Traffic de cigarettes _ les dessous d'un BUSINESS JUTEUX

  • il y a 7 mois
"CONTREBANDE DE CIGARETTES : DANS LES ROUAGES DU SYSTÈME" / Le trafic de cigarettes est devenu l'un des domaines les plus sensibles de la délinquance internationale. Des ruelles de Barbès, à Paris, jusqu'aux Balkans, notre enquête nous conduit sur les lieux clés de ce trafic - dans le Nord de la France, le Kosovo et le Montenegro, l'Italie, la Suisse - pour remonter les filières et dévoiler les techniques des acteurs de ce business. Ce film raconte aussi les moyens et les méthodes de ceux qui luttent contre ce phénomène, douaniers, policiers et magistrats. Nous découvrons enfin qu'un business d'une telle ampleur ne pourrait pas prospérer sans la complicité au moins passive des grands fabricants de cigarettes comme Philip Morris et sans la complaisance de responsables politiques ou administratifs de très haut niveau dans certains pays d'Europe.

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Transcription
00:00 Parbaix, c'est un quartier populaire de Paris, au nord de la capitale.
00:04 Des centres de police, une opération de lutte contre la petite délinquance.
00:08 Une quinzaine de policiers.
00:11 Ça ressemble à une opération contre des dealers de drogue.
00:15 Ils savent où chercher.
00:17 Ils vont directement dans les planques habituelles.
00:20 - On va se faire ouvrir une cave.
00:23 Y a rien dans les sacs ?
00:28 Chou Blanc. Ce qu'ils cherchent, ce sont des paquets de cigarettes.
00:32 Aujourd'hui, une grosse partie du travail des policiers du quartier,
00:36 c'est la traque du petit trafiquant de cigarettes.
00:39 - Ouais, ouais, mais y a pas de problème. Sortez les mains de vos poches.
00:41 Vous avez rien sur vous, là ? - Comment ?
00:43 - Je vous écoute, tb-sovette.
00:45 - Le boulevard Barbet, il a acheté des choses à 10 000 euros par quart de cigarette.
00:51 - Bon allez, c'est suivi. Vous les conduisez aux 34 Gouttes.
00:54 Un groupe de vendeurs clandestins vient d'être arrêté sur le boulevard Barbet.
00:58 Direction le poste de police, fouille et vérification d'identité.
01:03 Les opérations contre les vendeurs à la sovette sont devenues quasi quotidiennes.
01:07 Les policiers savent qu'ici, ils ne trouvent que du menu frottin, rarement de grosses prises.
01:12 - Vous avez des cartes d'identité ?
01:14 - Oui.
01:15 - Vous habitez où, là ? - Dans la ville.
01:17 L'homme à la parque averte, assis sur le banc, fait partie du groupe des vendeurs arrêtés.
01:21 Sur lui, les policiers ont saisi quelques paquets de cigarettes algériennes et 405 euros, sans doute ses ventes du jour.
01:28 - 2, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 15.
01:34 La contrebande de cigarettes dans la rue a un avantage pour les petits vendeurs.
01:38 Elle est sans grand risque.
01:39 L'homme à la parque n'hésite pas à nous décrire son travail devant les policiers, à l'intérieur même du commissariat.
01:46 - Vous avez acheté à combien une cigarette ?
01:48 - À 30 euros, 25 euros, la cartouche.
01:51 - Et ces cigarettes, vous les avez où ? Où est-ce que vous les obtenez ?
01:54 - Il y a des gens qui viennent ici pour vendre des cigarettes.
01:57 Moi, j'achète.
01:58 - Mais ils viennent comment ? Ils viennent en camionnette avec des... ?
02:01 - Non, non, non. Avec des petits sacs, comme ça.
02:04 On demande des gens qui veulent acheter pour vendre.
02:09 - D'accord. Mais c'est des gens... C'est des gens qui viennent d'Algérie qui en ramènent ? C'est quoi ?
02:14 - Oui, qui ramènent de l'Algérie.
02:17 Il y a des gens qui ramènent 2, 3, 4 cartouches pour récupérer des billets d'avion, pour récupérer les frais de voyage.
02:28 C'est pour ça qu'on ramène des cigarettes.
02:30 Dès qu'on parle de quantité plus importante, l'homme se fait plus évasif.
02:35 Au-dessus de 2 cartouches, l'amende peut devenir plus lourde.
02:38 - Si je veux acheter 20 cartouches, je vais où pour en acheter ?
02:42 - Je pourrais pas vous trouver 20 cartouches de rimes sur place, mais il faut faire une commande.
02:47 - Ah ouais ? - Vous attendez.
02:49 - Et Marlboro, ça peut se faire, aussi ? - Ouais, c'est possible.
02:53 - Et vous allez où ? - Je sais pas.
02:55 Il y a des gens qui vendent et ils veulent...
02:57 Ils demandent 2, 3... Vous attendez une quarte d'heure, une demi-heure, une heure, on ramène les cartouches.
03:04 - Ce vendeur à la sauvette paye une simple amende de 5 euros par paquet.
03:08 C'est le tarif. L'affaire n'ira pas plus loin.
03:11 L'homme ressort libre.
03:13 - Vous travaillez souvent comme ça ? - Tous les jours.
03:17 - Tous les jours ? - Tous les jours.
03:18 Avec la hausse massive des prix en France depuis février 2003,
03:21 le tabac est revenu au centre de l'actualité.
03:24 Des voyous aux ministres.
03:26 - Les buralistes, ce sont des gens qui travaillent souvent dur.
03:30 Ils n'ont pas à être menacés par des voyous.
03:33 On parle de mafia de la contrebande.
03:35 On accuse les grandes marques de cigarettes de complicité.
03:38 Depuis que le gouvernement a décidé de surtaxer les cigarettes,
03:41 le sujet a pris des allures de cause nationale.
03:44 - La recrudescence de la contrebande.
03:48 Une vraie politique de lutte contre la contrebande internationale.
03:52 La contrebande de cigarettes, c'est près d'un milliard d'euros de taxes
03:56 qui, chaque année, ne rentrent pas dans les caisses de l'Etat.
03:59 Quelques jours plus tard, nous sommes retournés à Barbès,
04:03 sans la police cette fois, en caméra cachée.
04:06 Visiblement, il y a beaucoup de monde ici.
04:09 On trouve des T-shirts et des téléphones made in China.
04:12 Un peu plus loin, entre la rue des Ilettes et le boulevard Barbès,
04:16 tout se vend, tout s'achète.
04:18 C'est ici qu'on peut, par exemple, trouver des téléphones portables volés.
04:21 Un peu plus loin, au pied du métro, voilà le carré des cigarettes.
04:31 30 m de trottoir, une vingtaine de vendeurs.
04:35 Combien ?
04:37 Je veux.
04:39 Combien ?
04:40 3,50, le paquet de 3.
04:42 Un peu moins cher ?
04:43 3,50.
04:44 C'est des vrais ?
04:46 Pas de soucis, c'est des vrais.
04:48 Combien c'est la cartouche ?
04:50 Une cartouche.
04:52 Une cartouche.
04:54 35.
04:56 Oui.
04:57 Je t'en prends deux, trois.
04:59 Je peux mes lunettes, si tu veux.
05:01 Reste-t-il cette cartouche ?
05:03 Ça reste qu'une.
05:05 Ah, cash, cash.
05:07 C'est facile et c'est pas cher.
05:10 Ça nous fait le paquet à 3,50 euros, c'est le prix unique,
05:14 et donc 1,50 euros d'économie sur le prix officiel.
05:17 Pour les débitants de tabac, la concurrence est bien là.
05:21 À Barbès, ce petit trafic est la partie émergée d'un tout autre business.
05:26 Aujourd'hui en Europe, la contrebande s'est organisée
05:29 autour de véritables filières internationales.
05:32 Avec transporteurs, anthropoclandestins et financiers en costume cravate.
05:37 Nous allons vous emmener dans les rouages de ces filières
05:40 qui dégagent des milliards d'euros de profits illégaux.
05:43 Nous nous sommes rendus à 300 km de Paris, aux frontières nord de la France,
05:48 à Dunkerque, à deux pas de la Belgique et à une encablure de l'Angleterre.
05:53 Le port de Dunkerque est un carrefour des routes maritimes et terrestres.
05:57 Chaque année, plus de 50 millions de tonnes de marchandises les plus diverses
06:01 y transitent par conteneurs ou par camions entiers.
06:04 C'est là qu'on fait les plus grosses saisies de tabac dans le pays.
06:08 Dans la région, 70 douaniers sont mobilisés pour la traque de la cigarette.
06:13 C'est leur priorité, leur pain quotidien.
06:16 Ce jour-là, sur le quai des hydrocarbures,
06:19 perquisition d'un pétrolier polonais.
06:22 À la recherche de caisses de conteneurs suspects.
06:25 Les bateaux et les camions en provenance des pays de l'Est
06:28 font l'objet d'une surveillance particulière.
06:30 Ils représentent une grande partie des saisies.
06:32 Le capitaine fournit la liste des ports d'escale.
06:35 C'est la première chose que les douaniers regardent.
06:37 Ils auscultent à la loupe ce document.
06:39 Il représente l'historique des étapes du navire.
06:42 Ce bateau est suspect. Il a multiplié les escales en peu de temps.
06:46 - On voit Las Palmas, Durban, Richards Bay, Rotterdam, Anvers.
06:50 - Alors bon, c'est vrai que ça peut être intéressant, par exemple,
06:54 pour les produits stupéfiants.
06:56 Et à titre général, ça peut être intéressant pour l'avitaillement.
07:00 Un navire de commerce peut avitailler dans certains ports
07:04 et donc bénéficier de stocks importants
07:07 par rapport au nombre de personnes dans l'équipage.
07:10 L'avitaillement, c'est l'épicerie et le buraliste hors-taxe du bateau.
07:14 C'est là que l'équipage se fournit et que les fraudes sont possibles.
07:17 Le règlement douanier n'est pas très précis.
07:19 Il dit que la quantité de cigarettes doit correspondre à une consommation normale.
07:23 On passe à la fouille, direction la Cambuse, sous le 3e pont.
07:27 Ici sont stockés les marchandises déclarées par le capitaine.
07:30 Et des cartons de cigarettes, il y en a.
07:33 - Il y en a pas mal, putain !
07:35 Ouais, faut les sortir. Ouais.
07:39 On va pas... On va s'en les coupler. On va les mettre là.
07:51 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
07:54 8, ça fait 400. T'as un crayon ?
07:56 - Ouais. - Vas-y, note.
07:58 25, 35, 37.
08:00 Au total, c'est 600 cartouches ou 120 000 cigarettes
08:03 pour quelques jours de mer et 20 membres d'équipage.
08:06 Près de 4 cartouches par jour par marin.
08:09 - C'est quand même pas mal pour un faible équipage, toi.
08:12 - Ouais. - Donc, il faut peut-être...
08:14 - Mais c'est bon, ça ? - C'est beaucoup.
08:16 - Mais pour vous, c'est un bon ratio ? - C'est beaucoup. Ouais, c'est beaucoup.
08:19 - C'est beaucoup ? - Par rapport au nombre de marins qui sont à bord, c'est pas mal.
08:22 - 5,5 et 34 cartouches par marin, hein.
08:24 - Faut donc savoir qu'ils peuvent avitailler régulièrement dans tous les ports où ils vont, pour les bateaux.
08:28 - Et ça peut être des trafics réguliers, en fait, c'est ça ?
08:31 - Ou alors, ils achètent... Le capitaine achète...
08:34 Il fait de lui-même, quoi, au liquide, le... Comment ?
08:39 Le ship-handler, hein ? - Ouais, ouais, ouais, l'avitailleur.
08:42 - Voilà, l'avitailleur. Il dit, bon, ça passe comme ça.
08:44 Après, il revend dans 2 octobres.
08:46 - Et ça, c'est de... - Ça se fait, ça.
08:48 - Ouais, ça se fait aussi, ouais.
08:50 Le douanier a bien envie de sanctionner,
08:52 mais le volume correspond aux documents de déclaration officiels,
08:55 donc difficile de verbaliser,
08:57 tant que les cigarettes ne sont pas débarquées pour être revendues en fraude.
09:01 Le port de Dunkerque est une plaque tournante pour la contrebande
09:07 à destination de toute l'Europe du Nord.
09:09 On estime aujourd'hui qu'un tiers de la consommation de cigarettes en Angleterre
09:13 ou en Norvège, par exemple, provient des filières de contrebande.
09:17 Vers la France, le trafic est moins important.
09:20 Le syndicat des Buralistes estime à environ 8 % de la consommation totale,
09:24 en augmentation depuis un an.
09:26 Pour le chef douanier de Dunkerque,
09:34 la seule chose palpable, certaine, c'est son tableau de chasse.
09:38 - 1 125 kg, ici, 2,5 tonnes,
09:43 122 000 paquets de cigarettes, 4900 cartouches.
09:47 Vous voyez, c'est les résultats de 7 unités ici pour une année.
09:51 Enfin, les plus significatifs qui ont fait l'objet d'une coupure de presse.
09:56 Au total, c'est en moyenne 1,2 t de cigarettes
09:59 qui sont saisies chaque semaine dans la région.
10:02 Une partie seulement des cargaisons se retrouve sur les trottoirs parisiens.
10:06 La destination numéro 1, c'est Londres.
10:08 - C'est un secteur porteur,
10:10 c'est un flux en direction de la Grande-Bretagne qui est alimenté régulièrement.
10:14 - Uniquement la Grande-Bretagne ?
10:16 - Oui, ici, je vous dis, on est en transit entre les pays du Bénélux,
10:19 voire les pays de l'Est, de l'ancien bloc de l'Est, vers la Grande-Bretagne,
10:24 parce qu'il y a un grand différentiel d'assises, de droits indirects...
10:28 - De taxes, oui. - ...sur ces produits-là.
10:31 - Les trafiquants ont vite fait leur calcul.
10:33 Le prix de la cigarette, pour les 3/4, ce sont des taxes.
10:37 La différence de prix entre les différents pays,
10:39 voilà le véritable ressort sur lequel jouent les contrebandiers.
10:43 L'Angleterre est, avec la Norvège, le pays où les taxes sont les plus lourdes,
10:47 donc le prix de la cigarette y est de loin le plus élevé.
10:51 C'est d'abord vers ces pays que se concentre aujourd'hui encore l'essentiel du trafic illégal.
10:56 Comme tout bon commerçant, les contrebandiers pour se fournir
11:00 sont à l'affût des régions où les cigarettes sont les moins chères.
11:03 Parmi ces pays, Chypre, Malte et le Monténégro,
11:06 où le paquet de cigarettes coûte moins de 2 euros.
11:09 Le jeu pour les trafiquants consiste à acheter les paquets à bas prix
11:13 et à les acheminer illégalement vers les pays du Nord.
11:17 Ils revendent alors leurs paquets à 3 ou 4 euros sur les marchés parallèles.
11:22 Selon les douanes européennes, le Monténégro est le pivot
11:26 de cette contrebande de cigarettes à destination de l'Europe.
11:30 C'est un petit pays, grand comme une région française,
11:33 d'à peine 620 000 habitants, face à l'Italie, à la porte de l'Europe communautaire.
11:39 Cette ancienne république yougoslave fait aujourd'hui partie de la fédération de Serbie.
11:45 L'Europe semble loin, coincée entre mer, lac et montagne.
11:51 L'endroit est pauvre.
11:53 Essentiellement rural, seule une énorme usine d'aluminium,
11:57 un vestige de l'ère communiste, assure les rares exportations officielles du pays.
12:03 Podgorica, c'est la capitale.
12:09 Une petite ville un peu endormie, ici la contrebande est une tradition.
12:13 Avec la guerre en Yougoslavie et les embargos,
12:16 c'est même devenu la principale activité économique du pays.
12:19 En plein centre-ville, nous croisons des petits revendeurs, un peu comme à Paris.
12:23 Sauf qu'ici, ils ne se cachent pas.
12:27 - 2 euros. - 2 euros ?
12:30 - Ok, merci. - Encore ?
12:33 On trouve toutes les marques fumées en Europe.
12:35 Sur ce paquet, l'avertissement "fumer peut tuer" n'est pas écrit en serbe, la langue du pays, mais en anglais.
12:40 "Smoking kills".
12:42 Des cigarettes visiblement destinées au marché britannique, tombées du camion.
12:46 - Sur votre droite, derrière vous.
12:51 Au grand marché de la ville, on peut obtenir sans difficulté des tarifs encore plus concurrentiels
12:56 et des quantités plus importantes.
12:58 - Tu vois son sac noir ?
13:01 Regarde, le sac noir, il y en a plein.
13:04 Cette vendeuse a son stock à portée de main.
13:07 - Le noir ou... ? - Le noir.
13:13 - Le noir. - Le noir.
13:16 - C'est là. - Ok.
13:18 - C'est le noir. - Le noir.
13:21 - C'est le noir. - Le noir.
13:23 - Ok, c'est 15, c'est 17.
13:25 - Ok, donc je prends celui-là.
13:28 - C'est le noir. - 15 ? Ok.
13:32 A 15 euros la cartouche, c'est deux fois moins cher qu'à Barbès.
13:35 On peut facilement acheter une dizaine de cartouches.
13:38 Nous avons attendu la nuit pour prendre rendez-vous avec un contrebandier plus important,
13:43 un semi-grossiste rencontré sur le marché.
13:46 Il nous emmène faire un tour de la ville et préfère rester anonyme.
13:50 Son instrument de travail à lui, c'est sa voiture.
13:53 Son coffre est bourré de cigarettes.
14:00 - Elles viennent d'où, vos cigarettes ?
14:02 - Elles viennent de partout. Il y en a du Kosovo et d'ailleurs.
14:05 Il y en a de toutes sortes.
14:07 - Et quel est le prix pour un coffre plein ?
14:11 - Alors, le prix de tout ça, c'est 700 euros.
14:14 - Combien vous gagnez là-dessus ?
14:16 - Entre 25 et 30 euros.
14:18 - Ça représente quoi comme travail ?
14:20 - Bah, je travaille toute la journée et j'arrête pas.
14:23 - L'homme gagne 30 euros par jour pour un coffre plein.
14:27 Ça peut paraître modeste, mais ici, c'est 4 fois le revenu moyen.
14:31 Est-ce que c'est dangereux, votre travail ?
14:34 - Le risque est grand. Plus j'achète, plus je suis exposé.
14:38 Moi, les flics m'ont déjà confisqué mon coffre plein.
14:41 Il n'y a eu aucune convocation. On m'a juste confisqué le coffre.
14:45 On ne peut pas dire que les policiers soient rigoureux,
14:49 parce qu'ils pourraient nous envoyer en prison,
14:51 mais ils ne font que saisir la marchandise.
14:53 Pour ceux qui achètent des camions entiers de cigarettes, c'est autre chose.
14:56 Une remorque, ça représente 300 caisses.
14:59 Il y en a pour 150 000 euros.
15:01 - Ceux qui trafiquent par dizaines, voire centaines de cartons,
15:05 font la une des journaux, quand ils sont arrêtés.
15:08 Fin janvier, en 1re page du principal quotidien local,
15:12 s'est allée la photo d'un camion-citerne dans la neige,
15:15 interceptée la veille de notre passage par les douanes.
15:18 Le camion se dirigeait vers la frontière nord,
15:21 sur la route qui mène vers l'Europe de l'Ouest.
15:24 Nous avons demandé à voir le camion-citerne,
15:26 qui a fait la une de la presse.
15:28 Il est exposé comme un trophée dans le parking des douanes.
15:32 Le chef douanier en civil fait le guide.
15:35 C'est un de ses collègues qui a réussi à découvrir le stock de cigarettes,
15:39 et ce n'était pas évident.
15:41 En matière de cachette, l'imagination est au pouvoir.
15:44 - Le conducteur avait un comportement suspect.
15:54 Ils ont trafiqué la citerne de là à là.
15:58 Toute cette partie-là.
16:01 Ils ont fabriqué une cloison métallique.
16:03 Et là-dedans, ils ont planqué les cigarettes.
16:05 3 sortes de cigarettes.
16:07 En tout, il y avait 190 cartons.
16:09 Il y en a pour environ 60 000 euros, peut-être un peu plus.
16:13 On l'a interceptée au poste frontière de la route de Rozakula,
16:19 en direction du Kosovo.
16:21 Les douaniers n'ont pas voulu nous laisser rencontrer le chauffeur.
16:25 Nous aurions pourtant voulu connaître sa destination,
16:28 et surtout où il pouvait s'approvisionner.
16:31 Nous sommes retournés voir notre trafic en nocturne.
16:34 Il sait où ça se passe.
16:36 - Ça vient par bateau.
16:39 Ceux qui travaillent en gros, ceux qui achètent 50 ou 100 cartons,
16:42 ceux qui achètent en grande quantité, vont au port.
16:45 Les petits ne peuvent pas acheter là-bas.
16:48 Les grossistes ne voudraient pas leur vendre.
16:51 - Le port dont parle notre contrebandier, c'est Bar,
16:54 à 50 km de la capitale Podgorica,
16:57 de l'autre côté de la chaîne de montagne,
16:59 au terminus de la principale route du pays.
17:02 Unique accès maritime pour les gros navires,
17:05 dans cette zone des Balkans,
17:07 Bar est située juste en face de l'Italie.
17:09 C'est le port du Monténégro.
17:11 La quasi-totalité des marchandises du pays passe par ici.
17:16 C'est ici aussi que, selon notre trafiquant,
17:19 se ferait l'approvisionnement en cigarettes, en grosse quantité.
17:22 Sur place, pas le moindre bâtiment marqué tabac ou cigarettes,
17:26 seulement des conteneurs anonymes.
17:29 Nous demandons un rendez-vous au directeur du port
17:31 pour tenter de confirmer nos informations.
17:34 Surprise, il ne cache pas qu'effectivement,
17:36 ici transitent de grosses quantités de cigarettes.
17:39 - Avant l'éclatement de l'Eile du Goslavie,
17:44 notre port a travaillé dans la cigarette,
17:47 pendant les sanctions.
17:49 Aujourd'hui, notre port travaille encore dans la cigarette.
17:55 Demain, il travaillera toujours dans la cigarette.
18:00 Mais nouvelle surprise,
18:02 quand on interroge sur la légalité de ce commerce,
18:04 l'homme affirme n'être au courant de rien.
18:07 Que les papiers de douane des conteneurs soient en règle ou non,
18:10 il ne veut pas le savoir.
18:13 - Est-ce conforme ou pas à la loi ?
18:17 Où vont les marchandises qui passent par ici ?
18:21 Le port peut difficilement être au courant.
18:26 On ne peut pas mettre quelqu'un en permanence sur les quais.
18:32 - Une solide langue de bois.
18:34 Difficile d'obtenir plus d'informations avec le directeur du port.
18:38 Direction les douaniers.
18:41 A l'improviste, nous entrons dans leur bureau,
18:43 à l'autre bout du quai.
18:46 Il faut s'adresser au chef, un peu plus loin.
18:54 Celui-ci accepte de nous recevoir quelques minutes,
18:56 mais sans caméra.
18:58 Nous lui volons quelques mots à l'image,
19:00 il est à droite de l'écran.
19:02 Mais pas de chance, la contrebande sur le port,
19:04 hier comme aujourd'hui, il n'en a jamais vu.
19:06 Il vient d'arriver.
19:09 - Je ne suis là que depuis deux mois.
19:13 Ce qui fait qu'à propos de ce qui a pu se passer à Bahr,
19:16 je ne veux pas dire de bêtises.
19:19 Je ne sais pas.
19:21 - Troisième tentative avec la police maritime, cette fois.
19:29 L'officier est très fier de nous montrer qu'il est bien équipé
19:32 et que la situation est sous contrôle.
19:35 Il insiste pour nous faire goûter les joies de la navigation
19:38 à bord de sa belle vedette, un vrai bateau de course.
19:41 A priori, s'il y a des contrebandiers,
19:44 ils n'ont qu'à bien se tenir.
19:47 - C'est un bateau Sunseeker, un bateau anglais.
19:53 Il est propulsé par trois moteurs Volvo Penta Turbo Diesel,
19:57 avec compresseur.
19:59 Ça nous fait une puissance de 690 chevaux au total.
20:03 - Pourquoi avez-vous besoin d'un aussi gros bateau ?
20:07 - Vous savez, notre mission prioritaire pour nos unités
20:14 est d'empêcher toute activité illégale sur cette zone.
20:20 - L'homme est prolique sur sa mission officielle et sur son engin.
20:26 Mais dès qu'on évoque avec lui les filières clandestines du tabac,
20:30 c'est motus.
20:35 - Est-ce qu'il y a des problèmes de contrebande ici ?
20:39 - Non, ça n'existe pas.
20:42 - Les douanes européennes estiment que le trafic s'évide en ce port
20:46 depuis plus de 10 ans.
20:48 Mais toujours pas de chance, lui aussi il est nouveau.
20:52 - Avant, je n'étais pas là. Alors, je ne sais pas.
20:56 - On n'en apprendra pas beaucoup plus pour l'instant sur place.
21:00 Pas un seul indice de ce que nous avait raconté
21:03 notre trafiquant nocturne.
21:05 Pourtant, selon les autorités douanières européennes,
21:08 Bar est bel et bien un maillon central de la chaîne de contrebande
21:11 de cigarettes en Europe.
21:13 Ici, transiterait, selon la justice italienne,
21:16 50 millions de cartouches par an.
21:19 Le port de Bar est à un emplacement stratégique,
21:22 juste en face de Bari, en Italie, à la porte de l'Europe communautaire.
21:27 C'est là, à Bari, que nous allons trouver la première clé
21:31 pour entrer dans les rouages de ce trafic.
21:34 C'est dans ce palais de justice que se tient le plus grand procès
21:40 d'un réseau de trafiquants accusés d'organiser la contrebande
21:43 de cigarettes à partir du Monténégro vers l'Europe communautaire.
21:47 Après des années d'enquête, les juges italiens ont réussi
21:51 à procéder à des dizaines d'inculpations
21:54 et des centaines de saisies de comptes bancaires.
21:57 L'audience du jour se déroule dans cette petite salle.
22:00 L'homme qui entre, en veste jaune, c'est le procureur antimafia,
22:03 Giuseppe Celsi. C'est lui qui a fait tomber le réseau.
22:07 L'accusé numéro un, le boss présumé de ce réseau,
22:10 c'est cet homme en costume et lunettes.
22:13 Il s'appelle Gerardo Cuomo.
22:15 Pour la justice italienne, il est l'un des plus gros
22:18 trafiquants internationaux de cigarettes.
22:21 Dans cette affaire, il risque 10 ans de prison.
22:24 On lui reproche d'être membre d'une association mafieuse,
22:28 d'avoir financé un circuit criminel
22:31 et d'avoir organisé la contrebande d'armes et de tabac.
22:35 Gerardo Cuomo est napolitain.
22:38 Il dirigeait une société d'import-export domiciliée en Suisse,
22:41 la Maxim S.A.
22:43 Il achetait légalement des cargaisons de cigarettes hors-taxe
22:46 à Anvers, en Belgique, où se trouvent les entrepôts
22:49 des fabricants américains.
22:51 Ces cigarettes étaient envoyées par bateau ou camion
22:54 au Monténégro.
22:56 Elles y recevaient un tampon des doigts de monténégrine,
22:59 comme si elles étaient destinées à la consommation locale.
23:02 Sauf qu'en fait, les cigarettes ne faisaient que transiter
23:05 au Monténégro et repartaient vers l'Europe communautaire,
23:09 en cachette, sans payer les taxes d'entrée
23:11 dans les vrais pays destinataires.
23:13 Soit les cigarettes étaient dissimulées dans des camions
23:16 pour rejoindre l'Angleterre ou les pays nordiques,
23:19 soit elles partaient par bateau vers l'Italie
23:21 pour être réexpédiées vers les marchés nord-européens.
23:24 Ces filières sont toujours actives aujourd'hui.
23:27 Nous nous sommes procurés des films tournés par les gardes
23:30 des finances italiens.
23:32 Les vedettes offshore sont celles des contrebandiers
23:34 qui tendent à la nuit tombée le port de bar,
23:36 destination les côtes italiennes.
23:38 Sur ces images, on devine la cargaison,
23:40 parfois jusqu'à 200 caisses de cigarettes pour un seul bateau,
23:43 pour une valeur d'un million d'euros.
23:45 La traversée dure à peine 3 ou 4 heures.
23:48 À bord de ces vedettes surpuissantes,
23:50 les réservoirs d'essence sont remplis en pleine course
23:52 pour débarquer au plus vite la précieuse cargaison.
23:55 Quand les vedettes des contrebandiers se font prendre en chasse
23:58 par les navires des gardes des finances italiens,
24:01 c'est la course et la bataille.
24:03 Des abordages parfois extrêmement violents.
24:06 Pour s'échapper, les trafiquants n'hésitent pas
24:09 à percuter les navires des douaniers.
24:12 Sur le quai des Douanes à Bari, en Italie,
24:20 on compte les coups.
24:22 - Voilà le résultat.
24:26 Ce bâtiment a été saisi et a ensuite été transformé
24:29 en vedette de la garde des finances.
24:32 Et il a été épronné par une embarcation
24:34 du même type des contrebandiers.
24:36 Heureusement, il n'y a pas eu de blessés,
24:38 parce que sur ce type d'unité, le personnel de bord
24:41 se trouve sur le pont, à l'extérieur de l'embarcation.
24:47 - Cette violence rappelle les attaques de banques
24:50 ou de fourgons blindés.
24:52 On est prône pour passer coûte que coûte,
24:55 quel que soit l'obstacle.
24:57 - Heureusement, le militaire, dont le poste se trouvait
25:02 exactement à l'endroit où il y a eu l'impact,
25:05 s'est éloigné suffisamment pour ne pas être touché ou blessé.
25:08 Ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu une escalade
25:11 des pratiques des contrebandiers.
25:14 Dès que les caisses de cigarettes entrées en fraude
25:17 sur le sol italien sont débarquées des bateaux,
25:20 elles sont prises en charge par d'autres équipes de contrebandiers.
25:23 Là, les douaniers ont réussi à filmer de nuit
25:26 en caméra thermique d'un hélicoptère.
25:28 On distingue les camions.
25:30 Un groupe d'hommes transborde les caisses de cigarettes.
25:33 Le convoi se forme et se met en mouvement à travers la ville,
25:36 destination Naples et le nord de l'Europe.
25:39 Tout semble parfaitement organisé, minuté,
25:42 sauf lorsque les gardes des finances croisent leur chemin.
25:46 C'est parti !
25:47 *Cris de douleur*
26:14 Entre trafiquants et douaniers, ce sont de véritables rodéos.
26:18 Des deux côtés, on n'hésite pas à tirer.
26:20 On est loin du petit trafic de Barbès.
26:23 Il s'agit de grands banditismes.
26:25 Une dizaine de contrebandiers et deux policiers italiens
26:28 ont perdu la vie dans ces affrontements depuis quatre ans,
26:31 sans compter plusieurs dizaines de blessés.
26:34 Pour la justice italienne,
26:38 l'un des responsables des filières mises en cause,
26:41 c'est Gerardo Cuomo.
26:43 À l'issue de l'audience du tribunal de Bari,
26:45 l'homme a accepté de nous recevoir chez lui, en Italie du Nord.
26:49 Nous le retrouvons dans la banlieue chic de Bologne.
26:52 Une propriété de "gentleman farmer", c'est là qu'il réside.
26:56 Il est en liberté provisoire et doit pointer chaque jour au commissariat.
27:00 Civilité, élégance, le trafiquant présumé se fait très aimable.
27:05 À 58 ans, l'homme a été plusieurs fois condamné
27:08 pour contrebande de cigarettes et trafic de stupéfiants.
27:12 Mais ce qui le chagrine vraiment, ce jour-là,
27:15 c'est Artema, sur ses photos, son yacht de luxe, un joujou de 30 m.
27:19 Il était amarré dans le port de Cannes. Il a été saisi.
27:23 À l'heure actuelle, ma vedette est sous séquestre.
27:27 Elle est saisie dans l'attente de l'issue du procès.
27:30 Mais la France a été sollicitée pour m'arrêter, moi, pas le yacht.
27:34 Gerardo Cuomo veut prouver sa bonne foi.
27:37 Il n'y embloque les accusations de la justice.
27:40 À l'entendre, il ne serait qu'un honnête employé
27:43 d'une société spécialisée dans la vente de tabac.
27:46 Mon travail, c'était de faire du commercial auprès de la société Maxime Essa,
27:55 parce que j'ai une longue expérience dans le commerce des cigarettes,
28:00 des années d'expérience.
28:03 Cette société est régie par le droit suisse.
28:07 Et sur le registre du commerce, il est écrit, comme objet social,
28:12 "Cigarettes, alcool, produits de luxe".
28:16 Moi, je travaillais exclusivement à l'export, hors taxe.
28:20 Ce n'est pas la vie de la justice italienne.
28:23 Ce qui a intrigué les juges, c'est que sous cette couverture officielle,
28:27 l'homme n'avait qu'un seul client, un Italien installé au Monténégro,
28:31 et qui avait un emploi.
28:33 - Ça représente environ 30 000 à 35 000 caisses de cigarettes par mois.
28:38 Sur 12 mois, si on fait une moyenne entre les mois où on fait un plus gros chiffre
28:43 et ceux où on fait moins, ça représente au final
28:46 entre 280 000 et 300 000 caisses par an.
28:49 - 1,5 million de cartouches par an à lui seul,
28:52 à destination du petit Monténégro.
28:55 Avec ses associés, Maxime Essa a fait de la production
28:58 de plus de 1,5 million de cartouches par an.
29:01 Avec ses associés, Gerardo Cuomo aurait pu assurer
29:04 4 fois la consommation annuelle du pays.
29:07 C'est ce qui a convaincu les juges que la destination réelle des cigarettes
29:11 ne pouvait être ce petit pays balcanique.
29:14 Pour la justice italienne, Cuomo n'avait en fait pas de clients monténégros,
29:18 mais des associés qui réexpédiaient les cigarettes en contrebande vers l'Italie.
29:22 Notamment un certain Francesco Prudentino, arrêté en novembre 2000.
29:27 - Si ce monsieur a revendu cette marchandise à une autre personne
29:31 et si cette personne l'a chargée sur des bateaux et transportée en Italie,
29:35 moi, monsieur Cuomo et la société Maxime, nous n'y sommes strictement pour rien.
29:41 - Ce n'est pas ce que dit la justice italienne.
29:44 Ce n'est pas ce que dit non plus un homme que nous avons retrouvé en Suisse.
29:48 Il s'appelle Adriano Corti.
29:50 Il est poursuivi dans le même procès que Gerardo Cuomo
29:53 pour associations mafieuses et blanchiment d'argent.
29:57 C'est un ancien associé de Cuomo.
29:59 Il collectait en Italie les fonds de la revente des cargaisons de tabac
30:02 par le réseau des trafiquants.
30:04 Aujourd'hui, il est fâché avec Gerardo Cuomo.
30:07 L'heure est au règlement de compte.
30:09 - Monsieur Cuomo était le directeur général de la Maxime,
30:12 président de la Maxime,
30:14 et donc il vendait des cigarettes à des clients italiens qui le contactaient
30:18 et qui voulaient acheter aux Monténégres.
30:20 Moi, j'ai eu des factures pour 900 caisses.
30:23 C'était le minimum d'une facture qu'un client achetait chez Maxime.
30:27 - 900 caisses, 9 tonnes,
30:29 l'équivalent d'un conteneur plein de cigarettes.
30:32 Cette facture date de 1998.
30:35 Ici, c'est plus de 1 000 caisses qui ont été livrées.
30:38 Un commerce très rentable.
30:41 - Il faudrait calculer qu'est-ce que c'est le prix de transport
30:47 qui demande la personne qui transporte avec le bateau des contrebondes
30:51 la cigarette depuis le Monténégro sur les côtes de la Pauly.
30:56 Mais je peux calculer que la Maxime gagnait peut-être
30:59 sur les 20, 25 $ le carton dans la vente en gros.
31:03 Je pense qu'un bateau chargeait sur les 220, 250 cartons par fois.
31:09 - A ce rythme-là, le réseau empochait 600 000 $ par mois
31:12 à la fin des années 90.
31:14 Des sommes colossales qui permettent de s'acheter
31:17 toutes les protections et les complicités.
31:19 La justice italienne la réalisait à ses dépens
31:22 quand elle a voulu démanteler le réseau Cuomo.
31:25 Au Monténégro, certains de ses associés étaient protégés
31:28 par des personnalités haut placées.
31:30 Les mandats d'arrêt lancés par le procureur de Bari,
31:33 Giuseppe Celsi, n'aboutissaient jamais.
31:36 - A ce stade de l'enquête, quand on leur demandait
31:39 d'extrader ces personnes, ils nous répondaient
31:41 qu'elles ne se trouvent pas chez nous.
31:43 - Le gouvernement des autorités du Monténégro,
31:45 il tient en un chiffre 50 % du PNB,
31:48 la moitié de la richesse nationale.
31:50 C'est ce que rapporterait le trafic grâce aux sommes prélevées
31:53 à l'entrée des cigarettes dans le pays
31:55 en échange du tampon officiel des douanes.
31:57 Un tour de passe-passe qui, aujourd'hui encore,
32:00 profiterait directement à certaines personnalités du Monténégro.
32:03 Septembre 2003, la justice italienne lance
32:06 un mandat d'arrêt international contre les proches
32:09 du Premier ministre, Milo Djukanovic.
32:12 - Ce document que nous sommes procurés.
32:14 Ses plus proches d'amis sont directement mis en cause.
32:17 L'affaire va faire scandale sur place et leur vaudra la une
32:20 du magazine le plus lu du pays, avec un titre accusateur,
32:23 "Les hommes du président".
32:26 Neboja Medojevic dirige un parti politique d'opposition
32:30 au Monténégro.
32:32 Cette mise en cause ne le surprend pas.
32:35 Ce qui l'étonne, c'est que son Premier ministre
32:37 n'en assume pas les conséquences en démissionnant.
32:40 - Toutes les personnes accusées sont des amis de Djukanovic.
32:44 Dans tous les pays du monde, ce serait un problème, vous voyez.
32:48 Ici, monsieur Djukanovic a dit, il n'y a pas un sou qui est allé
32:52 dans des poches de personnes privées.
32:55 Tout va dans le budget de l'Etat.
32:58 Sauf que tous les gens qui organisent ce trafic,
33:01 qui sont impliqués dans ce trafic,
33:04 aujourd'hui, ce sont les gens les plus riches du Monténégro.
33:07 Il y a quelque chose de bizarre, non ?
33:10 - Chef de file de ses riches amis du Premier ministre Djukanovic,
33:14 cité dans le mandat d'arrêt, Veselin Barovic,
33:17 peut être l'homme le plus puissant du pays.
33:20 Associé à plusieurs sociétés d'Etat, cet homme d'affaires
33:23 est aussi le président du plus grand club de basket du Monténégro,
33:26 le Boudouchnost.
33:28 Sur cette photo, on le voit cigare au lèvre dans les gradins
33:31 à l'occasion d'une rencontre sportive avec son ami,
33:34 le Premier ministre.
33:36 Depuis le lancement du mandat d'arrêt international contre lui,
33:39 Barovic, s'il vit toujours comme un ababe,
33:42 fuit les caméras.
33:44 Nous avons cherché à le rencontrer d'abord dans le plus grand hôtel
33:47 de la ville, dont il serait le propriétaire.
33:50 Puis dans un restaurant chic de la capitale,
33:53 où il a ses habitudes mais pas de chance,
33:56 il refuse obstinément de répondre aux questions,
33:59 aux nôtres comme à celles de la justice internationale.
34:02 Il ne fait pas bon venir se mêler de ses affaires.
34:05 Il y a deux ans, un journaliste local a eu le tort
34:08 de s'intéresser de trop près à lui.
34:11 Kocha Pavlovic a réalisé un reportage sur la contrebande
34:14 de cigarettes au Monténégro.
34:17 Mal lui en a pris.
34:20 - Ca a pris de telles proportions
34:26 que ça a été un véritable tremblement de terre.
34:30 Pendant deux jours, j'ai reçu près de 1000 appels téléphoniques.
34:33 Et après cela, un ami qui travaille dans les services de sécurité,
34:44 la police secrète, m'a prévenu que M. Barovic
34:47 avait chargé certaines personnes de me soumettre
34:50 à un interrogatoire.
34:53 Au bout de quelques jours, le même ami m'a prévenu
34:56 que finalement, l'opération avait été empêchée
34:59 sur l'intervention du ministre de l'Intérieur de l'époque
35:02 et de M. Djukanovic.
35:05 - Après ces mises en garde, le journaliste a été contraint
35:08 de démissionner de son poste de rédacteur en chef
35:11 à la télévision du Monténégro.
35:14 La vedette du mandat d'arrêt international,
35:17 c'est le Premier ministre en personne, Milo Djukanovic.
35:20 Il n'est pas poursuivi du fait de son immunité d'homme d'Etat,
35:23 mais selon le document d'Interpol, il aurait touché directement
35:26 de l'argent sur les opérations de contrebande de tabac.
35:29 - Ces sommes étaient effectivement versées sur les comptes bancaires
35:32 au nom de Djukanovic. - En lien avec les opérations
35:35 de ses amis. - Ces derniers faisaient partir le chargement
35:38 de tabac stocké près des ports du Monténégro vers l'Italie
35:41 et les autres pays de l'Europe.
35:44 - L'homme côtoyait il y a encore peu de temps tous les leaders occidentaux
35:47 de Bill Clinton, à Tony Blair
35:50 ou encore Jacques Chirac.
35:53 En décembre dernier, le Premier ministre a dû répondre
35:56 publiquement aux graves accusations dont il fait l'objet
35:59 au cours d'une interview télévisée sur la chaîne nationale monténégrine.
36:03 - Interpol, à travers le groupe Montenegro, a-t-il été intéressé
36:06 par les personnes qui se trouvent en lien avec vous
36:09 dans la publicité ?
36:12 - Pour se justifier, le Premier ministre prend prétexte
36:15 des sanctions de l'ONU du temps de la guerre.
36:18 Mais la guerre est terminée depuis 4 ans.
36:21 Il est donc temps de faire face à la question de la liberté
36:24 et de la liberté de l'expression.
36:27 - Je suis un homme qui a été élu président de la République
36:30 depuis le début de la guerre.
36:33 Je suis un homme qui a été élu président de la République
36:36 depuis le début de la guerre.
36:39 - Le Premier ministre a-t-il été intéressé par les personnes
36:42 qui se trouvent en lien avec vous dans la publicité ?
36:45 - Pour se justifier, le Premier ministre prend prétexte
36:48 des sanctions de l'ONU du temps de la guerre.
36:51 Mais la guerre est terminée depuis 4 ans.
36:54 La plainte, elle, porte sur des faits de contrebande datant de 2003.
36:57 Nous n'avons pas pu obtenir un rendez-vous avec le Premier ministre.
37:00 C'est le ministre des Affaires étrangères qui accepte
37:03 finalement de nous répondre.
37:06 - Ça fait des années que j'entends ça.
37:09 Quand j'ai entendu que M. Djukanovic était impliqué dans le trafic,
37:12 je me suis mis à rire.
37:15 Honnêtement, c'est une histoire complètement incroyable.
37:18 Ça n'a ni queue ni tête.
37:21 - Le ministre balaye les accusations.
37:24 Difficile de croire ce ministre des Affaires étrangères
37:27 qui, pendant une heure, a nié devant nous l'existence
37:30 du trafic de cigarettes dans son pays, avant finalement
37:33 de l'admettre à la fin de l'interview, lorsqu'il croit la caméra coupée.
37:36 - S'il y a du trafic de cigarettes au Monténégro ?
37:39 Oui, ma réponse est oui.
37:42 - Vous savez, ce n'est pas que nous mettons de la mauvaise volonté.
37:45 Mais nous n'avons pas les moyens matériels de lutter.
37:48 - Des politiciens soupçonnés de corruption
37:51 à la tête d'un Etat, une vraie mafia
37:54 impliquant des centaines de personnes,
37:57 qui ne sont pas encore en mesure de se réunir.
38:00 Il y manquait le centre financier, le quartier général,
38:03 là où atterrissent les millions de dollars du trafic
38:06 avant d'être réinvestis.
38:09 Il est situé dans un des lieux les plus paisibles au monde,
38:12 à 30 km de la frontière avec l'Italie.
38:15 En Suisse, à Lugano, dans le canton du Tessin.
38:18 Un canton qui est depuis des années dans le collimateur
38:21 des juges financiers de toute l'Europe,
38:24 pour sa complaisance vis-à-vis de l'argent sale.
38:27 Ici, par exemple, viendrait se réfugier
38:30 la quasi-totalité de la fraude fiscale italienne.
38:33 C'est dans cet immeuble cossu du quartier des affaires
38:36 que Gérard Ocomo avait installé sa société d'import-export,
38:39 la Maxim S.A.
38:42 A partir de cette base, le contrebandier présumé
38:45 passait commande de millions de cigarettes
38:48 auprès de grandes marques à destination du Monténégro
38:51 pour inonder ensuite toute l'Europe.
38:54 C'est le cas pour les avocats dont ils ont besoin
38:57 pour gérer leurs affaires.
39:00 Pour eux, c'est aussi une sorte d'asile.
39:03 En Suisse, la loi n'autorise pas l'extradition
39:06 pour contrebande de cigarettes.
39:09 Adriano Corti, l'ex-associé de Gérard Ocomo,
39:12 est un pur produit de la région.
39:15 - Ici, dans ce canton, on est 200 000 habitants.
39:18 Et ceux qui habitent au sud, plus ou moins,
39:21 ils faisaient les sacs pour les cigarettes,
39:24 pour transporter, pour gagner quelque chose sur leur salaire.
39:27 Donc on se connaît tous et on sait tous plus ou moins ce qu'on fait.
39:30 - Vous voulez dire que vous êtes tous un peu contrebandiers ?
39:33 - Pas absolument.
39:36 C'est-à-dire, nous, on n'a jamais pensé que c'était de la contrebande.
39:39 - Tout le jeu, c'est de cacher l'argent.
39:42 Pour confondre le réseau Cuomo,
39:45 le procureur Chelsea de Paris a dû retracer
39:48 les étapes d'un circuit financier opaque
39:51 et prouver qu'il aboutit en fin de course
39:54 dans les comptes suisses de Gérard Ocomo.
39:57 - L'argent arrive par porteur carrément
40:00 dans des valises à double fonds,
40:03 de l'argent cash, du liquide.
40:06 Cet argent est introduit dans les circuits bancaires
40:09 à travers des versements effectués par des financiers.
40:12 Ensuite, il passe du circuit bancaire
40:15 au circuit commercial.
40:18 - Nous avons retrouvé un des banquiers de Gérard Ocomo.
40:21 Il travaillait à la BNP Paribas de Lugano
40:24 avant d'en être licencié.
40:27 Il est poursuivi, lui aussi, dans le procès de Bari
40:30 pour association mafieuse et recyclage d'argent sale.
40:33 Au téléphone, il a accepté, sous couvert d'anonymat,
40:36 de nous expliquer la phase ultime des opérations,
40:39 ce que la justice italienne appelle le blanchiment.
40:42 - Quel était votre rôle auprès de M. Ocomo?
40:45 - J'étais son gestionnaire.
40:48 Je lui faisais des opérations d'achat et de vente de devises.
40:51 Il encaissait parfois des euros,
40:54 parfois des dollars, parfois des lires italiennes.
40:57 On faisait des échanges à terme
41:00 pour s'approvisionner de dollars
41:03 pour faire les paiements des factures.
41:06 - A travers cette série de passages,
41:09 on perd la nature et la connaissance profonde
41:12 de la provenance illicite de cet argent.
41:15 Tout au moins, on le présume.
41:18 A cause de ces étapes successives,
41:21 on a le plus grand mal à faire la connexion
41:24 entre l'argent suspect et son origine.
41:27 - Ces manipulations d'argent,
41:30 Gérard Ocomo en connaît les rouages par coeur.
41:33 Et de longue date.
41:36 La consultation de son casier judiciaire
41:39 confirme que l'homme est un contrebandier avéré
41:42 depuis 30 ans.
41:46 - 71, 1re condamnation pour contrebande de cigarette,
41:49 20 jours de détention.
41:52 1974, condamnation pour contrebande de cigarette,
41:55 amende, 3,2 millions de lire.
41:58 1982, arrestation pour contrebande de cigarette,
42:01 6 mois de prison préventive.
42:04 1983, condamnation pour trafic de stupéfiants,
42:07 2 ans de prison.
42:10 1986, condamnation à 5 ans de réclusion
42:13 et 40 millions de lire d'amende
42:16 pour contrebande de cigarette.
42:19 Gérard Ocomo s'est retrouvé à 5 reprises
42:22 face à la justice.
42:25 L'homme est un contrebandier notoire.
42:28 Son banquier suisse, lui, a préféré fermer les yeux
42:31 sur ce genre de référence.
42:34 Difficile de refuser un client
42:37 avec une telle surface financière.
42:40 - Vous connaissiez bien le passé de contrebandier de M. Ocomo?
42:43 - Pas du tout.
42:46 M. Ocomo était un client recherché par les banques.
42:49 On savait que M. Ocomo traitait des sommes très importantes.
42:52 Tout le monde voulait l'avoir en tant que client.
42:55 J'étais convaincu que la marchandise était achetée
42:58 et revendue sur des gens de la banque.
43:01 Je ne voulais pas que ça se produise.
43:04 Je voulais que la marchandise soit achetée et revendue
43:07 sur des zones franches.
43:10 L'argent était légitime pour être transféré.
43:13 - Les fournisseurs de Gérard Ocomo, les multinationales du tabac,
43:16 elles non plus n'ont pas été très curieuses.
43:19 Pendant des années, elles ont continué de lui vendre
43:22 des millions de cigarettes sans apparemment se soucier
43:25 de son curriculum vitae de contrebandier.
43:28 C'est un des éléments clés qui a convaincu l'Union européenne
43:31 d'attaquer en justice les plus grands cigarettiers mondiaux
43:34 pour complicité de contrebande.
43:37 L'accusation se fonde sur un document de près de 200 pages
43:40 dans lequel le cas Gérard Ocomo est en bonne place.
43:43 La procédure a été ouverte au tribunal de New York
43:46 contre les fabricants Philip Morris et Reynolds
43:49 pour contrebande et blanchiment d'argent.
43:52 John Deynard est l'un des conseillers juridiques de l'Europe
43:55 pour ces procès.
43:58 Pour lui, le lien entre les fabricants et les contrebandiers
44:01 ne fait pas de doute.
44:04 Je pense que les preuves sont très claires,
44:07 ou ont l'air très claires.
44:10 Enfin, celles qui ont été présentées comme des preuves au tribunal
44:13 et dans ce procès.
44:16 Les compagnies de cigarettes savaient très bien
44:19 ce qui se passait et coopéraient très étroitement
44:22 avec les trafiquants.
44:25 Et elles ont tout fait pour leur faciliter la tâche.
44:28 Philip Morris et Reynolds ont qualifié ces accusations
44:33 de disproportionnées, d'absurdes, voire d'illégales.
44:36 Pour se défendre, les cigarettiers dénient
44:39 toute relation avec les contrebandiers.
44:42 Ce n'est pas ce que dit l'associé de Gérard Ocomo, Adriano Corti.
44:45 Il était bien placé pour en parler.
44:48 Ocomo et lui-même traitaient bien avec Philip Morris.
44:52 Il y a des contrats qu'on pouvait établir avec Philip Morris.
44:55 Par la remise, payer les cigarettes par les banques,
44:58 signément les banques suisses.
45:01 Et c'était des contrats de 10 containers par contrat
45:04 qu'on pouvait renouveler par semaine ou par mois.
45:07 En réalité, pour masquer les opérations avec Philip Morris,
45:10 les contrebandiers ont eu recours, selon la justice,
45:13 à des contrats de 10 containers par mois.
45:16 Leur objectif était de faire en sorte
45:19 que les contrebandiers aient une astuce, un faux nez.
45:23 - On a rencontré un ancien associé de Ocomo.
45:26 Il nous a dit qu'il achetait directement à Philip Morris.
45:49 - Selon la justice italienne, les transactions
45:52 entre Gérard Ocomo et les multinationales du tabac
45:55 ont été réalisées discrètement via une série de sociétés-écrans
45:58 placées dans des paradis fiscaux exotiques.
46:01 Au Bahamas, Hard Work Enterprise.
46:04 The Moulin Corporation aux îles Vierges Britanniques.
46:07 Nous avons demandé par fax à la multinationale Philip Morris
46:10 de nous expliquer la nature des relations d'affaires
46:13 qu'elle entretenait avec Gérard Ocomo
46:16 et qu'elle savait de son passé chargé de contrebandier.
46:19 La firme américaine n'a pas souhaité nous répondre.
46:22 Fin mars, le cigarettier américain a changé de stratégie
46:25 face aux attaques de l'Union européenne
46:28 devant la justice américaine.
46:31 La firme a annoncé par communiqué de presse
46:34 qu'elle est en négociation avec l'Union européenne
46:37 pour un accord dans la lutte contre le commerce illégal de cigarettes.
46:40 La firme serait prête à verser 1 milliard de dollars sur 12 ans.
46:43 Officiellement, pour financer la lutte contre la contrebande.
46:46 En échange, l'Europe passerait l'éponge.
46:49 Peut-être une façon de ménager l'avenir
46:52 en arrêtant toute enquête sur leurs liaisons dangereuses
46:55 avec les trafiquants.
46:58 La contrebande reste encore le moyen le plus efficace
47:01 de soutenir le marché de la cigarette
47:04 quand se multiplient les campagnes anti-tabac.
47:07 Pour eux, vendre la cigarette, c'est destiné aux consommateurs.
47:10 Que ce soit vendu par contrebande ou que ce soit vendu légalement,
47:13 à la fin du mois, ça ne leur intéresse pas
47:16 parce que de toute façon, eux, ils vendent toujours la cigarette au même prix.
47:19 La différence, c'est que le bénéfice
47:22 est encaissé par le contrebandier ou bien par l'Etat.
47:25 Mais ça, ça ne regarde pas la fin du mois.
47:28 Son produit est vendu au même prix.
47:31 La contrebande fait perdre chaque année 12 milliards d'euros
47:37 au budget de l'Europe communautaire.
47:40 À Barbès, à Paris, au pied du métro,
47:43 les revendeurs voient les hausses successives du prix du tabac
47:46 comme une aubaine pour leur commerce.
47:49 En attendant l'arrivée massive, comme en Angleterre,
47:52 des grands réseaux internationaux de contrebandes
47:55 et que le trafic ne déborde des quartiers spécialisés.
47:58 [Musique]
48:01 [BIP]
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