• il y a 6 mois
Transcription
00:00 Bonjour, je ne suis pas Gilles Crémert des éditions Riveneuve, il est assis à notre gauche.
00:09 C'est mon premier livre et donc je suis très heureuse qu'il me laisse la parole pour que je puisse vous le présenter.
00:15 Je vais vous parler du "Dernier Parfum".
00:18 Le "Dernier Parfum", si vous avez peut-être vu le film de Truffaut, peut-être aurez-vous pensé au "Dernier Métro".
00:26 Moi j'y pense souvent parce que le point commun entre le livre et le "Dernier Métro", c'est le théâtre.
00:32 Et c'est la vie d'une comédienne dans un théâtre.
00:36 Ça s'arrête là, il n'y a pas d'autres parallèles historiques.
00:41 Mais ici, ça va être l'histoire d'une comédienne qui cherche pour chaque rôle qu'elle interprète,
00:46 le parfum qui correspond au rôle qu'elle va jouer.
00:50 Elle n'imagine pas qu'elle puisse interpréter un personnage sans qu'il ait un parfum.
00:57 Et donc nous allons naviguer au gré des évocations qu'elle va faire dans les rôles qu'elle a joués,
01:04 avec les parfums que certains on connaît et d'autres pas évidemment puisqu'on ne connaît jamais tous les parfums.
01:10 Et que les parfums qu'elle a porté au fur et à mesure de ses rôles, pour certains sont des parfums mythiques
01:15 et pour d'autres sont des parfums de supermarché, puisque toute odeur est bonne pour un comédien et pour un rôle qu'on interprète.
01:23 Elle va donc nous amener avec elle dans son quotidien de comédienne.
01:29 Nous allons être à la Comédie française et nous allons l'accompagner le jour où elle doit jouer "Bérenice".
01:35 Mais elle nous parle aussi d'Antigone, elle va nous parler de Gisèle Halimi, qu'elle a interprétée en scène, de Colette.
01:43 Et nous allons comme ça naviguer avec elle, mais surtout assister à la peur qu'elle a avant d'entrer en scène.
01:49 Et à une autre peur qui est celle qui vient du fait qu'elle attend des résultats médicaux et qu'elle apprend qu'elle est condamnée.
01:56 Et sa grande interrogation, tout ce spectacle-là, tout ce soir-là de "Bérenice" qui vient résonner dans un mois, dans un an, quand nous reverrons nous,
02:05 ça va être "Quel est le parfum qu'il va falloir que je porte pour ce dernier rôle ?
02:12 Comment est-ce que je vais incarner ou me désincarner dans la mort ?"
02:17 Et elle essaye de gagner du temps et de trouver quelle doit être la recette.
02:21 Est-ce qu'elle doit porter tous les parfums ? Est-ce qu'elle doit en porter un seul et lequel ? Est-ce qu'elle doit en trouver un ?
02:27 Et ça va être sa grande interrogation.
02:30 Et donc ce texte court, en somme cette nouvelle, va nous emmener près de la mort bien sûr, mais surtout près de la vie en fait.
02:40 Dans toute l'interrogation qu'on peut avoir sur quelle est la trace que l'on laisse, quel est ce besoin permanent qu'on a de chercher la mémoire, le souvenir,
02:53 pourquoi est-ce qu'on veut se souvenir et quelle trace est-ce qu'on veut laisser et quelle perception on a d'un au-delà, d'un indicible.
03:01 Alors c'est né évidemment pour moi de l'écoute d'une comédienne de la comédie française pendant le confinement qui racontait comment elle avait trouvé le parfum de son premier rôle.
03:12 Et je me suis dit ça c'est quand même quelque chose d'extraordinaire.
03:15 Et pour avoir été moi-même dans le théâtre depuis 30 ans et avoir une passion infinie pour les comédiens, mais pour l'art du théâtre en général,
03:24 je me suis dit mais voilà un art à la parfumerie qui croise un art éphémère, celui de l'acteur.
03:29 Et comment est-ce qu'on incarne et qu'est-ce que ça veut dire incarner les mots d'un être de fiction ?
03:35 Incarner les mots d'un auteur qui en général, la plupart du temps en tout cas, n'est plus là, puisqu'on joue souvent des auteurs décédés.
03:47 Et donc ce dernier parfum, c'est mon premier texte, c'est mon premier parfum à moi aujourd'hui dans cette salle.
03:55 Et je voulais en tout cas partager tout ce que moi j'arrivais à percevoir depuis 30 ans que je suis dans le spectacle d'un indicible.
04:04 Et comment est-ce que je pouvais approcher par l'écriture dans cette histoire fabuleuse de cette comédienne qui se promène à travers ses rôles et qui a cette urgence de la mort qui va arriver.
04:16 Comment je pouvais réussir à transmettre ce qu'en tant que metteuse en scène aussi, je fais, qui est une écriture qui ne se voit pas.
04:24 Le parfum, c'est quelque chose qui ne se voit pas, qu'on oublie mais dont on essaie de se souvenir.
04:30 La littérature, c'est la même chose. Évidemment, on a les mots, on peut le relire, mais ça nous emmène dans des sensations que parfois on essaye de retrouver, qu'on ne retrouve pas forcément.
04:39 Et donc ma proposition sur le dernier parfum, c'est d'emmener le lecteur proche de cet invisible, en tout cas le temps de la lecture.
05:01 Bonjour à toutes et à tous. Merci beaucoup de nous accueillir tous les trois et puis de m'accueillir moi. Je vais vous parler de mon nouveau roman qui s'appelle "Sans Nouvelle Depuis Drancy".
05:11 Pour commencer, je voudrais vous demander un petit effort d'imagination. Vous pouvez même fermer les yeux si vous voulez.
05:18 Nous sommes le vendredi 22 octobre 1943. Le ciel est à l'orage au-dessus de Fourges, un petit village de Normandie sur la vallée de Lett.
05:30 Il est presque 19h00. Maurice nettoie ses outils, s'apprête à redescendre vers la maison de son beau-père Eugène.
05:36 Quand il arrive pour ouvrir le portail de la maison, une traction à vent déboule du centre du village. Les hommes de la Gestapo viennent l'arrêter.
05:46 Sa femme Andrée a beau protester, elle ne peut rien faire contre les hommes en noir. Josette et Jean, leurs enfants, sont terrifiés tous les deux.
05:54 Trois mois plus tard, en janvier 1944, la Gestapo reviendra dans le village pour arrêter les enfants eux aussi.
06:01 Andrée et Maurice sont mes grands-parents. Jean, mon père, qui avait 8 ans et demi à l'époque, et sa soeur Josette.
06:09 Le seul tord de Maurice à l'époque était d'être juif, israélite comme on disait à l'époque, pour les juifs français.
06:17 On a tous un point commun, vous et moi, ce sont nos histoires de famille. Moi j'ai été bercé par des anecdotes qui remontent à la deuxième guerre mondiale.
06:24 Par l'arrestation de mon grand-père, par le 9ème anniversaire de mon père, qu'il a fêté à la prison d'Evreux avant de partir au camp de Drancy.
06:32 Et puis à sa sortie un peu miraculeuse de Drancy, enfin sa sortie à lui et à sa soeur.
06:38 Le problème avec ces histoires de famille, c'est que la plupart ne sont pas du tout réalistes.
06:44 L'une d'entre elles m'avait beaucoup marqué, que j'ai entendu cent fois dans mon enfance, que mon père m'a raconté.
06:49 C'était celle de son instituteur déguisé en officier SS qui serait venu l'extirper du camp de Drancy.
06:54 Sauf que cette histoire, elle n'est pas vraie du tout. Mais c'est comme ça qu'il l'a romancé lui.
07:00 C'est un peu grâce à cette fameuse résilience dont parle souvent Boris Cyrulnik.
07:04 Moi je suis journaliste et photographe à la base, et mon boulot c'est d'enquêter.
07:10 J'ai mené une très longue enquête pour connaître la vérité autour de toutes ces histoires de famille.
07:15 Je vous passerai les détails, les pires épécies, les kilomètres parcourus, même si on pourrait en parler si vous voulez.
07:20 J'ai reconstitué ce qu'a été la vie de ma grand-mère Andrée, le début de la guerre.
07:26 Les premières ordonnances de Vichy sur le statut des Juifs.
07:29 Et puis j'ai surtout découvert un terrible secret de famille.
07:33 Ce sont toutes ces années de 40 à 47 que je raconte dans ce roman sans nouvelles de Drancy.
07:38 La question de la mémoire en fait elle est centrale dans ce roman.
07:42 À travers les différents témoignages que j'ai pu récupérer, des gens qui ont 90, 95 ans aujourd'hui,
07:47 certains qui sont morts depuis que j'ai pu les enregistrer,
07:50 j'ai compris que c'était très facile pour eux de réécrire l'histoire dans leurs souvenirs.
07:55 C'est pour cette raison à mon avis que la fiction et le roman sont le meilleur moyen
08:02 pour réconcilier la vérité historique et les mémoires individuelles.
08:07 Sans nouvelles depuis Drancy, donc vous pouvez le voir sur le visuel de couverture.
08:12 Ce titre en fait je l'ai tiré du dossier administratif de mon grand-père aux archives militaires de Caen.
08:20 C'était un intitulé qui arrivait souvent dans le courrier que recevait ma grand-mère Andrée en 46-47.
08:26 Les courriers de l'État français, quand l'État français était encore en train de chercher ceux qui sortaient des Caens,
08:31 ou qui étaient sortis des Caens.
08:33 Ce roman raconte surtout la quête de vérité d'Andrée, ma grand-mère.
08:39 Pendant des années, elle a voulu savoir qui avait dénoncé son mari et la belle famille de son mari.
08:44 Pourquoi la Gestapo était venue toquer à sa porte pour reprendre son mari et ses enfants trois mois plus tard.
08:49 Elle n'a jamais su vraiment.
08:51 Elle a toujours accusé un personnage bien particulier qui était le maire du village d'à côté,
08:55 qui s'appelait Ducercy, qui avait été arrêté par les FFI à la Libération.
09:01 Mais à mon sens, cette vérité n'était pas complète.
09:06 Dans les villages de Normandie, il y avait bien quelques résistants et quelques collabos,
09:11 mais surtout beaucoup de gens qui attendaient de savoir dans quel sens le vent allait tourner.
09:14 En fait, tout n'était pas tout noir et tout blanc. Il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de nuances de gris à l'époque.
09:20 J'ai donc passé trois ans, trois années à faire des recherches documentaires
09:24 pour que la toile de fond historique soit irréprochable.
09:27 J'ai rencontré beaucoup d'historiens et ils n'ont pas beaucoup d'humour dès qu'on essaye de remettre en cause leur dogme.
09:34 Cependant, quand même, l'une des historiennes que j'ai interviewée, qui s'appelle René Posnonski,
09:39 qui est une spécialiste de la Shoah en France, a relu mon manuscrit l'année dernière et lui a donné sa bénédiction.
09:45 Donc, elle n'est pas là, mais je le remercie.
09:49 Ce qui m'a le plus, en tant qu'auteur, moi, le plus intéressé dans ce travail d'écriture,
09:53 c'est d'essayer de comprendre la psychologie des personnages à l'époque,
09:56 surtout celle de la psychologie d'André, mon héroïne, ma grand-mère.
09:59 Moi, je l'ai connue, elle est décédée quand j'avais 23 ans.
10:02 C'est une femme qui a dû se débattre dans une France qui ressemble étrangement à celle d'aujourd'hui,
10:06 même si les boucs émissaires sont un peu différents.
10:08 On accuse toujours l'étranger, on se barricade derrière nos certitudes,
10:11 on lutte pour les fins de mois, l'histoire n'a pas changé.
10:14 L'histoire de ce roman se déroule donc il y a 80 ans,
10:19 mais pour moi, elle est d'une terrible actualité.
10:21 C'est aussi ça qui m'a plu dans le fait de raconter cette histoire sans nouvelles depuis Edrency,
10:25 c'est une histoire vraie, mais elle pourrait se reproduire,
10:28 et c'est ça qui fait froid dans le dos.
10:30 J'ai bientôt fini, ne vous en faites pas.
10:33 Sans nouvelles depuis Edrency, c'est un roman un peu particulier pour moi.
10:38 Mon père Jean, qui a fêté ses 9 ans juste après son arrestation par la Gestapo,
10:47 est décédé il y a 4 mois, au mois de janvier.
10:49 L'année dernière, il avait pu lire le manuscrit, les premières épreuves du livre.
10:54 Je tiens du fond du cœur à remercier la maison d'édition Rivenov,
11:01 et puis Gilles Crémer, qui est à côté de moi, son directeur,
11:04 pour avoir accueilli ce texte qui est très intime pour moi.
11:07 Et puis vous, qui accueillerez, je l'espère, ce livre dans vos librairies.
11:11 Merci beaucoup.
11:13 [Applaudissements]

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