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Pourquoi la croissance économique est devenue contreproductive pour combattre la pauvreté et les inégalités ? Pourquoi même avec une croissance économique sans précédent dans de nombreux pays, tellement de personnes arrivent à peine à combler leurs besoins essentiels ?
Dans cette double crise sociale et écologique , comment répondre aux besoins de chacun-e-s, tout en sauvegardant les écosystèmes naturels ? Si la croissance économique aveugle ne fonctionne pas, comment résoudre ces deux crises ?
Olivier de Schutter est professeur de Droit à l’UC Louvain et à SciencesPo. De 2008 à 2014, il a été Rapporteur Spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation. Il est désormais le rapporteur spécial sur les droits humains et la pauvreté.
SOMMAIRE
00:00:00 Introduction
00:02:54 Droit et nature
1 - Droit et pauvreté :
00:07:15 Qu'est ce que la pauvreté
00:16:29 Croissance et pauvreté
00:21:57 Pauvreté et post-croissance
00:26:17 Inégalités et écologie
00:32:37 Comment sonder la pauvreté ?
2 - Solutions socio-écologiques :
00:35:29 Lien entre justice sociale et écologie
00:39:20 Mesures à “triple dividende”
00:44:21 Inclusion dans la prise de décision
00:47:36 Agroécologie et pauvreté
00:53:13 Sobriété volontaire
RÉFÉRENCES CITÉES
Ouvrages :
• Livre de l'invité : Changer de boussole, la croissance ne vaincra pas la pauvreté (2023)
• The Limits to Growth (1972)
• L'Ecologisme des pauvres (2014), Juan Martinez-Alier
• Recommandations de l'invité : Rendre le monde impossible / Accélération / Résonnance, Hartmut Rosa
Articles :
• Objectifs de développement durable :
https://www.undp.org/fr/sustainable-development-goals
• Les dimensions cachées de la pauvreté (2019) :
https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2019/05/DimensionsCacheesDeLaPauvrete_fr.pdf
• Limites planetaires : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/article/limites-planetaires
• Consommation des foyers (article de Diana Ivanova) :
https://www.cambridge.org/core/journals/global-sustainability/article/unequal-distribution-of-household-carbon-footprints-in-europe-and-its-link-to-sustainability/F1ED4F705AF1C6C1FCAD477398353DC2
️Défintions de la pauvreté :
• Définition au 20è siècle : Capacité à satisfaire des besoins physiologiques (”basic needs”)
• Définition Banque Mondiale : Gagner moins de 2,15$ par jour
• Définition multidimentionnelle : Capacité d’accès à un panel de services (santé, nourriture, éducation, logement...)
• Définition relative : Etre faiblement classé-e sur l’échelle sociale (revenus, privilèges, etc.)
Pourquoi la croissance économique est devenue contreproductive pour combattre la pauvreté et les inégalités ? Pourquoi même avec une croissance économique sans précédent dans de nombreux pays, tellement de personnes arrivent à peine à combler leurs besoins essentiels ?
Dans cette double crise sociale et écologique , comment répondre aux besoins de chacun-e-s, tout en sauvegardant les écosystèmes naturels ? Si la croissance économique aveugle ne fonctionne pas, comment résoudre ces deux crises ?
Olivier de Schutter est professeur de Droit à l’UC Louvain et à SciencesPo. De 2008 à 2014, il a été Rapporteur Spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation. Il est désormais le rapporteur spécial sur les droits humains et la pauvreté.
SOMMAIRE
00:00:00 Introduction
00:02:54 Droit et nature
1 - Droit et pauvreté :
00:07:15 Qu'est ce que la pauvreté
00:16:29 Croissance et pauvreté
00:21:57 Pauvreté et post-croissance
00:26:17 Inégalités et écologie
00:32:37 Comment sonder la pauvreté ?
2 - Solutions socio-écologiques :
00:35:29 Lien entre justice sociale et écologie
00:39:20 Mesures à “triple dividende”
00:44:21 Inclusion dans la prise de décision
00:47:36 Agroécologie et pauvreté
00:53:13 Sobriété volontaire
RÉFÉRENCES CITÉES
Ouvrages :
• Livre de l'invité : Changer de boussole, la croissance ne vaincra pas la pauvreté (2023)
• The Limits to Growth (1972)
• L'Ecologisme des pauvres (2014), Juan Martinez-Alier
• Recommandations de l'invité : Rendre le monde impossible / Accélération / Résonnance, Hartmut Rosa
Articles :
• Objectifs de développement durable :
https://www.undp.org/fr/sustainable-development-goals
• Les dimensions cachées de la pauvreté (2019) :
https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2019/05/DimensionsCacheesDeLaPauvrete_fr.pdf
• Limites planetaires : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/article/limites-planetaires
• Consommation des foyers (article de Diana Ivanova) :
https://www.cambridge.org/core/journals/global-sustainability/article/unequal-distribution-of-household-carbon-footprints-in-europe-and-its-link-to-sustainability/F1ED4F705AF1C6C1FCAD477398353DC2
️Défintions de la pauvreté :
• Définition au 20è siècle : Capacité à satisfaire des besoins physiologiques (”basic needs”)
• Définition Banque Mondiale : Gagner moins de 2,15$ par jour
• Définition multidimentionnelle : Capacité d’accès à un panel de services (santé, nourriture, éducation, logement...)
• Définition relative : Etre faiblement classé-e sur l’échelle sociale (revenus, privilèges, etc.)
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ÉducationTranscription
00:00:00Au nom de la croissance, on va vouloir augmenter la productivité,
00:00:04ce qui résulte dans l'intensification du travail.
00:00:07Donc on va épuiser les hommes et les femmes de l'économie au nom de la croissance.
00:00:11Mais c'est contre-productif.
00:00:12Et donc on peut avoir une société qui présente toutes les apparences
00:00:16d'être sur la voie du progrès social,
00:00:18et où le sentiment d'exclusion en même temps progresse.
00:00:21Parce que très longtemps, on disait,
00:00:22oui c'est vrai que la croissance est problématique pour l'environnement,
00:00:25mais au moins la croissance permet de réduire la pauvreté.
00:00:27En fait, aujourd'hui, c'est un autre message qu'on commence à entendre.
00:00:31On voit que la croissance n'est pas une solution à la réduction de la pauvreté.
00:00:34Qu'elle crée l'exclusion qu'elle est censée combattre.
00:00:37Et ça, c'est nouveau.
00:00:42Bonjour et bienvenue au podcast Circulaire Métabolisme,
00:00:44le rendez-vous bihebdomadaire qui interview des penseurs,
00:00:47chercheurs et praticiens
00:00:49pour mieux comprendre le métabolisme de nos sociétés,
00:00:51ou en d'autres mots, leur consommation de ressources
00:00:54et leurs émissions de polluants,
00:00:55et comment les réduire d'une manière systémique, juste et contextualisée.
00:00:59Aujourd'hui, nous allons questionner pourquoi la croissance économique
00:01:02est devenue contre-productive pour combattre la pauvreté et les inégalités.
00:01:07En effet, comment se fait-il qu'avec une croissance économique sans précédent
00:01:10dans la majorité des pays,
00:01:12tellement de personnes vivent sous le seuil de la pauvreté
00:01:15et arrivent à peine à combler leurs besoins essentiels ?
00:01:18Dans ce contexte de double crise sociale et écologique,
00:01:22si la croissance économique aveugle ne fonctionne pas,
00:01:25quelles sont les mesures qui sont les plus à même à résoudre ces deux crises ?
00:01:28Pour nous éclairer sur le sujet, j'ai le plaisir d'accueillir Olivier Descoteurs.
00:01:32Olivier est professeur de droit à l'UCLouvain ainsi qu'à Sciences Po.
00:01:36Il a été rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation
00:01:40et est désormais le rapporteur sur les droits humains et la pauvreté.
00:01:44Il a également écrit le livre « Changer de boussole,
00:01:47la croissance ne vaincra pas la pauvreté ».
00:01:50Dans cet entretien, nous parlerons de
00:01:51Pourquoi la croissance engendre la pauvreté au lieu d'y mettre fin ?
00:01:56Quels sont les liens entre pauvreté et la crise écologique ?
00:01:59Et pourquoi la résolution de l'une et de l'autre sont intimement liées ?
00:02:04Olivier, bienvenue au podcast.
00:02:05Bonjour.
00:02:06Donc les droits internationaux, les droits humains,
00:02:09les droits à la nourriture, les droits universels,
00:02:12pourquoi le droit est au centre de tes préoccupations ?
00:02:15Moi j'ai étudié le droit parce que j'étais un activiste
00:02:17et que je voulais changer le monde grâce à l'outil que le droit constitue.
00:02:22Et les droits humains sont quand même encore le langage universel
00:02:25qui permet de parler par-delà les sensibilités
00:02:28dans un monde multipolaire qui a très peu de références communes,
00:02:31mais qui se sent encore tenu de se référer aux droits humains.
00:02:36Et donc c'est un outil de mobilisation,
00:02:38c'est un outil de pression sur les États,
00:02:42et c'est aussi un outil qui est à la fois un outil juridique,
00:02:45mais en même temps éthique.
00:02:47Et j'imagine que les droits changent au fil de la dégradation
00:02:52des écosystèmes naturels évoluent également.
00:02:54Avant on ne pensait pas aux droits des écosystèmes naturels,
00:02:58avant on ne pensait pas peut-être à certains éléments.
00:03:01Oui, on a deux évolutions intéressantes de ce point de vue-là.
00:03:03D'abord la reconnaissance en droit international du droit à un environnement sain,
00:03:08qui a été reconnue par l'Assemblée générale des Nations Unies
00:03:12dans une résolution du 28 juillet 2020,
00:03:15et qui est un moment très important
00:03:17parce qu'au fond ça veut dire que la Déclaration universelle des droits de l'homme,
00:03:19adoptée le 10 décembre 1948,
00:03:22s'est enrichie d'un nouvel article.
00:03:23En pratique c'est cela que ça signifie,
00:03:26et c'est tout de même très encourageant de voir le consensus sur ce sujet.
00:03:30Et la deuxième évolution intéressante,
00:03:32c'est que dans une série de constitutions,
00:03:34en Bolivie, en Équateur par exemple,
00:03:36on a les droits de la nature qui sont aujourd'hui reconnus,
00:03:39et on a des juridictions qui affirment que tel fleuve, tel forêt a des droits.
00:03:46Certes, le fleuve, la forêt ne peuvent pas exercer ces droits par eux-mêmes,
00:03:50il faut que des représentants s'en fassent les porte-paroles,
00:03:55mais l'intéressant c'est qu'on n'est pas obligé de montrer
00:03:58les atteintes aux droits de tel ou tel individu,
00:04:01ni même aux droits de telle ou telle communauté d'humains,
00:04:04pour dire qu'il y a une atteinte aux droits de la nature,
00:04:07c'est la nature elle-même dont la viabilité et l'équilibre peuvent être parfois en jeu.
00:04:14Et ça c'est très intéressant,
00:04:15j'ai pu constater en Équateur où j'ai fait une mission pour les Nations Unies,
00:04:18l'importance que représentaient les droits de la nature
00:04:20pour les organes de l'État qui s'en sentaient les gardiens.
00:04:24C'est quoi par exemple un droit d'un écosystème naturel ?
00:04:29Une fois qu'on a des activités qui polluent gravement,
00:04:33par exemple des cours d'eau ou qui dégradent les sols
00:04:36de manière à ce qu'ils perdent leur fertilité naturelle,
00:04:39indépendamment des impacts sur les humains qui en dépendent de ces ressources,
00:04:43il y a des écosystèmes qui sont menacés de péril
00:04:47et les droits de la nature sont alors en jeu.
00:04:49C'est d'ailleurs la même raison pour laquelle on a maintenant mis sur pied l'idée d'écocide,
00:04:54qui est une atteinte grave à l'environnement
00:04:56qui a été causée délibérément par par exemple les activités polluantes.
00:05:00Ce sont donc des avancées que le droit permet de faire
00:05:03et le droit est souvent en retard de la conscience morale,
00:05:08je dirais de la sensibilité de l'opinion publique,
00:05:10mais en même temps il arrive progressivement à adapter ses outils à ces nouvelles attentes.
00:05:14On le voit aussi de plus en plus des états qui se font attaquer par ces citoyens et citoyennes.
00:05:20On voit que le droit est certainement un des outils clés
00:05:26pour rigidifier, pour contraindre, pour redistribuer,
00:05:32mais en effet il n'est pas tout le temps également exercé.
00:05:35On voit que certaines entreprises polluantes ne sont pas forcément mises à ou contraintes
00:05:43à obéir certaines lois ou à arrêter ces écocides.
00:05:47Donc je pense que c'est assez intéressant de comprendre ce mélange entre états,
00:05:53les pollueurs, les citoyens qui eux-mêmes ou elles-mêmes veulent pousser l'état
00:05:59pour avoir des nouvelles lois aussi.
00:06:01Oui, en gros on perd peu à peu confiance dans la capacité des gouvernements
00:06:05à travailler dans l'intérêt général et à imposer leur volonté aux grands acteurs économiques
00:06:12dont les états dépendent de plus en plus.
00:06:14Et donc le recours au juge que l'on constate depuis quelques années
00:06:19et qui a une place de plus en plus importante, par exemple dans le contentieux climatique,
00:06:23le recours au juge part du constat que les gouvernements n'en font pas suffisamment
00:06:30et qu'il faut que le judiciaire impose sa volonté au gouvernement.
00:06:34Et non seulement le judiciaire intervient pour que les états en fassent plus
00:06:37en matière d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre,
00:06:41mais le juge intervient aussi pour contraindre les entreprises à faire davantage.
00:06:45On l'a vu par exemple dans une affaire portée devant les tribunaux néerlandais
00:06:49contre l'entreprise Royal Dutch Shell qui a été contrainte d'adopter un plan
00:06:55pour se conformer à l'accord de Paris de 2015,
00:06:58un plan de réduction des émissions qui résultent de sa chaîne de production.
00:07:02Ça c'est évidemment le droit et la transformation écologique ou les enjeux écologiques.
00:07:10Évidemment le droit peut aussi avoir des impacts sur le sujet même de cet épisode qui va être la pauvreté.
00:07:23Je pense que dans le droit, comme dans beaucoup de choses, les définitions jouent un rôle énormément.
00:07:29Ce qu'on définit de pauvreté va également nous dire comment on peut en sortir de là.
00:07:34Je vais faire l'avocat du diable, c'est-à-dire commencer par celle qui est le plus couramment utilisée,
00:07:39c'est-à-dire une définition monétaire de la pauvreté.
00:07:43Souvent on explique la pauvreté comme l'absence des moyens de répondre à ses besoins essentiels.
00:07:49C'est ça habituellement la définition ?
00:07:52C'est vrai que c'est un vrai enjeu politique de savoir ce qu'on entend par pauvreté ou extrême pauvreté.
00:07:58L'objectif de développement durable numéro un,
00:08:01qui concerne l'éradication de la pauvreté sous toutes ses formes à l'horizon 2030,
00:08:06fait l'objet d'un suivi de la part de la Banque mondiale
00:08:09qui utilise une définition de l'extrême pauvreté qui est à ce point peu exigeante,
00:08:17cette définition qu'elle ne sert plus de fonction utile comme boussole.
00:08:22Cette définition c'est que l'on est en situation d'extrême pauvreté
00:08:26quand on dispose de moins de 2,15 dollars par jour et par personne
00:08:31en pouvoir d'achat du dollar américain pour l'année 2017.
00:08:36Pour illustrer ceci, on est considéré comme n'étant pas en extrême pauvreté au Portugal
00:08:41si on a plus de 90 euros par mois, ce qui est évidemment absurde.
00:08:50C'est dingue.
00:08:51Les bulletins de victoire que l'on diffuse régulièrement sur la réduction de la pauvreté extrême
00:08:58ne doivent pas nous tromper.
00:09:00De manière plus générale, la tendance a été depuis 50 ans à définir la pauvreté
00:09:07à partir des revenus nécessaires à satisfaire des besoins physiologiques, des besoins de base.
00:09:15On a d'ailleurs une expression en anglais qui est la « basic needs approach »,
00:09:18l'approche fondée sur les besoins de base.
00:09:20En partant d'une définition de la pauvreté qui est extrêmement peu exigeante
00:09:25et qui dit qu'on n'est plus en extrême pauvreté dès lors qu'on ne meurt pas de faim.
00:09:31Il y a d'autres définitions qui sont proposées.
00:09:34Il est déjà plus intéressant d'aller vers une définition multidimensionnelle de la pauvreté
00:09:39où on mesure la pauvreté non pas en fonction du pouvoir d'achat
00:09:42mais en fonction des biens et services auxquels on a un accès effectif,
00:09:47par exemple en matière de santé, d'alimentation, d'éducation, de logement.
00:09:54Ce qui est intéressant là, c'est que si ces biens sont fournis en tant que services publics,
00:09:58en tant que biens publics par le gouvernement, financés par l'impôt,
00:10:02ils vont permettre de réduire la pauvreté même si le pouvoir d'achat de l'individu demeure faible.
00:10:06En d'autres mots, c'est reconnaître qu'il y a d'autres manières de satisfaire ces besoins
00:10:13que d'augmenter le pouvoir d'achat de l'individu
00:10:15pour qu'il puisse acquérir ce qu'il faut pour satisfaire ses besoins essentiels.
00:10:20Mais même cette définition multidimensionnelle de la pauvreté
00:10:24qui sort d'une approche strictement centrée sur le revenu de l'individu n'est pas satisfaisante.
00:10:32Quand on écoute les personnes en pauvreté,
00:10:35quand on leur demande de parler de ce qu'est pour elles l'expérience de la pauvreté,
00:10:39que disent ces personnes ?
00:10:40Elles parlent, c'est vrai, de revenus insuffisants,
00:10:43de l'absence de travail décent et suffisamment rémunérateur,
00:10:47mais elles disent aussi l'image négative de la pauvreté dans les yeux des personnes qu'elles croisent.
00:10:54Elles parlent de discrimination, elles parlent des humiliations qu'elles subissent,
00:10:57elles parlent du sentiment de honte que l'on a comme parents
00:11:02quand on ne peut pas payer la classe verte à ses enfants,
00:11:05qu'on ne peut pas l'habiller convenablement de manière telle que l'enfant se fait harceler à l'école
00:11:09et veut abandonner l'école, etc.
00:11:12Donc, c'est l'essusion sociale ici dont il s'agit.
00:11:15Et cette essusion résulte de l'écart entre ce que la moyenne des gens dans une société peuvent se permettre
00:11:22et ce que les personnes en pauvreté peuvent se permettre,
00:11:25ou ce dont elles sont au contraire privées.
00:11:28Et là, ce qui est tout à fait paradoxal,
00:11:30c'est que plus le niveau moyen de richesse dans la société augmente,
00:11:34plus les attentes sociales augmentent.
00:11:37Aujourd'hui, on est considéré comme exclu
00:11:42quand on n'a pas la possibilité d'avoir un téléphone portable,
00:11:47quand on n'a pas la possibilité d'aller en classe verte ou de s'inscrire au club de foot,
00:11:54ou d'acheter peut-être la dernière génération d'iPhone dans certains cas.
00:11:58Et donc, il y a des formes d'exclusion nouvelles qui apparaissent
00:12:02à mesure que les attentes sociales se développent.
00:12:04Et c'est la raison pour laquelle je crois qu'il faut aller vers une définition de la pauvreté
00:12:07qui la traite non pas comme une valeur absolue en termes de besoins élémentaires à satisfaire,
00:12:13mais comme une valeur relative.
00:12:15On est pauvre quand on est relativement mal classé sur l'échelle sociale,
00:12:21quand par exemple on a des revenus qui sont en deçà de 50% du revenu médian.
00:12:26Et pour moi, c'est ça la définition de la pauvreté qu'il faut retenir
00:12:28parce que c'est celle qui correspond au sentiment d'exclusion que les gens en pauvreté ressentent.
00:12:32C'est un point d'attention que je pense qu'il faut faire attention à ce qu'on mesure,
00:12:36parce que si on mesure mal les choses, on a des mauvaises interprétations à la fin.
00:12:40Et ça c'est vrai pour beaucoup de choses, on va le voir pour la croissance économique également.
00:12:45Tu parles de besoins absolus et de besoins relatifs que Keynes avait également mentionné.
00:12:49Je trouve ça assez essentiel et assez fondamental pour également parler de transformation écologique.
00:12:57Quand nous avons des plafonds écologiques, on va avoir aussi des seuils de besoins à satisfaire.
00:13:03Et du coup, on va devoir composer entre les deux.
00:13:06On va devoir se dire quels sont ces besoins essentiels,
00:13:09voire plus, que nous pouvons donner à toutes et à tous, mais rester en deçà des limites planétaires.
00:13:15Et je trouve ça assez frappant de se dire que même dans une société où on a tout,
00:13:21on peut quand même être exclu et on est dans ce jeu de relatifs.
00:13:25Je trouve ça assez difficile de comprendre comment d'un côté nous avons une personne qui était du Pérou,
00:13:33qui a donné son témoignage, qui disait nous sommes humiliés et exploités,
00:13:38on est toujours empêchés de relever la tête, nous faisons tous les sacrifices,
00:13:42mais la société continue de nous mettre les bâtons dans les roues.
00:13:46Cette personne, elle aurait pu dire la même chose en Belgique.
00:13:49Enfin, je ne sais pas comment on approche du coup,
00:13:52petit à petit, pour déconstruire ces besoins absolus et relatifs, pour proposer des solutions.
00:14:00Oui, alors ce que dit cette femme péruvienne, Sarita, que je cite dans le livre,
00:14:08traduit ce qui est l'expérience commune de la pauvreté par les gens qui sont en bas de l'échelle sociale,
00:14:15quel que soit le pays dans lequel ces personnes se trouvent.
00:14:18On a une étude fascinante faite par ATD Carmond et l'université d'Oxford
00:14:24qui a comparé l'expérience de la pauvreté décrite dans trois pays riches et dans trois pays pauvres.
00:14:31Les pays riches, États-Unis, Royaume-Uni et France,
00:14:34et les pays pauvres, il s'agissait de la Bolivie, de la Tanzanie et du Bangladesh.
00:14:38Et ce qui est frappant, c'est qu'évidemment ce n'est pas la même chose que de vivre dans une hutte dans la Brousse en Tanzanie
00:14:45ou de vivre dans un logement social à Birmingham ou à Londres.
00:14:51Mais le sentiment d'exclusion, de honte, de stigmatisation, de discrimination est exprimé avec les mêmes mots.
00:15:00Et donc ces sociétés, quelles que soient les différences très considérables entre elles
00:15:09et la capacité pour des pays comme le Royaume-Uni ou la France de protéger les gens de la pauvreté qui tue la famine,
00:15:21néanmoins on a cette expérience commune que ATD Carmond décrit comme relevant des dimensions cachées de la pauvreté.
00:15:29Pourquoi dimensions cachées ? Parce que ce sont celles que ne mesurent pas les indicateurs macroéconomiques.
00:15:33Et donc on peut avoir une société qui augmente son PIB, qui voit même augmenter la part du PIB qui va aux travailleurs et travailleuses
00:15:44et qui présente toutes les apparences d'être sur la voie du progrès social et où le sentiment d'exclusion en même temps progresse.
00:15:52Et donc c'est cela qu'il faut essayer de comprendre et c'est la raison pour laquelle la lutte contre la pauvreté,
00:15:57c'est en fait aujourd'hui, dans les pays riches en tout cas, ça doit être une lutte contre la croissance des inégalités.
00:16:02Et si on veut, à travers la croissance économique, réduire la pauvreté au prix d'une augmentation des inégalités, on se trompe.
00:16:08On va créer de l'exclusion, même si les indicateurs macroéconomiques vont donner l'impression qu'en fait on satisfait mieux les besoins élémentaires.
00:16:18Donc outre cette exclusion sociale qu'on appelle même la pauvrophobie, il y a cet indicateur favori de la croissance, le PIB,
00:16:30et le PIB par habitant qui en effet écrase ou harmonise toute situation alors qu'au final, certes, peut-être une partie d'un certain type de croissance est bénéfique pour un certain type de population,
00:16:44au-delà d'un certain seuil, ça devient contre-productif. C'est un peu le raisonnement derrière cet ouvrage.
00:16:50Et souvent, vu que la vision de la pauvreté était monétaire, c'était on va agrandir la taille du gâteau et du coup les miettes vont être un peu plus grandes et du coup les personnes vont sortir de la pauvreté.
00:17:03Mais on se rend compte également qu'augmenter les revenus ne va pas résoudre cette situation, et que pire encore, à partir d'un certain seuil ou à partir de certaines années, je pense que c'est les années 70,
00:17:18on a eu un aspect contre-productif, c'est-à-dire que plus de PIB introduit ou généré par une société ne correspondait plus à un être subjectif augmenté, c'est ça ?
00:17:29Oui, je crois qu'il y a deux choses différentes. D'abord, il y a des formes de croissance du PIB qui est une mesure au fond de l'activité, du métabolisme de l'économie sur une période déterminée.
00:17:42Il y a des croissances du PIB qui ne se traduisent pas dans l'augmentation des revenus, parce que les fruits de la croissance sont captés par une petite élite économique, une part de plus en plus grande allant aux actionnaires, aux capitals plutôt qu'aux travailleurs et travailleuses qui sont rémunérés par des salaires qui n'augmentent pas.
00:18:01Donc, on a vu des situations où la croissance du PIB ne s'accompagnait pas d'une augmentation des revenus. Mais même quand elle s'accompagne d'une augmentation des revenus, si la croissance va de pair avec une augmentation des inégalités, c'est-à-dire que les revenus en bas de l'échelle sociale augmentent moins vite que les revenus du capital et du travail pour les plus fortunés, les personnes qui ont les salaires les plus élevés,
00:18:27le sentiment d'exclusion va perdurer, va même augmenter. C'est ce qui conduit notre ami commun Tim Jackson à dire que si la croissance économique s'accompagne d'une augmentation des inégalités, ça devient un jeu à somme nulle. Le sentiment d'exclusion subsiste même si les conditions matérielles dans lesquelles l'on vit peuvent se voir améliorer.
00:18:49Et ceci parce que l'essentiel de notre sentiment d'être inclus dans la communauté tient aux comparaisons qu'on fait avec celles et ceux qui nous entourent et ne tient pas à une mesure de besoins essentiels à satisfaire. Dans les sociétés riches, la très grande majorité des gens ont ces besoins essentiels qui sont satisfaits, même si des familles vivent parfois très à la marge.
00:19:15Mais même si ces besoins essentiels sont satisfaits, le sentiment d'exclusion subsisterait si on ne combat pas vraiment les inégalités.
00:19:21Et qu'est-ce qui s'est passé après ces trente glorieuses ? Pourquoi on a eu cette contre-productivité ? Pourquoi cette augmentation de PIB allait où plutôt qu'au bien-être ?
00:19:32Oui, alors quand on parle de contre-productivité de la croissance, ça veut dire que l'on a voulu stimuler la croissance en faisant des choix politiques qui en fait ont créé de l'exclusion. Et donc la croissance en ce sens est contre-productive parce qu'elle crée l'exclusion sociale même qu'elle était censée combattre.
00:19:52Par exemple, au nom de la croissance, on va vouloir augmenter la productivité du travail, ce qui résulte dans l'intensification du travail, dans le fait que les rythmes imposés aux travailleurs et travailleuses sont toujours plus importants, dans le fait qu'on va développer tout un précariat des travailleurs et travailleuses précaires avec des contrats à temps partiel ou variable, etc.
00:20:17Donc on va épuiser les hommes et les femmes de l'économie au nom de la croissance, mais c'est contre-productif. Cette croissance ne bénéficie pas à ces personnes, elle renforce au contraire leur vulnérabilité.
00:20:26Ou bien encore, on va vouloir augmenter la division internationale du travail par la conclusion d'accords de libre-échange amenant une mise en concurrence à l'échelle mondiale des entreprises et cela affaiblit la position de négociation des syndicats.
00:20:42Cela amène à ce que les travailleurs et travailleuses faiblement qualifiés des pays riches se vivent comme redondants par rapport à des concurrents travaillant dans des pays où les salaires sont beaucoup plus faibles.
00:20:55Et cela amène une insécurité du travail dont les travailleurs et travailleuses précaires sont les premières victimes.
00:21:05Et donc là encore, la croissance qu'on voulait comme manière de faire progresser la société en général et d'améliorer notamment la situation des personnes les plus pauvres, elle est contre-productive.
00:21:16Elle débouche sur une précarisation alors même qu'elle devait créer de la sécurité et du confort matériel.
00:21:22Et c'est aussi une pilule assez difficile à avaler parce qu'on a eu que ça pour le moment, on a eu des promesses qui n'ont pas été tenues et qu'aujourd'hui on se trouve dans un moment pivot si on veut, un point de bascule où cette essence même de croissance est remise en question.
00:21:42On est en train de voir certaines failles de la croissance, certaines failles du PIB et on se rend compte qu'au final il faudrait se diriger plutôt vers une économie inclusive, non violente, plutôt qu'une économie extractive, prédatrice d'aujourd'hui.
00:21:58Les premiers auteurs qui ont travaillé sur la décroissance, la post-croissance l'ont fait pour des raisons environnementales.
00:22:06Ça démarre d'ailleurs avec le fameux rapport des chercheurs et chercheuses du MIT demandé par le club de Rome les limites de la croissance en 1972.
00:22:15Mais en fait aujourd'hui c'est un autre message aussi qu'on commence à entendre, c'est que non seulement la croissance rencontre des limites planétaires qu'on ne peut pas franchir, mais aujourd'hui ce n'est plus seulement pour cette raison là que la post-croissance est promue, c'est aussi parce qu'on voit que la croissance n'est pas une solution à la réduction de la pauvreté, qu'elle crée l'exclusion qu'elle est censée combattre.
00:22:40Et ça c'est nouveau, parce que très longtemps, jusqu'à très récemment, on disait oui c'est vrai que la croissance est problématique pour l'environnement, le découplage absolu avec les impacts environnementaux est probablement mythique, la croissance verte est mythique.
00:22:54Mais au moins la croissance permet de réduire la pauvreté et donc on était à la recherche d'une sorte de compromis entre la nécessité de réduire notre empreinte environnementale d'une part et la nécessité de réduire la pauvreté de l'autre part.
00:23:05Et ce que j'essaie de montrer dans le bouquin c'est que non, ce n'est pas un compromis qu'il faut, même si on veut prendre au sérieux la question de la pauvreté, il faut d'autres outils que la croissance.
00:23:15Parce que la croissance crée une précarité, crée des inégalités, débouche sur une manière de mettre à contribution non seulement les écosystèmes mais aussi les hommes et les femmes de l'économie qui en fait produisent de l'exclusion.
00:23:29Donc il faut autre chose et ce n'est pas facile, il faut inventer un nouveau paradigme de développement.
00:23:34Je crois que c'est la tâche de cette génération d'avoir ce sursaut d'imagination parce qu'on est devenu totalement addict à la croissance.
00:23:43Et d'ailleurs quand on examine les objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies en 2015, 17 objectifs qui définissent la trajectoire que la communauté internationale doit se donner entre 2015 et 2030.
00:23:55L'objectif de développement durable numéro 8 parle de la croissance, croissance et travail décent.
00:24:00Et il y a même un objectif chiffré, 7% de croissance par an pour les pays les moins avancés.
00:24:06Et donc on reste ancré dans l'idée que le développement c'est d'abord faire croître l'économie, augmenter au fond la richesse monétaire.
00:24:19Et que ensuite grâce à cette richesse qu'on a créée, on va pouvoir financer les services publics, financer la protection sociale, financer des politiques environnementales y compris les investissements dans des énergies renouvelables, les infrastructures de transport en commun, etc.
00:24:34Donc on continue d'être dans l'idée que la croissance c'est la condition de tout le reste, c'est le passage obligé.
00:24:40Je crois que c'est très problématique et je crois qu'il faut être plus imaginatif.
00:24:44Je pense qu'il faut financer l'état social, indispensable évidemment, autrement qu'en taxant le travail et les bénéfices des entreprises, c'est-à-dire en faisant dépendre le financement de l'état social d'une croissance continue.
00:25:02Je crois qu'il faut être plus imaginatif dans la manière dont on mobilise les ressources et il faut aller vers une conception de la lutte contre l'exclusion sociale qui ne se contente pas d'augmenter les possibilités de consommation matérielle.
00:25:16Mais qui passe aussi par des dispositifs comme la réduction du temps de travail permettant aux gens d'acquérir des nouvelles compétences dans leur temps libéré.
00:25:27Qui passe par une réduction des inégalités de salaire pour limiter le sentiment d'exclusion sociale, même si tout le monde ne peut pas avoir une villa ou une résidence secondaire.
00:25:40Que ça soit moins une source de frustration parce qu'on aura réduit les inégalités. Donc il faut autre chose qui nous permette de nous dispenser d'une croissance infinie qui n'est plus tenable.
00:25:49Évidemment il y a cette schizophrénie des ODD, des objectifs de développement durable. D'un côté réduire la pauvreté, de l'autre augmenter la croissance.
00:25:58Et je pense que c'est là où on se retrouve dans ce moment pivot où on se dit que c'est peut-être le bon moment d'infiltrer cette nouvelle vision du monde.
00:26:09Parce qu'au final ça reste une vision du monde. Et la deuxième chose aussi c'est de comprendre que les inégalités sont également un frein pour la transformation écologique.
00:26:18Et c'est une chose qu'on ne souligne pas assez. C'est-à-dire que même si on voulait réduire notre impact environnemental, la manière la plus facile de le faire c'est d'abord réduire les inégalités.
00:26:30Et après ça sera beaucoup plus facile de le faire. Et ça je trouve que c'est tellement puissant et tellement poétique de se dire que d'une pierre deux coups mais de la meilleure manière possible.
00:26:40Oui donc d'abord sur le moment effectivement les Nations Unies vont devoir adopter des nouveaux objectifs de développement pour la période 2030-2045.
00:26:49Les négociations démarrent dès 2024 avec un sommet pour le futur des Nations Unies de 23-24 septembre 2024 qui seront un moment très important.
00:27:00Et ma conviction et mon espoir c'est que nous devons être prêts pour cette date avec un scénario alternatif.
00:27:07Et pour moi très honnêtement l'indicateur que représente le PIB, le Produit Intérieur Brut devrait être laissé de côté.
00:27:17Moi je suis agnostique par rapport à ces indicateurs. Je pense que c'est devenu un totem depuis son invention par Simon Kusnet dans les années 30.
00:27:26Et c'est très bien si en passant devant ce totem on s'incline docilement pour montrer le respect qu'on lui porte.
00:27:33Mais qu'on arrête de focaliser tous nos efforts pour satisfaire ce monstre avide qu'est le PIB.
00:27:41Ce qui est intéressant c'est est-ce que les enfants peuvent aller à l'école ? Est-ce que les gens se sentent inclus dans leur communauté ?
00:27:50Est-ce qu'on développe des liens de convivialité au sein du quartier ? Est-ce qu'on vit en bonne santé ?
00:27:57Et est-ce qu'on a accès aux biens et services qui permettent d'avoir une vie digne d'être vécue ?
00:28:03Tout ça est très important. Et pour tout cela il faut faire des investissements, il faut augmenter certaines choses.
00:28:09Les investissements dans l'enseignement, dans la santé, dans les transports publics, dans les pistes cyclables.
00:28:16Et puis il faut faire décroître bien d'autres choses. Les énergies fossiles, la voiture individuelle, etc.
00:28:23Et l'impact sur le PIB m'est indifférent. Ce qui m'intéresse c'est la vie concrète des gens.
00:28:28Le deuxième point de la réduction des inégalités comme outil de transformation écologique.
00:28:33Effectivement je crois que c'est vraiment essentiel et comme tu l'as dit cela permet de toucher deux cibles à la fois.
00:28:41A la fois la réduction des inégalités est par définition, il n'y a pas besoin même de s'en expliquer,
00:28:47une manière de lutter contre l'exclusion sociale qui résulte non pas seulement de ce qu'on n'arrive pas à se chauffer et à manger décemment
00:28:52mais aussi de ce que l'écart de revenu augmente entre les plus riches et les plus pauvres dans la société.
00:28:57Mais c'est aussi une manière de favoriser la transformation écologique. Pourquoi ? Pour trois raisons.
00:29:02D'abord parce que si on a des inégalités dans la société qui sont importantes,
00:29:07les ressources que la société a à sa disposition vont d'abord satisfaire la demande exprimée par les plus riches grâce au pouvoir d'achat qui est le leur.
00:29:16Et on va continuer d'exploiter les minerais, de polluer les sols et les nappes phréatiques et d'émettre des gaz à effet de serre
00:29:27pour satisfaire les désirs frivoles des riches simplement parce qu'ils peuvent payer.
00:29:32N'oublions jamais que le marché répond à la demande exprimée en pouvoir d'achat et pas aux besoins.
00:29:37Les besoins des personnes en pauvreté ne comptent pas pour le marché parce qu'il n'y a pas de demande solvable à satisfaire.
00:29:43Donc c'est une première raison pour laquelle il faut réduire les inégalités pour que, au fond,
00:29:48l'on fasse des ressources rares à notre disposition, une utilisation plus efficiente, répondant aux vrais besoins.
00:29:53La deuxième raison pour laquelle c'est important de lutter contre les inégalités,
00:29:57c'est parce que les modes de consommation sont influencés par ces inégalités.
00:30:04Si on est dans une société fortement inégalitaire, on va consommer pour imiter le mode de vie des plus riches
00:30:13auquel on aspire à ressembler, y compris si ça débouche sur des consommations complètement déraisonnables
00:30:20du point de vue des impacts environnementaux.
00:30:23On va vouloir avoir le smartphone dernier cri, on va vouloir avoir une voiture plus puissante,
00:30:30on va vouloir avoir une résidence secondaire, etc.
00:30:32Et tout ça pour rester dans la course, je dirais, au statut social.
00:30:37Donc c'est pour cette deuxième raison-là aussi qu'il faut lutter contre les inégalités.
00:30:40C'est que cela limite la tentation de la consommation que Thorsten Veblen appelait consommation ostentatoire.
00:30:47Il y a une troisième raison de lutter contre les inégalités, sur laquelle ta question mettait plus précisément l'accent,
00:30:53c'est que si on a des grandes inégalités, on a une élite économique qui va s'opposer au changement
00:31:00et qui va pouvoir traduire ou convertir sa position dominante dans l'économie en influence politique.
00:31:10C'est ce que montrent des auteurs comme Joseph Stiglitz, par exemple, ou d'autres.
00:31:17Un économiste comme Luigi Zingales parle du cycle des Medici, en référence à la famille des Medici dans la Florence du XVIe siècle,
00:31:29où le pouvoir économique sert à influencer les décisions politiques,
00:31:34et on va influencer ces décisions politiques pour renforcer sa position économique.
00:31:38Et c'est vrai qu'on est dans une économie de plus en plus de rentiers, où les entreprises qui florissent,
00:31:45celles dont la marque est connue sur les six continents,
00:31:51vont utiliser son pouvoir de frappe économique pour obtenir que le système réglementaire joue en sa faveur.
00:32:01Et ça, ça devient extrêmement pervers, parce que ça veut dire que plus on est une entreprise importante et puissante,
00:32:09et plus on va pouvoir renforcer encore ses positions dominantes.
00:32:13Et ça, ça me paraît extrêmement problématique. Et les inégalités, c'est cela aussi.
00:32:16C'est permettre à un petit nombre d'acteurs très puissants de contrôler la décision politique au détriment de l'autodétermination démocratique.
00:32:23On comprend très bien que les inégalités sont au centre,
00:32:27on comprend très bien qu'il nous faut une meilleure compréhension,
00:32:30une meilleure utilisation de diverses facettes pour comprendre la pauvreté, pour la combattre.
00:32:38En tant que rapporteur, comment on sonde les personnes ?
00:32:43Comment on aperçoit ce qui se passe dans le monde ?
00:32:45Quel est le rôle d'un rapporteur spécial ? Et comment on interagit avec le monde, au final ?
00:32:50Mon rôle est modeste, c'est un rôle de passeur.
00:32:54Les Nations Unies m'ont mandaté pour faire rapport sur la question des droits humains et l'extrême pauvreté.
00:33:02Et ça veut dire concrètement que je consulte d'abord des scientifiques, des experts,
00:33:07qui très souvent font des travaux remarquables, très bien informés, des graphiques très parlants,
00:33:16mais ils ne sont pas lus, ils ne sont pas compriss, ils sont ignorés des décideurs politiques.
00:33:21Et mon souci est là de traduire en termes de recommandations politiques ce qui ressort de leurs papiers scientifiques.
00:33:27Et puis, je travaille beaucoup avec des personnes en pauvreté,
00:33:29parce que leur expérience vécue est essentielle à comprendre pourquoi les politiques plus descendantes,
00:33:37top-down, technocratiques, échouent.
00:33:39C'est parce qu'on ne comprend pas les obstacles très concrets que ces personnes vivent.
00:33:42Par exemple, on a des politiques sociales dont ces personnes ne vont pas bénéficier
00:33:47parce qu'elles n'ont pas un bon accès à Internet, parce qu'elles n'ont pas les informations requises,
00:33:51parce qu'elles ne peuvent pas réunir les documents administratifs requis pour obtenir telle aide sociale, etc.
00:33:56Travailler avec ces personnes, c'est la seule manière de comprendre pourquoi il y a des trous dans la requête,
00:34:03pourquoi les meilleures intentions ne se traduisent pas dans les changements concrets pour ces personnes.
00:34:09Le troisième public, c'est les médias qui ont un rôle tout à fait important pour poser les bonnes questions au gouvernement
00:34:17et pour informer l'opinion publique afin que celle-ci puisse choisir en connaissance de cause
00:34:25quelle politique appuyer ou au contraire condamner.
00:34:29Et mon souci est donc d'écouter les personnes en pauvreté, de travailler avec elles,
00:34:35d'écouter les scientifiques, de travailler avec eux, de travailler avec les médias pour m'assurer
00:34:41que la parole des personnes en pauvreté et des scientifiques soit répercutée là où elle importe
00:34:46et enfin que les gouvernements écoutent.
00:34:50Donc je suis un passeur, simplement, et je fais des rapports qui obligent les gouvernements
00:34:56à écouter ce que les scientifiques et les personnes en pauvreté disent sous la pression des médias.
00:35:02Oui, oui, c'est essentiel, évidemment. Je me rends compte comment, malheureusement,
00:35:09si les choses étaient bien faites, nos métiers de vulgarisateurs, de passeurs ne devraient pas être là
00:35:14mais on voit aujourd'hui que c'est nécessaire plus que jamais.
00:35:19On va passer au volet solutions parce que je pense que souvent il y a aussi ce sentiment d'impuissance
00:35:24une fois qu'on a entendu qu'on est assommé par la catastrophe écologique, la catastrophe sociale aujourd'hui.
00:35:32Petite pause avant la prochaine partie. Si vous appréciez ce podcast indépendant,
00:35:42vous pouvez me soutenir sur Tipeee, le lien est en description ci-dessous.
00:35:46N'hésitez pas également à vous abonner et laisser un commentaire, cela nous aide énormément à toucher de nouvelles personnes.
00:35:51Merci encore et place à la suite.
00:35:53Ça paraît un chantier immense, colossal, mais il existe des solutions qui permettent d'attaquer
00:36:00de manière systémique ces enjeux-là.
00:36:03Pourquoi est-ce que la tâche nous paraît tellement difficile ? Je crois que c'est en grande partie
00:36:08parce qu'on a voulu opposer deux combats progressistes, l'un pour l'environnement et l'autre pour la justice sociale.
00:36:18Cette fragmentation s'est traduite parfois en une concurrence, ce qu'on traduit commodément par la fin du monde, la fin du mois.
00:36:26C'est absolument nécessaire de dépasser cette opposition.
00:36:31Ma conviction et tout mon combat, c'est que la transformation écologique incontournable,
00:36:38indispensable pour garantir les conditions d'une viabilité de la planète à l'avenir,
00:36:43cela peut contribuer à la justice sociale pourvu qu'on la conçoive bien.
00:36:48Mon souci est donc de réunir au sein d'un arc progressiste large les hommes et les femmes
00:36:56qui se mobilisent sur le climat, la préservation de la biodiversité, etc.,
00:37:00et celles et ceux qui se mobilisent pour les droits des travailleurs et travailleuses
00:37:04et la protection sociale les plus précaires.
00:37:08C'est cette alliance qui permettra vraiment de changer les choses,
00:37:12parce que du côté des gouvernements, on a tendance à dire qu'on ne peut pas avancer vers la transformation écologique
00:37:20parce que les gens n'en veulent pas, les gens ont peur, ils ont peur de perdre de bien-être,
00:37:24de devoir faire des sacrifices, de renoncer à l'écologie punitive.
00:37:28C'est simplement pour rappeler un peu le défi qui nous est posé.
00:37:32Or, je pense que la raison de cette fragmentation et de cette concurrence des luttes,
00:37:38c'est que l'on a parfois conçu la transformation écologique sans tenir compte de ses dimensions sociales.
00:37:46Par exemple, une fiscalité qui pénalise l'usage de produits polluants
00:37:52sans avoir égard au fait que les ménages en pauvreté vont être impactés par, par exemple,
00:37:58l'introduction d'une taxe carbone qui rend plus cher l'usage de l'énergie, par exemple, ou le fuel.
00:38:07Ou bien en imposant des zones à faible émission dans les villes,
00:38:11ce qui part évidemment d'une bonne intention et qui est essentielle pour la qualité de l'air qu'on respire,
00:38:17mais qui a été parfois vu comme, voilà, excluant les personnes plus précarisées de la possibilité d'utiliser leur véhicule polluant,
00:38:26qu'elles ne pouvaient pas renouveler, et les primes aux véhicules électriques n'ont aucun sens pour ces personnes
00:38:30qui, même avec une prime, ne pourront jamais se payer une voiture électrique.
00:38:33Parce qu'elles habitent loin, parce qu'elles n'arrivent pas à avoir le loyer du centre-ville, enfin voilà, c'est exacerbé.
00:38:37Donc on a commis ces erreurs, je pense.
00:38:40Et ajouté à cela, on a commis l'erreur d'avancer dans ces transformations écologiques
00:38:47de manière très, parfois, technocratique, descendante, top-down, comme on dit en anglais,
00:38:54alors que si l'on avait associé les personnes en pauvreté à identifier des solutions
00:39:00en comprenant les obstacles concrets qu'elles rencontrent et les attentes qui sont les leurs,
00:39:05on aurait pu non seulement éviter ces erreurs, construire une légitimité dans l'action de transformation écologique,
00:39:12mais en plus, on aurait pu être beaucoup plus imaginatif, parce que ces personnes ont des solutions à proposer.
00:39:18Et donc de là vient cette idée, effectivement, de ces mesures à triple dividende,
00:39:25qui sont simplement une autre manière de concevoir la transformation écologique,
00:39:30en tenant compte du besoin d'en faire un levier de justice sociale.
00:39:34Alors ça veut dire quoi, mesures à triple dividende ?
00:39:36Ça veut dire que les mesures de transformation écologique qu'il faut ériger en priorité
00:39:41devraient idéalement répondre à trois conditions.
00:39:43Un, elles doivent évidemment permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre,
00:39:48de ralentir l'érosion de la biodiversité, de préserver la santé des sols et des nappes phréatiques, etc.
00:39:54Donc il faut qu'elles soient environnementalement une contribution positive.
00:39:58Deuxièmement, il faut qu'elles créent des emplois.
00:40:01On a souvent misé, y compris dans les investissements de recherche et développement,
00:40:05sur des technologies qui, au contraire, réduisent la nécessité de l'emploi.
00:40:10Et on a des technologies qui, en fait, détruisent de l'emploi
00:40:15et amènent à consommer plus d'énergie et moins de travailleurs et travailleuses,
00:40:19alors même qu'on fait face à un chômage structurel, donc c'est très curieux.
00:40:22Et puis troisièmement, ce sont des mesures qui doivent rendre les biens et services
00:40:26nécessaires à une vie décente abordables pour les ménages précaires.
00:40:30Et si une mesure répond à ces trois conditions, coche ces trois cases,
00:40:34elle doit, c'est en tout cas la proposition que je fais,
00:40:37elle doit être en tête de notre programme de transformation écologique et sociale.
00:40:41Et donc effectivement, des exemples, prenons le cas des bâtiments.
00:40:46Si on a un programme d'isolation des bâtiments,
00:40:49c'est une manière évidemment de lutter contre ces passoires thermiques
00:40:55qui sont une des sources principales des émissions de gaz à effet de serre.
00:40:59Donc cela coche la case numéro un écologique.
00:41:03Deux, cela permet de créer des emplois dans le secteur de la construction
00:41:06pour lesquels on peut former des gens et qui est un gisement d'emploi très important,
00:41:10non délocalisable en plus.
00:41:12Et troisièmement, c'est une manière de réduire la facture d'électricité,
00:41:16de chauffage des ménages qui sont protégés mieux contre le risque
00:41:21de devoir payer des factures élevées parce que le bâtiment qu'ils habitent est mal isolé.
00:41:26Donc voilà, ça c'est une mesure à triple dividende.
00:41:28Autre exemple, l'investissement en matière de mobilité,
00:41:32l'investissement dans les transports en commun.
00:41:34On peut vouloir satisfaire le droit à la mobilité en encourageant la voiture individuelle,
00:41:39mais on peut aussi investir dans les transports en commun.
00:41:42C'est, numéro un, réduire la pollution qui vient des voitures individuelles.
00:41:47Deuxièmement, c'est une manière de créer des emplois
00:41:50parce qu'il faut développer des infrastructures de transports en commun,
00:41:53il faut des conducteurs et des conductrices.
00:41:56Et troisièmement, c'est une manière de garantir le droit à la mobilité,
00:41:59même pour les ménages qui ne peuvent pas se payer de voitures individuelles.
00:42:02Et donc investir en transports en commun, ça coche ces trois cases.
00:42:05Je prends un troisième exemple qui, évidemment, m'est particulièrement cher,
00:42:10c'est l'agroécologie.
00:42:12L'agroécologie, c'est-à-dire la combinaison de différentes cultures
00:42:17associées à l'échelle de la parcelle pour réduire l'usage de pesticides,
00:42:21d'engrais chimiques, en faisant une utilisation simplement intelligente
00:42:25des ressources que la nature fournit.
00:42:28L'agroécologie, c'est à la fois une manière de réduire
00:42:31les polluants dégagés par l'agriculture industrielle,
00:42:34notamment les émissions de protoxyde d'azote liées aux engrais chimiques,
00:42:39mais aussi la consommation très importante d'énergie
00:42:44pour la fabrication de pesticides, etc.
00:42:46Donc écologiquement, il va de soi que l'agroécologie est désirable,
00:42:49mais en plus, l'agroécologie est une manière de pratiquer l'agriculture
00:42:53qui crée de l'emploi dans le secteur agricole.
00:42:56Et troisièmement, c'est une manière de s'assurer
00:43:00que l'alimentation de qualité, saine, sera démocratisée
00:43:06si on investit davantage dans l'agroécologie pour la rendre plus abordable.
00:43:09Alors qu'aujourd'hui, les produits bio sont réservés à une petite élite
00:43:13parce qu'ils sont beaucoup plus chers.
00:43:15Donc voilà, ça c'est le type de mesures qui me paraissent importantes,
00:43:18c'est ça que j'appelle effectivement les mesures à triple dividende.
00:43:21Je me souviens, il y a Juan Martínez Salier
00:43:24qui parle beaucoup de l'écologie des pauvres.
00:43:29Parce que souvent, en effet, entre nous on est convaincus,
00:43:33souvent beaucoup de personnes accusent certains et certaines écologistes
00:43:38d'être une écologie des riches, c'est les bobos,
00:43:42on va prendre notre véhicule électrique et on va se délester des problèmes.
00:43:47Alors que plusieurs chercheurs et chercheuses soulignent
00:43:51que les personnes qui se battent le plus pour l'environnement
00:43:53sont les personnes les plus pauvres aussi aujourd'hui.
00:43:56Je pense qu'il ne faut pas...
00:43:58On nommer c'est aussi je pense un problème,
00:44:02parce que quand c'est loin de nous, on oublie.
00:44:05Mais dans beaucoup d'endroits, que ce soit en Amérique latine,
00:44:09mais que ce soit en Asie du Sud-Est,
00:44:11les personnes les plus pauvres sont aussi celles
00:44:13qui se battent le plus pour l'environnement.
00:44:15Et je pense qu'ici on l'oublie.
00:44:18Ce serait peut-être un moyen de se dire,
00:44:21cette convergence des luttes et cette convergence d'intégrer les syndicats,
00:44:25d'intégrer d'autres acteurs qui ne sont souvent pas dans cette coalition.
00:44:31Et je pense que c'est vraiment quelque chose
00:44:33qu'on aurait tous à y gagner en convergent les forces.
00:44:38Mais c'est aussi peut-être quelque chose
00:44:41que le progrès social n'a pas eu par le passé.
00:44:44C'est-à-dire que le progrès social était très productiviste aussi par le passé.
00:44:48Donc il y a beaucoup de réimagination à faire là-dedans, j'ai l'impression.
00:44:51Je crois qu'il y a deux points à souligner là-dedans.
00:44:55Le premier, c'est que si on met l'accent dans la transformation écologique
00:45:02sur la démocratisation de la prise de décision d'une part
00:45:05et sur la réduction des inégalités d'autre part,
00:45:08on peut effectivement rendre le discours écologique
00:45:13beaucoup plus audible qu'il ne l'a été jusqu'à présent auprès des classes dominées.
00:45:19Ça me paraît extrêmement important.
00:45:21Parmi les dimensions cachées de la pauvreté
00:45:24auxquelles on faisait allusion tout à l'heure,
00:45:26qu'Athélie Carmonde met en lumière,
00:45:28il y a cette plainte des personnes en pauvreté
00:45:31que leurs contributions à la société ne sont pas valorisées.
00:45:34Leur expérience n'est pas considérée comme digne d'intérêt.
00:45:37Elles ne sont pas associées à la prise de décision
00:45:39parce qu'elles ne sont pas considérées comme expertes.
00:45:41Mais en fait, elles sont expertes.
00:45:43Elles savent très bien ce que c'est que de réparer, de réutiliser.
00:45:48Elles savent ce que c'est que de partager
00:45:50et comment des liens de solidarité à l'échelle du quartier
00:45:53peuvent compenser l'absence de revenus dans certaines situations de crise, etc.
00:45:57Et elles savent exactement quelles sont les pratiques à suivre
00:46:01pour limiter sa consommation.
00:46:03Donc ce sont des personnes très expertes, en fait,
00:46:06dont on aurait tort de se priver de l'expertise.
00:46:08Et donc la démocratisation de la prise de décision
00:46:11qui, au lieu d'être réservée à un petit groupe d'experts
00:46:17conseillant les gouvernements,
00:46:19serait en fait le résultat d'une beaucoup plus large délibération au sein de la société,
00:46:25ça me paraît très important.
00:46:26Et là, effectivement, les syndicats, les associations de lutte contre la pauvreté,
00:46:31les personnes en pauvreté elles-mêmes, peuvent s'y reconnaître.
00:46:33Parce que ce serait une manière de compenser le risque de capture
00:46:36de la décision politique par les grands acteurs économiques.
00:46:39Deuxièmement, si on met au centre de la transformation écologique,
00:46:43comme on l'évoquait tout à l'heure,
00:46:45la réduction des inégalités,
00:46:47évidemment les syndicats, les travailleurs et travailleuses précarisés,
00:46:51les personnes ayant les plus bas salaires, peuvent s'y retrouver.
00:46:55Elles peuvent voir leur intérêt dans une politique de société
00:47:00qui viserait à aplatir les salaires,
00:47:03c'est-à-dire à réduire les salaires les plus élevés
00:47:06et augmenter les salaires les plus bas,
00:47:08parce que, évidemment, cela rejoint le combat syndical
00:47:12et de justice sociale depuis son origine.
00:47:14Malheureusement, le discours écologique n'a pas à l'origine
00:47:17été conçu dans cette direction-là,
00:47:20mais je crois que c'est dans ces directions-là qu'il faudrait que nous allions.
00:47:23Et c'est à ces conditions-là qu'on peut créer ce front progressiste
00:47:28qui me paraît important pour que le rapport de force s'inverse.
00:47:32On peut juste parler de l'agroécologie, en effet,
00:47:37parce que ça me semble, au plus je retourne la question,
00:47:41la nourriture, l'alimentation semblent être, en effet,
00:47:45peut-être le besoin primaire pour l'humanité
00:47:49et aussi pour en sortir de la pauvreté,
00:47:51parce qu'on se rend compte que la possibilité d'avoir un lopin de terre
00:47:57pour pouvoir créer sa propre nourriture
00:47:59reste quelque chose que beaucoup de personnes ont été dépossédées.
00:48:03C'est assez intéressant.
00:48:04Il y a évidemment ces rapports d'Oxfam,
00:48:06mais aussi plusieurs chercheuses et chercheurs ont fait ces mêmes travaux
00:48:09de disparité de revenus et d'empreintes écologiques,
00:48:13enfin d'empreintes carbone.
00:48:15Cette personne, Diana Ivanova, avait fait ça pour l'Europe
00:48:18avec certains collègues.
00:48:19Elle montrait que les personnes les plus précaires,
00:48:22donc les revenus, les 5% les plus pauvres,
00:48:25dépensaient déjà, c'était un vingtième des revenus
00:48:30des 1% les plus riches ou 5% les plus riches en Europe.
00:48:34C'était même moins qu'un vingtième, c'était minuscule.
00:48:37Mais la majorité de leurs empreintes carbone,
00:48:40c'était pour se nourrir.
00:48:42Et j'ai l'impression que se nourrir,
00:48:44on ne se rend pas compte de l'importance que ça prend
00:48:47quand on réfléchit également quant à l'accaparement des terres,
00:48:52quand on regarde cette injustice au niveau un peu plus mondial,
00:48:56quand on regarde le droit à l'alimentation,
00:48:58comment celle-ci, c'est au fait des grands joueurs de l'alimentation,
00:49:03on voit que peut-être en commençant par cette porte d'entrée,
00:49:07on pourrait résoudre plein de problèmes, j'ai l'impression.
00:49:12Je ne sais pas si c'est une des conclusions
00:49:14de ces 4-5 années de rapporteurs sur l'alimentation
00:49:19et sur le droit à l'alimentation.
00:49:20Deux choses sont très claires à mes yeux.
00:49:22La première, c'est que oui, les systèmes alimentaires
00:49:26ont un impact très largement sous-estimé et mal compris
00:49:30sur notamment le changement climatique.
00:49:32Et ça devrait être une priorité absolue.
00:49:35On estime que les systèmes alimentaires,
00:49:37c'est 30% des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine.
00:49:41C'est énorme.
00:49:42Alors, on ne comprend pas ce chiffre souvent,
00:49:45parce qu'on se dit mais l'agriculture en tant que telle,
00:49:47c'est seulement 12%, c'est vrai.
00:49:49Mais quand je parle de systèmes alimentaires,
00:49:52je parle non seulement de l'agriculture,
00:49:53ce qui se passe sur la parcelle agricole cultivée,
00:49:56mais c'est aussi la préparation des engrais, des pesticides,
00:50:00c'est l'empactage, la transformation des aliments,
00:50:05le transport des aliments sur des longues distances, etc.
00:50:07Donc au total, c'est 30%.
00:50:09C'est très considérable.
00:50:10Et donc changer notre manière de nous alimenter
00:50:14en favorisant les circuits courts,
00:50:16la consommation de produits de saison,
00:50:19en réduisant notre consommation de viande
00:50:23qui se traduit par une utilisation très déraisonnable
00:50:28des terres et de l'eau disponibles,
00:50:31notamment pour les cultures de fourrage,
00:50:33il y a beaucoup de réformes vers lesquelles on peut aller
00:50:35pour que l'alimentation voie son empreinte écologique
00:50:39significativement réduite.
00:50:41Et d'ailleurs, l'agroécologie qui veut préserver
00:50:45ou améliorer la santé des sols
00:50:47permettra aussi aux sols de fonctionner mieux
00:50:50comme puits de carbone
00:50:51et donc d'absorber une grande partie des émissions
00:50:54de dioxyde de carbone que nos modes de vie
00:50:57émettent dans l'atmosphère.
00:50:59Donc c'est un chantier absolument clé
00:51:02dans la recherche de sociétés bas carbone,
00:51:06durables, que de travailler sur les systèmes alimentaires
00:51:10et de promouvoir l'agroécologie.
00:51:12La deuxième chose qui me paraît très claire,
00:51:14c'est que l'argument consistant à dire
00:51:18ça va rendre l'alimentation plus chère,
00:51:21moins abordable donc pour les ménages précarisés,
00:51:24est un argument qui sonne de plus en plus faux.
00:51:26En fait, ce sont ces ménages-là
00:51:29qui sont aujourd'hui victimes de la malbouffe,
00:51:31à qui on ne propose pas d'autre option
00:51:35qu'une alimentation fortement transformée
00:51:38avec beaucoup d'additifs,
00:51:39ayant voyagé sur de longues distances,
00:51:42dont les nutriments ont été largement éliminés
00:51:46par des processus de transformation industrielle.
00:51:48Et ce sont ces ménages-là
00:51:51qui sont aujourd'hui les plus grandes victimes
00:51:55de l'obésité, des maladies cardiovasculaires
00:51:59et des diabètes de type 2 qui sont associés à l'obésité.
00:52:02Et donc, ce sont des victimes
00:52:05de cette alimentation industrielle
00:52:07qui nous est proposée comme la solution.
00:52:09Donc ce qu'il faut, c'est effectivement
00:52:11généraliser l'agroécologie,
00:52:12aider les agriculteurs et les agricultrices
00:52:14à opérer cette transition.
00:52:16Ce n'est pas facile à faire,
00:52:18c'est très intensif en connaissance
00:52:21et ça demande beaucoup d'efforts.
00:52:23Ils doivent être accompagnés dans cette transformation.
00:52:26Mais si on fait les choses bien
00:52:28et si l'on récompense les agriculteurs et agricultrices
00:52:31pour être des acteurs du changement,
00:52:33cela peut rendre l'alimentation saine
00:52:37et de qualité abordable pour le plus grand nombre.
00:52:40Donc il faut aller vers autre chose.
00:52:43Il faut mieux récompenser l'agriculture paysanne
00:52:47pour les services environnementaux qu'elle rend
00:52:49de manière à démocratiser l'accès à l'alimentation saine
00:52:52et il faut en même temps, je crois,
00:52:56pénaliser l'agriculture industrielle
00:52:59quand elle pollue les sols, les nappes phréatiques
00:53:03et contribue à la catastrophe climatique.
00:53:06Il y a peut-être un dernier point
00:53:08avant de commencer à synthétiser notre épisode
00:53:10que je voudrais évoquer qui est
00:53:12ces deux notions de la norme de suffisance
00:53:16et également de ces activités
00:53:18qui s'appellent les flow state activités.
00:53:22J'ai du mal à les traduire en français.
00:53:25Je pense que c'est aussi important
00:53:29dans ce changement d'imaginaire,
00:53:32c'est le quotidien qui des fois nous échappe.
00:53:35C'est-à-dire, si on arrête de consommer,
00:53:38que fait-on alors ?
00:53:40Quel est le rebranchement,
00:53:43les reconnections neuronales que nous devons effectuer ?
00:53:46Comment on peut au quotidien contribuer également ?
00:53:50Encore une fois, mon but n'est évidemment pas
00:53:52de déresponsabiliser les États et les entreprises,
00:53:55c'est plutôt de se dire aussi
00:53:57comment nous-mêmes on peut commencer
00:53:59à être acteurs et actrices de changement
00:54:01par nos actions et par une demande moindre,
00:54:04donc une notion de sobriété voulue,
00:54:07heureuse, une norme de la suffisance
00:54:10et certaines activités qui peuvent promouvoir ça.
00:54:13Je crois que c'est essentiel
00:54:15et c'est d'autant plus essentiel
00:54:18qu'il y a une sorte de jeu
00:54:21de ping-pong très pervers
00:54:24entre les acteurs individuels,
00:54:26les hommes et les femmes dans la société d'une part
00:54:29et les politiques d'autre part,
00:54:31où les hommes et les femmes individuels disent
00:54:34on aimerait bien changer,
00:54:36mais les politiques doivent nous y aider,
00:54:38les politiques disent non, non,
00:54:40on ne va pas imposer aux gens des sacrifices,
00:54:42ils n'en veulent pas,
00:54:44on ne sortira pas de ce cercle vicieux
00:54:46sauf si des modes de vie
00:54:48peu à peu se développent au sein de la société
00:54:51qui permettent d'envoyer le message aux politiques
00:54:53que les gens sont prêts aux changements,
00:54:55pourvu que ces changements soient effectivement
00:54:57abordables, faciles
00:54:59et ça suppose effectivement des réformes politiques.
00:55:01Donc changer de mode de vie,
00:55:03ça peut être en fait très subversif
00:55:05et ça ne doit pas déresponsabiliser les politiques,
00:55:08ça doit au contraire les responsabiliser,
00:55:10leur adresser un message comme quoi
00:55:12les gens sont prêts, c'est eux qui sont en retard.
00:55:14Et c'est vrai que l'idée de normes de suffisance
00:55:19qui est invoquée par un nombre croissant
00:55:22de chercheurs et chercheuses,
00:55:24l'idée de ces activités,
00:55:26ces flow activities,
00:55:28qui sont les activités en fait
00:55:30qui sont de leur propre fin,
00:55:32qui ne sont pas des moyens au service d'une fin,
00:55:35c'est ça qui caractérise ces activités
00:55:37et dans lesquelles on est complètement absorbé
00:55:40parce qu'on y prend plaisir,
00:55:42comme quand on lit un bon livre
00:55:45ou quand encore mieux on écrit quelque chose
00:55:48ou quand on apprend de la musique
00:55:50ou quand on se balade en forêt avec des amis,
00:55:52tout ça ce sont des activités
00:55:54qui ne sont pas instrumentales,
00:55:56elles sont de leur propre fin.
00:55:58Et malheureusement la place de ces activités
00:56:00dans nos existences s'est réduite,
00:56:03l'on travaille beaucoup
00:56:05et quand l'on ne travaille pas,
00:56:06l'on consomme en général
00:56:08parce que l'on n'a pas assez d'imagination
00:56:10et peut-être de culture
00:56:12pour avoir des activités
00:56:13qui sont leur propre fin.
00:56:15On étanche sa soif de délassement
00:56:18par une consommation matérielle en fait
00:56:20et pour financer celle-ci il faut travailler.
00:56:22Donc on est pris dans ce cycle travail-consommation
00:56:24qui est très problématique.
00:56:26Alors moi je crois qu'une clé
00:56:28pour comprendre comment on peut aller vers
00:56:31une société beaucoup plus attentive
00:56:35à l'usage qu'on fait de son temps
00:56:37et pour que ces activités, flow activities,
00:56:39se voient connaître la place qu'elles méritent,
00:56:41c'est le travail du philosophe et sociologue
00:56:43Hartmut Rosa sur la résonance
00:56:46comme remède à l'accélération
00:56:48de nos modes de vie.
00:56:50En substance, que dit Hartmut Rosa ?
00:56:52Il nous dit que nous avons été entraînés
00:56:54à voir la nature qui nous entoure
00:56:57comme une ressource à exploiter
00:56:59et les hommes et les femmes que l'on croise
00:57:01comme des outils au service
00:57:04de notre propre projet de vie.
00:57:06On est dans une rationalité instrumentale
00:57:09dans nos rapports sociaux
00:57:10comme dans notre rapport à la nature,
00:57:12aux écosystèmes.
00:57:13Et au lieu de cela, nous dit-il,
00:57:15à juste titre je crois,
00:57:16il faut nous placer dans une attitude de résonance,
00:57:19c'est-à-dire accepter d'être émus par les autres,
00:57:22d'être bouleversés par ce qu'ils nous disent d'eux-mêmes,
00:57:25accepter d'être touchés par la nature,
00:57:28constatant qu'on est partie de la nature
00:57:30et que l'on est en dialogue avec elle
00:57:32plutôt qu'elle ne soit simplement un arrière-plan
00:57:35sur le fond duquel on déploie nos activités
00:57:37ou pire encore, une ressource à exploiter.
00:57:39Et donc, il y a là quelque chose
00:57:41comme une attitude d'ouverture au monde
00:57:43avec tous les risques que cela implique,
00:57:45y compris d'être touchés et bouleversés
00:57:47par ce qu'on voit s'affaisser dans la nature
00:57:50ou par le regard que l'on échange avec un autre
00:57:54ou une autre.
00:57:56Et donc, je crois que c'est cette démarche-là
00:57:58à laquelle, pour conclure, moi je voudrais appeler.
00:58:01Je crois qu'une société fondée sur la résonance
00:58:03est une société qui sera beaucoup plus écologiquement soutenable
00:58:06et où la transformation vers des modes de vie
00:58:09plus simples, plus sobres,
00:58:11sera en fait aussi plus apaisante
00:58:13et sera très bien vécue
00:58:15dès lors qu'on aura ce remède de la résonance.
00:58:18Donc, mon travail actuel porte sur la question
00:58:20de savoir comment l'État peut favoriser
00:58:24l'émergence de cette résonance.
00:58:26Aujourd'hui, que fait l'État
00:58:28au nom de la recherche de la croissance ?
00:58:30Il nous oblige à être
00:58:32des travailleurs et travailleuses très productifs.
00:58:35Il nous oblige à consommer
00:58:37pour stimuler la machine économique
00:58:39et pour être sûr que la demande ne s'affaisse pas
00:58:41et lissant ainsi les cycles économiques.
00:58:45Que serait un État qui nous inciterait
00:58:47à libérer du temps
00:58:49pour les activités amicales et amoureuses,
00:58:52pour prendre soin des communs,
00:58:54pour nous engager dans la vie civique
00:58:57et construire des initiatives avec les gens dans le quartier ?
00:58:59C'est ça, au fond,
00:59:01la recherche de quoi je suis.
00:59:03Et c'est cela, me semble-t-il,
00:59:05l'État auquel on doit aspirer.
00:59:08Pour conclure, en général,
00:59:10j'essaye de synthétiser un peu ce que nous avons dit
00:59:12parce qu'évidemment, on a traité de la pauvreté,
00:59:15on a traité des inégalités.
00:59:17Comme les inégalités peuvent être un obstacle
00:59:19pour la transformation écologique,
00:59:21on a proposé certaines mesures.
00:59:23Je pense qu'il est important de souligner
00:59:25qu'il y a eu beaucoup d'acquis sociaux
00:59:28qui ont été offerts à nous
00:59:31via la croissance.
00:59:33Pendant 40-50 années,
00:59:36il y a eu beaucoup de personnes
00:59:38qui sont quand même sorties d'une pauvreté
00:59:41grâce à une certaine croissance.
00:59:43Il faut comprendre que c'est difficile
00:59:45de parler de ces questions
00:59:47à des personnes qui n'ont pas atteint
00:59:49cet acquis social.
00:59:51Et ce n'est pas vers ces personnes
00:59:53qu'on essaye de dire qu'il faut réduire
00:59:55leur salaire pour en y arriver.
00:59:58Je sais qu'entre nous, on se comprend,
01:00:00mais je pense que c'est important
01:00:02de souligner que dans l'idée,
01:00:04c'est plutôt écraser par le haut
01:00:06que faire quelque chose
01:00:08et de repousser par le bas vers le haut.
01:00:11Ce n'est pas à tout le monde
01:00:13de faire les mêmes efforts.
01:00:15Ce n'est pas les mêmes efforts
01:00:17qui sont demandés pour toutes et tous.
01:00:19Mais je pense que tout pourrait converger.
01:00:25Réduction des inégalités
01:00:27et transformation écologique.
01:00:29Comment on peut synthétiser
01:00:31ces derniers points ?
01:00:33C'est en lisant les commentaires
01:00:35des personnes qui nous écoutent
01:00:37et qui nous regardent
01:00:39que je sens qu'il y a des frustrations.
01:00:41Mais est-ce qu'on peut synthétiser
01:00:43ce qu'on a dit pour les personnes
01:00:45qui nous écoutent ?
01:00:47Il faut sortir du XXe siècle.
01:00:49Le XXe siècle a été un siècle
01:00:51au cours duquel la croissance
01:00:54et le champ politique
01:00:56a été divisé
01:00:58entre une gauche et une droite
01:01:00qui s'opposaient sur la manière
01:01:02de créer la croissance
01:01:04avec, si vous voulez,
01:01:06responsabilité budgétaire,
01:01:08orthodoxie dans la gestion
01:01:10des déficits publics d'un côté
01:01:12et stimulation de la croissance
01:01:14par la demande dans les solutions
01:01:16keynésiennes de l'autre.
01:01:18Mais le point commun
01:01:20de la droite comme de la gauche
01:01:22c'était qu'il faut créer la croissance.
01:01:24Et puis ils s'opposaient sur
01:01:26comment la répartir.
01:01:28C'était le fameux débat des années 1960
01:01:30sur la répartir, les fruits de la croissance.
01:01:32En gros on avait un compromis
01:01:34fourdiste où un tiers allait au salaire,
01:01:36un tiers allait aux actionnaires des entreprises
01:01:38et un tiers allait à l'État sous forme d'impôts
01:01:40permettant de financer les services publics.
01:01:42Et ça c'était le XXe siècle.
01:01:44Le XXIe siècle a besoin d'autres solutions.
01:01:46Parce que la croissance
01:01:48a sur l'environnement
01:01:50des effets pervers
01:01:52que plus personne aujourd'hui ne peut ignorer.
01:01:54Il y va de la viabilité même
01:01:56de la planète. Parce que
01:01:58la croissance est devenue contre-productive
01:02:00dès lors que les outils
01:02:02qu'on utilise pour la stimuler
01:02:04créent de l'exclusion sociale au lieu de la réduire.
01:02:06Et donc ce qu'il faut
01:02:08c'est un sursaut d'imagination politique.
01:02:10Cette imagination politique
01:02:12elle peut être, je crois, stimulée
01:02:14en misant sur les innovations
01:02:16sociales portées par
01:02:18les hommes et les femmes ordinaires à l'échelle parfois
01:02:20très micro du quartier
01:02:22ou de la ville. On a toute une série
01:02:24d'initiatives de transition en matière
01:02:26de coopératives citoyennes d'énergie,
01:02:28en matière de circuits courts,
01:02:30en matière d'alimentation, jardins potagers
01:02:32urbains, etc.
01:02:34Recyclage des
01:02:36déchets, partage de
01:02:38voitures pour une
01:02:40mobilité qui ne passe pas
01:02:42par l'obsession d'une voiture individuelle, etc.
01:02:44Il y a beaucoup de choses qui se font
01:02:46et qui cependant
01:02:48butent sur le fait que le cadre
01:02:50réglementaire et économique ne favorise pas cela.
01:02:52Et je connais par exemple beaucoup
01:02:54de municipalités qui aimeraient bien que
01:02:56les enfants aient des
01:02:58repas scolaires qui soient
01:03:00bio et de produits locaux
01:03:02mais ils ont du mal à avoir un cahier
01:03:04des charges qui soit conforme
01:03:06aux réglementations.
01:03:08Beaucoup d'initiatives
01:03:10de transition subissent
01:03:12des obstacles réglementaires
01:03:14variés que les niveaux
01:03:16supérieurs de gouvernance n'arrivent pas à lever.
01:03:18Et donc je crois que l'imagination
01:03:20politique pour aller vers une société post-croissance
01:03:22elle doit être
01:03:24stimulée en observant ce
01:03:26qui se fait déjà au niveau des traits locales,
01:03:28des initiatives portées par les citoyens
01:03:30et les citoyennes, les hommes et les femmes ordinaires
01:03:32qui inventent de nouvelles manières de produire
01:03:34et de consommer. Donc ça c'est mon espoir.
01:03:36Je crois que ça suppose un état plus modeste
01:03:38qui continue
01:03:40de travailler évidemment pour la justice
01:03:42sociale et l'état de providence doit être absolument
01:03:44préservé et même renforcé mais l'état
01:03:46doit aussi apprendre davantage, il doit se
01:03:48mettre à l'écoute, il doit créer des espaces
01:03:50dont les gens doivent pouvoir s'emparer pour proposer
01:03:52leurs propres solutions. Et c'est à cette condition-là
01:03:54je crois qu'on peut changer de cap.
01:03:56Je finis souvent en
01:03:58demandant que ça soit un livre,
01:04:00une initiative,
01:04:02un film, quelque chose
01:04:04qui permet un peu de continuer
01:04:06que ça soit cette stimulation
01:04:08de notre imaginaire, que ça soit
01:04:10un des enjeux que nous avons
01:04:12mentionné ou un des enjeux qu'on n'a pas eu le temps
01:04:14de mentionner. J'ai cité
01:04:16Hartmut Rosa et Hartmut Rosa
01:04:18est parfois très difficile à lire. Il a
01:04:20publié deux livres très importants
01:04:22Accélération et Résonance
01:04:24mais qui sont des grosses masses
01:04:26difficiles d'accès. Donc
01:04:28il faut se tourner plutôt vers
01:04:30des livres plus courts qu'il a
01:04:32publié, notamment
01:04:34Rendre le monde indisponible
01:04:36qui
01:04:38est beaucoup plus
01:04:40abordable, qui résume un peu
01:04:42sa pensée. Et l'idée
01:04:44qui est la sienne c'est que
01:04:46ce qui nous donne vraiment du plaisir dans la vie
01:04:48c'est ce qui est
01:04:50indisponible, c'est-à-dire ce dont nous n'avons pas
01:04:52la maîtrise complète
01:04:54mais qui nous charme
01:04:56quand ça nous arrive. Par exemple
01:04:58la chute de la neige
01:05:00qui
01:05:02blanchit les paysages
01:05:04c'est quelque chose d'absolument magnifique, d'absolument
01:05:06qui fait s'extasier
01:05:08les enfants que nous sommes
01:05:10mais c'est quelque chose qu'on ne contrôle pas, qu'on ne
01:05:12ne maîtrise pas. Et je crois que nous devons
01:05:14être attentifs à cela
01:05:16c'est aussi à condition
01:05:18d'être émerveillé
01:05:20et d'avoir ce regard d'enfant
01:05:22qu'on peut être des meilleurs gardiens
01:05:24de la nature et
01:05:26être en résonance avec elle. Donc voilà
01:05:28ce serait peut-être mon conseil de lecture pour terminer.
01:05:30Je sais que c'est un sujet
01:05:32difficile, n'hésitez pas à faire
01:05:34revenir vers nous vos vécus
01:05:36personnels pour que
01:05:38nous-mêmes on apprenne de vous
01:05:40et puis si vous voulez continuer dans ces sujets
01:05:42il y a deux épisodes que je peux vous recommander
01:05:44celui avec Dominique Méda sur le travail
01:05:46dans un monde post-croissance
01:05:48également Timothée Paré sur la société
01:05:50post-croissance. Donc merci beaucoup
01:05:52Olivier pour cette discussion. Avec grand plaisir !