Vendredi 28 juin 2024, SMART BOURSE reçoit Michel Ruimy (Économiste associé, SPAK)
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00:00Et dans le dernier quart d'heure de Smart Bourse, on vous propose de revisionner une interview de Michel Rumi, économiste associé chez SPAC.
00:18Il répondait le 26 avril dernier aux questions de Grégoire Favès sur Bismarck. Une interview qui portait sur les agences de notation. On regarde tout de suite.
00:31En fait, ce qu'il faut bien voir, c'est qu'il y a à peu près 130 agences de notation dans le monde. Mais bien sûr, on connaît les trois plus grandes,
00:38c'est-à-dire Fitch, Moody's et Standard & Poor's, qui détiennent à elles seules à peu près 90% du marché de la notation.
00:46Donc en ce sens, c'est pour ça qu'on les connaît très bien. Et en fait, afin de desserrer cette... Je dirais ma mise, cet oligopole, comme on l'appelle en économie,
00:56eh bien l'ABCE a récemment – c'était en novembre 2023 – agréé une agence européenne qui s'appelle Scope Ratings, qui est d'ailleurs dans le siège d'État berlin.
01:08Et donc du coup, ce qu'il faut voir, c'est que parmi ces 130, première des choses, il y en a très peu qui notent les souverains. Donc bien sûr, on entend les trois plus grandes.
01:19Alors ceci dit, c'est quoi ? C'est que première des choses, c'est que quand on prête, on a un risque. Et donc ce risque a un prix qu'on appelle prime de risque.
01:28Et l'idée, c'est que cette prime de risque va s'ajouter aux taux d'intérêt, on va dire, qui sont appliqués. Et donc une agence de notation, son rôle et sa mission, c'est...
01:40D'abord, c'est une entreprise privée – ce qu'il faut bien voir – qui va estimer la capacité d'un émetteur, aussi bien un État, une entreprise publique ou privée – ça peut être une ville éventuellement –
01:50à rembourser sa dette. Donc en quelque sorte, elle évalue de manière synthétique et statistique sa solvabilité. Et donc dans une certaine mesure, elle évalue cette prime de risque.
02:02Et ce qu'il faut voir, c'est que plus cette note est élevée et plus la probabilité de faire faillite est faible. D'accord. Mais ce qui est très important par rapport aux analystes financiers,
02:12c'est qu'il ne s'agit pas d'une recommandation, dans la mesure où c'est ni de recommandation d'achat ni de vente. Et donc devant cette impartialité, en fait, on s'aperçoit que ces agences de notation et notamment
02:26leur notation sont des marqueurs de marché et donc sont faits des références. Et donc dans une certaine mesure, on peut dire que les agences de notation sont des acteurs indirects de l'avenir,
02:37de certains acteurs économiques. – Qu'est-ce qui détermine la notation formée, formalisée par ces agences ? – Alors, première des choses, c'est que la notation financière n'est pas, je dirais,
02:50l'application ou des formules mathématiques comme ceci, etc. C'est une forme de prévision dont la pertinence va dépendre, en fait, de la situation conjoncturelle.
03:00Et donc, si on prend par exemple une entreprise, elle va s'appuyer sur des caractéristiques financières et économiques. Et première des choses, elle va s'attacher à avoir des paramètres quantitatifs.
03:12Ça va être le bilan, ça va être la capacité, je dirais, de générer des revenus, ça va être également la rentabilité financière. Et elle va comparer ces paramètres avec d'autres acteurs, je dirais, comparables.
03:26– Les pairs, on s'en appelle. – Exactement. Par contre, pour un État, ça va être le PIB, ça va être l'inflation, ça va être l'endettement public, ça va être d'autres paramètres macroéconomiques.
03:36Et puis également, il va y avoir des facteurs qualitatifs, notamment c'est la qualité de la gouvernance, on va dire aussi la responsabilité sociale de l'entreprise, etc.
03:46Et pour les États, ça va être la crédibilité des politiques engagées et surtout la soutenabilité et bien sûr la stratégie à venir.
03:55Et ce qu'il faut bien voir, c'est qu'en plus, parce que nous sommes dans un État souverain, eh bien il y a des paramètres plus globaux, par exemple, on va dire les tensions sociales éventuelles.
04:04C'est lorsque, on a parlé notamment de la France il y a quelques mois, eh bien on a pris en place, on va dire, c'est, je dirais, les tensions qui pouvaient juger sur le financement des retraites.
04:17– Dans quelles mesures ces notations sont-elles fiables ? Ou autrement dit, est-ce que ces notations sont faillibles dans une certaine mesure ?
04:28– C'est ça le fait, c'est que ces notations, d'abord, elles ne sont pas infaillibles, dans la mesure où, première des choses, elles varient au cours du temps
04:40et c'est surtout qu'elles s'appuient sur, on va dire, des évaluations humaines, donc qui sont soumises, on va dire, à des, je dirais, variations et surtout des erreurs.
04:49La première erreur, la plus remarquable, c'était il y a à peu près 15 ans, eh bien lorsqu'elles ont apprécié la situation de Lehman Brothers,
04:58elles ont considéré que cette banque était si grande que l'État ne pouvait pas ne pas soutenir cette, on va dire, cette banque systémique que j'utilisais.
05:07Et en fait, elles se sont ratées, entre guillemets, et c'est ça qui fait qu'on peut dire que c'est pas systématiquement quelque chose de rationnel.
05:17C'est sûr qu'il y a eu une décision prise au niveau notamment du Trésor américain sur Lehman qui, effectivement, a complètement balayé la notation,
05:25enfin, les arguments que les agences pouvaient avoir sur la notation de Lehman Brothers. Qu'est-ce que ça change d'être dégradé ?
05:31Alors, je rappelle, il y a un système de notation et souvent, on attache également des perspectives aux notations,
05:38donc on peut soit réévaluer la perspective qui est attachée à la notation, soit la notation elle-même. Qu'est-ce que ça change dans le cadre d'un État souverain, en l'occurrence, Michel ?
05:48— Alors, de manière générale, l'abaissement d'une notation et des perspectives, si vraiment elles sont négatives, va se caractériser par une remontée des taux d'intérêt.
05:58Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que c'est pas réglementaire. C'est en fait une relation de cause à effet, ce qui peut être logique dans la mesure où le prêteur peut se dire
06:07« Tiens, je prends un risque, donc ça serait bien de pouvoir rentabiliser », on va dire. Alors ce qui va se passer, c'est que ça va poser des problèmes pour le financement
06:17des politiques publiques. Ça va être aussi la capacité à saigner les finances publiques également et puis surtout à mener ses stratégies.
06:24Dans une certaine mesure, une dégradation amène aussi, je dirais, une perte de souveraineté, puisque je suis totalement dépendant des extérieurs, puisque par exemple
06:34dans le cas de la France, à peu près, il y a à peu près 55% à 60% de la dette qui est achetée par le reste du monde.
06:39— Par l'étranger ? — Oui, oui, par l'étranger. Et donc c'est pour cela que dans une certaine mesure, eh bien les agences de notation sont souvent accusées
06:47de contribuer à détériorer la situation qui était déjà pas terrible, mais...
06:52— C'est procyclique, comme on dit. — Exactement. Je n'osais pas trop le dire, mais tout à fait.
06:56— On a le droit quand même, Michel. — Oui, oui. Et tout à fait.
06:59— On s'en souvient. L'engrenage crise souveraine, pour ceux qui la suivaient de presse, c'était vraiment effectivement ce côté procyclique...
07:07— Tout à fait. Et ça, c'était trop rapide. Oui, ça a été rapide. Et la Grèce est devenue très spéculative, on va dire.
07:14— Justement, là, quand on est dans le registre des critiques qu'on peut émettre sur le fonctionnement de ces agences,
07:20quelles sont les critiques qui vous paraissent pertinentes, légitimes, rationnelles, Michel ?
07:25— Alors c'est ce qu'il faut... Il y a deux grandes critiques, d'abord. Premièrement, un conflit d'intérêt.
07:30Dans la mesure où le modèle économique qu'elle développe, c'est-à-dire que c'est le principe de l'émetteur payeur, on va dire,
07:36dans la mesure où il faut pas oublier que l'émetteur, c'est son client. Et donc d'un certain côté, on n'ose pas trop être trop, on va dire,
07:44terrible dans la notation. Et donc on fait attention. Donc c'est peut-être un problème de conflit d'intérêt. Et puis deuxième chose aussi,
07:50c'est la pertinence des notations, qui... En matière d'évaluation du risque souverain, par exemple, en 2011, les États-Unis,
07:58alors que Sandra Inpost les avait dépréciés, eh bien les États-Unis ont dit non, non, je suis pas d'accord, vous faites de mauvais calculs.
08:04Et en fait, tout le monde n'avait pas pris les mêmes bases, je dirais, de calculs en quelque sorte. Et en même temps, surtout, c'est le fait
08:13qu'elles n'ont pas su anticiper, on va dire, les dégradations de certains émetteurs. C'est le cas de la crise asiatique, c'est le cas de Enron,
08:20c'est le cas des subprimes. Et faut pas oublier, pour l'anecdote, que quelques semaines avant, je dirais, la faillite de Vivendi Universal,
08:31elle était estampillée AAA. Et donc, c'est ça qui pose problème. — Je précise, sous votre contrôle, Michel, mais les souverains ne payent pas
08:38pour être notés. — Non, tout à fait. — Ce qui est quand même une grande différence par rapport à des émetteurs privés. Et pour revenir à l'Emman,
08:43je me souviens, effectivement, c'était le phénomène de rating-shopping. C'est-à-dire qu'évidemment, on titrisait à tout va, etc.
08:50Et en fait, on allait voir les agences S&P, Moody's ou Fitch. Je vais voir S&P. Est-ce que vous me notez ça ? Combien ? Ah, vous me le mettez pas AAA.
08:57Bon, c'est pas grave. Je vais aller voir chez Moody's. Je paierai Moody's pour me faire ma notation. Donc ce qu'il y a effectivement...
09:02— Oui, entretenir certains doutes. — Oui, entretenir certains doutes autour de ces CDO et autres.
09:11— Et c'est ça qui pose problème. — Eh ben bien sûr. Comment est-ce qu'ils ont, j'allais dire, géré ce sujet des conflits d'intérêts depuis la grande crise ?
09:20— Alors ce qui se passe, c'est qu'en Europe, en fait, c'est l'UE qui a cherché justement à encadrer cela. Et donc qu'est-ce qu'elle a édicté, notamment ?
09:28Première des choses, c'est que les agences doivent être enregistrées dans les pays où elles exercent, on va dire, d'une certaine manière.
09:34Et deuxième chose, il faut que leur méthode soit plus transparente dans la mesure du possible, parce que c'est toujours difficile, après, de donner sa méthode.
09:41Et donc l'idée est qu'on les surveille. Et ça peut aller jusqu'à, on va dire, perdre leur accréditation, et puis bien sûr à des sanctions.
09:49Il faut pas oublier qu'en 2021, eh bien c'était Moody's qui avait payé à peu près un peu moins de 4 millions d'euros, parce que son actionnaire principal,
09:58c'était Berkshire Hathaway ou Warren Buffett, qui avait – je dirais – des parts dans le capital de sociétés qui avaient été notées.
10:08— Ah ouais, je comprends. — Et donc c'est pour ça, quoi. — Ça coûte combien, une notation ? Pour finir, Nuance, 30 secondes, Michel.
10:13— Difficile d'évaluer. Non, parce que tout le monde... — C'est quoi, la clinique tarifaire pour être noté par Moody's ?
10:19— L'idée, c'est que c'est toujours... Quand on parle d'argent, on n'en parle pas. Mais certaines estimations font qu'il y en a...
10:27Ça peut aller de quelques dizaines de milliers pour une PME à des millions d'euros pour une banque importante. Je prends un exemple.
10:33La ville de Paris avait budgété 1 million d'euros pour – je dirais – sur 4 ans pour évaluer son risque de crédit.
10:42— Et voilà. C'était Michel Ruimi, économiste associé chez SPAC, qui répondait aux questions de Grégoire Favel le 26 avril dernier.
10:51Smart Bourse, c'est fini. Merci à tous de nous avoir suivis. N'hésitez pas à nous regarder en replay sur bsmart.fr
11:00ou à nous écouter en podcast sur toutes les plateformes de podcast lundi. Vous retrouverez Grégoire Favel pour l'édition du midi à 13h30
11:10et le soir à 17h en direct sur Bsmart. Bonne soirée, bon week-end à tous.
11:30Sous-titrage Société Radio-Canada