Xerfi Canal a reçu Stephan Pezé, professeur des universités à Toulouse School of Management, Université Toulouse Capitole, pour parler de l'engagement du salarié.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Stéphane Peset. Bonjour Jean-Philippe. Stéphane Peset, vous êtes professeur des
00:13universités Toulouse School of Management, Université Toulouse-Capitole, co-auteur avec
00:18Christelle Théron, également Toulouse School of Management, dans l'article dans la Revue
00:21Française de Gestion, dossier spécial Anthropocène. Managez sur des lignes de crête comment les
00:27collectifs de salariés engagés pour le climat tentent de transformer leur entreprise de
00:31l'intérieur. C'est très intéressant. On va dire que c'est jamais simple de transformer
00:36l'entreprise. Oui. Et quand on est salarié et que ça se passe à l'intérieur, on va le voir,
00:40mais il y a des sujets de lignes de crête. Avant de rentrer dans ce débat-là, j'aimerais bien
00:45qu'on fasse un petit focus sur cet engagement pour le climat des salariés. Je vais citer,
00:49vous avez mené une recherche près de 28 collectifs, je vais citer très très rapidement
00:54les collectifs en question. Accenture, AFD, Airbus Opérations, c'est pas les noms des
01:00collectifs, c'est les entreprises. AXA, BCG, Bering Point, Bouygues Bâtiments Sud-Est,
01:05Dassault Systèmes, Deloitte, EDF, Aegis, Engie, Essilor, IBM, Michelin, Octotechnology,
01:12Oliver Wyman, PMP Conseil, Salesforce, Serge Ferrari, SNCF Consulting, je reprends mon souffle,
01:17Société Générale, Syntech Engineering, Ubisoft, Vendredi, Vinci Energy et WaveStorm.
01:25Ce n'est pas la PME du coin. Le premier collectif, j'ai noté 2014 chez Oliver Wyman,
01:36puis 2017 et après c'est l'explosion en termes de collectifs qui peuvent rassembler jusqu'à 800
01:41salariés. Faites surprise. Est-ce que ça vous a surpris d'abord de découvrir ce monde des
01:48collectifs des salariés qui s'engagent pour le climat et comment on peut le comprendre ?
01:52Ça nous a surpris mais c'était une bonne surprise en réalité de découvrir la tribune qu'ils ont
01:58publiée en 2021 dans les échos pour se faire connaître. C'était vraiment le lancement de la
02:02manifeste. C'est là que vous les avez découverts ? On les a découverts. Pour la petite histoire,
02:05c'est Bertrand Valliore qui est un des éditeurs qui a coordonné le numéro spécial qui était venu
02:10à Toulouse et qui nous a fait découvrir le phénomène. Tout de suite, on a été interpellé
02:14des gens qui veulent transformer leur entreprise de l'intérieur sans qu'on leur ait rien demandé.
02:18C'est intéressant. En creusant, on a vite trouvé que le phénomène n'était pas isolé. Ça se passe
02:23comme vous l'avez dit dans des structures qui sont plutôt prestigieuses, des grandes entreprises du
02:26CAC 40, des grands cabinets de conseil qui sont même surreprésentés dans les 28 collectifs que
02:30vous avez cités. On a essayé de comprendre ce phénomène, pourquoi tout d'un coup ça émerge
02:36aujourd'hui et surtout qu'est-ce qu'ils réussissent à mettre en place parce que cette ambition est très
02:40forte. Mais concrètement, est-ce qu'ils arrivent à aller jusqu'à cette ambition avec toutes les
02:44contraintes ou les difficultés qu'on peut imaginer sur leur chemin ? Avant de rentrer dans le cœur de
02:49votre thèse, à savoir ces fameuses lignes de crête, ces quatre lignes de crête, on verra ce que vous
02:55entendez par ligne de crête, sous-entendu à n'importe quel moment on peut tomber. Ce sont
02:59des positions très inconfortables, les lignes de crête. Vous mobilisez un cadre qu'on voit plus si
03:05souvent mobiliser, et ça c'est très intéressant, le cadre de Barthet et Gauchal, en nous disant
03:10« People, Process, Purpose ». Comment les collectifs se positionnent par rapport à ce cadre ? Pourquoi
03:17vous avez choisi ce cadre ? Est-ce qu'on avait besoin d'organiser la typologie des actions que
03:23ces collectifs réussissaient à mettre en place ? On s'est aperçu que c'est une façon de classifier
03:28les actions qui faisait sens et qui permettait de bien comprendre les trois niveaux sur lesquels
03:31ils essayaient d'intervenir. Ça forme comme une espèce de pyramide avec « People » vraiment à la
03:36base. La majorité des actions qu'ils réussissent à mettre en place sont des actions de sensibilisation
03:40à destination du personnel. Souvent d'ailleurs, ils utilisent des outils comme la fresque du
03:45climat, ou ils organisent des événements dans le cadre de journées, type Journées de la planète,
03:49ou autres semaines européennes, par exemple, du développement durable. Donc c'est vraiment la base,
03:54sur la base de laquelle ils construisent le deuxième niveau, que vous avez rappelé, donc
03:56plutôt process. Et là, on a vu des actions se mettre en place qui sont un peu moins nombreuses,
04:00mais parce qu'elles sont un peu plus difficiles, où les collectifs vont aller discuter avec des
04:04services fonctionnels dans l'entreprise. Alors ça peut être la responsabilité sociétale de
04:09l'entreprise, la direction numérique, les ressources humaines, les services généraux, etc. Et il s'agit
04:15d'essayer de transformer les processus. Et donc dans les processus qu'on peut signaler, il y a
04:19aussi une politique mobilité qui serait un peu différente. Donc par exemple, prendre l'avion un
04:23peu moins souvent, privilégier la visioconférence ou le train, avec des règles de l'organisation
04:26qui vont venir s'imposer aux individus. C'est plus le choix individuel, cette fois, l'organisation
04:31qui change sa manière de concevoir la mobilité. Mais ça peut être aussi, avec la direction des
04:35systèmes d'information, trouver un moyen de prolonger la durée de vie des équipements ou
04:38de réduire la pollution numérique. Et le dernier, donc le dernier étage de la pyramide, et ça
04:44ressemble aussi à le chapeau. Mais le dernier étage, c'est « purpose vision », c'est-à-dire
04:48on va essayer de travailler sur le business model de l'entreprise, sur sa stratégie. Et là, ces
04:53collectifs ont un peu plus de difficultés à avoir une longue liste d'actions à la matière. C'est
04:58normal parce que c'est le domaine réservé de la direction. C'est là où on va toucher au cœur
05:01de métier, donc c'est plus difficile d'aller jusque là. Et vous l'avez rappelé, les collectifs sont
05:05assez jeunes encore. Mais néanmoins, ils adressent à la direction un signal clair au travers de lettres,
05:10signées souvent par un grand nombre de salariés, des manifestes. Ils constituent un pool de salariés
05:16qui s'identifient, enfin qui est identifié en tout cas assez vite comme étant sachant sur les
05:20questions socio-écologiques. Donc la direction peut aussi les solliciter, le cas échéant, pour
05:24les faire participer à des réflexions. Par exemple, plan de sobriété, comment vous voyez les
05:28choses ? Vous, vous connaissez bien l'entreprise, vous êtes sensible à ces enjeux. Aidez-nous à
05:31réfléchir en plus de ce qu'on fait déjà avec les spécialistes RSE par exemple. Et puis, il peut se
05:36créer comme ça des relations plus ou moins régulières avec la direction et à terme, potentiellement,
05:41amener la direction à prendre des décisions qui soient plus en faveur de l'intégration des enjeux
05:45socio-écologiques dans le cœur de métier des activités de l'entreprise. On comprend qu'évidemment,
05:50face à de tels collectifs d'activistes internes, voilà, c'est comme ça que vous les qualifiez,
05:54les activistes internes, évidemment, ça suscite des résistances et j'ai envie de dire que c'est
05:58ce dont vous vous rendez compte déjà, Barthé Tégauchal, quand il disait on résonne sur ces trois
06:02niveaux là, people, process, purpose, parce que finalement c'est ça une organisation, c'est pas
06:07juste une hiérarchie très stabilisée, mais évidemment ça peut déstabiliser les hiérarchies.
06:11On va voir donc ces lignes de crête. Merci à vous. Je vous en prie. Merci Jean-Philippe.