Au lendemain des européennes qui ont mis le RN en tête des partis de France, le directeur général délégué d'Ipsos est notre invité. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/edition-speciale-l-invite/edition-speciale-l-invite-du-lundi-10-juin-2024-8423903
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00:00 *Musique*
00:06 Et c'est donc une matinale spéciale que vous propose Inter, au lendemain du coup de tonnerre des élections européennes.
00:13 RN largement en tête à 31,5% suivi de l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron.
00:23 Jusqu'à 9h40, on va analyser ce nouveau paysage politique et se projeter dans la campagne des législatives des 30 juin et 7 juillet prochains.
00:33 Premier invité donc de ce 7-10, Brice Tinturier, bonjour.
00:37 Bonjour Nicolas Demorand.
00:38 Et bienvenue au micro d'Inter, politologue, directeur général, délégué d'Ipsos, partenaire historique de Radio France dans les différents scrutins.
00:48 On va écouter ensemble dans un instant le zoom sur des électeurs qui ont voté RN hier.
00:54 Mais pour commencer, vous qui en avez suivi des campagnes, passé des soirées électorales, dites-nous si celle d'hier soir vous restera en mémoire.
01:02 Vous avez été sidéré ?
01:04 Oui, totalement. Moi je fais des soirées électorales depuis 1995.
01:08 On a connu des moments spectaculaires, importants.
01:10 Le 21 avril, c'est dans la mémoire de tous ceux qui ont été à ma place sur des plateaux à ce moment-là.
01:16 Mais là, on a quand même quelque chose de totalement inédit.
01:18 Une dissolution annoncée au moment des résultats d'un scrutin européen, c'est du jamais vu.
01:26 Et puis le contexte est tout à fait exceptionnel, avec un niveau du RN extrêmement haut qu'on n'a jamais vu dans ce pays,
01:32 et un pouvoir en place qui a été massivement désavoué.
01:35 On est sur une situation totalement inédite et qui restera dans les mémoires, c'est une évidence.
01:39 Dissoudre l'Assemblée nationale, est-ce que les Français le demandaient dans vos enquêtes ?
01:45 On avait dans nos enquêtes 57% de Français qui nous disaient qu'ils étaient favorables.
01:49 C'est pas qu'ils le demandaient, mais ils y étaient favorables.
01:52 Alors massivement, les électeurs évidemment du RN, beaucoup aussi du côté de la FI.
01:59 Les LR très partagés.
02:01 Donc on peut dire que l'annonce va faire plaisir à beaucoup d'électeurs,
02:05 mais que malgré tout c'est quelque chose qui peut bouger, parce qu'encore une fois c'est totalement inédit,
02:10 et qu'au moment où les gens nous répondaient, ils n'avaient pas les résultats du RN.
02:13 Alors, écoutons ensemble ce Zoom, Brice Tinturier.
02:17 Le RN a-t-il transformé l'essai dans les territoires conquis lors des dernières législatives, il y a deux ans ?
02:24 Dans le Loiret, c'est un oui, un grand oui.
02:28 Le département a pour la première fois élu deux députés RN en 2022,
02:32 et le parti de Jordan Bardella y totalise aujourd'hui 35,87% des suffrages.
02:39 10 points de plus qu'en 2019 lors du dernier scrutin européen.
02:44 Faustine Calmel, bonjour.
02:46 Bonjour Nicolas, bonjour à tous.
02:48 C'est là, dans le secteur de Montargis, que vous avez passé la soirée auprès de la centaine de militants RN,
02:54 rassemblés au bowling d'Amilly, au sud de la ville.
02:58 Entre les pistes de bowling, effectivement, quelques tables ont été disposées,
03:02 et de grands buffets autour desquels se pressent des femmes seules, des couples de retraités,
03:07 et quelques jeunes aussi, tout juste majeurs.
03:09 Les militants exultent à l'annonce des résultats.
03:14 Puis, à nouveau, à celle de la dissolution de l'Assemblée nationale.
03:18 Personnellement, je suis très contente, parce que j'ai vraiment envie que les choses bougent.
03:22 Je vis dans des quartiers populaires, et là, ça devient vraiment la misère, de plus en plus.
03:27 On a besoin, bon moi je suis quand même quelqu'un qui travaille, mais il y a trop de misère, il faut que ça s'arrête.
03:32 Une paupérisation ici, un tiers des habitants vit sous le seuil de pauvreté.
03:36 C'est un sentiment de déclassement qui a aussi amené Corinne à s'engager auprès du RN, il y a un an.
03:42 Nous, on a passé la soixantaine. Ce qu'on a vécu avant et ce qu'on vit maintenant, ce n'est plus du tout la même chose.
03:46 Il y a 30 ans en arrière, avec un salaire de base, on s'en sortait.
03:50 Maintenant, avec une retraite, moi je suis à la retraite, c'est très compliqué.
03:54 Donc quand on voit tout au-dements, l'électricité, le gaz, on ne peut pas s'en sortir.
03:58 Et encore, ça dépend de nos retraites, mais bon, il y en a qui sont encore en dessous,
04:02 et qui franchement, en peinent tous les jours, au quotidien.
04:05 Mais ici, dans ce territoire, le chômage dépasse de près de 2 points la moyenne nationale.
04:09 Les difficultés économiques donc, qui poussent à voter RN, Faustine, mais aussi l'insécurité.
04:16 En tout cas, Nicolas, le sentiment d'insécurité.
04:20 A la sortie des bureaux de vote, comme ici à Amie, 13 000 habitants,
04:23 d'autres électeurs Rassemblement National, comme Philippe, racontent avoir changé de bord.
04:28 J'étais plus du côté social, moi. Donc plus sur la gauche.
04:31 Mais il choisit aujourd'hui Jordan Bardella.
04:34 L'insécurité, les vols réguliers, je ne reconnais plus non plus le quartier où j'ai grandi.
04:38 Je suis né ici. Donc je n'ai rien contre la mixité sociale, au contraire.
04:42 Mais quand les gens acceptent les valeurs de notre pays, quoi. Donc ça, ça pose un problème.
04:46 Le discours est décomplexé, parfois raciste.
04:49 Il reprend aussi clairement le concept de préférence nationale,
04:53 cher à l'ex-Front National, y compris chez les plus jeunes.
04:56 Comme Mélodie, elle votait hier pour la première fois.
04:58 Vraiment, je suis française et je suis très fière d'être française.
05:02 Et moi, je veux juste sauver mon pays.
05:04 Déjà, l'aide d'autres pays qui ne font pas partie de l'Union Européenne.
05:07 Ça, je n'aime pas trop.
05:09 La France aide certains pays que l'argent devrait rester chez nous.
05:13 Donc pour moi, ce serait de passer les Français avant tout.
05:16 Une référence notamment, nous précise Mélodie, à l'Ukraine.
05:19 Et Faustine, comment cette poussée du Rassemblement National
05:23 est-elle perçue cette fois par ses opposants politiques ?
05:27 Alors, pour les électeurs de gauche, il y a d'abord l'inquiétude
05:31 après l'échec hier à avoir fait barrage au Rassemblement National.
05:34 C'est ce que Emilie, 18 ans, espérait hier en glissant elle aussi
05:38 pour la première fois son bulletin dans l'urne.
05:41 Je ne sais pas si ça a même plus de sens ici de voter de cette façon-là,
05:45 mais il me semble que oui.
05:47 C'était déjà prévu que le RN ait beaucoup de voix.
05:50 Ça fait un peu mal de voir ça.
05:53 Et c'est pour ça que ça me semblait encore plus important de voter,
05:56 et de bien voter.
05:57 Mais c'est largement insuffisant.
05:59 Et même le président socialiste de la région Centre-Val de Loire,
06:02 François Bonneau, admet aujourd'hui une faillite de la gauche.
06:06 La gauche, c'est d'abord la solidarité.
06:08 Donc ça devrait être d'abord les réponses apportées à ces femmes
06:12 et à ces hommes qui perdent pied dans l'avancée de notre société.
06:16 La gauche doit quitter le regard qu'elle porte sur elle-même
06:20 pour porter un regard sur la société,
06:23 pour aller vers ces personnes qui sont inquiètes sur leur avenir
06:26 et vers ceux qui aujourd'hui attendent un autre projet
06:28 que celui qui a été mis en place par Emmanuel Macron depuis 7 ans maintenant.
06:31 Il faut retisser les liens avec la société.
06:34 Dans sa diversité poursuit François Bonneau,
06:37 mais avant le 30 juin prochain.
06:39 Trois semaines, clairement, n'y suffiront pas.
06:41 Merci Faustine Calmel et merci à Fabien Gosset pour les moyens techniques.
06:46 Ce Zoom a retrouvé évidemment sur franceinter.fr
06:50 Sociologie, géographie du vote Rassemblement National.
06:54 Quelle évolution notable Brice Tinturier
06:59 lors du scrutin des européennes ?
07:01 L'évolution je crois la plus notable c'est qu'aujourd'hui le RN est un parti à trappe-tout
07:05 qui a été capable d'attirer des suffrages de catégories plus aisées que d'habitude,
07:10 de catégories plus âgées que d'habitude.
07:12 Et en fait il a pris prioritairement sur des électorats
07:16 qui déjà votaient à l'extrême droite,
07:18 Debout la France ou Éric Zemmour.
07:22 Mais il a aussi su capter des suffrages en nombre beaucoup plus limité
07:26 mais malgré tout c'est un des apports,
07:28 des lecteurs de la France Insoumise ou de Jean-Luc Mélenchon,
07:31 des lecteurs également un petit bout d'Emmanuel Macron.
07:34 Donc il est le réceptacle d'abord de sa très bonne capacité à fidéliser ses propres électeurs,
07:40 mais ensuite en faire venir d'autres,
07:42 y compris de droite, voire d'extrême droite et en grignotant sur de la gauche.
07:46 Et qu'est-ce qui explique le vote RN ?
07:49 C'est quoi ? C'est le vote sanction ?
07:52 C'est un vote d'adhésion aujourd'hui ?
07:54 Comment le décrire ?
07:56 Il y a deux leviers fondamentaux dans ce résultat.
07:58 Le premier, j'en ai cessé de le dire,
08:00 c'est que vous gagnez une élection
08:02 quand vous arrivez à imposer le thème sur lequel vous êtes le plus crédible.
08:05 Or, l'immigration, contrairement à 2019,
08:09 est devenue le thème, le levier du vote le plus important.
08:13 C'était également ce que les Français assignaient comme priorité à l'Union Européenne
08:16 et là-dessus le RN est massivement le plus crédible.
08:19 Et puis l'autre élément, c'est évidemment le vote sanction.
08:22 On a une sanction majeure du pouvoir en place, on l'avait dans nos enquêtes.
08:25 Les deux cumulés, ajoutés aussi au leadership de Jordan Bardella,
08:29 ont produit ce 31-5 que nous avions également dans nos enquêtes.
08:33 Et est-ce qu'on peut l'extrapoler ce 31-5
08:37 en regardant maintenant, Bristain Thurier,
08:40 les élections législatives dans trois semaines ?
08:44 C'est encore difficile, il faut être clair, parce que nous n'avons pas l'offre électorale.
08:47 Nous ne savons pas quelle va être la configuration au moment des législatives.
08:50 Malgré tout, nous avions fait en décembre une simulation législative
08:55 avec un RN qui n'était pas alors à ce niveau-là.
08:58 Donc on va voir sur des circonscriptions ce que cela peut donner.
09:01 Mais on était déjà entre une majorité relative et une majorité absolue.
09:05 Donc tout va dépendre de l'offre réelle, des alliances,
09:08 de la capacité ou pas de la gauche à s'unir.
09:11 Mais la gauche était en retrait.
09:13 Là, on voit bien qu'il y a quelque chose qui se redistribue dans l'espace des gauches.
09:17 La renaissance est très affaiblie.
09:20 Où sont passés les électeurs d'Emmanuel Macron ?
09:23 Ou de renaissance dans cette élection ?
09:26 Alors, les électeurs d'Emmanuel Macron, on voit très bien où ils sont passés.
09:29 Ils sont partis d'abord sur Raphaël Glucksmann.
09:32 Là, vous avez des effets de fuite qui sont importants.
09:34 Ils sont partis aussi un peu sur LR et des LR sont partis sur le RN.
09:39 Mais les électeurs d'Emmanuel Macron se sont retrouvés,
09:42 ils sont sous-mobilisés également,
09:44 mais ils se sont retrouvés dans la situation dans laquelle étaient les autres forces politiques
09:48 pris entre diverses forces, à la fois sur le flanc droit et sur le flanc gauche.
09:51 Et vous l'avez dit d'un mot, qu'en est-il de la gauche ?
09:57 On a vu le score de Raphaël Glucksmann,
10:00 qui fait un peu moins de 14, qui talonne
10:04 la liste d'Emmanuel Macron, enfin de Valérie Heillet.
10:10 Ça dit quoi politiquement ? C'est un réveil de la social-démocratie
10:16 ou une Européenne ne fait pas le printemps ?
10:19 D'abord, il faut repartir de 2019.
10:22 On compare un scrutin comparable.
10:24 Si vous repartez de 2019, vous avez bien l'EPS et Place publique
10:28 qui fait plus que doubler son score et qui arrive en tête.
10:31 La France insoumise augmente aussi.
10:33 Elle passe de 6 à 9,8.
10:36 On avait 9,5 dans nos enquêtes.
10:39 Donc ces deux forces politiques progressent.
10:41 En revanche, par rapport à la présidentielle,
10:43 il y a clairement une redistribution dans l'espace des gauches.
10:46 Ça ne préjuge en rien de la future présidentielle,
10:49 mais ça nous montre qu'il s'est passé quelque chose,
10:51 que la stratégie de la France insoumise a ses limites
10:54 et que c'est bien Raphaël Glucksmann qui a permis au PS
10:56 de reprendre le leadership à l'occasion de ses élections dans l'espace des gauches.
11:00 Ces gauches sont irréconciliables, selon vous,
11:03 quand vous voyez la campagne qui vient de se dérouler ?
11:07 Je pense en tous les cas qu'elles peuvent peut-être faire un accord électoral
11:11 en vue des législatives sous la pression des circonstances,
11:15 mais que de plus en plus, plus encore aujourd'hui qu'hier, qu'en 2022,
11:20 on voit bien qu'entre la France insoumise telle que la conçoit et mène Jean-Luc Mélenchon
11:24 et la sensibilité du Parti socialiste,
11:27 il y a des divergences extrêmement profondes sur des sujets qui sont tous au fanodin.
11:30 Dernière question, Brice Saint-Urier.
11:32 Vous avez produit hier une enquête intitulée "Comprendre le vote des Français"
11:36 dans laquelle vous décrivez un pays marqué par l'inquiétude, l'incertitude, la fatigue et la colère.
11:45 Ce sont les premiers sentiments décrits par les électeurs.
11:49 Qu'est-ce que ça dit du pays ?
11:51 Ça dit deux choses, je crois.
11:52 D'abord que ces sentiments sont assez proches de ce qu'on avait ces dernières années,
11:56 donc que le chaudron bouillonne,
11:58 que les Français sont, quand on regarde leurs affects,
12:01 plutôt animés par des sentiments extrêmement négatifs, d'inquiétude.
12:06 Il y a peu d'espoir, il y a peu de satisfaction, il y a peu d'attente aussi.
12:10 Donc oui, le pays reste mécontent, fatigué, désemparé, inquiet, angoissé dans sa majeure.
12:18 Et c'est aussi ce qui explique en partie les résultats du Rassemblement national.
12:22 Le critère le plus explicatif du vote RN,
12:25 c'est la satisfaction que vous avez vis-à-vis de votre propre vie.
12:27 Plus vous considérez que vous menez une vie insatisfaisante, plus vous votez RN.
12:31 Et évidemment, cette émotion ambiante va dans ce sens.
12:35 - Brice St-Urier, merci, je rappelle que vous êtes politologue et directeur général délégué d'Ipsos.
12:42 Merci d'avoir été au micro d'Inter ce matin.