• il y a 2 mois
Frédéric Encel, Vincent Lemire et Rym Momtaz sont les invités du Grand Entretien ce mercredi 4 septembre, alors que l'opération militaire meurtrière et largement inefficace de Benyamin Netanyahou à Gaza est de plus en plus critiquée, y compris en Israël. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-04-septembre-2024-3194220

Category

🗞
News
Transcription
00:00Sable ronde ce matin sur la situation au Proche-Orient, au onzième mois de la guerre à Gaza et alors que se sont déroulées
00:07des manifestations monstres dans les rues de Tel Aviv et de Jérusalem,
00:12après l'annonce dimanche de l'exécution de six otages par le Hamas.
00:16Pour en parler, en studio ici à France Inter, Rym Momtaz, bonjour,
00:22géopolitologue à Carnegie Europe, Vincent Lemire, bonjour,
00:27historien, professeur à l'Université Gustave Eiffel, auteur d'Anatomie d'un conflit
00:32avec Thomas Negaroff aux éditions Les Arènes, Frédéric Ancel, bonjour,
00:38docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris,
00:41auteur de l'Atlas géopolitique d'Israël chez Autrement,
00:46j'ajoute que vous êtes le fondateur et l'animateur des neuvièmes rencontres géopolitiques de Trouville-sur-Mer
00:52qui se tiendront du 19 au 22 septembre.
00:57Soyez les bienvenus, on va donc parler de la situation dramatique de Gaza dans un instant,
01:04mais un mot d'abord de ces manifestations massives en Israël,
01:09accompagnées d'une grève dans plusieurs villes du pays.
01:13C'est l'annonce de l'exécution de six otages par le Hamas qui a suscité cette onde de choc.
01:19Comment avez-vous reçu ces images impressionnantes ?
01:23Qu'est-ce qu'elles disent, Rym Momtaz, selon vous, de l'état d'esprit de la population israélienne ?
01:30Elles révèlent deux choses. Elles révèlent d'un côté de vraies divisions
01:34qui continuent de s'approfondir dans la société israélienne.
01:37Ça ne date pas de ce conflit à Gaza, mais ça date depuis plusieurs années maintenant.
01:44On est à 300 000 personnes qui prennent les rues parce qu'elles veulent infléchir la conduite de cette guerre.
01:52Elles veulent le retour des otages et elles sont conscientes,
01:55et pour elles, elles pensent que le Premier ministre ne pense pas que le retour de ses otages est une priorité pour lui.
02:05Mais d'un autre côté, moi ça me fait penser aussi un peu à l'histoire.
02:09En septembre 1982, 400 000 Israéliens ont manifesté contre la conduite de la guerre au Liban par les soldats israéliens
02:20et ont demandé des enquêtes après les massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila.
02:26Aujourd'hui, on n'entend pas ça. Il n'y a pas de revendication ou de demande d'enquête
02:31alors qu'on voit de plus en plus de preuves dans les réseaux sociaux des soldats israéliens
02:38qu'eux-mêmes mettent en ligne de crimes de guerre à minima.
02:42Frédéric Ancel, qu'avez-vous entendu dans ces manifestations ?
02:46On veut voir revenir les otages, il faut un cessez-le-feu, il faut la paix, Netanyahou démission.
02:53C'est tout ça à la fois ou c'est surtout d'abord et avant tout les otages ?
02:57C'est tout ça à la fois et c'est bien le problème parce qu'on est dans une injonction contradictoire.
03:01L'immense majorité des Israéliens considère que Netanyahou mène mal cette guerre.
03:08D'ailleurs, dans toutes les enquêtes d'opinion, cette défiance vis-à-vis du Premier ministre et de sa coalition
03:12se retrouve dès l'après-midi du 7 octobre, début de la guerre,
03:16pogrom du ramasse en Israël et début de la riposte israélienne.
03:21Et en même temps, une partie très importante des Israéliens, ceux qui ne sont pas descendus dans la rue,
03:26c'est-à-dire quand même la majorité des gens, je rappelle qu'il y a 10 millions de citoyens israéliens,
03:32sont tout en n'appréciant pas nécessairement, voire en détestant cette coalition,
03:36considèrent que s'il devait y avoir aujourd'hui un accord mal ficelé ou pas suffisamment bien ficelé,
03:45on retrouverait le syndrome Chalit.
03:47Je vous rappelle que Chalit, c'est ce soldat israélien qui avait été échangé
03:50contre 1072 prisonniers palestiniens il y a un peu plus de 10 ans de cela.
03:53Parmi ces 1072 prisonniers palestiniens, il y avait un certain Sinouar.
03:57Et là, si vous voulez, aujourd'hui en Israël, on est su...
04:00Qui est aujourd'hui le chef du Hamas.
04:02Qui est évidemment le chef grave et qui est vraisemblablement l'organisateur du grand massacre du 7 octobre.
04:07Donc c'est la raison pour laquelle aujourd'hui les Israéliens sont extraordinairement partagés,
04:11moins sur la détestation de la coalition, qu'on retrouve encore une fois dans toutes les enquêtes d'opinion,
04:16que sur la manière de faire, j'ajoute juste un point si vous le permettez,
04:19dans une démocratie, il est tout à fait rarissime qu'une grève générale et que de telles manifestations
04:24soient organisées non pas sur le plan, dans le domaine social, économique, professionnel,
04:28mais sur le plan strictement géopolitique, voire militaire.
04:31D'après plusieurs médias israéliens, Vincent Lemire, au moins trois des otages tués
04:36figuraient sur la liste des personnes à libérer au cours de la première phase du cessez-le-feu
04:41qui n'a pas abouti.
04:43Est-ce que les manifestants accusent aussi Benyamin Netanyahou de brader la vie des otages
04:50ou de faire passer l'impératif de leur sauvetage après des impératifs militaires ?
04:57Oui, c'est exactement ça en fait.
04:59Je crois que ce qui s'est passé dimanche et qui continue de se passer,
05:02c'est un choc émotionnel et presque viscéral en fait dans la population israélienne
05:09et pas seulement à gauche, y compris à droite.
05:12Il y avait beaucoup de religieux dans ces manifestations, religieux, laïcs, droite, gauche.
05:17La population israélienne a l'impression que son Premier ministre, et c'est la vérité,
05:22a déchiré le contrat minimum qui lie l'État à ses citoyens.
05:26Expliquez-nous.
05:27Le contrat de protection.
05:28Et ce contrat de protection, c'est le contrat fondateur de l'État d'Israël.
05:33C'est la raison d'être même de l'État d'Israël.
05:35Il dit quoi ce contrat ?
05:36Cet État a été fondé pour mettre en sécurité les juifs de diaspora menacés par l'antisémitisme.
05:42Donc ce n'est pas un mandat accessoire de l'État parmi le régalien.
05:47C'est véritablement le socle fondateur, le consensus minimal.
05:51Alors un contrat qui a été déchiré pour des raisons militaires,
05:56il faut le dire vite.
05:57Parce que tout le staff militaire, le ministre de la Défense, le chef du Mossad, le chef du Shin Bet,
06:05tous disent explicitement, devant les micros, en conférence de presse,
06:10que le couloir de Philadelphie n'est pas un objectif militaire prioritaire
06:14et qu'il faut absolument libérer les autres.
06:16On va venir au couloir de Philadelphie.
06:18C'est plutôt pour sa propre carrière que Netanyahou a déchiré ce contrat
06:21et c'est évidemment beaucoup plus grave.
06:23Vous avez déchiré le contrat fondateur de l'État d'Israël.
06:26Êtes-vous d'accord avec cette analyse ?
06:30Oui, bien sûr.
06:31D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle aujourd'hui Israël est dans une crise existentielle,
06:37en fait intra-israélienne.
06:40Israël est supposé protéger les juifs.
06:43Le 7 octobre, tout l'appareil sécuritaire a failli.
06:47Ça ne s'était jamais produit.
06:50C'est un choc et c'est un traumatisme qui continue aujourd'hui dans la population
06:55et qui va rester très profondément dans la population
06:57et qui d'ailleurs va accélérer cette transformation de l'État d'Israël
07:02qui ne ressemble plus sociologiquement parlant à ce qu'il était quand il a été fondé.
07:09Donc, il faut vraiment qu'on voit comment est-ce que ça va se terminer,
07:14ces divisions et cette transformation.
07:16Frédéric Ancel, un précédent tout de même.
07:18C'est la guerre du Kippour.
07:19Les premiers jours de la guerre du Kippour, 6, 7, 8, 9 octobre 1973,
07:24ça se passe extrêmement mal.
07:25Les renseignements ont très largement failli.
07:27La classe politique a largement failli.
07:29Le ministre de la Défense, qui à l'époque était vénéré, qui était Moshe Dayan,
07:33a largement failli.
07:34Il y a une très grande différence et là je vous rejoins.
07:36La grande différence, c'est que d'abord, Goldamir démissionne assez rapidement.
07:39Son ministre de la Défense démissionne assez rapidement.
07:42Le chef d'État-major est poussé à la démission
07:44et on a des élections anticipées.
07:47Le moins qu'on puisse dire, c'est que Netanyahou
07:49et surtout son extrême-droite,
07:51qu'il a lui-même placée au pouvoir
07:53après le scrutin du 1er novembre 2022,
07:56ne sont absolument pas prêts à faire ce type de gestes
08:00et les contritions de Netanyahou,
08:02on l'a encore entendu,
08:03sans doute est-il sincère.
08:04Je ne suis pas là pour juger.
08:06Je ne suis pas dans son cœur.
08:07Il a demandé pardon de ne pas avoir amené en vie les autres.
08:10C'est très difficile de savoir s'il est sincère ou pas,
08:12mais ce n'est pas tellement le problème.
08:13Mais politiquement, et ce qui a été dit
08:16par mes deux camarades ici présents et très justes,
08:18une grande partie des Israéliens le soupçonne,
08:20le mot est faible,
08:22de vouloir surtout défendre son poste
08:24et défendre sa coalition
08:26sans l'extrême-droite de laquelle
08:28il chuterait.
08:30Venons-en à la situation à Gaza
08:32où la barre des 40 000 morts
08:34a été franchie selon le bilan
08:36du ministère de la Santé du Hamas.
08:38Qu'est-ce que ce chiffre
08:40suscite en vous comme réaction ?
08:42Vincent Lemire, vous nous disiez en préparant
08:44cette émission qu'à Gaza,
08:46les morts sont des chiffres anonymes.
08:48Pas d'images, car pas de journalistes.
08:50Alors qu'en Israël, les otages
08:52sont des visages, des histoires.
08:54L'émotion est plus forte du coup.
08:56Il faut arriver à penser les deux.
08:58Oui, on s'approche
09:00du triste anniversaire
09:02du 7 octobre.
09:04À Gaza, comme en Israël,
09:06on a tous le sentiment,
09:08et je pense que les auditeurs qui nous écoutent,
09:10de s'enfoncer toujours plus profondément
09:12dans l'horreur et dans la tragédie.
09:14Avec les morts palestiniens
09:16qui sont sous les décombres de Gaza,
09:18avec les 6 otages israéliens
09:20qui ont été enterrés il y a quelques heures,
09:22effectivement, la différence,
09:24c'est qu'il n'y a pas de journalistes
09:26à Gaza, on le sait, vous le savez.
09:28Donc il y a très peu de visages,
09:30très peu d'histoires.
09:32Il n'y a pas de journalistes
09:34occidentaux, en tout cas,
09:36il n'y a pas les grandes agences.
09:38Alors que ces otages, on les connaît,
09:40on a l'impression de les connaître presque intimement.
09:42Hersh, qui vivait dans le quartier de Baka,
09:44à Jérusalem,
09:46c'est un jeune homme
09:48auquel on peut s'identifier.
09:50Et les chiffres, vous avez raison,
09:5240 000 morts, au moins 40 000 morts,
09:54dont au moins 30 000 femmes et enfants,
09:56donc innocents, par définition,
09:5830 000, ça correspondrait
10:00pratiquement à 1 million de morts en France.
10:02Ces chiffres ont pratiquement une capacité
10:04anesthésiante sur nous.
10:06C'est ça qui est terrible.
10:08Il y a quelques mois, on parlait des 30 000 morts.
10:10On programmait encore
10:12des émissions parce qu'il y avait
10:1430 000 et non plus 20 000.
10:16Et aujourd'hui, c'est le contraire.
10:18Ces chiffres ne veulent plus rien dire, ils ne nous disent plus rien.
10:20On est obligé de les ramener
10:22à une réalité française
10:24pour qu'ils continuent de nous frapper.
10:28On est dans ce moment-là,
10:30on est dans ce
10:32sentiment d'étouffement, d'écrasement,
10:34qui, je pense, n'a jamais été
10:37aussi fort.
10:39Une nuance, pas sur ce qui vient d'être dit,
10:41mais sur l'épaisseur légitime
10:43de la couverture médiatique
10:45de ce conflit et des morts palestiniens.
10:47Je rejoins absolument Vincent
10:49en ce qu'il dit que l'immense majorité
10:51de la population civile
10:53de Gaza est innocente.
10:55D'ailleurs, non pas l'immense majorité, la totalité de la population civile
10:57est innocente, ce qui n'est pas le cas
10:59du Hamas, dirigé et composé
11:01de véritables barbares. J'emploie le mot
11:03haïssiant. Mais l'épaisseur
11:05de cette couverture médiatique, elle est inversement proportionnelle
11:07à l'épaisseur de la couverture médiatique
11:09d'autres conflits et d'autres guerres,
11:11d'autres massacres, d'autres
11:13crimes contre l'humanité, d'autres crimes
11:15de guerre qui se jouent
11:17aujourd'hui dans le monde, et je pense notamment
11:19au Soudan. Ça ne veut pas dire,
11:21qu'il ne faut pas en parler. Je rejoins
11:23ce qui a été dit. Simplement, je nuancerais
11:25dans la mesure où
11:27dans tous les
11:29conflits, vous avez plusieurs phénomènes
11:31de type 1, kilomètre émotion,
11:332, lassitude, 3,
11:35préoccupations
11:37majeures des gens
11:39qui ne se situent pas
11:41sur cette zone. Je pense
11:43récemment aux différentes élections
11:45qui ont eu lieu en France ou en Europe, etc.
11:47Ça ne veut pas dire qu'on ne s'y intéresse pas. Moi, je serais
11:49là-dessus plus nuancé. Je pense qu'il y a
11:51à juste titre, et tant mieux, et vous voyez
11:53je suis là pour en parler aussi avec vous,
11:55beaucoup de choses qui sont dites, et en général
11:57d'ailleurs, en France en tout cas, de manière
11:59mesurée, pondérée, constructive, sur la
12:01complexité de ce conflit.
12:03Pour rebondir sur ce que Frédéric Ancel vient de dire,
12:05il a raison,
12:07ce conflit attire beaucoup
12:09plus d'attention, mais c'est parce que
12:11en partie, évidemment, il y a tout
12:13le quotient émotionnel
12:15qui vient avec,
12:17mais c'est aussi parce qu'Israël
12:19est unique dans le sens
12:21où c'est un pays démocratique
12:23qui est soutenu
12:25à fond par les Etats-Unis
12:27qui est la grande puissance
12:29occidentale, libérale, démocratique
12:31qui a construit l'ordre
12:33international
12:35qui a prévalu depuis la fin
12:37de la seconde guerre mondiale, et aujourd'hui
12:39les Etats-Unis soutiennent
12:41cette manière de faire la guerre
12:43qui est à minima
12:45problématique. Et vous étiez en train de parler
12:47des 40 000, on ne sait même pas quels sont
12:49les vrais chiffres
12:51et l'étendue du problème, et d'ailleurs je pense qu'on va
12:53découvrir un gros choc quand cette guerre
12:55s'arrêtera, mais avec
12:57ces 40 000 ou ces dizaines
12:59de milliers, il y a aussi un problème
13:01pour cet ordre international
13:03qui est basé sur le droit
13:05international, et aujourd'hui, en dehors
13:07du monde occidental,
13:09il y a un sentiment de deux poids deux mesures
13:11et que le droit international
13:13en fait n'existe que
13:15pour un certain genre de personnes
13:17et pas pour tout le monde. Vous voulez répondre Frédéric Ancel ?
13:19Ce sentiment
13:21existe, un sentiment est par définition
13:23subjectif, et lorsque des gens,
13:25notamment des confrères universitaires dans ce qu'on appelle
13:27un peu paresseusement le sud global
13:29me disent ça, et je l'entends,
13:31je leur rétorque immédiatement la Russie.
13:33C'est-à-dire qu'en réalité, et tout à l'heure d'ailleurs
13:35notre ami Pierre Haski
13:37le disait très bien, en réalité tout est
13:39question, enfin pardon, presque tout est
13:41question de rapports de force
13:43dans les relations internationales, je rejoins
13:45ce qui a été dit, mais si vous voulez, de l'autre
13:47côté, évoquer
13:49la Chine, la Russie, et sans même ces grandes
13:51puissances, évoquer d'autres petites, moyennes puissances
13:53qui pour le coup ne respectent absolument
13:55jamais ce même droit international,
13:57ça, ça illustre une situation
13:59globale, et qui ne concerne pas que le Proche-Orient ou
14:01les Etats-Unis ou Israël.
14:02Rym Momtaz disait, le jour où cette guerre
14:04finira,
14:06ce jour-là,
14:08le voyez-vous
14:10arriver, Vincent Lemire ?
14:12Si oui,
14:14je ne vais pas vous demander quand, mais
14:16sous quelles conditions, dans quelles
14:18configurations ?
14:20Il aurait pu s'arrêter lundi après-midi.
14:23Et là, je voudrais répondre
14:25à Frédéric Ancel sur ce point-là.
14:27Netanyahou est un menteur,
14:29et Netanyahou a menti lundi après-midi,
14:31puisqu'on a maintenant des déclarations
14:33officielles du chef
14:35du Mossad, du chef du Shin Bet,
14:37qui nous disent que Netanyahou, lundi après-midi,
14:39quatre heures avant sa conférence de presse,
14:41a accepté le retrait des troupes
14:43israéliennes du couloir de Philadelphie,
14:45qui est le point bloquant du cessez-le-feu.
14:47Alors expliquez-nous pourquoi.
14:49Et quatre heures plus tard, face à la pression
14:51de son opinion publique, comme d'habitude,
14:53il prend le contre-pied, il fait une provocation en disant
14:55nous ne nous retirerons jamais du couloir de Philadelphie.
14:57Ce que je veux dire par là, c'est que cette guerre
14:59peut s'arrêter
15:01cet après-midi, elle aurait pu s'arrêter lundi après-midi,
15:03le cessez-le-feu est prêt,
15:05l'accord cessez-le-feu contre otages, il est prêt,
15:07il est prêt sur le plan technique,
15:09il est prêt sur le plan logistique,
15:11il manque le courage politique de Netanyahou,
15:13qui, comme l'a dit Benny Gantz,
15:15doit protéger sa population
15:17avant sa coalition. C'est aussi simple
15:19que ça. Et c'est
15:21l'horreur de dire ça, onze mois
15:23après le 7 octobre, j'ai dit
15:25à un micro, si on
15:27arrivait à dix mille morts, vous imaginez,
15:29quelqu'un m'a dit mais comment vous pouvez parler de dix mille morts,
15:31on est bien au-delà.
15:33On n'imaginait pas que ça dure aussi longtemps,
15:35parce qu'on a, il faut le dire,
15:37à la tête de l'état d'Israël, quelqu'un qui a
15:39balancé par-dessus bord, y compris les
15:41exigences de sécurité de sa propre population,
15:43au profit du maintien de sa carrière
15:45personnelle.
15:47C'est terrible à dire, mais c'est comme ça.
15:49Vincent Lemire dit que c'est
15:51acté, documenté. Frédéric Ancel,
15:53qu'en dites-vous ? Sur Netanyahou, je crois
15:55qu'il n'y a pas beaucoup de débat.
15:57C'est lui qui bloque en première
15:59et en dernière instance.
16:01Tout, non. Je pense que Netanyahou ne peut pas
16:03tout faire. Mais une grande partie
16:05de l'opinion publique israélienne, je le disais tout à l'heure,
16:07avec force et vigueur, et je le répète,
16:09y compris la droite israélienne, dont une partie
16:11des leaders n'adresse même plus la parole
16:13à Netanyahou. Bien sûr,
16:15tout simplement, dans cette guerre, il y a deux belligérants.
16:17Et de l'autre côté,
16:19encore une fois, ce n'est pas pour remettre en cause
16:21les responsabilités écrasantes
16:23de Netanyahou et de son extrême droite au pouvoir.
16:25De l'autre côté, nous
16:27avons affaire à de véritables barbares
16:29tombés dans une dimension, à mon avis aujourd'hui,
16:31apocalyptique. Et la guerre
16:33aurait pu effectivement s'arrêter, sans doute, ces derniers
16:35jours, ces dernières semaines, ces derniers mois. Elle aurait pu
16:37ne jamais commencer avec le pire pogrom
16:39depuis 1945. Riementaz ?
16:41Alors c'est vrai, sauf que
16:43les chefs du Mossad
16:45et du Finbet, donc les
16:47services de renseignements militaires et civils
16:49israéliens, disent depuis
16:51juillet que le Hamas
16:53terrible, terroriste,
16:55etc.,
16:57ont accepté
16:59l'accord
17:01de cesser le feu, et que c'est
17:03Netanyahou qui a rajouté des conditions à la dernière
17:05minute, qui a
17:07bradé ce cesser le feu, et eux-mêmes,
17:09donc eux qui sont les professionnels
17:11de la sécurité d'Israël, et on
17:13ne peut pas les targuer d'être des colombes,
17:15disent, on n'a pas besoin
17:17d'être dans le couloir
17:19de Philadelphie, parce que
17:21on peut très bien reprendre le contrôle de la sécurité.
17:23Joe Biden a déclaré lundi
17:25« nous sommes proches d'un accord pour la libération
17:27des otages », mais je ne pense pas
17:29que Netanyahou en fasse
17:31assez. Est-ce que le
17:33fait qu'il ne se représente
17:35pas à la présidentielle
17:37de novembre,
17:39lui donne une liberté de ton, et peut-être
17:41d'action supplémentaire
17:43qu'il n'avait pas
17:45s'il avait été en campagne, Frédéric Ancel ?
17:47Liberté de ton, oui. Liberté d'action,
17:49non. Et c'est le paradoxe d'une
17:51véritable grande démocratie que sont
17:53toujours les États-Unis.
17:55Biden ne veut pas, en vraie
17:57démocratie, je veux dire démocrate au sens générique du terme
17:59qu'il est, ne veut pas prendre
18:01la responsabilité morale aujourd'hui
18:03de dire, et surtout d'acter
18:05des choses en matière d'affaires étrangères
18:07qui mettraient éventuellement en difficulté
18:09son ou sa successeur.
18:11Et a fortiori, si c'est sa successeur,
18:13camarade démocrate est là avec un
18:15dé minuscule. Donc oui, aujourd'hui, il peut
18:17s'exprimer davantage, mais je pense que
18:19pour la même raison, et c'est un faux paradoxe,
18:21jusqu'au 5 novembre, il n'agira pas
18:23de manière forte. Il n'y aura pas,
18:25il n'y aurait pas de différence
18:27de politique étrangère
18:29sur ce dossier
18:31si Kamala Harris venait
18:33à être élue.
18:35Quand elle sera élue ? Quand elle sera dans le bureau ovale,
18:37bien sûr, tant qu'elle est candidate, elle est
18:39d'une certaine manière plus
18:41fragile que jamais. Mais ce qui est évident,
18:43c'est que Netanyahou compte évidemment
18:45sur la victoire de Trump, comme Poutine d'ailleurs,
18:47pour reprendre le papier de
18:49Pierre Haski. Tout cela parie
18:51sur la fin du droit international,
18:53sur l'avènement du
18:55règne de la force, ça n'est pas écrit
18:57et donc, oui, le droit
18:59international est la seule solution
19:01pour séparer des belligérants.
19:03Que ce soit des gens qui ont subi
19:05une violence dans l'espace public
19:07en France ou que ce soit entre deux États.
19:09Le droit international est la seule
19:11solution pragmatique pour
19:13mettre fin à ce conflit.
19:15Et si Trump revenait au pouvoir,
19:17quelle pourrait
19:19être la position
19:21américaine ? Je pense que
19:23Trump et Netanyahou sont tous les deux
19:25très cyniques. Je pense que Netanyahou
19:27aujourd'hui pense qu'il a deux, trois
19:29mois pour faire tout ce dont il
19:31veut faire et de ce dont il pense
19:33avoir besoin de faire.
19:35Et si Trump est élu, en janvier,
19:37en février, il pourrait déclarer
19:39la victoire
19:41à Gaza. Il va la définir comme
19:43il voudra et il voudra
19:45empocher un accord
19:47stratégique avec l'Arabie saoudite
19:49que Trump pourrait mettre
19:51en place pour continuer les
19:53accords d'Abraham. Je pense qu'ils sont
19:55tous les deux aussi cyniques l'un que l'autre.
19:57Le problème, évidemment, c'est que
19:59depuis un an, la diplomatie
20:01américaine a montré qu'elle était faible,
20:03qu'elle ne savait pas utiliser
20:05ses leviers. Ce n'est pas d'ailleurs
20:07une situation sans précédent. Vous savez,
20:09Eisenhower, Reagan et
20:11George H. W. Bush ont tous
20:13utilisé les leviers qu'ils avaient
20:15contre Israël à un moment pour
20:17infléchir des conduites de guerre de la part d'Israël.
20:19Aujourd'hui, les Etats-Unis
20:21ont oublié comment utiliser leurs
20:23puissances et leurs leviers avec
20:25un des alliés les plus importants des Etats-Unis.
20:27Frédéric Ancel...
20:29Je serais peut-être encore un tout petit peu nuancé
20:31et Rime a eu raison de lâcher
20:33le nom d'Arabie saoudite.
20:35Depuis le début de cette guerre terrible,
20:37tout de même, un phénomène géopolitique
20:39ne laisse de nous passionner.
20:41C'est le soutien,
20:43parce que franchement, il s'agit d'un véritable soutien
20:45et parfois jusqu'à la dimension militaire
20:47de la grande majorité
20:49des régimes arabes
20:51qui d'ailleurs aujourd'hui sont très modérés.
20:53En tout cas, sur la question israélo-palestinienne,
20:55la majorité d'entre eux sont plutôt modérés.
20:57Et c'est vrai pour l'Arabie saoudite,
20:59pour les Émirats, mais ça va jusqu'au Maroc.
21:01Et qui, finalement,
21:03laisse Israël faire le sale boulot.
21:05Et le sale boulot, c'est la destruction
21:07de l'une des branches les plus fanatiques
21:09des hierrois, des frères musulmans qui,
21:11elles-mêmes, est une confrérie extrêmement violente
21:13et qui fait peur à ces régimes. Et de ce point de vue-là,
21:15au fond, les Etats-Unis
21:17ont-ils réellement
21:19besoin d'exercer autant de pression
21:21sur Israël dans la mesure où même
21:23une partie de ces régimes arabes
21:25ne le souhaitent pas forcément.
21:27Et j'ajoute une cerise sur le gâteau.
21:29Face à l'Iran et au Hezbollah,
21:31on a vu non seulement
21:33les Etats-Unis,
21:35sur le plan politique et militaire,
21:37mais également des pays puissants
21:39encore dans la région comme la France
21:41et le Royaume-Uni, prendre fait et cause
21:43pour Israël. Alors on n'est plus
21:45effectivement à Gaza. Néanmoins,
21:47on reste quand même dans une crise
21:49moyen-orientale avec Israël
21:51comme partenaire principal de ces Etats.
21:53Vincent Lemire, le mot de la fin.
21:55Oui, quand on aura un Premier ministre
21:57et un ministre des Affaires étrangères, et quand on arrêtera
21:59de se regarder le nombril, que ce soit
22:01dans la joie des JO ou
22:03dans le feuilleton grotesque
22:05du prochain gouvernement,
22:07peut-être que la France pourra se souvenir
22:09qu'elle a un siège permanent au Conseil de Sécurité,
22:11qu'elle est le seul siège de l'Europe.
22:13Peut-être qu'elle se souviendra que l'Europe est le premier
22:15partenaire commercial d'Israël et peut-être qu'elle pourra
22:17refaire de la diplomatie.
22:19On peut rêver.
22:21Écoutez, merci à tous les trois.
22:23Frédéric Ancel, je rappelle
22:25ces rencontres géopolitiques
22:27de Trouville-sur-Mer du
22:2919 au 22 septembre.
22:31Vincent Lemire, je rappelle
22:33votre anatomie d'un conflit
22:35avec Thomas Snégaroff aux éditions
22:37Les Arènes. Et Rime
22:39Momtaz, je rappelle que vous êtes
22:41géopolitologue
22:43à Carnegie Europe. Merci encore.

Recommandations