Décès d'Alain Delon : «Un homme seul, libre et indépendant», confie Philippe Labro

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Chaque matin de l'été, à 8h15, Lionel Gougelot reçoit une personnalité au centre de l'actualité. Ce lundi, Philippe Labro et Jack Lang.
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00:008h13 sur Europe 1, deux invités ce matin, Lionel Gougeot, il fallait bien ça pour évoquer la mémoire d'Alain Delon, vous recevez Philippe Labraud et Jack Lang.
00:07Bonjour Philippe Labraud.
00:09Bonjour.
00:10Bonjour Jack Lang.
00:12Bonjour.
00:13Merci à tous les deux, merci infiniment à tous les deux d'être en ligne ce matin sur Europe 1 pour évoquer la mémoire d'Alain Delon.
00:19Depuis hier on salue la légende du cinéma qui nous a quittés, on a retracé le parcours artistique de celui qui a marqué l'histoire du 7ème art
00:27avec quelques-uns des plus grands chefs-d'oeuvre du cinéma.
00:30Philippe Labraud, je souhaiterais d'abord, si vous le permettez, évoquer avec vous le Delon, homme de son temps, que vous avez connu à cette époque,
00:39qui s'impliquait dans la vie politique, dans la vie sportive.
00:42Est-ce que vous avez connu un Delon qui d'une certaine façon, à une certaine époque, voulait aussi s'extraire du monde du cinéma ?
00:50Ah bien sûr, il voulait être présent dans la vie publique, effectivement.
00:53Mais ce n'était pas une volonté, c'était son désir permanent de faire des choses, d'accomplir des gestes, de s'occuper pas seulement du cinéma, mais de politique, de culture.
01:05Alors, il a effectivement, en particulier, obtenu l'achat de l'appel du général de Gaulle.
01:14Oui, notamment, oui.
01:16D'autre part, et ça n'a rien à voir, il organisait des tournois de boxe avec Jean-Claude Boutier, avec Manson.
01:23Enfin, et par ailleurs, ce n'était pas public, mais néanmoins, ça se savait, c'était devenu, grâce au conseil de Lucullo Visconti, qui a été un de ses mentors, un de ses conseillers,
01:34c'était devenu un artiste, un esthète, un collectionneur.
01:38Il collectionnait des bronzes, des peintures.
01:41Vous alliez chez lui, c'était dans une galerie de tableaux, pratiquement, vous voyez.
01:45Donc, Alain sortait du cinéma pour se projeter dans la culture, dans la politique, où, effectivement, il donnait son avis régulièrement, de façon parfois très brusque,
01:57sur la situation, sur les personnages, allant finalement, d'une certaine manière, faisant un peu ce que son mentor Melville appelait les suglasses,
02:10c'est-à-dire un coup à droite, un coup à gauche, mais surtout toujours indépendant, libre et particulièrement éloquent.
02:20On va reparler de l'aspect politique dans un instant, mais cet homme de culture, Jack Lang, vous l'avez connu, vous aussi,
02:26cet homme divers, finalement, d'une certaine façon.
02:30Oui, je l'ai connu, surtout dans les vingt dernières années, disons,
02:36puisque les liens d'amitié entre lui-même et ma propre famille, ma femme, mes filles, se sont nouées avec lui.
02:45Mais bon, l'œuvre cinématographique, évidemment, est dominante, elle est époustouflante, étonnante, unique,
02:56et Alain Delon a vécu à son allure en tournant avec les plus grands.
03:04On le rappelle à l'instant avec Philippe Labrault, Visconti, Jean-Luc Godard, et tant d'autres qui ont fourni des chefs-d'œuvre,
03:14des chefs-d'œuvre qui demeurent dans l'histoire de la cinématographie.
03:18Philippe Labrault, Delon a toujours rendu hommage à ses mentors, Gabin, Ventura, les grands réalisateurs, Visconti, Clément,
03:27mais dites-moi si je me trompe, lui-même, il n'a jamais eu ce rôle de parrain, finalement, vis-à-vis de la jeune génération,
03:35qu'il n'a pas pris véritablement sous son aile ?
03:38Oui et non, il y a une ou deux actrices dont je n'ai pas le nom là, qui disent que lorsqu'elles sont arrivées sur le plateau,
03:45terrorisées bien sûr, parce qu'elles jouaient un petit rôle dans ces films,
03:49particulièrement le film de Serge Leroy, je crois qu'il s'appelait « Touchez pas aux enfants », je ne sais plus quel est le titre,
03:55il a été adorable, au contraire de ce qu'on disait, le contraire de l'arrogance et de la difficulté de s'exprimer autrement qu'en termes violents et brutaux.
04:07Là, au contraire, elle est la témoin, elle l'a témoigné hier sur beaucoup d'antennes, de sa gentillesse, de sa générosité.
04:15C'est toujours pareil, il y a un contraste, il y a la réputation, et pas seulement la réputation, la vérité, que sur un plateau, il pouvait être très dur,
04:25mais par ailleurs, certains jeunes disent qu'au contraire, il les a aidés.
04:29Bon, c'est vrai qu'il n'a pas formé qui que ce soit, mais là-bas non plus.
04:34Toutes ces stars se préoccupaient d'abord de répondre aux exigences de grands scénarios, de grands metteurs en scène,
04:44n'oubliez jamais que tous ces gens-là, Delon lui-même, doivent leur carrière à des grands talents,
04:50qui s'appelaient effectivement Visconti, Godard, Melville, René Clément, Joseph Lozet.
04:57Non, ce n'est pas un parrain, il ne s'occupait d'abord que de lui, que de sa carrière.
05:04Mais par ailleurs, le geste extraordinaire pour moi de Delon, c'est quand il va acheter les droits de M. Klein,
05:13qui c'est le même producteur, il avait sa propre maison de production, comme vous le savez,
05:18et il va chercher Joseph Lozet, qui est un des plus grands metteurs en scène ces jours récents, pour faire un film majeur.
05:24Un majeur, parce que c'est un film qui concerne nous tous, c'est-à-dire l'antisémitisme et la Shoah.
05:29Vous voyez, les choix d'Alain, ce ne sont pas des choix gratuits, ce sont des choix où il s'implique,
05:35et il s'implique de façon tout à fait courageuse.
05:38Vous évoquiez Godard, Philippe Labraud, Godard qui disait de Delon qu'il portait sa propre tragédie en lui,
05:45mais est-ce que son drame, finalement, sur la fin de sa vie, c'est qu'il ne s'est pas laissé déborder par la nostalgie d'un cinéma,
05:55et plus généralement d'une époque qui n'existait plus ?
05:58C'est sûr qu'il cultivait le passé, mais il l'a cultivé dès le début, et pourquoi ?
06:02Parce qu'à mon avis, tout ça impose, comme tout d'ailleurs dans la vie des hommes ou des femmes, sur son enfance.
06:08N'oubliez jamais que c'est un enfant abandonné, qui est pensé en pension, de père en père,
06:14et qui s'est retrouvé à 17 ans en Indochine comme soldat.
06:19Il est revenu en Indochine pour fréquenter les voyous de Marseille,
06:23donc il a eu une jeunesse, une enfance très compliquée, très difficile.
06:26Là-dessus, il construit sa maison, il construit sa carrière.
06:29Et donc, il se réfère en permanence au passé.
06:32Parce que pour lui, le passé, c'est la leçon, c'est l'instruction, c'est l'expérience.
06:37Et par ailleurs, oui, il a en permanence le goût des pères, le goût des anciens.
06:43C'est-à-dire, il vénère, par exemple, Jean Gabin, parce que Gabin, c'est le passé.
06:47C'est un passé glorieux, avec des grands metteurs en scène, Jean Renoir, etc.
06:54Donc il y a chez lui, je suis certain qu'il n'est pas le seul d'ailleurs, un goût pour autrefois.
07:00C'est-à-dire, la fameuse phrase très française d'ailleurs, c'était mieux avant.
07:05– Oui, c'est ça, oui.
07:06Jack Lang, Alain Delon, dans cet ordre d'idées, ne cachait pas ses idées conservatrices,
07:12parfois même accusé d'être réactionnaire.
07:15Il avait même évoqué une certaine amitié avec Jean-Marie Le Pen,
07:19et pourtant, vous étiez proche au-delà des clivages politiques.
07:23Vous l'avez même fait commandeur des arts et des lettres, vous-même, en 86,
07:27alors qu'à l'époque, c'était un gouvernement de droite qui était au pouvoir.
07:30– Oui, je pense d'ailleurs qu'il y avait une forme de pied de nez
07:37à l'égard du nouveau gouvernement dirigé par M. Chirac,
07:41mais surtout, au-delà de la politique, il était quelqu'un,
07:46et c'est endroit petit de ce que disait à l'instant Philippe Lamereau,
07:49c'est quelqu'un qui avait un respect pour les personnages, surtout.
07:56Et François Mitterrand, si je peux me permettre de parler de lui,
08:01je l'ai fait rencontrer à plusieurs reprises,
08:05il était invité à divers moments,
08:09et j'ai vu, au fur et à mesure que le temps passait,
08:12qu'il avait pour lui un respect, une admiration.
08:16Il respectait en lui, en effet, peut-être le passé, comme disait Philippe Lamereau,
08:20mais aussi l'homme d'action, le chef, la personnalité forte et puissante.
08:27Et ça, c'est un élément extrêmement important,
08:31et en effet, il m'a demandé de lui remettre cette décoration
08:34que je lui avais attribuée quelques années plus tôt,
08:37commandeur des arts et des lettres.
08:39Et lorsque, si vous prenez cette histoire particulière,
08:44lorsque François Mitterrand est mort,
08:46il m'a téléphoné pour me dire sa peine, sa tristesse,
08:50le respect qu'il avait pour lui,
08:54il m'a dit est-ce que je peux venir m'incliner devant lui.
08:57Bien sûr, je l'ai invité à venir devant la dépouille de François Mitterrand,
09:03là où il était, rue Frédéric-le-Play,
09:05et ce qui m'a surpris, étonné, ému,
09:09moi qui ne suis pas spécialement croyant,
09:12c'est que lorsqu'il est entré dans la pièce où se trouvait François Mitterrand,
09:16une petite pièce, il s'est agenouillé
09:19et s'est mis à prier pendant quelques minutes.
09:23Et c'était quelque chose de fort, et pour moi, d'inattendu.
09:28C'est un aspect du personnage.
09:31De même, il s'était intéressé, puisqu'on parle de son rapport au plus jeune,
09:36il s'était intéressé, à ma propre envie, pardon de parler de...
09:41Je le connaissais assez bien.
09:44Ma fille Valérie, qui était une merveilleuse actrice,
09:46et le jour de ses funérailles,
09:50Alain s'est tourné vers ma femme et lui a dit
09:54ne vous inquiétez pas, Monique, bientôt, je la rejoindrai là-haut
09:59et ensemble, nous jouerons à nouveau du théâtre.
10:02Un homme au caractère ombrageux, pourtant capable d'une grande sensibilité,
10:07qu'il vous a témoigné en cours de l'épreuve que vous avez traversée
10:12lors du décès de votre fille, elle-même comédienne.
10:15Philippe Labreau, je ne sais pas si vous avez lu ce matin
10:19les mots de Bertrand de Saint-Vincent dans son éditorial du Figaro.
10:23Il écrit...
10:24Ah d'accord, mais je l'ai lu, Bertrand de Saint-Vincent a un talent fou.
10:27...obstinément de droite, Alain Delon utilisait des mots comme
10:30honneur, fidélité, discipline.
10:32Pour la partie éclairée de la critique, ce fut son plus grand crime,
10:35écrit Bertrand de Saint-Vincent.
10:37Tous ces roquets qui, durant sa vie, lui mordaient les chevilles
10:40ne l'empêchaient pas d'être une star.
10:43En effet, bah oui, mais cela dit,
10:46ce n'est pas un mot de droite, la discipline, la rigueur, l'ordre,
10:50le respect des autres, arrêtons !
10:52Bon, je comprends ce que dit Saint-Vincent, il a raison,
10:54de toute façon, effectivement, les roquets que vous dites,
10:56mais les roquets, il y en a partout en France.
10:58À Paris, il y a des chiens dans toutes les rues.
11:01Donc, à partir de l'instant où vous êtes une grande star,
11:05que vous avez du talent, que vous prenez des positions,
11:08encore une fois, très différentes et très condensées,
11:10je reviens toujours à M. Klein,
11:12vous êtes forcément l'objet de ce qu'on appelle aujourd'hui
11:16le buzz, les réseaux sociaux, toute cette poubelle de l'information,
11:20et qui lui apporte forcément ennui.
11:23Je crois même que parfois, ça le renforçait,
11:26dans sa certitude qu'il était un homme seul,
11:29indépendant, libre, libre de ses choix,
11:32allant effectivement rendre hommage à M. Piron,
11:35ce voyage avec lui en est tout à fait fascinant et émouvant,
11:38mais par ailleurs, effectivement,
11:40donnant de temps en temps de gage à Le Pen ou à un autre.
11:43Moi, ce que je crois, c'est que Saint-Vincent a un talent fou.
11:48Il a raison, effectivement, de situer Alain,
11:50plutôt dans cette partie de la vie politique française,
11:53de la vie culturelle française,
11:55Moi, je pense surtout que nous avons affaire à un homme seul,
11:59libre, indépendant, contrasté, complexe,
12:03changeant parfois effectivement de camp ou de position ou d'opinion,
12:08mais qui, par cette variété, diversité de caractères et de comportements,
12:15est resté et reste dans la vie publique française
12:18comme une anomalie, une exception.
12:21Il n'y a pas beaucoup d'acteurs, de comédiens,
12:24de perso, du spectacle,
12:26qui aient pris autant et si souvent des positions telles ou telles.
12:31Donc ça aussi, c'est très intéressant.
12:33C'était pas seulement un acteur,
12:35n'oublions jamais qu'il détestait qu'on lise comédien,
12:38parce qu'il était un acteur.
12:39Pour lui, un acteur, c'est quelqu'un qui agit.
12:41Et effectivement, l'acteur, il n'y avait pas pris de cours,
12:44il n'y avait pas été au cours Florent Mérien,
12:46il avait tout appris tout seul.
12:47Ça aussi, il faut le reconnaître.
12:49Il devait faire un autodidacte brillantissime.
12:51Donc l'acteur en question, lui,
12:53eh bien, il prend position, à droite, à gauche,
12:56mais il existe et il joue un rôle.
12:59Et c'est ce que Alain adorait, c'était jouer un rôle.
13:02Et d'ailleurs, il a joué un rôle toute sa vie.
13:04J'ai parlé pratiquement de lui comme d'un autre.
13:08Tout le monde se moquait des guignols de l'info
13:11quand il dit « il vous remercie »,
13:13mais je comprends d'une certaine manière ce qu'Alain voulait dire.
13:15Il savait qu'il était devenu une icône et une star,
13:17et donc il pouvait parler de lui comme de quelqu'un d'autre.
13:19– Jack Lang, ces critiques, ces moqueries même parfois,
13:24Alain Delon, comment les vivait-il ?
13:27– Autant que je puisse en témoigner
13:30de la façon dont Philippe Labeau rapporte les choses.
13:35Oui, bon, peut-être ça pouvait le toucher,
13:38mais rien ne transparaissait.
13:40Et en réalité, avant toute chose,
13:42comptait son art, sa passion, son amour des belles choses,
13:48son amour des femmes aussi, sa vie même.
13:51Peut-être qu'on n'a pas évoqué, depuis sa disparition,
13:55un autre aspect, si vous le permettez, de l'art d'Alain Delon.
14:00C'est le théâtre.
14:02On a parlé beaucoup du cinéma,
14:04et en effet, ce sont des chefs-d'œuvre, pas tous,
14:07ce sont des chefs-d'œuvre où il est l'auteur
14:09avec de grands metteurs en scène.
14:11Et il a été très attiré par le théâtre.
14:14Il a eu la chance, je crois, en 1961,
14:17c'est loin de découvrir,
14:20dommage qu'il soit une putain d'enfant
14:22d'une pièce de la période élisabethaine,
14:24et c'était Visconti qu'il avait mis en scène.
14:27Et d'ailleurs, il jouait avec Romy Stenner.
14:31Je ne dis pas qu'il était un grand acteur du théâtre, non.
14:34Mais quand même cette audace, ce culot d'affronter la scène,
14:38alors qu'en effet, comme on le rappelle à l'instant,
14:40il n'avait aucune formation,
14:42aucune préparation vers ce type d'exercice.

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