7 MINUTES POUR COMPRENDRE - Mazan: le procès peut-il changer notre société ?

  • il y a 12 heures
Le procès des viols de Mazan suscite un intérêt important depuis son ouverture. Plus de 8 Français sur 10 en ont déjà entendu parler. La popularité de l'affaire est si grande qu'elle pourrait avoir un impact sur notre société.  

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Transcription
00:00Est-ce que le procès des viols de Mazan est en train de faire changer notre société ?
00:03Est-ce que ce n'est pas justement une femme surtout qui est en train de faire changer la société ?
00:07En l'occurrence Gisèle Pellicot.
00:09Ce que vous dites dans votre sondage, Marion, est très intéressant.
00:13L'écho médiatique de ce procès est mondial.
00:15Plus de 8 Français sur 10 en ont entendu parler.
00:19Ce sont les femmes qui s'intéressent le plus au procès ?
00:21Ça vous a surpris ?
00:23Alors oui, ça nous a surpris.
00:26Mais ce qu'il faut retenir tout de même, c'est que tout le monde s'intéresse au procès.
00:29Et 68% savent même exactement ce dont il s'agit.
00:33Ce qui est très rare dans les cas de procès, surtout les procès de faits divers.
00:37Il y en a beaucoup où il y a une très forte récurrence.
00:39Généralement ça suscite un intérêt très mou.
00:42Là, il n'en est rien et ça suscite très peu d'indifférence.
00:45Et même chez les hommes, il n'y a que 7% des Français qui nous disent
00:48« moi cette affaire m'indiffère ».
00:50Donc quand même, c'est les femmes et les hommes qui s'intéressent.
00:52Alors on va voir la différence de perception entre les hommes et les femmes peut-être dans quelques instants.
00:55Mais je voudrais qu'on se tourne aussi et d'abord vers Mélanie Bertand.
00:58Parce que ça fait un mois que vous suivez ce procès avec beaucoup d'attention.
01:01Mélanie avec évidemment toutes les difficultés parce qu'il y a des moments très très durs dans ce procès.
01:08Quand, Mélanie, avez-vous vu qu'il allait devenir ce procès ?
01:10Non pas le procès d'un fait divers, mais beaucoup plus que ça.
01:16On a vraiment vu la bascule à la deuxième semaine du procès, j'ai envie de vous dire.
01:20Une fois qu'on attendait le témoignage de Dominique Pellicot,
01:24quand Gisèle Pellicot a pris la parole,
01:26on s'est rendu compte que tout d'un coup, il y avait de plus en plus de médias étrangers qui arrivaient au procès.
01:31La première semaine, on devait être une trentaine, je dirais, de médias uniquement français.
01:35Il y avait peut-être quelques correspondants étrangers, mais vraiment à compter sur le bout des doigts,
01:39sur les doigts d'une main, pardon.
01:41Et puis la deuxième semaine, tout d'un coup, on a vu arriver ses confrères américains, espagnols, canadiens, brésiliens aussi.
01:47Il y a la télé brésilienne qui est là, beaucoup d'Allemands, beaucoup de Suisses.
01:51Et tout d'un coup, on s'est rendu compte que ce procès sortait non seulement du territoire de l'enceinte de ce tribunal,
01:57qu'il intéressait tout le monde, mais qu'il dépassait nos frontières.
02:00Et on s'est rendu compte de l'écho à l'international.
02:02Et hier encore, une conseillère du New York Times me disait que ces articles,
02:06un mois après le début du procès, sont encore très lus sur son site internet
02:10et qu'effectivement, cette histoire intéresse tous les lecteurs, tous les citoyens au-delà de nos frontières.
02:16Et vous, Mélanie, à quoi est-ce que vous attribuez cet intérêt, cet écho mondial ?
02:23Il y a deux choses qui jouent d'abord.
02:25Effectivement, le fait que Gisèle Pellicot ait renoncé au huis clos, qu'elle ait souhaité la publicité des débats.
02:29On se souvient de cette phrase très forte qu'elle a eue.
02:32Il faut que la honte change de camp.
02:34Et pour nous, journalistes, c'est quasiment une première de pouvoir assister à un procès de viol.
02:39D'habitude, les victimes demandent le huis clos et ça leur est accordé de droit.
02:42Cette fois-ci, nous, la presse, on est à l'intérieur de cette salle d'audience.
02:45On peut rendre compte de ce qui se passe à l'intérieur, de la façon dont les accusés s'expriment,
02:49de la façon dont la victime, Gisèle Pellicot, est aussi abordée, traitée,
02:53parfois un petit peu maltraitée par certains avocats.
02:56Et ça, c'est essentiel.
02:57Et puis, il y a aussi les dimensions hors normes de ce dossier.
02:59Ce n'est pas simplement une histoire qu'on juge.
03:01Ce sont 50 co-accusés qui comparaissent, qui n'ont jamais dénoncé les faits.
03:06Et ça, c'est véritablement inédit.
03:08Ils continuent d'attirer le public un mois après.
03:10On voit le public rentrer derrière vous.
03:13Est-ce que les hommes et les femmes ont la même perception de ce procès ?
03:16Oui, alors ça, c'est très intéressant.
03:17C'est ce que montre le sondage IFOP pour Fiducial, Sud Radio et Politix.
03:21C'est qu'il y a bien des écarts de perception, non seulement entre les hommes et les femmes,
03:24mais entre les jeunes et les vieux.
03:26Si je peux me permettre, même les hommes en eux-mêmes, ils ne pensent pas de la même façon.
03:30Et on a souvent des hommes plus jeunes qui vont être un peu plus sensibles aux questions de féminisme.
03:36Là où les personnes un peu plus âgées ont une vision un peu plus traditionnelle.
03:41Quand vous dites féminisme, c'est de consentement ou de féminisme ?
03:44Alors là, je parle du regard sur les violences sexuelles et sexistes,
03:47mais aussi plus généralement sur les enjeux de féminisme.
03:49L'enquête le montre bien.
03:51Alors ce qui est intéressant de voir, c'est que même ces personnes-là,
03:53qui sont au départ moins sensibles aux enjeux féministes de manière générale
03:58et aux violences sexistes et sexuelles,
04:00ça fait bouger les lignes sur cette population-là.
04:03C'est-à-dire qu'est-ce qu'ils disent ?
04:04C'est-à-dire que forcément, le procès parle davantage aux femmes les plus jeunes
04:08qui ont été plus sensibles à ces thématiques-là.
04:11Pour autant, même les personnes qui viennent questionner l'idée
04:15qu'on serait dans une société patriarcale ou que la culture du viol existe,
04:18et bien même auprès de ces gens-là, on en a à peu près la moitié qui nous disent
04:22« Ah oui, mais le procès, moi, ça me fait quand même réfléchir
04:25sur le regard que porte la société sur ces violences sexistes et sexuelles. »
04:28Ça fait réfléchir à quoi selon vous, maître ?
04:30Ça fait réfléchir à plein de choses.
04:32J'aimerais déjà vous dire que oui, moi, je pense qu'il y aura véritablement
04:35un avant-après-procès Mazan, et c'est nécessaire.
04:39Mais justement, quand on dit ça, c'est une formule un peu facile,
04:41mais qu'est-ce que ça veut dire, un avant et un après ?
04:43Sur quoi ? Sur quel type de comportement ?
04:46Sur tellement de choses, je vais vous dire.
04:47Allez-y.
04:48C'est-à-dire que premièrement, c'est un procès qui bouleverse la société tout entière.
04:53Déjà parce qu'il évoque des sujets que peut-être certaines personnes
04:57n'ont pas voulu regarder de plus près.
04:59C'est-à-dire que les auteurs en général, les 51 accusés,
05:04c'est aussi Monsieur Tout-le-Monde.
05:06Ce n'est pas des monstres, comme on peut le dire parfois.
05:08Ce n'est pas forcément des inconnus au détour d'une ruelle.
05:11C'est le tout venant.
05:13C'est la personne dont on n'aurait peut-être pas douté.
05:15Et c'est cette prise de conscience aussi qu'il faut avoir sur la question
05:18des auteurs de violences sexuelles.
05:20Et je pense qu'il faut avoir…
05:21Pour autant qu'on faille d'amalgame avec tous les hommes.
05:23Il n'y a pas du tout d'amalgame avec tous les hommes.
05:25Ce que je veux vous dire, ce n'est pas mon type de discours,
05:28et ça ne l'est pas aujourd'hui.
05:30Ce que je veux vous dire, c'est que les auteurs de violences sexuelles,
05:33ça peut être un peu tout le monde.
05:35Ça peut être votre voisin.
05:36Ça peut être un membre de la famille.
05:37Ça peut être un collègue.
05:38Ça peut être évidemment un inconnu dans la rue.
05:41Mais ce procès, il démontre, de par les catégories socioprofessionnelles
05:44qu'il touche, de par les tranches d'âge qu'il touche,
05:47que ça peut être tout le monde.
05:48Et aussi, il nous permet d'attirer l'attention des plus jeunes
05:51sur les questions de consentement et de pédagogie
05:54qu'il faut mettre en place dès maintenant.
05:56Et j'aimerais rajouter un point qui me semble très important.
05:59C'est que la réforme de 2022, elle a décidé que les crimes
06:05qui sont punis d'une peine d'emprisonnement allant de 15 à 20 ans
06:09seraient jugés par des cours criminels départementales.
06:12Qu'est-ce que c'est qu'une cour criminelle départementale ?
06:14C'est une cour composée de magistrats professionnels,
06:17contrairement aux cours d'assises qui sont composées d'un jury populaire.
06:21Et à une époque où le lien de confiance entre les citoyens et la justice s'essouffle,
06:26on a finalement retiré cet héritage démocratique au peuple
06:30qui devait lui aussi rendre la justice
06:33et s'interroger sur la question des violences sexuelles.
06:35Mathieu ?
06:36Oui, on n'est pas dans un fait divers,
06:37on n'est pas dans la trajectoire individuelle d'un prédateur
06:39aussi horrible et spectaculaire soit-elle.
06:41On est dans un fait de société parce qu'il y a 50 hommes
06:43qui ont violé cette femme.
06:4550 femmes que rien ne réunit sauf le fait d'être des hommes
06:48parce qu'ils ont des parcours différents, des métiers différents,
06:50des origines sociales différentes.
06:5150 jugés mais ils sont au moins 70 dans les faits.
06:52Voilà, exactement, au moins 70.
06:54Moi, ce qui me frappe, c'est que ce fait de société,
06:56tout le monde en parle.
06:57C'est vrai que ça bouleverse la société tout entière
06:59mais la classe politique n'en parle pas beaucoup.
07:01C'est vrai.
07:02Et vous avez vu l'émotion de la classe politique
07:04et d'une certaine façon l'instrumentalisation qu'il y a pu avoir
07:07à propos du meurtre tragique de la petite Philippine
07:09où on a carrément vu des responsables politiques s'exprimer.
07:12Là, sur le viol de Mazan, à part, et il faut le souligner,
07:15des femmes politiques connues pour leurs engagements féministes
07:18qui ont parlé, qui ont tenté même de répondre dans des interviews parfois
07:22sans qu'on leur pose la question sur le sujet de l'affaire de Mazan,
07:25l'ensemble de la classe politique, le reste, n'a rien à dire.
07:29Comme si ce sujet leur échappait, comme s'il n'y avait pas de solution à proposer.
07:32La classe politique ne s'en empare pas pour le moment.
07:33Mélanie Bertrand, vous qui suivez ce procès depuis un mois,
07:36il y a un mot très important qui vient d'être prononcé,
07:38c'est le consentement.
07:39Et c'est aussi un mot qui revient beaucoup dans le public
07:41qui suit ce procès depuis le tribunal d'Avignon.
07:46Oui, le public, si vous ne le voyez plus derrière moi,
07:48c'est parce qu'ils font déjà tous la queue devant la salle de retransmission.
07:51Qui ouvre ses portes à 9h.
07:53S'il y a clairement moins de monde qu'au tout début de ce procès en septembre,
07:57il y a quand même quelques dizaines de personnes tous les jours qui sont là.
08:00Certaines viennent, je dis certaines parce que c'est un public largement féminin.
08:04Certaines viennent tous les jours.
08:06Hier, je discutais avec une militante féministe qui est venue de Paris pour trois jours.
08:10Effectivement, elle me disait, ce procès est salutaire
08:12parce qu'on n'a jamais autant parlé de la notion de consentement.
08:15J'ai interrogé quelques dames dans ce public et elles avaient une crainte,
08:19c'est que les peines prononcées, ce sera en décembre, fin décembre,
08:22ne soient pas à la hauteur des enjeux du procès.
08:25Elles redoutaient aussi que l'électrochoc que crée cette audience
08:29retombe une fois le verdict passé.
08:31Néanmoins, elles sont là tous les jours.
08:33Certaines veulent apporter leur soutien à Gisèle Pellicot.
08:36Je peux vous dire que matin et soir, il y a ces mêmes applaudissements,
08:38cette même haie d'honneur qui continue alors qu'on est quatre semaines après le début du procès.
08:42Il y a un débat autour de l'inscription, de la notion de consentement dans le code pénal.
08:48Je vais citer un autre sondage publié ce matin par Elle, le sondage OpinionWay.
08:5257% des hommes interprètent l'absence d'un nom, comme le feu vert à une relation sexuelle.
08:59Ça veut dire qu'il y a encore évidemment du travail.
09:02Ça veut dire qu'il y a encore énormément de chemin, effectivement,
09:06et il me semble que le procès Mazan va relancer le débat sur l'inscription au nom du consentement.
09:12En tout cas, une chose est sûre, c'est qu'il va falloir que ce terme apparaisse dans notre loi,
09:17mais il faut aussi rappeler que le consentement, on en parle quand même tous les jours,
09:21vous voyez, il n'est pas inscrit dans la loi et pour autant le président de la Cour criminelle
09:25en a parlé toute la journée et hier aux accusés qui étaient questionnés.
09:29Je pense que ça ne réglera pas toute la question des traitements des violences sexuelles judiciaires,
09:35mais par contre, symboliquement et aussi parce que le consentement doit aujourd'hui avoir un sens,
09:41il va falloir que cela soit débattu.
09:45Merci.
09:46Merci d'avoir été avec nous à la fin.
09:47Merci infiniment de votre première édition.

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