Caen, dans le Calvados. Une sonnerie annonce « la Cour ! » et la caméra plonge pour la première fois au coeur d'une audience criminelle. A l'occasion de l'expérimentation d'une nouvelle instance judiciaire, Laetitia Ohnona a pu filmer l'intégralité d'un procès d'inceste.
Très semblable à la cour d'assises, la cour criminelle ne juge que les crimes punis de vingt ans de prison maximum. En somme, une écrasante majorité de viols.
Avec cette différence majeure qui fait l'effet d'une révolution dans le monde judiciaire : l'absence du jury populaire. Ici, seuls cinq juges sont appelés à rendre un verdict, posant la question quasiment philosophique de la participation des citoyens à la justice.
A double lecture, ce documentaire questionne le devenir d'un système judiciaire en souffrance, mais permet aussi de poser des mots et des images sur l'un des crimes les plus répandus en France : l'inceste.
Très semblable à la cour d'assises, la cour criminelle ne juge que les crimes punis de vingt ans de prison maximum. En somme, une écrasante majorité de viols.
Avec cette différence majeure qui fait l'effet d'une révolution dans le monde judiciaire : l'absence du jury populaire. Ici, seuls cinq juges sont appelés à rendre un verdict, posant la question quasiment philosophique de la participation des citoyens à la justice.
A double lecture, ce documentaire questionne le devenir d'un système judiciaire en souffrance, mais permet aussi de poser des mots et des images sur l'un des crimes les plus répandus en France : l'inceste.
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PersonnesTranscription
00:30...
00:49Notification.
00:50...
01:00L'audience est ouverte, nous pouvons nous asseoir.
01:02...
01:05Les faits.
01:07Le 27 mai, madame s'est présentée au commissariat de police
01:11pour déposer plainte à l'encontre de son mari
01:13pour violences psychologiques et économiques.
01:16Insultes répétées, paroles humiliantes.
01:19Elle a également dénoncé des faits de menaces avec armes,
01:23de chantage et de viols.
01:25Le 20 août, madame a de nouveau contacté les militaires
01:29de la gendarmerie, à propos cette fois de son fils,
01:32âgé de 7 ans, qui venait de lui révéler
01:35qu'il avait été violé par son père.
01:37L'enfant avait mimé devant elle une scène de sodomie.
01:42Fait qualifié de crime de viol sur mineurs de 15 ans
01:45par ascendant, qualifié d'incestueux,
01:48et la peine maximale prévue par la loi pour ce crime
01:51est celle de 20 ans de réclusion criminelle.
01:53...
01:55Depuis leur création, en 2019,
01:57les cours criminels ont jugé 92 % d'affaires de viol.
02:02Plus de la moitié ont été commises sur des mineurs.
02:05Est-ce que vous pouvez déjà, aujourd'hui, nous redire,
02:08c'est la procédure orale qui le veut,
02:10nous redire de quoi vous vous accusez, monsieur ?
02:13J'accuse monsieur.
02:14...
02:16J'accuse monsieur d'avoir violé mon fils.
02:19En moins de 2 reprises.
02:25Alors, pouvez-vous nous redire dans quelles circonstances
02:28vous avez appris ce qui se serait passé ?
02:31Un soir, en récupérant mon fils,
02:34il me dit que je n'ai pas été lavé chez papa,
02:37donc ce serait mieux de prendre un bain chez mamie
02:40parce que ça lave mieux.
02:43Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il me dise ça.
02:46Il me dit que j'ai les fesses rouges.
02:49Je dis qu'on ne peut pas être à mine fessée,
02:51mais je n'ai pas du tout pensé à ça.
02:53Et là, il me dit que non, papa, il a mis sa quéquette dans les fesses.
02:57Et il me dit, à toi, maman, je te montre,
03:00avec le dinosaure.
03:02Il me dit que ça, c'est le grand papa,
03:05c'est le papa, le grand dinosaure.
03:07Et le petit dinosaure, c'est moi et papa.
03:10Il a bien mimé.
03:13Il a fait quels gestes ? Qu'avez-vous vu ?
03:16Le papa dinosaure, la queue en arrière, comme ça.
03:20Et le petit, comme ça.
03:23Avec des gestes comme ça, il faisait bouger le gros.
03:27Et comment il était quand il expliquait ça ?
03:30Je rappelle...
03:31C'était pas quelque chose de mal pour lui.
03:33Il allait avoir 7 ans.
03:35Il n'avait pas l'air de souffrir.
03:39Il m'a dit, t'inquiète pas, maman,
03:41c'est que la première fois que ça fait mal.
03:57Je reprends la chronologie, elle est importante.
03:59Il vous montre alors ce qui serait passé en mimant la scène
04:04avec deux petits dinosaures,
04:06petits jouets flottants dans le bain, c'est ça ?
04:09Oui.
04:10Là, qu'est-ce que vous faites, madame ?
04:13Je n'y crois pas.
04:14Vous n'y croyez pas, oui.
04:15J'appelle ma mère, qui est dans la pièce à côté.
04:18D'accord.
04:20Pour qu'elle prenne le relais, que peut-être tu lui parles.
04:23Il lui a répété la même chose.
04:25D'accord. Je vous remercie de ces premières précisions.
04:29Maître Gigné.
04:30Aujourd'hui, devant cette cour,
04:32vous expliquez que vous avez voulu le provoquer parce que,
04:35je vous cite,
04:37personne ne nous croit.
04:39Je voudrais que vous nous disiez, c'est qui, personne ne nous croit ?
04:43Je vais vous le dire.
04:44Quand on va à la gendarmerie, on passe pour la femme célibataire
04:47qui veut absolument son enfant quitte cocoute.
04:50Ces questions sont de telle manière
04:52qu'on nous fait comprendre à chaque fois
04:56que ce n'est pas vrai, que c'est nous qui avons inventé.
04:59Et du coup...
05:00Donc ce sont les professionnels qui vous ne croient pas.
05:03Oui, mais je ne suis pas la seule participile
05:06à devoir ressentir ça, je pense.
05:09Finalement, on est accusé de...
05:12On est accusé d'inventer les choses
05:15pour nuire...
05:18à la défense.
05:19C'est ce que vous allez essayer de faire aujourd'hui.
05:22Votre métier, c'est normal.
05:24Ça sera demain pour moi.
05:26J'ai pas d'autres questions.
05:27La cour criminelle, comme la cour d'assises, reste un théâtre.
05:30Tout est identique à l'exception de la présence des jurés.
05:34La cour, composée ici de cinq juges,
05:36l'avocat général, qui représente les intérêts de la société,
05:39la partie civile, qui a porté plainte,
05:41et la défense, donc l'accusé.
05:45On a beaucoup parlé, peut-être, de la perte du cérémonial,
05:49des rituels, des côtés un peu sacrés.
05:53La cour d'assises emprunte beaucoup au vocabulaire religieux.
05:56Je finis par me demander si c'est là, l'important.
06:01Est-ce que l'important, c'est de faire peur,
06:04c'est d'impressionner,
06:05ou est-ce que l'important, c'est qu'on prenne le temps qu'il faut
06:12pour permettre à chacun de parler ?
06:15Nous allons, donc, monsieur,
06:17procéder à votre interrogatoire de personnalité.
06:23La loi prévoit que pour juger dignement
06:27et de façon éclairée un accusé,
06:29la cour doit connaître son histoire.
06:32Vous avez la parole, monsieur.
06:34J'ai pas eu une jeunesse, ce qu'on peut dire, heureuse.
06:38J'étais quelqu'un d'une carrosse.
06:40Dès qu'il y avait quelque chose dans la famille, c'était moi qui prenais.
06:44Au niveau de mon caractère, je suis quelqu'un qui est vrai, qui est impulsif,
06:48qui était impulsif.
06:49C'est vrai que j'ai eu tendance à m'énerver pour pas grand-chose.
06:54Quand elle a porté plainte contre moi, j'ai pas compris.
06:57Qu'elle veuille partir, oui, parce que j'aurais été à sa place.
07:01Je fais partie depuis même depuis très longtemps.
07:03Et puis après, pour les filles qui se sont reprochées,
07:05non, j'ai jamais fait de mal.
07:06Ou mes enfants, aucun des deux.
07:08Mes enfants, c'est ma raison de vivre.
07:11Je comprends pas les accusations qu'ils portent autour de moi,
07:13mais c'est mon fils et je l'aime, quoi.
07:17L'étude à l'audience criminelle de la personnalité de l'accusé
07:22prend quelquefois du temps.
07:23Moi, j'explique, on est là pour juger des actes
07:26commis par un homme, un individu ou une femme.
07:29Ça va peut-être être long pour les parties civiles,
07:31ce temps qu'on va passer,
07:32parce que la partie civile a l'impression, il me semble,
07:35que tout ce qui va être dit sur la personnalité de l'auteur
07:39va avoir tendance à emmener la clémence.
07:42Mais c'est pas forcément facile non plus
07:45pour un auteur de voir toute sa vie disséquée
07:48de sa naissance au moment du procès,
07:51en passant par qu'il était maltraité par ses parents,
07:55que ses parents étaient alcooliques,
07:57que les parents n'avaient pas d'argent.
07:58Tout ça, ça fait partie de l'étude de la personnalité.
08:02Ce qui vous est reproché, là, aujourd'hui,
08:04c'est des faits d'inceste.
08:07On parle encore et toujours de sexe.
08:10Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots
08:13quelle part vous avez accordé, dans le passé,
08:18à cet aspect de la vie, c'est-à-dire l'activité sexuelle ?
08:23Pour moi, l'activité sexuelle fait partie de la vie,
08:27quelque chose d'incorrect.
08:29C'est du plaisir qu'on prend.
08:31D'accord.
08:32Ma question était peut-être insuffisamment précise.
08:35Est-ce que vous pensez que vous avez accordé
08:38ou que vous accordez à cet aspect de la vie humaine
08:42une importance peut-être plus grande que d'autres personnes ?
08:45Est-ce que vous avez plus de demandes, d'idées ?
08:51Non.
08:52Non, pour moi, c'est...
08:54Pour certaines personnes qui ont pu être entendues dans ce dossier,
08:57la réponse à cette question, c'est oui, monsieur,
08:58vous êtes vraiment très, très là-dedans.
09:01C'est un obsédé sexuel, il ne pense qu'à ça.
09:06Bah non.
09:07En cours criminels,
09:09les débats sont menés par un président de cour d'assise.
09:12Les mêmes règles y sont appliquées,
09:14à commencer par la première, essentielle, l'oralité des débats.
09:19On parle, on se contredit.
09:22Le président fait fonctionner ce qu'on appelle le contradictoire,
09:27c'est-à-dire, vous dites, maître,
09:29vous produisez telle preuve ou telle allégation,
09:33en face, qu'est-ce qu'on en dit ?
09:35On met tout dans le débat et donc les choses se disent.
09:37Alors, les partis civils, les questions, monsieur ?
09:40Vous aviez dit, oui, cela est arrivé,
09:42que je regarde des films porno gays et normaux dans le salon
09:45et qu'il jouait sur la console dans sa chambre.
09:48Il ne dormait pas, il était dans sa chambre
09:49et qu'il a pu me regarder voir ça.
09:52Donc, voilà vos déclarations.
09:53Aujourd'hui, vous nous dites que vous êtes plutôt adepte
09:55de films romantiques pour vous endormir.
09:56Ce sont des films, monsieur ?
09:57Les films romantiques, ça a pu m'arriver d'en regarder.
10:00Non, les porno gays, monsieur.
10:01Les porno gays, oui.
10:02Ça m'est arrivé d'en regarder des porno gays.
10:04Mais jamais j'ai regardé un porno gay quand il n'y avait pas de films.
10:08D'accord, une autre question, maître ?
10:09Ce n'est pas une question.
10:10Maître Lemaréchal ?
10:11Non, je n'ai pas de question.
10:13Monsieur l'avocat général ?
10:14Vous vous placez, c'est l'expert qui parle,
10:17vous vous placez aisément en victime.
10:20Oui.
10:21Oui, parce que je n'ai rien fait.
10:22D'accord, donc vous estimez être victime de qui ?
10:26Et de quoi ?
10:27Victime, déjà, aujourd'hui, d'être ici.
10:30Oui.
10:31Et puis d'être victime, c'est que,
10:32comme j'ai toujours dit dans l'histoire,
10:34qu'on me fasse du mal à moi,
10:35j'arrive à un âge où je m'en fiche, j'ai vécu.
10:38Par contre, qu'on me prive de mes enfants,
10:41parce que ça a une importance.
10:43Vous ne pensez pas, monsieur, que les victimes, elles sont là ?
10:47Pour ce que j'ai fait à l'âme, oui.
10:49J'ai insulté, j'ai rabaissé, oui, je n'ai rien fait.
10:52C'est ce que constate l'expert,
10:55que vous vous présentez toujours comme victime,
10:57alors que vous êtes poursuivi aujourd'hui comme auteur, monsieur.
11:01Un procès d'assises peut durer de deux jours à plusieurs semaines.
11:04Les cours criminels permettent de gagner en moyenne une journée d'audience,
11:08notamment parce que seuls les témoins et experts jugés essentiels sont entendus.
11:14Donc vous êtes la compagne actuelle de l'accusé.
11:18Madame, qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur la personnalité de votre compagnon ?
11:24C'est une personne qui est calme, qui est doux,
11:27qui est très attentionnée,
11:29qui n'est pas agressif, qui n'est pas impulsif non plus.
11:32Donc c'est une personne...
11:36Peut-être qu'il était comme ça avant,
11:38mais moi, je sais que depuis qu'on est ensemble, on vit ensemble,
11:41il n'y a pas de... Il n'y a rien de tout ça.
11:43Vous avez dit qu'effectivement, vous en parliez,
11:46parce que ça travaille, c'est votre expression.
11:49Est-ce que vous pourriez être un petit peu plus précise ?
11:53Ça le touche énormément, parce que c'est une histoire...
11:58qui est vraiment bizarre, parce qu'on l'accuse d'une chose qu'il n'a pas fait.
12:02Est-ce qu'il vous a fait part de sa souffrance
12:05d'être séparé de son fils depuis toutes ces années ?
12:08Il ne parle pas beaucoup, mais je vois bien qu'en lui,
12:12ça lui fait très mal, parce que...
12:14Il ne peut pas le voir, il ne peut pas...
12:17Ça, c'est très dur.
12:19C'est-à-dire qu'on va mieux juger en jugeant plus vite,
12:22parce qu'on entendra moins de monde.
12:24Ça m'apparaît être une aberration,
12:26parce que, de mon expérience de cour d'assises,
12:30il se passe des choses à l'audience.
12:32Un témoin qui était chez les gendarmes
12:34persuadé d'avoir vu quelque chose le sera beaucoup moins à la barre.
12:37Et vice-versa, il y a des gens qui sont beaucoup plus sûrs
12:40des années après, ça peut être surprenant.
12:42Ça se passe que parce qu'il y a l'oralité.
12:45Bonjour, madame.
12:46Vous êtes devant la cour criminelle à Caen.
12:49Vous avez été sa compagne.
12:51Vous avez, avec lui, un fils.
12:54Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur la sexualité de monsieur...
13:00Bah...
13:01On le faisait de temps en temps.
13:03Des fois, comme je voulais pas, il me demandait un petit peu.
13:06Mais quand je disais non, c'était non.
13:08Il arrêtait. Il forçait pas.
13:11Vous avez dit...
13:12Était-il doux au violent ? C'était la question.
13:14Ça dépendait des fois.
13:15Lorsque je ne voulais pas, il me forçait un peu.
13:17Il me forçait à le faire, il me tenait les deux bras
13:20jusqu'à temps que je dise oui.
13:21Et j'acceptais, car sinon, il aurait tout le temps insisté,
13:23il m'aurait empêché de dormir.
13:25Et vous avez terminé en disant que vous considériez pas
13:28que c'était un viol, mais la question se discuterait.
13:32Vous confirmez ces épisodes ?
13:34– Oui.
13:35– D'accord.
13:36La seule chose qu'on nous avait dite
13:38lors de la présentation de cette réforme,
13:41c'était, oh ça va, la procédure est écrite.
13:44Grosse différence avec la cour d'assises.
13:45Les magistrats connaissent le dossier,
13:46donc il n'est pas nécessaire de citer tous les témoins et experts.
13:49On est entre professionnels, on leur a lu le dossier.
13:52Et je me souviens que mon associé et moi-même,
13:54nous étions insurgents en disant,
13:55mais ça ne se passera pas comme ça, on refusera.
13:57On va faire citer tous les témoins et experts
13:59que l'on souhaite citer, comme aux assises.
14:02Et jusqu'à présent, sur les affaires de cour criminelle
14:05de camp auxquelles j'ai pu participer,
14:08nous avons passé, je pense, le même temps, quasiment,
14:11que si l'affaire avait été audiencée devant une cour d'assises.
14:13Les experts étaient là, les témoins étaient là.
14:16– Pour certaines affaires, on a pu réduire le temps d'audience.
14:21Ça peut être critiqué, on a peur de la justice expéditive,
14:25on n'a pas envie, effectivement, que les choses soient faites à la va-vite.
14:29J'ai, en ce qui me concerne, le sentiment que,
14:33lorsque l'on a jugé des affaires, par exemple sur une journée,
14:36c'est-à-dire en commençant à 9h et en terminant au plus tard à 22h,
14:41ce qui, pour des magistrats professionnels, est tout à fait tenable.
14:45Et donc, on a pu le faire parce qu'on a fait le choix,
14:49qu'on ne fait pas en cour d'assises, de renoncer à certains témoins
14:55dont la parole est jamais inintéressante, bien sûr.
14:59Mais la question, c'est qu'est-ce qui est essentiellement utile ?
15:04Utile et pour la victime, la personne qui se plaint de quelque chose,
15:09et pour l'accusé.
15:14– Tout comme certains témoins jugés indispensables,
15:16les expertises continuent d'occuper une place centrale en cours criminel.
15:20Elles viennent éclairer l'existence ou non de preuves matérielles,
15:23tout autant que la personnalité de la partie civile et de l'accusé.
15:28– Pour résumer ou synthétiser un petit peu les choses,
15:31on met en évidence quand même des troubles graves de la personnalité,
15:34on a quand même la violence, peu de culpabilité,
15:38il est peu dans l'émotion, donc il n'est pas intimidable,
15:41je reprends le séducteur, en fait c'est quelqu'un qui dégage
15:46un potentiel d'emprise, et je recommande,
15:50compte tenu de la nature des faits qui lui sont prochés,
15:52s'il est condamné, bien entendu, à une injonction de soin
15:55dans le cadre du suivi socio-judiciaire.
15:57– Est-ce qu'il y a des questions de la cour à poser ? Allez-y monsieur.
16:02– Docteur, l'entretien date d'un moment de trois ans,
16:05est-ce qu'il évoquait des violences sexuelles à l'égard de son épouse
16:09à l'occasion de l'entretien ?
16:11– Absolument pas, non, il y a un déni pour tout ce qui est sexuel.
16:15– Tant pour l'épouse que pour l'enfant ? – Absolument.
16:18– D'accord, à bientôt, au revoir docteur.
16:23Vous voulez bien venir à la barre monsieur ?
16:26On connaît votre position, j'ai oublié de vous la demander officiellement tout à l'heure,
16:31comme la loi l'exige, mais vous plaidez, comme on dit, non coupable.
16:36Juste une chose comme ça qui me vient à l'esprit,
16:38c'est que madame, elle avait dit que vous aviez essayé les actes de sodomie,
16:42qu'elle n'était pas favorable et que ça ne s'était pas reproduit.
16:46Bon là, on voit qu'on a affaire, dans le récit en tout cas qui est fait,
16:50à un acte de sodomie, puisque vous étiez frustré de ce genre d'actes,
16:56non, je ne peux pas faire de sodomie, j'ai une érection qui ne permet pas de faire de sodomie.
17:02– Vous avez une érection qui ne permet pas,
17:05bon, vous avez des problèmes d'érection complets,
17:08vous n'arrivez pas à avoir une érection totale ?
17:12– Je n'ai pas une érection totale,
17:13c'est-à-dire que j'arrive à avoir une érection, mais elle n'est pas totale.
17:17– Si vous voulez bien vous lever madame, mais en restant à votre place,
17:19monsieur dit, de toute façon, je ne peux pas, techniquement,
17:23qu'est-ce que vous pouvez, je suis désolée de rentrer dans ces…
17:26mais on savait bien que ça se passerait comme ça,
17:28est-ce que vous vous souvenez si votre mari pouvait quand même avoir une érection semi…
17:33– Non, dure. – Dure ?
17:35– Dure.
17:36– Vous n'êtes pas d'accord avec ce qu'elle dit alors ?
17:39Quand vous faisiez venir ces hommes-là, c'était pour qu'ils viennent,
17:44avoir des relations sexuelles avec votre femme sous vos yeux ?
17:47– Oui. – Bon, c'était pour faire quoi ça monsieur ?
17:51– Déjà pour essayer de… en faisant ça, peut-être que vous allez pouvoir m'exciter,
17:56et pour avoir un rapport.
17:58– Pour avoir cette idée-là, il faut encore avoir de la libido,
18:00il faut encore avoir un minimum,
18:01si c'est complètement mort et que ça ne marche pas, on n'a même pas ce genre d'idée-là.
18:05– Je ne dis pas que ça ne marche pas, je peux éjaculer, je peux avoir une érection,
18:10mais ce n'est pas une érection comme j'avais avant, qui est bien dure.
18:13– D'accord monsieur, mais quand il s'agit de rentrer dans un adulte
18:18et d'un enfant de 7 ans, de toute façon, l'adulte il n'y va pas non plus
18:23comme avec un copain homosexuel.
18:26Ce dont vous êtes accusé, sur un plan purement matériel,
18:30ça pourrait très bien avoir lieu, même avec une érection insatisfaisante pour vous.
18:37– Ah d'accord, je peux être d'accord avec vous, mais moi je n'ai pas solidisé mon fils.
18:42– De tous les crimes, le viol est sans doute celui
18:45qui pose le plus de difficultés en matière de preuves.
18:49Sans aveu, les dossiers sont faits d'éléments matériels
18:52qui peuvent dire tout et son contraire.
18:55– Alors le problème des affaires de viol, d'abord c'est l'absence de témoins,
18:59dans la plupart des cas, c'est tout à fait exceptionnel
19:02que quelqu'un ait vu ces scènes de crime.
19:06Donc on va se trouver devant, souvent, deux versions.
19:12Les accusations portées par la victime, et puis les dénégations.
19:17Alors il va falloir essayer de trouver des éléments de preuves autres.
19:21D'essayer de trouver au plan médical, voir si on a des traces qui ont été laissées,
19:26au plan psychologie de la victime, est-ce que ses propos sont crédibles ?
19:31Donc toute une série d'éléments complémentaires
19:35qui vont permettre d'étoffer l'accusation.
19:38– Bonjour docteur. – Bonjour.
19:40– Vous avez procédé à l'examen de cet enfant ? – Tout à fait.
19:45– Donc je vous laisse faire votre rapport.
19:47– Les organes génitaux étaient sans particularité,
19:50on voyait l'examen anal, donc une fissure ancienne.
19:55C'est vrai que c'est compliqué de faire des examens proctologiques
19:58parce que les fissures anales sont très banales chez l'enfant.
20:02Toutefois, la maman ne nous évoquait pas de constipation.
20:07En tout cas, cette fissure est d'origine traumatique,
20:11a priori sans rapport avec une constipation,
20:15puisqu'elle ne nous était pas rapportée et on ne pouvait pas l'établir.
20:19Mais c'est possible que ce soit en rapport avec des pénétrations péniennes anales.
20:23– Donc vous redites que pour vous cet examen ne permet pas
20:26de confirmer ou d'infirmer l'effet allégué.
20:30Pas d'autres questions ? On peut laisser repartir l'expert.
20:33Merci beaucoup, madame l'expert, à bientôt.
20:38– Quand les éléments matériels ne sont pas probants,
20:41il reste la parole de l'enfant et la valeur qu'on lui accorde.
20:45– Pour la qualité des investigations dans ce type d'affaires,
20:48quand il y a des mineurs qui sont victimes,
20:52je crois qu'on est attentif,
20:54on ne prend pas ce qui est dit comme vérité absolue.
20:59On essaie, à partir de ces accusations,
21:02on essaie de monter un dossier avec des éléments.
21:05Voilà, c'est ça qui est important, la justice c'est ça aussi.
21:08C'est pas des a priori, c'est un travail de construction,
21:12de réunir des présomptions,
21:14de faire qu'elles vont être plus fortes que les doutes,
21:17et donc de faire qu'on peut aller jusqu'à une déclaration de culpabilité.
21:22– Bonjour docteur, donc vous êtes en direct à la cour criminelle de Caen,
21:27donc vous avez pratiqué un examen pédopsychiatrique de l'enfant,
21:31vous aviez pour mission de relever les aspects de sa personnalité,
21:36de décrire le retentissement éventuel
21:38et les modifications de la vie psychique depuis les faits,
21:42dire s'il pouvait être évocateur d'abus sexuels.
21:45– C'est vrai que j'étais assez perplexe après avoir vu cet enfant,
21:49ce que je dis de manière très nette.
21:53– Quand on dit qu'il y a des éléments en défaveur,
21:55ça veut dire que, du coup, comment on en arrive là ?
21:58Pour un enfant de 7 ans, comment on en arrive à ce genre de choses ?
22:02– La représentation pour un enfant,
22:04elle peut être effectivement induite par ce qu'il a vu et entendu.
22:10Quand un enfant voit, il n'y a pas d'émotion quand il en parle.
22:16Quand un enfant subit, il y a l'émotion quand il en parle.
22:21– Votre sens, c'est ce manque d'émotion qui vous a particulièrement frappé ?
22:25– Oui.
22:26– D'accord.
22:27Vous penchez plutôt en faveur de quelque chose qui ne colle pas
22:31par rapport au schéma habituel que vous connaissez
22:37des enfants victimes de ce genre de choses.
22:40Il y a quelque chose qui ne colle pas.
22:41Vous n'allez pas vous avancer à nous dire, à mon sens,
22:44s'il a plutôt… c'est lui qui invente tout
22:46ou alors il a été poussé par quelqu'un à…
22:50– Non, justement, j'avoue que je ne sais pas.
22:53– Madame l'expert, la cour vous remercie grandement
22:56pour votre intervention et vous libère de votre mission.
23:00Au revoir.
23:01– Au revoir.
23:02– Avant de faire une pause, je propose qu'on écoute
23:06juste quelques minutes de l'audition de l'enfant à la gendarmerie.
23:11– Tu es prêt ?
23:12– Pas encore.
23:14– Ah !
23:16– Ah, je n'arrive pas à sortir les mots.
23:19– Je n'arrive pas à sortir les mots.
23:21– Sinon, tu peux nous montrer comment ça s'est passé ?
23:24Tu peux prendre ce que tu veux.
23:25Faut que ça te donne une expression.
23:27Tu veux des petits doudous ?
23:28– Non.
23:29– Tiens, vas-y.
23:30Alors, vas-y, explique-moi.
23:33– Là, c'est moi et là, c'est papa.
23:36– D'accord, donc le violet, c'est toi, ça, c'est papa.
23:39Vous êtes où, là ?
23:40– Chez moi, chez nous.
23:43– Chez vous, donc chez ton papa, c'est ça ?
23:46Et dans quelle pièce ?
23:49– Dans la chambre.
23:50– Dans la chambre.
23:51Donc là, toi, tu es où, exactement, dans la chambre ?
23:54– Sur le lit.
23:55– Et papa, il est où, lui ?
23:57Il n'est pas sur le lit ?
23:59– Il est sur le lit.
24:00– Et toi, tu es tout nu ou pas ?
24:03Tout nu, tout nu ?
24:04Tu n'as même pas un T-shirt ?
24:07Rien du tout.
24:08Donc, tout nu, et papa, il est comment, lui ?
24:10– Pareil.
24:11– Pareil ?
24:12Ça ne sera plus très long, après, ne t'inquiète pas.
24:15Ça va aller ?
24:17Non, ça ne va pas ?
24:20Tu veux faire une pause ?
24:23– Ça ne va pas du tout.
24:24– Comment ?
24:25– Ça ne va pas du tout.
24:27– Ça ne va pas du tout.
24:28– Moi, ce que je relève, c'est qu'on voit que ce petit enfant
24:31est gêné et qu'il y a une relative émotion, quand même.
24:34Au niveau temporel, c'est trois semaines avant l'audition
24:37par le docteur Gupil qu'on vient d'entendre.
24:39Alors, c'est le 8 septembre.
24:43– Voilà, et que l'expertise, c'était le 28.
24:46Donc, trois semaines avant, ce petit garçon,
24:48il n'a l'air quand même pas super bien.
24:50Et qu'il y a des émotions et qu'il dit, ça ne va pas du tout.
24:53On l'a vu, le passage.
24:55– On va peut-être, pour cette audition, en rester là.
24:59Un procès est un véritable ascenseur émotionnel.
25:04Selon la personne qui passe à la barre,
25:06la conviction peut basculer d'un côté à l'autre,
25:08surtout face à des expertises contradictoires.
25:11– Il y avait effectivement une question
25:13sur laquelle j'étais revenue avec le docteur Gupil,
25:16c'était cette absence d'affect.
25:18Elle expliquait que, quel que soit l'âge de l'enfant,
25:21elle expliquait que l'enfant qui a réellement vécu quelque chose
25:25exprime une souffrance.
25:28– Alors, madame la présidente, sur ce que j'ai vu,
25:31de la position devant le gendarme,
25:33on ne peut pas dire qu'il n'exprime pas l'affect.
25:37Quand on est clinicien, et qu'on regarde ça,
25:41on voit bien qu'il y a quelque chose qui se joue ici.
25:46Il a du mal, il est dans la retenue, il contient.
25:54C'est un mécanisme de défense comme un autre,
25:57pour mettre à distance les affects, les émotions, les choses comme ça.
26:02Moi, je ne peux pas dire qu'il n'est pas l'affect.
26:04Donc, pour vous, ce genre de comportement,
26:06pour un enfant de cet âge, dans ce genre de contexte,
26:09c'est plutôt indicatif, de moyen de défense,
26:13et ça va plutôt dans le sens de la crédibilité du discours.
26:18– Le doute, les impressions d'audience mitigées
26:21donnent au procès une forte charge émotionnelle.
26:24Mais l'impact est moindre sur les cinq juges
26:26qui composent la cour criminelle
26:28que sur des jurés citoyens de cour d'assise.
26:31– Les avocats pénalistes sont très attachés à la cour d'assise, pourquoi ?
26:37Ils sont très attachés parce que, devant une cour d'assise,
26:40on peut faire éventuellement basculer les choses.
26:43Par des fois l'émotion, par des fois des pratiques,
26:47peut-être des fois un peu contestables,
26:49de pression sur les témoins, on peut semer le doute,
26:54créer le doute, et donc amener les jurés à être hésitants.
26:57Et quand ils sont hésitants, c'est vrai que c'est un principe,
27:00le doute est favorable à l'accusé,
27:03mais c'est beaucoup plus facile quand même,
27:05c'est beaucoup plus facile de débousculer que des professionnels.
27:09– Vous êtes donc devant la cour criminelle, vous savez pourquoi ?
27:12– Oui.
27:13– Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui et demain ?
27:15– C'est pour le jugement de mon père pour agression sexuelle sur mon petit frère.
27:19– C'est ça, le jugement de votre père,
27:22alors c'est pas agression sexuelle qu'on lui reproche, c'est viol.
27:26Donc en fait c'est votre père et son avocat
27:29qui ont demandé à ce que vous soyez entendu comme témoin,
27:33est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de tout ça ?
27:36Comment il est comme papa, comme père ?
27:38– Il m'est très bien, il s'occupe de moi, il traite avec moi et tout.
27:44– Mais vous, votre vérité c'est quoi ?
27:47– Moi, ce que je sais, il a rien fait.
27:49– Pour vous, votre vérité c'est qu'il a rien fait ?
27:51– C'est ce que je sais.
27:53– Maître Gillier ?
27:54– Peut-être juste une question parce que vous avez déjà posé
27:56certaines questions que j'avais en tête.
27:59Vous avez bien conscience que, comme ça a été dit tout à l'heure,
28:05c'est important de dire la vérité pour tout le monde,
28:07donc lorsqu'aujourd'hui vous dites devant cette cour
28:11que pour vous ce n'est pas possible que votre père ait commis les faits
28:15qu'on lui reproche, c'est bien la vérité ?
28:17– Oui.
28:19– D'accord.
28:20Est-ce que vous avez aussi conscience que les faits qu'on reproche
28:24à votre père sont très graves et qu'il risque la prison pour cela ?
28:26– Oui, je sais.
28:27– D'accord.
28:29Qu'est-ce qui se passerait pour vous dans votre tête
28:32si votre père devait être condamné ?
28:34– Je serais très mal.
28:35– Oui ?
28:36– Je serais très mal.
28:38– Pourquoi ?
28:39– Parce que je l'aime bien, il s'occupe de moi et tout.
28:42Je serais très triste.
28:43– D'accord.
28:44Vous n'avez pas envie de voir votre père en prison, c'est ça ?
28:47– Non.
28:48– D'accord.
28:49Est-ce qu'un avocat de la défense va s'adresser de la même façon
28:54aux magistrats de la cour criminelle qu'à la cour d'assises ?
28:57Clairement non.
28:58Face à un jury populaire, il me semble que l'avocat de la défense
29:02aura plus facilement tendance à disséquer, à venir chercher
29:06ce qui, dans l'attitude de la partie civile ou dans sa personnalité,
29:10peut rééquilibrer un peu la balance par rapport à ce qu'on reproche à son client.
29:17– Devant des magistrats professionnels,
29:20la défense aura peut-être tendance à dire moins d'horreur sur les victimes
29:25parce que les magistrats professionnels ont l'habitude
29:28et savent que salir la victime, c'est vraiment très, très peu efficace.
29:34– Je vais vous demander de vous lever, monsieur, venez à la barre s'il vous plaît.
29:41Alors, vos réactions, vos déclarations sur ce qui vient de se dire ?
29:46– Je suis choqué, mais je n'ai jamais fait de mal à mon fils.
29:50Le fils, c'est ce qu'il y a de plus cher pour moi au monde.
29:53Je n'aurais jamais fait de mal à mon fils, ni l'un ni l'autre.
29:56Et au niveau des rapports sexuels, j'ai quand même 54 ans,
29:59mais quand je me suis mis avec madame,
30:00je n'avais jamais de problème pour avoir des relations avec des femmes
30:04ou avec des hommes, donc pourquoi je m'en serais pris à mon fils ?
30:07– En fait, il y a trois solutions, soit il a dit ça parce que c'est vrai,
30:12soit il a dit ça parce que sa mère, on va être clair,
30:16lui a demandé de raconter et elle a tout organisé depuis le début,
30:20donc elle, elle ment, la grand-mère ment,
30:25et elles ont piloté l'enfant pour qu'il dise ça, est-ce que c'est votre… ?
30:29– C'est ce que j'ai pensé.
30:30– La troisième solution étant que, effectivement,
30:33il y a des tas de choses qui se mélangent dans sa tête,
30:37qu'il ait vu des choses ou subi des choses par quelqu'un d'autre,
30:41mais qu'il accuse papa, donc laquelle de ces trois versions vous… ?
30:45– Je ne peux pas lui dire si c'est vrai, s'il l'a inventé,
30:49ou s'il a vu ou s'il s'était fait ça par quelqu'un d'autre,
30:52après, est-ce que sa mère lui a… ? Je ne sais pas.
30:56Je ne sais pas, je ne peux pas accuser quelqu'un sans avoir de preuves,
30:59sans savoir.
31:00– Est-ce qu'il y a des questions du côté de la cour ?
31:05Mesdames, Monsieur le Vocal Général.
31:09– Pas de questions particulières en l'état.
31:11– Maître Gillet.
31:11– Pas de questions pour l'instant.
31:13– Alors vous pouvez retourner vous asseoir, Monsieur.
31:15Bon, en tout cas, on se retrouve demain pour la poursuite des débats.
31:18L'audience est suspendue, reprise demain 9h.
31:29La création de la cour criminelle répondait à une urgence majeure,
31:32désengorger les cours d'assises.
31:35En l'état actuel du système judiciaire,
31:37il faut attendre 3 ou 4 ans, parfois plus, avant d'être jugé.
31:42Ce dont on s'est rendu compte au fil des années,
31:44c'est que le système assise était complètement embouteillé.
31:49Ce que les gens attendent, qu'ils soient accusés ou partis civils,
31:52c'est d'avoir une réponse judiciaire et ne pas juger les gens
31:55parce qu'il y a un flux d'affaires trop important.
31:58C'est une sorte de déni de justice pour les gens
32:00et une source de souffrance incroyable.
32:06La cour criminelle réduit de 2 à 3 fois le nombre d'assises.
32:09L'autre objectif majeur de la loi,
32:11c'est de cesser une pratique très courante jusque-là
32:13pour juger plus vite la correctionnalisation.
32:17Depuis de nombreuses années, il y avait beaucoup d'abus sexuels
32:22qui étaient accompagnés d'actes de pénétration
32:25par violences, menaces, contraintes ou surprises,
32:27donc légalement des viols,
32:29qui étaient ce qu'on appelle correctionnalisés.
32:32En fait, pour de mauvaises raisons,
32:34qui sont les violences, les violences sexuelles,
32:37qui sont des raisons qui tiennent au temps judiciaire,
32:42on laissait tomber la circonstance de pénétration
32:46et on habillait ces faits d'une qualification délictuelle
32:50pour les faire passer, comme on dit, devant le tribunal correctionnel.
32:53Justement, la cour criminelle,
32:55des deux objectifs de sa création,
32:58jugeait plus vite et jugeait des viols
33:01qui, jusqu'à présent, étaient correctionnalisés
33:03à leur véritable qualification.
33:06Jugeait un viol pour ce qu'il est.
33:10Au fil du temps, dans les cabinets d'instruction
33:12qui décident où seront jugés les viols,
33:14une sorte d'échelle de gravité s'est mise en place
33:17pour décider lesquels méritent les assises
33:19ou peuvent se contenter d'un tribunal correctionnel.
33:22Les critères qui peuvent être retenus par les parties
33:24pour envisager une correctionnalisation sont très variables
33:27et, à mon sens, tous éminemment critiquables.
33:29Certains sont amenés à envisager différemment
33:31une pénétration digitale, une pénétration par objet
33:35ou une pénétration sexuelle.
33:37Certains sont amenés à considérer qu'un viol conjugal
33:40serait moins grave qu'un viol entre inconnus.
33:43Ca paraît complètement fou.
33:45Et pourtant, c'est ce qui est fait régulièrement.
33:48Il faut quand même savoir que, quand même,
33:51si la justice avait les moyens de fonctionner tel qu'elle a été pensée
33:54et s'il avait les moyens d'audiencer dans des délais raisonnables
33:57des dossiers criminels, personne ne se poserait ces questions.
34:01L'une des conséquences directes de la création des cours criminels,
34:04c'est qu'en restituant au viol sa véritable qualification de crime,
34:08elles permettent de voir arriver des affaires
34:10qui n'auraient jamais atterri aux assises.
34:13Récemment, en cours criminel,
34:15un homme comparaît pour agression sexuelle et viol sur sa femme.
34:20Ils ont 30 ans de vie commune,
34:22un couple où, au final, la communication ne passe plus,
34:25plus trop de relations intimes entre eux,
34:29le monsieur est très frustré sexuellement.
34:32Il va, de façon très ponctuelle, passer à l'acte sur sa femme.
34:37Depuis quelques jours ou semaines,
34:41il l'embêtait, il lui touchait les seins dans la cuisine.
34:44Quand elle passait, il montrait sa frustration et elle l'envoyait promener.
34:47Puis un jour, il n'y tient plus et il va effectivement l'agresser,
34:51mais avec un acte sexuel très réduit
34:55et une pénétration de son doigt dans son sexe.
34:59Et ça, ça arrive en cours criminel.
35:03La cour criminelle n'aurait pas existé,
35:06ça aurait été, comme on dit, correctionnalisé.
35:09Le doigt, on l'aurait un petit peu oublié,
35:11et puis ça serait passé en correctionnel sur des violences.
35:14Il a reconnu, il reconnaissait, il a été déclaré coupable
35:19et il a été condamné à 3 ans, dont je crois 2 avec sursis.
35:23Une peine, finalement, très mesurée.
35:27Mais en tout cas, il y a eu une journée quand même,
35:30là où on aurait passé une heure et demie en correctionnel.
35:34Mais ça valait le coup, c'était l'histoire d'un couple.
35:37Au bout du compte, la peine n'est pas très lourde.
35:40Mais pour moi, ça, c'est bien.
35:53...
36:01L'audience reprend à 8 clos.
36:04Nous pouvons nous asseoir.
36:06...
36:09Maître Lebray, vous avez la parole pour la partie civile.
36:12Oui, madame la présidente, madame, messieurs de la cour,
36:15on entend parfois
36:19se résumer des dossiers d'agression sexuelle
36:23ou de viol, ces paroles contre paroles,
36:25on ne pourra jamais le démontrer.
36:27Le doute bénéficie à l'accusé.
36:29...
36:31Sur sa description des actes, ce petit enfant, très précis,
36:36parce que là, il l'a vécu dans sa chair.
36:38Et il explique bien les choses. A la fois, il les mime.
36:41Et quand il en parle...
36:43...
36:45Il parle, il dit clairement, quéquette, fesse,
36:48on n'a aucun doute sur ce qui a pu se passer,
36:51qu'il a pu faire mal, ça, c'est très clair et très précis.
36:55Et surtout, il le dit à sa mère dès le début, il va le répéter,
36:58c'est que non seulement il a eu mal,
37:00mais dès que son père s'est arrêté, il a eu envie de faire caca.
37:03Il a envie d'aller aux toilettes.
37:05Et ça, dans aucun film porno, on vous décrit ça.
37:09Après les scènes de sodomie, ils ne partent pas aux toilettes.
37:12Très clairement, on marcherait sur la tête,
37:15on inventait tout et n'importe quoi pour une défense.
37:18Imaginez que sa maman lui aurait dit, tu diras bien,
37:21tu as eu envie d'aller aux toilettes et qu'il y avait du caca sur ton père.
37:25Enfin...
37:26C'est tellement spontané, naturel et vrai,
37:29c'est tellement un vécu qu'un enfant ne peut pas avoir inventé
37:32et puis qu'il ne peut pas répéter comme ça tout au long d'une procédure.
37:36Cette sensation dans sa chair de la réalité,
37:40de la pénétration par le sexe de son père, c'est indiscutable.
37:43Sur l'émotion...
37:45En fait, comme je ne feins pas mes plaidoiries
37:48et je ne fais pas semblant d'y croire
37:51pour rajouter, pour toucher un jury,
37:55je n'ai pas l'impression de plaider très différemment en réalité.
37:58Je pense qu'il n'y a que la sincérité qui fonctionne,
38:01outre le droit, il y a des droits à faire devant une cour d'assises ou une cour criminelle,
38:04mais lorsqu'on est sincère, on est parfois ému,
38:07on est parfois en colère,
38:10et je pense que ça doit être la même chose devant des magistrats professionnels.
38:13J'ai l'impression que je plaide de la même façon.
38:16Est-ce que plus garçon, plus être victime de fait par quelqu'un d'autre ?
38:19Rien ne converge vers un tiers.
38:22Par contre, il y a plein de choses qui laissent à penser que c'est monsieur.
38:25Plein d'éléments.
38:29Tout d'abord, le premier élément, c'est sa personnalité en général
38:32et son goût prononcé pour le sexe.
38:35Ce n'est pas un défaut, c'est juste une infraction quand ça se porte sur les enfants.
38:38Donc, je vous demande bien évidemment d'entrer en voie de condamnation
38:41et de redonner à ce petit enfant.
38:45On va pouvoir lui dire en sortant, voilà, on t'a cru.
38:48Et ça aura une importance pour qu'il puisse se reconstruire.
38:51Mais il y a quand même une partie de sa vie qui est liée
38:54à ce qu'il a vécu avec son père et qui est entachée
38:57par l'effet de viol dont il a été victime.
39:00Merci, maître Lebrer.
39:04Monsieur l'avocat général, vous avez la parole pour vos réquisitions
39:07dans l'intérêt de la société.
39:10Oui, madame la présidente, madame et messieurs les assesseurs.
39:13Comme vous le savez, par expérience,
39:16beaucoup d'affaires d'agression sexuelle
39:19ou de viol sur mineurs
39:23sont particulièrement difficiles à établir
39:26et il est souvent extrêmement long
39:29de trouver des éléments de preuve
39:32qui permettent d'asseoir
39:35les déclarations et les accusations
39:39d'un jeune enfant.
39:42C'est d'autant plus difficile
39:46que nous sommes dans une affaire comme souvent
39:49où vous avez la parole de l'enfant
39:52et vous avez les dénégations
39:55de la personne mise en compte.
39:58Devant des professionnels,
40:02je n'ai pas les mêmes réquisitions.
40:05Le fond, si, c'est identique,
40:08mais je n'ai pas les mêmes réquisitions que devant un jury populaire
40:11où je fais de la pédagogie ou de la répétition
40:14pour essayer de bien faire entrer
40:17les arguments majeurs que je veux développer.
40:21Je ne le fais pas devant des professionnels.
40:24Je ne suis pas aussi radical
40:27que le penseraient les partis civils.
40:30J'ai le souci, comme vous,
40:33devant des faits de cette nature
40:37de ne rien laisser passer.
40:40Ce sont des faits graves,
40:44de par leur qualification, inacceptables.
40:47Ce sont des faits qui nécessitent
40:50que l'on soit très attentif
40:53à la réponse pénale que l'on peut apporter.
40:57Je ne vous le cacherai pas, c'est exceptionnel.
41:00Il m'arrive rarement de m'en remettre
41:03à la sagesse de la cour,
41:06que ce soit la cour criminelle ou la cour d'assises.
41:09Ça m'arrive très exceptionnellement.
41:13Je sais que vous en tirerez les conséquences
41:16que vous estimerez répondre à votre intime conviction.
41:22Merci, monsieur l'avocat général.
41:25L'intime conviction, cette responsabilité
41:28qui pèse sur les jurés d'assises.
41:31En cour criminelle, le jury populaire
41:34laisse la place à 5 juges professionnels
41:38posant ainsi la question philosophique
41:41Les cours d'assises avec jury populaire
41:45sont un acquis de la Révolution française
41:48comme beaucoup d'acquis fondamentaux de notre démocratie.
41:51Je trouve qu'aujourd'hui, les faire quitter l'enceinte judiciaire
41:54c'est éloigner encore le peuple de la justice.
41:57Tous les jurés qui peuvent être entendus
42:01après avoir participé à des assises
42:04vont dire que c'est une grande expérience.
42:07On n'est pas prêts à ça,
42:10mais c'est une véritable expérience qui les a confortés
42:13dans l'idée qu'on ne juge pas la va-vite.
42:16Je trouve que supprimer le jury populaire
42:20c'est faire un pas dans l'éloignement du juge et du justiciable.
42:24On a un attachement assez fort au principe du jury populaire.
42:27De manière générale, ça va au-delà de cette question.
42:30On a compris, évidemment,
42:33quelles étaient les motivations,
42:37les raisons plus ou moins avouées de ce changement
42:40d'économie, le coût d'une cour criminelle
42:44en comparaison de celui d'une cour d'assises n'est pas le même.
42:47Je considère que la justice doit prendre son temps
42:50spécialement sur des affaires de cette nature.
42:53Vous devrez vous rappeler que dans ce dossier,
42:56il n'y a pas d'élément matériel.
43:00Il n'y a pas d'élément matériel, je le rappelais.
43:03Le rapport d'expertise médico-légale
43:06ne permet d'aboutir
43:10à aucune conclusion. On peut penser ce qu'on veut
43:13de monsieur que c'est un sale type, qu'on n'a pas envie de passer
43:16une soirée avec lui, qu'on préfère l'avoir loin de soi.
43:19Ça n'en fait certainement pas pour autant un coupable
43:22devant votre cour des faits qui lui sont aujourd'hui reprochés.
43:26C'est pourquoi, au terme de ces débats
43:29qui finalement n'ont rien apporté d'inédit,
43:32n'ont rien apporté de nouveau,
43:35raison pour laquelle c'est l'acquittement
43:38que je sollicite avec confiance. Vous la quitterez
43:41et ce sera justice.
43:43Merci, maître Gillier.
43:46La présence d'hommes et de femmes jurés
43:49dans une cour répondait à la volonté
43:52de mettre en acte le fait que la justice est rendue au nom du peuple.
43:55Mais on observe qu'il s'agit uniquement de justice pénale.
43:59On ne demande pas à des jurés
44:02d'aller prononcer des divorces ou des condamnations
44:05dans des affaires de construction, etc.
44:08C'est la justice qui est encore plus quotidienne.
44:11Quand il s'agit de dire ce qui est bien et mal,
44:15ce qui est autorisé ou pas, ce qui mérite de la prison,
44:18c'est là qu'on a encore besoin des jurés.
44:21C'est ça qui peut être réinterrogé.
44:24Est-ce qu'on fait appel à eux
44:27pour faire connaître la justice
44:31ou est-ce qu'on fait appel à eux parce qu'on a besoin d'eux
44:34pour rendre une bonne justice ?
44:37Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose à votre défense ?
44:40Je redis ce que j'ai dit depuis 5 ans.
44:43Je suis triste de ce que mon fils dit sur moi,
44:46mais je n'ai rien fait. Je ne lui ai jamais fait de mal.
44:50Je l'aime, c'est mon fils. Malgré tout ce que j'ai entendu,
44:53ça restera mon fils, même si je ne le vois plus jamais.
44:56C'est mon fils, je l'aime, mais je n'ai jamais violé mon fils.
44:59Je ne l'ai jamais touché.
45:02Vous pouvez retourner vous asseoir, monsieur.
45:05Les débats sont clos. Nous allons nous rendre maintenant
45:09dans la chambre du Conseil pour délibérer.
45:12Nous ne pourrons sortir qu'après avoir pris notre décision.
45:15Monsieur, vous êtes libre, mais néanmoins,
45:18en application de l'article 354 du code de procédure pénale,
45:21je vais demander à ce que vous soyez gardé
45:25pendant la durée du délibéré par le service d'ordre.
45:28L'audience est suspendue.
45:31...
45:35Une journée d'audience en cours criminel coûte moitié moins cher
45:38qu'en cours d'assises. Cette économie est en grande partie
45:41due à l'absence des jurés. Pas de tirage au sort,
45:44des débats moins longs, moins de frais, et des délibérations
45:47beaucoup plus courtes entre professionnels.
45:51...
45:54Être président d'assises avec les jurés,
45:57c'est être dans l'humain avec ce que ça peut avoir de grand,
46:00quelquefois de très agaçant aussi, de complexe.
46:03Il va encore falloir expliquer ce que c'est qu'un viol.
46:06C'est fatigant. C'est fatigant.
46:10C'est évidemment plus simple de délibérer
46:13et de travailler avec 4 collègues dans le cadre de la cour criminelle.
46:16C'est plus facile de délibérer avec des juges
46:19qu'avec des jurés sur un plan technique.
46:22D'ailleurs, les délibérés de cours criminels durent moins longtemps.
46:26En moyenne, ils durent 2h contre 4-5h aux assises.
46:29Mais cela dit, la discussion,
46:33notamment juridique ou sur la question de culpabilité
46:36et aussi sur la peine,
46:38ne sont pas nécessairement lisses,
46:41et on n'est pas toujours d'accord, heureusement.
46:44...
46:48...
46:51L'audience reprend. Nous pouvons nous asseoir.
46:54Voici les réponses aux questions posées
46:57et l'arrêt délibéré en commun.
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51:44ou en faisant des paris sur la confiance qu'on peut mettre dans une juridiction.
51:51C'est un autre débat ou un nouveau débat qui va se tenir,
51:56certainement différent nécessairement, même différent du premier.
52:02Il y a des choses qui changeront dans la stratégie de la défense, de toute évidence.
52:06Il peut toujours y avoir des éléments nouveaux.
52:10Au terme de l'expérimentation, les acteurs les plus réfractaires à la réforme,
52:14tout comme les observateurs extérieurs de ces cours criminels,
52:17en tirent un bilan globalement positif.
52:20De ce que nous avons observé à la fois en cours criminels et devant les cours d'assises,
52:24la construction de la vérité est du même niveau d'exigence dans les deux cas.
52:30On a eu vraiment le sentiment que tous les éléments étaient débattus
52:34à la fois devant les cours criminels et devant les cours d'assises.
52:37Les avocats qui étaient contre la réforme, finalement,
52:43dans tout ce que nous avons pu observer dans les différents cours,
52:47ils ont été un élément clé pour le bon fonctionnement de cette réforme.
52:53Et ils sont quand même plutôt favorables aujourd'hui,
52:56parce qu'ils ont été surpris, sans doute comme nous,
52:59de la bonne qualité de ce débat devant les cours criminels.
53:08Cette réforme de la justice pourrait aboutir à plus long terme
53:11à un système où les décisions de première instance seraient rendues
53:14par la cour criminelle pour tous les crimes.
53:17Et où le dernier mot reviendrait aux jurys populaires en cours d'assises d'appel.
53:22Si la cour criminelle était compétente pour l'ensemble des crimes,
53:26la règle serait, me semble-t-il, plus simple.
53:29Sinon, la cour criminelle va devenir la cour spécialisée en matière de viol.
53:33Et est-ce que c'est ça qu'on veut ?
53:35Est-ce que c'est une bonne chose ?
53:37Ça me semble vraiment la question.
53:40Et effectivement se dire, bon, quels que soient les faits reprochés,
53:44la première décision vient de magistrats professionnels ou apparentés,
53:49et le dernier mot reviendra à des magistrats,
53:53mais cette fois accompagnés du jury populaire,
53:56si effectivement on continue à penser que le jury populaire
53:59est le gage forcément d'une bonne justice.