaire,
15:13 il faut les identifier, il faut les localiser, il faut les exfiltrer, etc.
15:16 Donc, quand les familles d'otages israéliennes demandent
15:20 d'ailleurs, qui font des manifestations avec des mains rouges,
15:23 je dis ça aussi pour l'opinion publique française,
15:26 c'est incroyable de voir comment en France,
15:29 des signes qui sont utilisés sur place dans un contexte hyper conflictuel,
15:32 les familles d'otages, les familles israéliennes d'otages...
15:35 Sont elles-mêmes très en colère contre le gouvernement israélien.
15:38 C'est des manifestations monstres presque tous les jours.
15:41 Oui, parce qu'elles essayent de sauver leurs enfants, leurs maris, etc.
15:46 Mais qu'est-ce que vous êtes en train de dire ?
15:47 Quand on utilise les mains rouges, par exemple, il y a eu ce moment d'occupation
15:50 des locaux de Sciences Po avec les mains rouges,
15:53 vous vous dites que ce n'est pas si grave ?
15:54 Je l'ai déjà dit, je ne dis même pas ça,
15:56 je suis persuadé que 99% des étudiants de Sciences Po,
16:01 mains rouges, ça veut dire qu'on dénonce les gens qui ont du soin sur les mains.
16:04 Pourquoi je précise ça ? C'est parce qu'effectivement,
16:06 les mains rouges ont été vues par un certain nombre d'experts,
16:10 comme aussi une référence à une photo célèbre,
16:14 qui est une photo d'un Palestinien qui montre à la fenêtre
16:19 d'un commissariat en Cisjordanie des mains rouges,
16:24 et sur ces mains, le rouge, c'est le sang de deux Juifs
16:28 qui ont été littéralement lynchés par la foule à mains nues.
16:33 Vous vous dites qu'ils ne sont pas vraiment au courant.
16:36 Cette photo est parfaitement authentique,
16:38 mais les manifs, je dis juste factuellement,
16:41 les gens qui nous regardent peuvent regarder,
16:43 les familles d'otages en Israël à Tel Aviv manifestent avec des mains rouges.
16:47 Est-ce qu'elles appellent au lynchage des soldats israéliens ?
16:49 - Mais est-ce qu'aujourd'hui, s'il y a encore des mains rouges,
16:51 je ne crois pas qu'il y en ait eu ces derniers jours d'ailleurs,
16:53 mais dans des manifestations ou des occupations,
16:55 est-ce qu'on pourra toujours dire, en fait, c'est pas une référence à ça,
16:57 mais c'est une référence à ça ? Est-ce qu'on ne joue pas sur cette ambiguïté ?
17:00 - Alors, moi je serais un organisateur de manifestations,
17:02 je me dirais oui, si maintenant c'est devenu polémique,
17:04 on peut peut-être arrêter avec les mains rouges.
17:06 - Ce symbole-là a ensuite été utilisé pour, en quelque sorte,
17:11 souffler sur ses braises par une autorité étrangère,
17:15 en l'occurrence bulgare, sans doute russe, sur le mur des syres.
17:18 - C'est juste pour dire qu'il y a toute une partie,
17:20 c'est comme le terme génocide, il y a toute une partie du vocabulaire
17:23 ou de la grammaire de ce conflit dont on arrive à parler,
17:26 en fait, plus facilement, j'en suis témoin,
17:30 parce que j'ai travaillé très longtemps et en Palestine et en Israël,
17:34 on en parle plus facilement là-bas qu'ici, c'est quand même dingue.
17:37 - Pourquoi ? Parce que ça veut dire quoi pour vous ?
17:39 Ici, tout cela est épidermique ?
17:42 - Épidermique, alors on a la plus grosse communauté juive d'Europe,
17:45 on a la plus grosse communauté musulmane d'Europe,
17:47 donc on doit être aussi indulgent avec nous-mêmes,
17:49 pour le coup on n'est pas comme les pays nordiques,
17:51 donc on a effectivement ce problème-là,
17:54 mais c'est vrai que c'est comme la question du génocide.
17:57 Aujourd'hui, le débat français c'est,
17:59 est-ce qu'il y a un génocide en cours ou pas ?
18:01 Et ce n'est pas la question qui est posée à la Cour internationale de justice.
18:08 Cette Cour internationale de justice, elle se prononce en ce moment sur le risque.
18:13 - Elle ne dit pas "il y a génocide", elle dit "y a-t-il risque ?"
18:16 - Risque et tentation, parce que dans la Convention de 48 que Israël a signée,
18:20 cette convention s'appelle "Convention pour la prévention et la répression du génocide".
18:24 C'est le seul tribunal au monde qui doit se saisir d'un crime...
18:28 - Sur une anticipation.
18:29 - ...avant qu'il ne soit commis.
18:30 Normalement, un tribunal n'a pas le droit de vous juger
18:33 pour quelque chose que vous allez peut-être faire.
18:35 - Donc quand on dit "il y a génocide en cours" ou quand certains disent "il y a"...
18:38 - C'est malhonnête, ce n'est pas le sujet.
18:41 Le crime de génocide en 1948, on a considéré qu'il était trop grave
18:44 et que c'était le seul crime pour lequel un tribunal devait être créé,
18:48 pour qu'il n'arrive pas.
18:50 Donc si même dans 10 ans on dit "vous voyez, il n'y a pas eu de génocide",
18:53 la Cour internationale de justice aurait quand même eu raison de se saisir,
18:57 justement pour que ça n'arrive pas.
18:58 - Pour poser cette question-là et savoir si c'est le cas.
19:01 - Son mandat, c'est de prévenir.
19:02 - Une dernière question, Vincent Lemire, puisque vous parlez à l'instant du droit international.
19:07 J'ai lu dans vos ouvrages que vous disiez au fond
19:09 "Israël a été l'aboutissement du droit international,
19:12 il pourrait aujourd'hui en être son tombeau".
19:14 Quand vous dites "a été l'aboutissement du droit international",
19:16 ça veut dire qu'Israël est une création de l'ONU ?
19:19 On l'oublie souvent aujourd'hui, mais...
19:20 - Bien sûr, j'ai même dit "ça a été le berceau du droit international".
19:23 En 1917, après la Première Guerre mondiale,
19:25 la Société des Nations donne mandat aux Britanniques pour régler le problème.
19:28 En 1947, l'ONU, au moment de sa création, fait le plan de partage
19:32 et l'Assemblée générale de l'ONU vote pour la reconnaissance
19:35 et la partition en deux États.
19:37 Un État juif de Palestine et un État arabe de Palestine.
19:40 Donc c'est le berceau du droit international,
19:42 ça pourrait être aujourd'hui son tombeau.
19:44 C'est pour ça aussi que c'est lié avec la question ukrainienne.
19:47 Le droit international aujourd'hui, c'est l'heure de vérité.
19:51 Est-ce que Poutine, Netanyahou et Klingin ont raison de dire
19:57 que tout ça s'est terminé et qu'on est rentré dans le règne de la force
20:00 et dans la loi de la jungle ?
20:01 Ou est-ce qu'on va réussir à sauver des règles de vivre ensemble
20:04 sur le plan international ?
20:06 C'est ça qui se joue aussi aujourd'hui à Gaza.
20:08 - Merci beaucoup.
20:09 Aujourd'hui et hier, avec vous, historien Vincent Lemire,
20:12 merci d'avoir expliqué tout cela ce matin.
20:14 Je rappelle le titre de vos deux ouvrages,
20:16 "Israël, Palestine, anatomie d'un conflit",
20:18 et puis votre histoire de Jérusalem en bande dessinée.
20:20 - Merci à vous.