Avec Morad Aït-Habbouche, fondateur de la plateforme 2 degrés de plus.
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NewsTranscription
00:00Des zigotos, Laurence, qui m'ont donné la patate, je vous le garantis.
00:04Tout d'abord, situons les lieux.
00:06Nous sommes de l'autre côté de l'Atlantique, à Saint-Pierre-et-Miquelon,
00:10un archipel de 6000 habitants environ.
00:12On est tout près du continent américain, proximité de Terre-Neuve au Canada.
00:19Et là, on comprend tout de suite que la vie est rythmée par les saisons et la météo.
00:23Gilles Poirier est un zigoto, un marin et un enfant du pays.
00:31Il y a un petit dicton, c'est « si le temps le permet ».
00:34Mais on ne peut rien faire sans la météo.
00:37On est toujours à regarder la météo, à voir quel temps il fait, qu'est-ce qu'ils annoncent,
00:41parce que des fois, les vents changent très très vite.
00:43Et puis on passe notre temps à voir qu'est-ce qu'ils annoncent du vent, du soleil, de la brume.
00:49Et puis l'hiver, parfois quelques petites tempêtes de neige.
00:52Ce jour-là, on rentre au port après une journée de pêche au large.
00:56Et là, c'est une purée de poids qui nous accueille.
00:59Impossible de voir plus loin que le bout de son nez et la brume envahissent le port progressivement.
01:06Stéphane, le frère de Gilles, est à la barre. Il est habitué.
01:10Une année, on a eu 50 jours de brume d'enfilée.
01:12Tous les jours, on était au radar. Tous les jours pendant 50 jours.
01:15C'est comme ça, comme aujourd'hui.
01:17Là, il faut vraiment le radar.
01:19Là, il faut le radar, absolument.
01:21Radar et sondeur aussi, non ?
01:23Ouais, sondeur. Mais maintenant, dans le principe de pêche, on sait où on est sur la carte.
01:26On sait où se diriger.
01:28Tiens, il y a le Doris qui passe sur le côté.
01:31Le Doris, c'est un vieux bateau en bois que les zigotos ont retapé.
01:35Allez, les zigotos ! Envolez pas !
01:39Ces petites barques sont les témoins d'une autre époque.
01:43Celle où leurs aïeux partaient au large de l'archipel pêcher la morue.
01:47Aujourd'hui, dans les cales, il y a des crabes de neige.
01:51Des crabes qui vivent dans des eaux froides.
01:53Avant de les vendre, il faut les préparer.
01:56Seuls, les pâtes se dégustent 10 euros le kilo.
02:00Ce jour-là, les frères Poirier en vendront au cul du bateau une trentaine de kilos.
02:05Sur le quai, il y en a un qui n'en rate pas une miette.
02:08C'est le neveu. Il a 14 ans.
02:10C'est dans les crabes de neige.
02:12Est-ce qu'ils sont tous la même couleur ? Des fois, il y a des exceptions.
02:16Alors, quelle couleur tu penses ?
02:18Il y a des blonds, on appelle les albinos.
02:20C'est très, très rare.
02:21Peut-être 15 millions.
02:23La chance d'en pêcher en 2010.
02:25Il est habitué à aller voir son papa et ses frères à bord des bateaux.
02:29Oui, mais voilà, Laurence, vous le savez, le climat devient fou.
02:35La dernière fois que les Poiriers étaient enclavés, c'était en 1987.
02:38On avait quelques icebergs qui étaient pratiquement dans le pot.
02:42Et puis après, les derniers icebergs, c'était en 2008.
02:48Avec cette dernière pêche, les quotas sont atteints.
02:50350 tonnes par bateau, rien de plus.
02:53Depuis 1992, et la fin de la pêche à la morue, tout est plus réglementé.
02:58Depuis 1996, ici, la pêche a commencé aux crabes de neige.
03:01Juste quelques années après le moratoire.
03:03C'est ça qui a permis de relancer la pêche artisanale.
03:06En 1996, on a eu des années difficiles,
03:11et puis des années où la ressource était là, qui était plus simple.
03:14Donc maintenant, on est une dizaine d'armements à la pêche artisanale.
03:17Le port vivote finit le temps béni de la morue et de la prohibition.
03:21Aujourd'hui, il faut composer avec les ressources locales et l'ifremer.
03:26Dans son bureau, au port, Erlé Goraguer surveille, pour l'Institut, l'état des écosystèmes marins.
03:33Un travail important pour éviter la surpêche et la disparition de nouvelles ressources,
03:38comme les concombres de mer.
03:40Rien à voir avec le légume.
03:43Il est classé dans la famille des équinodermes, à côté des oursins et de l'étoile de mer.
03:52On est à 50 mètres de fond, on a l'impression d'être dans un aquarium,
03:55et on peut compter les concombres un par un.
03:57Mais les compter un par un avec un compteur, c'est un peu fastidieux.
04:01En fait, on va développer une technique par analyse d'image,
04:04un algorithme d'intelligence artificielle,
04:07qui va compter pour nous les concombres qui passent dans le champ de la caméra.
04:11Ça nous sert à donner un avis sur la quantité de concombres présentes sur le fond,
04:14une évaluation de la biomasse,
04:16qui va servir après aux autorités, en principe à la direction des pêches,
04:20pour donner un quota d'exploitation aux pêcheurs.
04:23Aujourd'hui, les concombres de mer intéressent surtout le marché asiatique.
04:28Pour le moment, depuis quelques années, en tous les cas, c'est profitable.
04:31C'est surtout cette espèce-là qui est ciblée.
04:33Donc, on a pêché jusqu'à plus de 2000 tonnes de concombres à Saint-Pierre-et-Miquelon,
04:37c'est quand même conséquent.
04:39Dans d'autres territoires, on est à un niveau de quelques centaines de tonnes, à peine.
04:43Heureusement, la pêche au homard est également autorisée.
04:46Elle est même exportée en métropole.
04:48Gilles Poirier, l'un des zigotos, soutient cette démarche
04:51et propose sa pêche à une société qui vient d'être créée au Mar des Îles.
04:56Sur le macaron, il y a un cuillère-côte qui permettra aux acheteurs
05:00de suivre sa provenance, mais aussi l'armement et le nom du bateau qui les a pêchés,
05:06et l'endroit surtout.
05:08On veut rentrer dans le sens d'une pêche responsable qui est aussi pêche durable,
05:13et il faut que tout soit fait correctement.
05:17La pêche et Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est aussi des histoires de sauvetages mémorables
05:22et de disparitions de bateaux encore inexpliquées.
05:25Chaque année, ici, on célèbre tous les marins.
05:32Dans les travais de l'église, il y a les descendants des Normands, des Bretons,
05:35des Basques et des Acadiens qui ont tenté l'aventure de la grande pêche.
05:39Hommage aux disparus en mer et aux sauveteurs.
05:43Loué sois-tu Seigneur pour notre sœur, notre mère la terre, qui nous porte et nous nourrit.
05:50Notre archipel n'est pas en capacité de nourrir tous ceux qui y résident.
05:55Veille Seigneur sur les cargos qui nous ravitaillent.
05:59Ils témoignent de l'interdépendance du genre humain.
06:03Aujourd'hui, Saint-Pierre-et-Miquelon vit en grande partie des subsides de l'État français.
06:08Mais qu'en sera-t-il demain ?
06:10Surtout que les jeunes partent faire leurs études en métropole
06:13et ne reviennent pas toujours dans l'archipel.
06:16Saint-Pierre, la capitale où se concentre la majorité des habitants,
06:20voit ses côtes menacées par l'érosion et la montée des eaux.
06:24Faut-il protéger les lieux les plus vulnérables ou laisser faire la nature ?
06:28Dans l'île, on en parle de plus en plus.
06:31Si jamais ces endroits-là ne sont pas protégés, ça devient vraiment compliqué,
06:35à savoir par exemple l'hôpital, la centrale et puis donc l'aéroport.
06:39Et aujourd'hui, est-ce qu'ils sont suffisamment protégés pour vous ?
06:42C'est pas suffisant.
06:44C'est Xania Filipenko qui en parle. Elle est experte en changement climatique.
06:49Dans le QG, aujourd'hui des zigotos, l'inquiétude est partagée.
06:53Si on parle des terrains les graves, si ça monte un mètre, c'est dans l'eau.
06:57C'est fini, c'est dans l'eau. C'est les premiers.
06:59Et quand elle évoque un transfert de population possible, on comprend qu'ils y pensent tous.
07:04On a parlé de l'enrochement, on a parlé du rochement qui est déjà en cours.
07:08Qu'est-ce que vous pensez du déplacement ?
07:10Si on peut déplacer la ville ?
07:13C'est pas forcément la ville, mais ça peut être des trucs stratégiques.
07:17Il faudrait qu'ils donnent des terrains ailleurs pour que les gens soient prospérants.
07:21Ils ont mis l'enrochement.
07:23Ma famille est ici depuis plusieurs générations.
07:26On a notre identité, nous sommes des Iliens, des Saint-Pierré, des Miclonais.
07:30Si un jour on devait partir, ce serait comme un échec.
07:33L'archipel doit absolument anticiper les changements et s'adapter sans tarder.
07:38Sinon, ces territoires ne seront bientôt plus qu'un désert, abandonné au vent et à la houle.
07:44Comme l'île aux marins, située juste en face de Saint-Pierre.
07:48Elle n'est plus habitée depuis le début du XXe siècle.
07:51Un musée à ciel ouvert, ce serait le pire des scénarios.
07:55Mais à l'horizon 2100, c'est plausible.