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À Marseille ce week-end, deux nouveaux narchomicides liés et impliquant des adolescents de 14 et 15 ans. Avec ces deux dernières affaires, le nombre d'homicides sur fond de trafic de drogues, est désormais passé à dix-sept depuis le début de l'année. Écoutez l'interview de Jérôme Durain, président de la commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic en France, sénateur PS de Saône-et-Loire.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 07 octobre 2024.

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Transcription
00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04Il est 18h42, bonsoir Jérôme Durin, merci de nous rejoindre.
00:07Vous êtes sénateur socialiste, conseiller régional de Saône-et-Loire
00:10et vous venez de présider une commission d'enquête sur le narcotrafic.
00:14Ce week-end, je le rappelle, à Marseille, un adolescent de 14 ans
00:17a tué un chauffeur de VTC d'une balle de revolver dans la tête.
00:20Un autre ado, âgé de 15 ans, a lui été brûlé vif dans une voiture,
00:24tout cela sur fond de trafic de drogue.
00:26Quelle est votre réaction ?
00:29L'effroi, mais malheureusement pas la surprise,
00:32parce que quand on a rendu le 14 mai notre rapport,
00:36notre rapport de commission d'enquête,
00:38voté d'ailleurs à l'unanimité des membres,
00:40quelles que soient les tendances politiques du Sénat,
00:43on avait documenté déjà quelques éléments qui sont apparus
00:47dans cette affaire marseillaise.
00:49La prison depuis laquelle on continue à piloter des commandités des assassinats,
00:54l'argent qui est disponible pour financer toutes ces opérations,
00:58le rajeunissement des criminels et des petites mains du trafic,
01:03des auteurs et des victimes des violences.
01:06Finalement, tout ce qu'on voit ces jours-ci,
01:09c'était déjà dans notre rapport et malheureusement,
01:11c'est une tendance lourde qui est à l'heure.
01:13Mais là quand même, Jérôme Durain, on parle de gamins, de 14, de 15 ans.
01:18Ce qui nous a beaucoup affecté quand on a fait cette commission d'enquête,
01:23c'est les choses spectaculaires.
01:25Les montants d'argent, 3,5 milliards à 6,5 milliards de chiffre d'affaires
01:30du trafic de drogue en France,
01:32c'est quelques opérations criminelles d'ampleur.
01:34Et puis il y a tout ce qu'on ne voit pas.
01:36Ce qu'on ne voit pas par exemple, c'est les vidéos des actes de barbarie,
01:39des actes de torture, des tabassages en règle, des jambisations
01:42qui sont diffusées dans certains quartiers où les trafiquants règnent en maître.
01:48Et je pense que ça, ça finit par influer sur les codes criminels.
01:51À l'époque déjà, on nous avait parlé des baby killers,
01:53ces jeunes qui sont recrutés, parfois à vil prix, pour commettre des assassinats,
01:57qui ne viennent pas forcément d'ailleurs de milieux très défavorisés,
02:01pas toujours en tout cas, et qui cèdent aux sirènes de l'argent
02:05et puis peut-être à la fascination de la violence.
02:07Et ça, c'est très très inquiétant.
02:08On se dit en vous écoutant que la seule répression ne suffira pas, Jérôme Durain.
02:11Que proposez-vous concrètement pour lutter contre le narcotrafic dans notre pays ?
02:16Il y a des dimensions répressives évidemment.
02:19Il faut interpeller les auteurs de ces trafics.
02:23Il faut sécuriser la situation carcérale.
02:26Ce n'est pas normal qu'on puisse diligenter des assassinats
02:30depuis une cellule avec des téléphones qui sont rentrés clandestinement.
02:33Donc la position de ces personnes en prison doit être interrogée.
02:36Il faut d'abord mieux organiser notre réponse.
02:39On a su se faire sur le terrorisme,
02:41et on voit bien qu'on n'est pas encore capable de le faire sur le narcotrafic,
02:43avec une justice qui ne parle pas à la police,
02:45une police qui ne parle pas avec Bercy.
02:47Donc tout ça doit être mieux organisé.
02:49Et puis il y a des questions culturelles.
02:51On dit par exemple qu'il faut lutter davantage contre ces familles qui sont à la dérive,
02:55en tapant aux allocations familiales.
02:57Quand les gamins n'ont plus peur de la prison,
03:00parce qu'à 14 ans, quand on est capable de tuer un 357 magnum
03:04et de tuer quelqu'un de sang-froid,
03:06c'est quand même que les codes sociaux sont bien abîmés.
03:09Donc il y a une dimension de prévention,
03:11peut-être aussi d'exfiltration de certaines familles
03:13qui commencent à dériver vers le trafic.
03:17Plutôt aider les familles, nous le demandent d'ailleurs,
03:19quand on les a croisées à Marseille,
03:21quand les enfants vont mal,
03:23ils n'hésitent pas à mettre en cause tout le monde, toute la famille,
03:26mais peut-être d'aider à sortir ces gens de l'enfer du narcotrafic.
03:30Donc il y a un travail de fond.
03:32Et puis il y a des racines sociales.
03:34Je me souviens, il y a quelques années,
03:36on voyait un très beau film de Fernando Meireles
03:38qui s'appelait La Cité de Dieu.
03:40C'était exotique, c'était du côté de Rio.
03:42Armés à 11 ans, les mêmes causes,
03:44les mêmes mécanismes sociaux
03:46fabriquent les mêmes réalités.
03:48Le désœuvrement, la pauvreté,
03:50l'habitude du crime.
03:52Là, il y a un travail social de très longue haleine.
03:55Jérôme Durin, dans ce rapport, je crois que vous demandez
03:57à ce que l'État passe à l'action.
03:59Sans quoi, et là je vous cite,
04:01on se prépare à des lendemains difficiles.
04:03Franchement, on n'y est pas déjà ?
04:05Dans ces lendemains difficiles, la situation est catastrophique.
04:08Oui, ça a été très dur
04:10dans beaucoup de quartiers de nos villes cet été.
04:13Il y a eu un incendie à Nice,
04:15il y a eu la situation grenobloise
04:17qui a fait de la rentrée, on en a beaucoup parlé.
04:19Marseille à nouveau, et on voit bien que les opérations
04:21de place nette, elles ont été efficaces un temps,
04:23mais que les trafics se reconstituent.
04:25Tant qu'on n'ira pas chercher l'argent,
04:27tant qu'on n'assèchera pas le portefeuille
04:29des criminels
04:31qui leur permettent
04:33de commanditer des assassinats,
04:35de corrompre,
04:37ici ou là, des fonctionnaires,
04:39des agents publics, des agents privés,
04:41alors on n'aura rien résolu, donc il faut couper la tête de la pieuvre.
04:43Le problème, c'est qu'il n'y a pas une pieuvre,
04:45ce n'est pas une organisation criminelle,
04:47c'est beaucoup d'organisations criminelles,
04:49et il faut beaucoup de méthodes, et pour l'instant,
04:51cette méthode, on n'a pas su la mettre en place.
04:53Mais comment faire ?
04:55Vous connaissez des pays démocratiques,
04:57qui ont obtenu des résultats dans la lutte contre le trafic de drogue,
04:59des résultats importants.
05:01J'imagine que vous avez dû vous poser la question.
05:03Oui, la dimension,
05:05elle n'est pas que locale.
05:07Au début de la rentrée de septembre,
05:09on nous disait, les maires sont en première ligne,
05:11c'est parce qu'ils font du mauvais boulot localement
05:13que le trafic prospère.
05:15On voit bien que c'est au moins un sujet national,
05:17mais plus largement,
05:19c'est un sujet international.
05:21Il faut de la coopération européenne,
05:23il faut travailler avec les pays qui hébergent les criminels.
05:25On sait qu'à Dubaï, c'est un pays refuge
05:27où les avoirs criminels
05:29accompagnent les criminels eux-mêmes.
05:31Il y a des pays
05:33qui ont investi beaucoup.
05:35La France, c'est l'organisme américain
05:37qui lutte contre le trafic de drogue,
05:39qui a obtenu quelques résultats.
05:41Il y a quelques dizaines de milliards d'euros
05:43dans la lutte contre le trafic de fentanyl.
05:45Ce n'est peut-être pas cette échelle
05:47dont on a besoin, mais c'est au moins d'avoir
05:49une bonne collaboration
05:51entre nos propres services,
05:53entre renseignements, entre judiciaires,
05:55entre forces de l'ordre et magistrats.
05:57Pour l'instant, ce que dit notre rapport,
05:59l'essentiel de notre rapport,
06:01c'est que toutes ces organisations
06:03ne parlent pas à Bovo,
06:05c'est le ministre de l'Intérieur et le ministre des Finances.
06:07Le garde des Sceaux
06:09n'est pas suffisamment informé
06:11de ce que fait le ministre de l'Intérieur.
06:13Donc, s'il n'y a pas un grand plan interministériel
06:15et une unité de commandement,
06:17une unité de pilotage, alors on n'aura pas
06:19les résultats qui sont à la hauteur des défis qui nous sont posés.
06:21Écoute, des consommateurs,
06:23on parle souvent des voyous, des trafiquants,
06:25mais eux, on en parle rarement.
06:27Oui, alors,
06:29il y a deux débats.
06:31On est enserré
06:33entre les tirades
06:35d'Éric Dupond-Moretti,
06:37les consommateurs ont du sang sur les mains,
06:39et puis, de l'autre côté du spectre,
06:41ceux qui disent que la légalisation va tout régler.
06:43Je pense que c'est vrai, ni dans un cas,
06:45ni dans l'autre. Les consommateurs ont une responsabilité.
06:47Je pense qu'on a un pays qui n'assume pas
06:49complètement sa prohibition. Vous savez,
06:51il y a un gendarme dans mon département qui me dit
06:53« Ici, monsieur le sénateur, tout le monde fume, la mère de sa fille,
06:55l'étudiant, le chef d'entreprise. »
06:57Pas à la gendarmerie, j'espère.
06:59Je ne pense pas à la gendarmerie, quand même.
07:01Mais je pense qu'il faut qu'on règle ça, et puis, il faut aussi dire
07:03que les problèmes qu'on connaît,
07:05on les connaît parce qu'il y a eu une submersion
07:07par la drogue. La lettre cocaïne a été
07:09multipliée par trois. Donc, il y a des
07:11consommateurs parce qu'il y a une offre.
07:13Normalement, quand on s'y prend bien contre le trafic de drogue,
07:15il y a moins de drogue,
07:17elle est plus chère,
07:19elle est moins facilement disponible.
07:21Nous, c'est exactement l'inverse. Il y a plus de drogue,
07:23elle est moins chère, on la trouve facilement.
07:25Donc, c'est quand même qu'on a raté quelque chose.
07:27Merci beaucoup, Jérôme Durin. Vous êtes sénateur socialiste,
07:29conseiller régional de Saône-et-Loire.
07:31Merci et bonne soirée.

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