Budget, dette publique : Bruno Le Maire et Thomas Cazenave auditionnés devant la Commission des Finances
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00:00Europe 1 soir, 19h21, Pierre de Villeneuve.
00:05Et je salue les débatteurs de ce soir.
00:07Bonsoir Gilles Boutin, chef des informations au Figaro.
00:10Bonsoir Alexandre Malafaille, fondateur du laboratoire d'idées Synopia.
00:15Et bonsoir à vous Philippe de Sertin, économiste, directeur de l'Institut de Haute Finance.
00:24Bruno Le Maire, devant la commission des finances.
00:29Voilà ce que dit le ministre de l'économie sur l'état de la France et notamment l'état de la dette.
00:34La troisième période qui s'ouvre, c'est celle du retour à la normale.
00:38Et c'est dans le fond la période la plus difficile parce qu'il y a une caractéristique française.
00:43C'est qu'une fois que nous avons dépensé, nous ne savons pas revenir à la normale et économiser.
00:48Quand vous regardez sur les 30 ou 40 dernières années, la grande singularité française, elle est là.
00:53Nous sommes incapables de débrancher les mesures exceptionnelles pour revenir à la normale.
00:59Et bien moi je persiste et je signe, cette troisième phase, celle qui s'ouvre depuis fin 2023,
01:05doit être marquée par le retour à la normale, la réduction des dépenses et le retour à l'équilibre des finances publiques.
01:12C'est ce que la France, je le redis, n'est jamais capable de faire en sortie de crise et ce qu'elle doit faire cette fois-ci.
01:19Philippe Dessertine, quelle est votre analyse de cette sortie de Bruno Le Maire ?
01:24On a l'impression que c'est un cadeau d'empoisonné et qu'il, de surcroît, se lave les mains.
01:31Oui, je ne sais pas, du point de vue politique, je ne vais pas rentrer dans ce débat-là.
01:35Je vais être moi d'un point de vue technique.
01:37Alors ce que dit Bruno Le Maire est tout à fait juste.
01:39C'est-à-dire qu'en effet, les Français sont les seuls Européens qui ne sont pas parvenus à réduire de façon significative leur déficit budgétaire.
01:48Y compris parmi les pays qui sont comme nous actuellement en processus de déficit excessif,
01:53la France, très clairement, considère, quand on dit la France, c'est-à-dire le personnel politique,
01:58mais aussi finalement les Français, que ce n'est jamais le moment de remettre l'ordre dans les finances publiques.
02:05C'est-à-dire que quand on est en croissance, il ne faut pas croisser la croissance.
02:08Et quand on est en crise, on dit c'est la crise donc on ne peut rien faire.
02:11Alors que nous voyons nos voisins, effectivement, qui pendant des périodes difficiles, ont réussi de façon spectaculaire à redresser leurs finances publiques.
02:18Et je dirais de manière assez rapide, évidemment, avec un certain nombre d'efforts.
02:22Et des efforts faits non seulement par la population, mais aussi évidemment par l'administration publique de ces différents pays européens.
02:29Mais alors comment est-ce qu'on peut tendre, j'allais dire l'arc, en nécessitant, en imposant en fait ce changement, et peut-être un peu d'austérité par-ci par-là ?
02:39C'est une vraie question. Vous voyez, tout de suite, on est en train de parler d'austérité.
02:42C'est-à-dire, c'est au fond les mesures qu'on envisage d'ici la fin de l'année.
02:46Parce qu'il faut le redire, le déficit de 2024 sera supérieur au 5,1% qui était prévu.
02:52Et donc là, effectivement, on est quasiment sûr maintenant qu'on sera beaucoup plus proche des 5,5 et peut-être même des 5,6.
02:59Donc ce que dit Bruno Le Maire, pour vous, est inexact.
03:01Quand il dit que la France peut tenir son objectif d'un déficit à 5,1 en 2024, c'est inexact.
03:06Disons qu'il ne sera plus là en décembre.
03:09Donc effectivement, il peut se passer tout un tas de choses d'ici décembre.
03:13A priori, il ne se passera rien qui permettra réellement de tenir le déficit à 5,1 ou à 5,5,
03:21qui sont déjà des déficits extraordinairement importants par rapport à la moyenne de la zone euro.
03:26Je crois qu'il faut le rappeler sans cesse. On ne parle pas d'un équilibre à 5,1.
03:29On parle vraiment d'un déficit qui est un déficit lourd.
03:32Grosso modo, la zone euro est aux alentours en moyenne de 3%, nous compris.
03:35Ce qui veut dire que même l'année prochaine, on sera aux alentours de 2,8%.
03:39Pour la zone euro tout entière, nous compris.
03:42Ce qui signifie que nous plombons de façon très forte les comptes de la zone euro.
03:47Et en plus de ça, pardonnez-moi Philippe de Certines, mais vous me corrigerez si j'ai tort,
03:51on rembourse de plus en plus de ce qu'on appelle des intérêts de la dette.
03:55Ce qui fait qu'au lieu de faire des réformes structurelles qui coûtent beaucoup d'argent,
03:59on rembourse des intérêts, comme par exemple sur des crédits immobiliers.
04:04Vous me permettez de corriger juste le terme que vous utilisez ?
04:07On ne rembourse pas, on paye.
04:09Ça laisserait penser que peut-être on est en train de rembourser la dette.
04:13Nous n'avons jamais remboursé de dette.
04:15Nous payons, en plus de la dette que nous devons toujours, des intérêts tous les ans
04:20qui ont cru de façon assez substantielle du fait de l'augmentation de ces taux d'intérêt
04:26auxquels la France emprunte.
04:28C'est-à-dire que pendant des années, nous avons eu la chance,
04:31on va dire une chance technique, mais volontaire,
04:34puisque ce sont les grandes banques centrales occidentales
04:38qui ont pris la décision de baisser anormalement les taux d'intérêt,
04:41ce qui a été une chance formidable.
04:43Plus la France s'endettait, moins elle payait de taux d'intérêt.
04:46Et maintenant, évidemment, la tendance est inversée.
04:49Mais je crois juste, si vous me permettez,
04:51la question de l'austérité, si j'y reviens tout à l'heure,
04:53c'est de dire qu'on comprime la dépense publique.
04:56Le problème français, c'est que non seulement nous avons la dépense publique
05:00la plus élevée de l'OCDE, de tous les pays développés,
05:04mais nous avons aussi une insatisfaction de plus en plus forte
05:08des citoyens vis-à-vis de leurs services publics,
05:10et en particulier les services publics fondamentaux,
05:12comme l'éducation ou comme la santé.
05:14Ce qui veut dire que, non seulement, si nous réduisons la dépense publique,
05:19nous allons effectivement être dans une manière d'austérité,
05:21mais nous allons probablement encore plus faire dysfonctionner
05:24des services publics qui n'apportent pas du tout les services que l'on attend d'eux.
05:28Et surtout, vous allez avoir des français, mais comme vous le dites déjà,
05:31un peu en filigrane, des français qui ne comprennent pas où vont leurs impôts.
05:35Philippe de Sertin, on a entendu plusieurs propositions,
05:39et c'est intéressant d'y revenir, puisque ça ne vous a pas échappé
05:43qu'au lendemain des législatives, nous avons trois blocs politiques
05:47qui sont quasi égaux, avec 190 députés pour le nouveau Front Populaire,
05:52160 pour ce qu'on appelle le Bloc Central, et 143 pour le Rassemblement National.
05:56Prenons les deux extrêmes, vous avez l'extrême gauche qui dit
05:59« Ah ben, c'est simple, pour réduire et résorber l'économie,
06:03on va prendre aux plus riches, on va faire des taxation aux plus riches. »
06:06Et puis d'ailleurs, vous avez également entendu, et j'aimerais votre analyse là-dessus,
06:10Jean-Luc Mélenchon dire en gros « La dette, on s'en fiche,
06:13si on ne la rembourse pas, ce n'est pas grave, les 3% du PIB. »
06:16Et vous avez Laurent Jacobelli, encore tout à l'heure, ici, dans cette émission,
06:20qui disait « Nous, on compte faire des économies, notamment sur l'immigration.
06:25Est-ce que ces deux pans, les plus riches et l'immigration,
06:28sont, j'allais dire, des manières efficaces
06:32pour lutter contre la situation à laquelle nous faisons face ? »
06:35Alors je crois d'abord que les programmes proposés au moment des législatives
06:39étaient tous spectaculaires, tous, sans exception,
06:42par le fait qu'en réalité, ils n'avaient pas pour objectif
06:45de réduire le trou qui existe aujourd'hui.
06:48C'est-à-dire que lorsque, par exemple, on proposerait d'augmenter les impôts,
06:51il faut toujours rappeler, le ministre de l'économie l'a dit tout à l'heure,
06:54à mon sens d'ailleurs, il a dit « La France est le pays de l'OCDE
06:58ayant les impôts les plus élevés. »
06:59Ce n'est pas tout à fait juste, ce sont les prélèvements obligatoires.
07:03C'est-à-dire, quand on va dire « On a les impôts qui baissent »,
07:05vous pouvez avoir un impôt qui baisse, mais des prélèvements à droite et à gauche,
07:08dont parfois, vous avez un peu de mal à avoir connaissance,
07:11mais en réalité, qui prélèvent une partie de votre richesse.
07:14Donc, nous sommes déjà avec un taux de prélèvement obligatoire extrêmement élevé.
07:18Lorsque l'on dit « On va rajouter »,
07:20on a eu dans des programmes, par exemple, des hypothèses de 250 milliards d'entrées fiscales.
07:25Logiquement, ces 250 milliards, ils devraient être consacrés
07:28à essayer juste de combler le trou, avant de faire quoi que ce soit.
07:32C'est-à-dire, les mesures qui sont envisagées,
07:34sont des mesures, entre guillemets, que l'on va dire « financées ».
07:37En réalité, rien n'est financé, puisque vous êtes déjà,
07:40avec grosso modo, si on est dans cette idée,
07:42que par rapport aux recettes, grosso modo, 320 milliards tous les ans pour l'État,
07:47vous avez un déficit de 150 milliards.
07:49C'est-à-dire, il vous manque 50% de vos recettes pour financer vos dépenses.
07:53C'est ça la réalité.
07:54Là, quand on n'est pas en train de parler en pourcentage de PIB,
07:57la réalité sur les impôts que vous payez,
08:00en fait, il faudrait avoir 50% d'impôts en plus,
08:03pour être juste à zéro, c'est-à-dire payer les dépenses.
08:07Ce que font d'autres pays, voire même d'autres pays européens, sont en excédent.
08:11C'est-à-dire, on doit bien avoir conscience que ça n'est pas infaisable.
08:14Beaucoup d'autres, énormément d'autres le font,
08:17y compris des pays beaucoup plus pauvres que nous.
08:19Mais la France, et pour le coup là, Bruno Le Maire a raison, ne s'y résout jamais.
08:23Et effectivement, on sent bien qu'actuellement,
08:25quand vous êtes en train de parler des programmes,
08:27soit on trouve des nouveaux financements,
08:29soit on considère que l'on va avoir, effectivement,
08:32quand vous dites « on va arrêter l'immigration »,
08:34on est en train de parler de 150 milliards par an de déficit.
08:37On est très très loin, évidemment quand on est en train de poser des questions
08:41sur techniquement combien cela doit rapporter, très loin du compte.
08:44Donc ça signifie que sans arrêt, on est dans une chimère,
08:47dans une chimère qui est, pour le moment, une chimère qui tient,
08:50parce que nous pouvons nous endetter à des taux bas,
08:53parce que la France a bénéficié, depuis l'an 2000, des taux bas de la zone euro.
08:59Merci beaucoup Philippe de Sertin d'avoir été avec nous sur Europe 1, 20h23.
09:08Et avant d'écouter Alexandre Malafaille et Gilles Boutin
09:11sur cette analyse du pays au point de vue économique,
09:14écoutez ce que disait le premier président de la Cour des comptes,
09:17Pierre Moscovici, c'était hier soir sur LCI.
09:20Ce que je crois, c'est que ça fait quelques années
09:22qu'on s'accroche à une encre, 3%,
09:24et qu'ensuite on dit « on va faire 3% »
09:26et on construit les chiffres autour de l'encre en question.
09:30Autrement dit, oui, c'est vrai que ces dernières années,
09:32notamment ces deux dernières années,
09:33les prévisions de croissance ont été optimistes.
09:35C'est vrai que les prévisions de recettes ont été optimistes
09:37et on constate que les impôts rentrent moins bien cette année,
09:40moins bien en 2023, après deux années exceptionnelles en 2022 et 2021.
09:44C'est vrai que les cibles ont été très ambitieuses
09:48et qu'elles n'ont pas été tenues.
09:49Moi, ce à quoi j'appelle, c'est à l'action.
09:51Et à une action, je le répète, crédible et sérieuse,
09:53parce que la situation est très grave
09:56et les remèdes exigent beaucoup de courage,
09:58de force et de vraies réformes.
10:00C'est un peu le paradoxe et le problème de Pierre Moscovici,
10:02c'est qu'il a un devoir de réserve.
10:04Donc, il est premier président de la Cour des comptes,
10:06mais il fait des constats, mais il ne peut pas faire de solution.
10:09Alexandre Malafaille, je vous ai senti très inquiet
10:13lors de l'interview de Philippe de Sertines,
10:16qui a vraiment, je pense, brillamment résumé la situation.
10:19Oui, je suis inquiet parce que j'ai quand même fait l'effort,
10:21avant de venir ce soir, d'écouter pendant près d'une heure,
10:23une heure et quart, la commission des finances réunie
10:26autour de ces deux ministres sortants.
10:28Bruno Le Maire et Thomas Cazenal.
10:29C'est ça. C'était quand même assez effondrant de qualité
10:31et surtout de dialogue de sourds
10:33entre deux partis, deux blocs qui ne se parlent pas,
10:35qui ne se comprennent pas.
10:36C'est habituel, non ?
10:37Oui, mais à ce niveau-là, c'est quand même assez frappant,
10:39puisqu'il est terrifiant également pour nos concitoyens,
10:42c'est la différence de niveau.
10:43Dans cette commission, il y a des gens qui sont très compétents
10:46comme Charles de Courson et d'autres qui ne le sont pas du tout.
10:48Et on en vient à entendre le député Lecoq des Insoumis,
10:52qui a traité Bruno Le Maire à deux reprises de voleur.
10:54Donc, Bruno Le Maire répondant que s'il n'avait pas été ministre sortant,
10:57il l'aurait poursuivi en diffamation.
10:59Bon, cela dit, je suis assez exaspéré par ce type de déclaration
11:04de Bruno Le Maire qui dit que la France peut tenir les 3 % en 2027,
11:08elle peut tenir les 55,1 %.
11:10Il ne dit pas comment.
11:11Et puis, deuxièmement, il y a quand même un tour de passe-passe budgétaire
11:14où tout d'un coup, on accable les collectivités territoriales.
11:17Là aussi, ça a fait un débat au sein de la commission
11:19et il n'y a pas de lumière qui est sortie de ce débat.
11:21On dit tout d'un coup, oui, en fait, on a pris un plomb de 10 milliards d'euros
11:24parce que les collectivités devaient déraper,
11:26mais elles n'auraient pas dû parce qu'on a fait tout ce qu'il fallait pour,
11:29de 5 et quelques milliards.
11:30Et là, on est à un peu plus de 16.
11:31Donc, c'est aussi de la faute des collectivités.
11:33Franchement, cet espèce de manque de loyauté, il l'interpelle.
11:36Gilles Boutin.
11:37Je crois que Bruno Le Maire a largement sa part de responsabilité,
11:40mais sa tâche n'a pas été facilitée par Emmanuel Macron.
11:43Et il y a un schéma sous sa présidence
11:45qu'on peut retrouver sous toutes les autres présidences.
11:47C'est-à-dire que Macron a dit, il ne faut pas emmerder les gens.
11:50Je crois que tous les autres présidents disaient à peu près la même chose.
11:53Chirac disait, il faut rassurer.
11:55C'est systématique.
11:56Vous avez aussi Chevènement qui disait,
11:58un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne.
12:03À un moment donné, si vous n'êtes pas d'accord avec ce que vous dit le chef de l'État,
12:08vous êtes ministre de l'Économie, vous pouvez très bien partir.
12:11Et de fait, il est désormais solidaire des volontés exprimées par Emmanuel Macron.
12:16Mais je trouve qu'il y a quand même,
12:18je me souviens de cette phrase de Macron qui était extrêmement révélatrice.
12:21C'était en mars dernier.
12:23Des propos étaient fuités sur une réunion budgétaire entre Macron et Le Maire, entre autres.
12:28Bruno Le Maire, depuis quelques jours ou quelques semaines,
12:30disait qu'il allait falloir se serrer la ceinture.
12:32Il en avait parlé dans son livre.
12:34Macron était exaspéré.
12:35Il lui avait dit, Bruno, ça fait quand même sept ans que t'es là.
12:38Oui, c'était magique.
12:40C'était magique, humiliant et en même temps,
12:43pour parler comme le président,
12:45c'était aussi de son fait.
12:47C'est-à-dire qu'Emmanuel Macron, depuis le début,
12:50ne croit pas à la réduction,
12:52pas outre mesure en tout cas,
12:54pas à la réduction de dépenses.
12:55Lui, ce qu'il voulait, c'était la croissance.
12:57Il ne voulait pas remonter les impôts.
13:00Il ne voulait pas serrer non plus le budget.
13:02Il était persuadé que ça allait rapporter de l'argent.
13:04En termes de raisonnement, ce n'est pas faux.
13:06Le problème, c'est que quand vous avez des événements,
13:08on rembourse.
13:09On paye des intérêts de la dette.
13:10De toute façon, à un moment donné...
13:11Il a oublié qu'il y avait des aléas.
13:12Il a oublié, exactement,
13:14le côté imprévisible du Covid
13:16et puis même des gilets jaunes qui ont déjà...
13:18Les peanuts par rapport aux mille milliards de dettes supplémentaires,
13:20on a chiffré, c'est 200 et quelques.
13:23Où sont les 800, pardon ?
13:25C'est une grosse peanut.
13:26Ils sont passés en train d'y courant de l'État.
13:28Ils sont passés dans les dépenses qu'on n'arrive pas à maîtriser
13:30et puis les robinets qu'on ouvre
13:32et puis les économies qu'on ne fait pas.