Lutte contre le narcotrafic : "Les organisations criminelles s'adaptent complètement à la répression"

  • il y a 4 mois
Jérôme Durain, sénateur PS de la Saône-et-Loire, Clotilde Champeyrache, économiste au CNAM, spécialiste des mafias et économies criminelles et Christophe Miette, commandant de police échangent autour de la question de la lutte contre le narcotrafic. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-15-mai-2024-1473020

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00:00 8h24.
00:02 France Inter.
00:04 Nicolas Demorand.
00:06 Le 7-10.
00:08 Un grand entretien en forme de table ronde ce matin sur le trafic de drogue en France.
00:12 Vos questions à mes auditeurs au 01-45-24-7000 et sur l'application de France Inter.
00:18 Trois invités pour vous répondre et pour en parler.
00:22 Jérôme Durin, sénateur PS de Saône-et-Loire,
00:26 président de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France.
00:32 Vous avez rendu votre rapport hier.
00:34 Clotilde Champérage est avec nous, économiste au CNAM, spécialiste des mafias et des économies criminelles,
00:41 auteure de Géopolitique des mafias aux éditions Le Cavalier Bleu.
00:45 Et pour boucler ce tour de table, Christophe Niette, commandant de police,
00:50 secrétaire national du Syndicat des cadres de la Sécurité Intérieure.
00:55 Bonjour à tous les trois et merci d'être sur France Inter.
01:00 Hier, ce rapport sénatorial, fruit de six mois de travail, a été rendu public.
01:08 Vous y présentez, Jérôme Durin, 35 propositions pour faire face au narcotrafic en France.
01:14 On va y venir dans un instant.
01:16 Mais d'abord, quelques mots sur cette spectaculaire et ultra-violente évasion.
01:22 L'attaque hier à l'arme lourde d'un fourgon pénitentiaire, deux agents tués,
01:27 un troisième dans un état critique entre la vie et la mort,
01:30 le détenu, un narcotraficant de 30 ans selon le Parisien, est toujours en cavale.
01:35 Qu'est-ce qu'un événement de ce type, Jérôme Durin, dit selon vous de la puissance du narcotrafic en France ?
01:41 Ça vient confirmer un certain nombre d'inquiétudes que nous formulons dans notre rapport.
01:47 D'ailleurs, dans notre échange avec les autorités pénitentiaires,
01:52 on avait posé la question et on a eu une réponse écrite qui nous disait
01:56 que le risque d'évasion prémédité en lien avec des organisations criminelles était réel,
02:02 notamment du fait de leur immense capacité financière.
02:06 Et donc, ça vient mettre en lumière, sous réserve que l'enquête confirme,
02:11 tout ce qu'on pressent, qu'il y a une capacité de pouvoir d'achat des réseaux criminels
02:15 qui leur permet, tout et n'importe quoi, une audace et une liberté d'action sans limite,
02:20 et puis une espèce de désaffiliation vis-à-vis des codes sociaux,
02:23 puisque les images sont terribles de ce point de vue-là.
02:25 Christophe Miette, certains spécialistes parlent d'une mexicanisation du narcotrafic en France,
02:31 à la lumière de ce qui s'est passé hier. Vous trouvez le mot approprié ?
02:35 Oui, on peut parler de narco-baditisme, de narco-homicide.
02:39 Cette fois-ci, nous avons une narco-évasion.
02:41 C'est bien beau de mettre le mot "narco" partout, nous avons un véritable problème,
02:45 c'est du grand banditisme. Il y a des faits, il y a de la violence.
02:48 Cette fois, il y a eu des morts. Maintenant, il faut trouver des solutions.
02:51 Quel regard portez-vous, Clotilde Champérage, sur ce que disait à l'instant Jérôme Durin ?
02:58 Il faut de l'argent, pouvoir mobiliser de l'argent, énormément d'argent,
03:02 pour mener des opérations de ce type ?
03:04 Il faut de l'argent, et puis surtout, ça montre que le trafic de stupéfiants
03:08 s'inscrit dans un écosystème criminel beaucoup plus large.
03:12 Il y a trafic d'armes aussi, et il faut vraiment changer notre regard
03:16 sur ces activités criminelles, en voyant largement les choses,
03:20 en évitant de trop se focaliser sur un marché en particulier,
03:23 parce que ces organisations criminelles, elles sont de plus en plus multi-activités.
03:27 Deux chiffres pour commencer. Le marché de la drogue en France est estimé
03:31 entre 3 et 6 milliards d'euros par an, et il fait vivre directement
03:37 et indirectement 240 000 personnes. Même question à tous les trois.
03:43 Pour commencer, comment qualifiez-vous la situation française ?
03:48 Quel mot pour décrire la nature du narcotrafic en France ? Jérôme Durin ?
03:53 Moi, ce qui me surprend au terme de ce travail, c'est qu'on est parti de Marseille.
03:57 On est parti des narcomicides, et sur le spectaculaire,
04:01 sur ce qu'il y a de plus extraordinaire, la violence, les gamins dans les cités
04:08 qui sont victimes d'actes de barbarie. Et au terme de ce travail,
04:13 ce que je retiens, c'est l'ordinaire. L'ordinaire de l'ampleur du trafic
04:17 dans tous les territoires. La France des sous-pavectures, la France rurale,
04:21 les petites villes. Des phénomènes qui, au début de la mission,
04:24 étaient cantonnés à certains quartiers de grandes villes,
04:27 et qui d'autrement s'invitent dans d'autres territoires. Besançon, Dijon, Rennes,
04:32 là où il y a eu des scènes de guerre dans les rues,
04:36 devant la sidération de la population. C'est ça le plus important.
04:39 C'est l'étendue et la géographie nouvelle du trafic.
04:43 C'est l'étendue, sa profondeur, son ampleur, son enracinement, sa complexité.
04:46 Notre rapport parle des questions maritimes, il parle des Antilles,
04:49 il parle de la justice, il parle des moyens des policiers,
04:53 il parle des questions cyber, il parle des réseaux sociaux, il parle des ports.
04:56 Il faut avoir une vision globale du sujet, c'est ce qu'apporte le rapport.
04:59 Et on a pour l'instant des réponses politiques qui sont extrêmement limitées à quelques sujets.
05:05 On ne peut pas dire "c'est la faute au consommateur", parce que ça ne résout rien.
05:09 On ne peut pas pointer tel ou tel territoire. C'est un problème global, il faut des réponses globales.
05:14 Le rapport sénatorial parle d'une France submergée par le narcotrafic,
05:18 qui s'infiltre partout pour corréler une violence exacerbée,
05:22 comme un flot qui monte inexorablement.
05:26 Le trafic semble toujours trouver un moyen de s'infiltrer.
05:29 Submersion, le mot est le bon, Clotilde Champé-Rach ?
05:33 Submersion, ça dépend aussi des drogues qu'on va prendre en considération.
05:37 Le cannabis, c'est vrai que c'est devenu quelque chose d'extrêmement banal.
05:40 La cocaïne monte, ça reste quand même une consommation heureusement minoritaire,
05:45 mais on a effectivement des problématiques montantes.
05:48 Et surtout, ça reflète la résilience des organisations criminelles.
05:52 Elles s'adaptent complètement à la répression,
05:55 elles développent de nouveaux produits, du marketing.
05:57 Elles ont appris du Covid en développant les distributions à domicile.
06:02 Ce qui explique aussi que tout le territoire peut être touché,
06:04 parce que des gens qui pouvaient ne pas avoir envie d'être visibles en allant dans un point de deal,
06:08 là, ils se disent "c'est facile, je commande sur Internet, j'ai ma dose à domicile, donc consommons".
06:14 - Christophe Nietz, vous constatez aussi cette vague qui gagne le territoire français ?
06:21 - Tout à fait, c'est la loi du commerce.
06:24 Ces trafiquants qui considèrent cette marchandise comme un bien classique
06:29 s'étendent et essaient de gagner des parts de marché sur l'ensemble du territoire.
06:33 Mais il ne faut pas oublier que c'est plus de 300 morts par an,
06:35 également, enfin, morts et tentatives d'homicide.
06:38 Donc ça reste une cause importante dont les enquêteurs sont aguerris pour essayer d'endiguer ce phénomène.
06:47 - Vous citiez, Jérôme Durin, le cas de Marseille, 47 morts en 2023.
06:54 Pendant vos auditions, des magistrats marseillais avaient parlé,
06:57 ça avait fait du bruit, de "narcoville", de "narcoterrorisme" à Marseille.
07:03 "Narcoville", c'est comme ça que vous qualifiez Marseille ?
07:07 - À l'issue de la commission, on ne parle plus tellement de Marseille.
07:10 - Juste si on regarde la Marseille.
07:13 - Ce que je veux dire, c'est que le sujet est national.
07:17 On met à jour dans les échanges qu'on a eus,
07:22 parce qu'une commission d'enquête, c'est juste une caisse de résonance.
07:24 Nous, on n'invente rien, on écoute ce que disent les gens.
07:26 La banalité des difficultés que rencontrent les magistrats à Valence, à Lille, à Marseille, à Paris,
07:36 les manques de moyens technologiques en termes de compétences économiques et financières des investigateurs de la police, c'est partout.
07:48 Donc le sujet, j'allais dire, après 6 mois de travail, pour nous, ce n'est même plus Marseille.
07:54 Évidemment, cette violence est narcomicide, mais c'est un système.
07:58 C'est de la Colombie aux consommateurs, c'est ça le sujet.
08:03 C'est les 1000 tonnes de cocaïne qui arrivent en France, c'est la rémunération gigantesque que tirent les criminels de ce commerce.
08:12 Donc on a dézoommé et maintenant on a un plan large.
08:16 Et le plan large, il est inquiétant parce qu'il donne le sentiment d'un point de bascule.
08:19 Et il faut qu'on fasse attention parce que d'autres pays, on pense aux Pays-Bas...
08:23 - Oui, le mot "point de bascule" est dans le rapport. Point de bascule entre quoi et quoi alors ?
08:28 - Un État qui tient par ses institutions, qui arrive à canaliser des phénomènes de criminalité, des phénomènes corruptifs.
08:37 Et un État qui, finalement, commence à voir certains maillons de la chaîne cordés.
08:42 La corruption, on en a beaucoup parlé, la corruption de basse intensité.
08:46 D'abord, ce n'est pas nous qui en avons parlé, c'est des termes qui étaient déjà utilisés par les institutions.
08:50 Il faut faire attention, basse intensité, ça donne le sentiment que ce n'est pas très grave.
08:54 Et effectivement, pour les administrations, ce n'est pas très grave qu'un policier consulte un fichier,
08:58 qu'un scellé soit détruit, qu'une pièce de procédure soit mise en bas de la pile.
09:06 Pour l'agent concerné, pour l'administration concernée, ça ne se voit même pas, ce n'est pas très important.
09:10 Pour le narcotrafic, ça permet quoi ?
09:12 Ça permet de continuer son activité, ça permet d'éviter des poursuites, ça permet de savoir quand il va être arrêté.
09:20 Donc, ce sont des phénomènes qui sont à bas bruit, mais qui sont extrêmement puissants et déstructurants.
09:25 Et d'ailleurs, aux Pays-Bas et en Belgique, il y a eu des agressions physiques, des meurtres,
09:30 des menaces sur la famille royale, des journalistes, des magistrats.
09:34 Voilà, quand les magistrats marseillais nous disent...
09:36 À court terme, voilà ce qu'ils disent, à court terme, le risque est de voir l'État de droit se déliter.
09:42 C'est quand même pas n'importe quoi, ça c'est une citation d'Olivier Lerand, le président du tribunal judiciaire de Marseille.
09:49 On est entre le signal faible et le signal d'alerte, et le signal d'alarme.
09:52 Et je pense qu'effectivement, il est temps de réagir, faute de quoi les narcotrafiquants,
09:56 qui peuvent se permettre déjà des phénomènes extrêmement violents sur la voie publique un peu partout,
10:02 et qui n'ont aucun code sociaux, parce que c'est du business,
10:07 qui est complètement désaffilié du respect des règles élémentaires de droit et du respect de la vie humaine,
10:13 ils pourront faire n'importe quoi dans la tension.
10:15 À quel moment se fait cette bascule, Clotilde Champé-Rach ?
10:19 À quel moment un État de droit est mité de l'intérieur par le narcotrafique ?
10:25 Effectivement, quand la corruption a atteint un niveau qui est tel que,
10:28 finalement la frontière entre économie légale et économie illégale n'est plus claire,
10:33 dès qu'il y a cette zone grise de complicité, parce que ce qu'il faut voir aussi,
10:36 c'est que ces marchés illégaux se développent parce qu'il y a des facilitateurs dans la sphère légale.
10:41 Des gens qui communiquent des informations, qui se disent que la complicité,
10:45 c'est aussi obtenir des avantages par soi-même, et là on bascule dans un brouillage, encore une fois, de cette frontière.
10:53 On va passer au standard de France Inter, avec la question de Christophe, qui nous appelle de Cherbourg.
11:02 Bonjour Christophe, bienvenue.
11:04 Bonjour, avant tout je voudrais exprimer mon solidarité avec Guillaume Meurice et l'équipe du Grand Émarchoir.
11:09 Ceci dit, je voulais savoir si les spécialistes autour de la table ne trouvent pas qu'il y a une analogie
11:14 avec les années 1920-1930 aux Etats-Unis, et la violence qui entourait la prohibition.
11:19 Et quand on écoute monsieur le sénateur et on se plonge dans le rapport,
11:24 on se demande si on n'attendrait pas un changement de logiciel, en fait, concernant ces affaires.
11:29 C'est-à-dire sortir de la répression et aller vers d'autres formes.
11:35 Au niveau de la santé publique, là on voit bien qu'autour de la table c'est la grande absente.
11:39 On entend des syndicats de police dire que malgré toutes les opérations, il n'y a aucune évolution du prix du gramme de drogue.
11:46 Donc on se demande où est-ce qu'on va avec toute cette répression et toute cette violence.
11:50 Merci Christophe pour cette question, qui veut y répondre ? Christophe Miette, commandant de police.
11:56 Il faut le voir sur plusieurs points, on parle des conséquences, mais à la base il faut s'attaquer aux causes.
12:03 On le voit avec le tabac, le tabac est autorisé, c'est pour certains une drogue légale.
12:09 Il y a de la contrebande à côté, ça n'empêche pas de la violence, également du trafic et des morts engendrés par la contrebande de cigarettes.
12:18 Maintenant c'est un sujet, c'est vrai que sur le plan santé, il y a un véritable débat.
12:23 Légalisation, dépénalisation, il faut en discuter, c'est un débat de société à avoir.
12:28 Votre point de vue là-dessus, dans le policier ?
12:30 Écoutez, je suis la loi, maintenant la solution on le voit dans certains pays, ils y reviennent.
12:37 La drogue festive, je n'y crois absolument pas, au vu des morts que j'ai pu rencontrer tout au long de mes enquêtes.
12:44 Voilà, c'est un problème de société, maintenant il ne faut rien s'interdire en la matière.
12:50 Jérôme Durin sur la question de Christophe.
12:53 Christophe a raison de poser cette question, il faut que la société a un débat sur est-ce que la prohibition marche ou pas.
12:59 Et effectivement, on ne peut pas considérer que le paysage soit extraordinairement réjouissant.
13:04 Ceci dit, il ne faut pas non plus idéaliser la légalisation.
13:07 Je le dis d'autant plus à l'aise que moi j'ai signé une proposition de loi pour la légalisation, parce que je pense qu'il faut que le débat ait lieu.
13:12 Et que par ailleurs, le travail que nous avons conduit avec la commission d'enquête, ce n'est pas celui-là.
13:17 C'est des réseaux criminels.
13:19 Donc nous on nous dit "vous êtes répressifs", bah oui on est répressifs, parce que le travail qui nous a été demandé c'est comment mieux organiser la répression.
13:24 Ça n'empêche pas qu'on ait un débat ailleurs.
13:26 Par ailleurs sur ces questions-là, il ne faut pas oublier que comme ça vient d'être dit par le commissaire de police,
13:31 il y a des trafics même sur des substances légales.
13:34 Et que quand on parle de légalisation ou de dépénalisation, on ne parle que de cannabis, de résine de cannabis.
13:41 Alors même que le principal problème c'est les 1000 tonnes de cocaïne qui arrivent chaque année en Europe.
13:46 Donc on ne résoudra pas, on n'épuisera pas les trafics avec la seule légalisation.
13:51 Clotilde Champérage pour répondre à notre auditeur.
13:54 Je crois effectivement qu'il ne faut pas opposer répression et santé publique.
13:57 Les deux volets sont liés.
14:00 La répression c'est contre ces organisations criminelles qui sont puissantes, qui sont dangereuses,
14:05 qui ne font pas que du trafic de stupéfiants, qui mettent en péril nos démocraties.
14:09 Et de l'autre côté, effectivement, on doit développer plus de solutions de santé publique pour les consommateurs,
14:15 surtout ceux qui voudraient sortir aussi de l'addiction.
14:17 Parce qu'il ne faut pas oublier que ce sont des produits addictifs.
14:19 Et que l'addiction c'est compliqué.
14:22 C'est pour ça que ce ne sont pas des marchés comme les autres.
14:24 Et légaliser n'empêche pas les trafics.
14:26 Parce que légaliser c'est encadrer la vente des produits.
14:30 C'est pour ça qu'il y a la contrebande de tabac aussi.
14:33 Donc légaliser ça ne fera pas disparaître les organisations criminelles et les trafics.
14:37 Alors venons-en maintenant à un certain nombre de recommandations, Jérôme Durin.
14:43 Parmi lesquelles la création d'un parquet national anti-stupéfiants.
14:48 Pensez sur le modèle du parquet national anti-terroriste ou du parquet national financier.
14:53 Pourquoi un parquet spécifique ?
14:56 La question c'est de qualifier la menace que fait peser le narcotrafic sur notre pays.
15:04 Est-ce que c'est une menace de première importance qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ?
15:10 Ou est-ce que finalement c'est quelque chose d'accessoire ?
15:12 Nous on est persuadés à l'issue de ce travail que c'est extrêmement important.
15:14 Donc il faut que la réponse publique soit extrêmement puissante.
15:18 Et d'une certaine manière elle est, on le dit dans le rapport et parfois avec des mots très durs,
15:22 désorganisée, un peu éparpillée entre plusieurs ministères, entre plusieurs services.
15:27 Du côté de la justice et du côté des forces de l'ordre.
15:31 D'ailleurs quand vous observez ce qui se passe dans le champ ministériel,
15:34 on a un ministre de l'intérieur qui dit "il faut faire du placenet".
15:37 On tape les consommateurs, on tape les points de deal.
15:39 Et puis il y a un ministre de la justice qui dit "il faut des courses d'assises spéciales, un statut d'airpanty".
15:43 Donc il n'y a pas d'unité de pensée sur la réponse contre le narcotrafic.
15:47 Et nous on dit "il faut des patrons".
15:49 Un patron du côté de la justice avec un parquet national antitupéfiant,
15:52 comme ça a produit des effets en matière financière avec le PNF et en matière terroriste avec le PNAT.
15:57 Et puis de l'autre côté il faut une structure très puissante,
16:02 il faut un patron de la répression qui coordonne l'ensemble des forces.
16:05 Ce que vous appelez une DEA française, la DEA américaine, Drug Enforcement Administration.
16:12 Un exemple, vous avez besoin de renseignements pour comprendre comment sont organisés ces circuits criminels.
16:19 Il y a du renseignement qui se situe au ministère de l'économie et des finances, TRACFIN, les douanes, la DNRED.
16:26 Il y a du renseignement qui se situe du côté du ministère de l'intérieur, la DGSI,
16:30 mais qui considère que ce n'est pas son boulot, le narcotrafic ce n'est pas assez important.
16:33 Du coup il faut que ces gens-là se parlent.
16:35 Et c'est vrai à tous les étages.
16:37 Et si on n'a pas cette coordination, si on n'a pas cette priorité,
16:39 au niveau local, au niveau national, alors on va rater le marché.
16:44 - Christophe Niette, à la fois sur un parquet national antistupéfiant et une DEA à la française,
16:50 ça vous semble, D-E-A à la française, ça vous semble important ?
16:55 - On peut mettre les mots que l'on veut pour qualifier, c'est vrai qu'ils font finir avec les tuyaux d'orgue.
17:01 Énormément de monde travaille sur la matière et au quotidien se donne à fond pour essayer d'endiguer ce phénomène.
17:07 Par contre, chacun travaille dans son coin, même si vous avez de la coopération qui se fait,
17:13 mais cette coopération est minime.
17:15 Autrefois nous avions créé les GIR qui étaient une bonne idée.
17:18 C'est vrai que l'Ursaf, les finances, les douanes, la police, la gendarmerie,
17:23 tout le monde doit travailler ensemble sur cette problématique dont oui,
17:26 un parquet national peut être une bonne idée.
17:28 Tout dépend si on y met les moyens humains et financiers, si ça ne reste pas une coquille vide.
17:32 - Vous voulez dire un mot sur le sujet, Clotilde Champé-Rach ?
17:35 - Oui, plus de coopération effectivement, parce que c'est vrai que parfois les services se font des petites guéguerres.
17:40 Par contre, pour le parquet national, je serais plus pour ne pas s'enfermer, encore une fois, sur un seul type de trafic,
17:47 parce que c'est la porte ouverte aux autres trafics.
17:49 C'est plutôt un parquet national sur le crime organisé qu'il faudrait développer,
17:53 qui traiterait en plus cette multi-activité et qui permettrait d'avoir des procès complets
17:58 qui vont viser des individus, mais à travers les individus, c'est vraiment les organisations qu'on essaiera d'abattre.
18:04 - Et puis, il y a la question de l'argent tout de même. J'ai rappelé les sommes considérables en jeu.
18:11 Pouvoir saisir les avoirs des trafiquants, c'est une urgence. Est-ce qu'on peut le faire ? Est-ce qu'on sait le faire ?
18:18 Vous suggérez, Jérôme Durin, d'instaurer une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée,
18:25 une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des biens des narcotrafiquants
18:31 ou encore d'autoriser la confiscation civile sans condamnation pénale. Ça, c'est crucial pour vous ?
18:39 - Tout le monde dit qu'il faut taper les criminels au portefeuille, mais on a peu d'outils pour ça.
18:43 D'abord, on n'a pas les outils juridiques et les exemples que vous venez de citer, de recommandations que nous formulons,
18:47 sont des outils en plus et ils sont bienvenus. Mais le sujet principal, c'est les moyens qu'on a à notre disposition pour conduire ce travail.
18:55 Quand vous allez dans un tribunal et que le président du tribunal vous dit "la code d'alerte est dépassée",
18:59 nous, on arrive à attraper des petites mains, mais on ne peut pas faire plus, on n'a pas le temps d'avoir des instructions,
19:05 on ne peut pas aller au-delà. Quand vous voyez des policiers qui nous disent "les enquêtes patrimoniales, on veut bien,
19:11 mais on est déjà submergés par le reste, il faut qu'on ait des moyens pour ça".
19:14 Quand vous avez un responsable préfectoral qui dit "j'ai plusieurs centaines de policiers dans mon département,
19:20 il y en a une petite vingtaine qui s'occupe du narcotrafique, des stupéfiants, il y en a zéro sur l'économique et le financier",
19:26 on n'a pas les compétences, on n'a pas les moyens. Donc il faut ces outils juridiques, mais il faut des moyens dédiés.
19:31 C'est efficace de taper au portefeuille, Clotilde Champérage ?
19:35 C'est très efficace parce qu'on est dans une logique de stock et plus seulement de flux.
19:39 Le flux c'est intercepter des marchandises, ça fait mal, mais finalement on voit, notamment pour les drogues,
19:43 que ça ne déstabilise pas le marché. Le stock c'est de l'accumulation de richesses éventuellement sur plusieurs années,
19:48 donc ça frappe beaucoup plus violemment les criminels et effectivement ça s'appuie sur des enquêtes patrimoniales.
19:55 C'est long, ça demande du temps, des moyens et ça il faut vraiment le développer, même si médiatiquement c'est moins porteur.
20:02 Ce n'est pas comme les opérations place net, mais c'est fondamental et ça a un effet de plus long terme.
20:06 Vous aimeriez pouvoir être mieux outillé pour ça, Christophe Niet ?
20:11 Oui tout à fait, les opérations place net c'est une chose, maintenant concernant ces délinquants,
20:17 c'est tout aussi parlant quand vous avez un chef de réseau qui est en train de diriger son réseau,
20:21 les pieds dans son jacuzzi à Dubaï, là ça parle aux citoyens, il faut taper au portefeuille,
20:27 il faut taper où ça fait mal et l'argent fait mal et la saisie de l'argent fait mal, donc il ne faut rien s'interdire.
20:32 C'est compliqué d'aller chercher les têtes de réseau s'il n'est pas possible de les extrader ou qu'il n'y a pas d'accord judiciaire,
20:40 ça c'est aussi une impasse.
20:42 C'est un des sujets que nous abordons dans le rapport avec des dimensions de coopération internationale.
20:47 Nous avons à Dubaï un magistrat de liaison qui vient arriver, il faut qu'on travaille avec les autorités des pays qui sont peu coopératifs,
20:56 faute de quoi effectivement les trafics qui sont pilotés depuis l'étranger.
20:59 Et donc avec ce qu'on dit sur l'argent, on est dans l'anti-place net, parce qu'on peut remuer, s'occuper du bas de la fourmilière,
21:07 s'attaquer aux fantassins, aux petites mains, mais si les patrons, ceux qui ont l'argent, cela coule douce,
21:14 arrivent à sortir l'argent très vite du pays, alors on n'aura rien gagné, on ne démantèle pas les réseaux.
21:19 Un dernier mot devant la commission d'enquête sénatoriale, Gérald Darmanin avait eu cette phrase très forte,
21:26 "je pense que la drogue est la plus grande menace sécuritaire que connaît notre pays".
21:31 La plus grande, ça veut donc dire devant le terrorisme.
21:36 Est-ce que vous partagez Jérôme Durin ces mots du ministre de l'Intérieur ?
21:43 C'est tout le sens du rapport, c'est ce que nous souhaitons exprimer avec les membres de la commission,
21:48 notre très très grande inquiétude sur le nombre de morts, sur l'emprise, sur la corruption.
21:52 C'est quoi, c'est que la France devienne un narco-État un jour ?
21:55 Oui, on peut le dire comme ça, mais c'est surtout que les dégâts que ça provoque dans la population,
21:59 dans la sécurité, dans l'image des institutions, dans la confiance dans les institutions, dans la sécurité,
22:04 dans le rapport au territoire, avec des territoires oubliés, rendent finalement la situation incontrôlable.
22:13 Et puis politiquement, vous voyez aussi ce que ça produit, une espèce de sentiment de dégoût,
22:18 le renvoi de l'impuissance, donc c'est pas possible de continuer comme ça.
22:21 Donc il faut que Gérald Darmanin poursuive dans cette voie, on est prêt à nous aider.
22:24 Narco-État, je dis !
22:26 Narco-État, ou indépendamment des stupéfiants, encore une fois, c'est le crime organisé qui pose problème.
22:31 Cette montée en puissance, on parlait de saisir les avoirs, l'infiltration de l'économie légale,
22:35 le fait qu'ils possèdent des entreprises qui ne sont pas que pour le blanchiment d'argent,
22:39 ça crée au-delà de la violence, et là on ne le voit pas, mais il y a des emprises qui se créent,
22:44 un contrôle du territoire, une légitimité sociale qui fait que la population va se dire
22:48 "le prestataire de service, c'est le crime organisé plutôt que l'État"
22:53 et après on bascule sur des pertes territoriales sans violence, encore une fois,
22:57 c'est ce qu'on voit sur le territoire italien avec les mafias,
23:00 et là on ne sait pas lutter contre ces phénomènes.
23:02 Mais on n'y est pas encore en France, c'est ça ce que vous dites.
23:05 Tous les trois ce matin, Christophe Nietz.
23:07 Autant le terrorisme vous frappe et choque, autant tout ce qui est grand manditisme et trafic de stupéfiants,
23:14 ça gangrène la société, c'est des mots invisibles qui, quand sont installés,
23:20 pourrissent toute une société avec tous les mots que nous connaissons, avec les morts et toutes les dérives.
23:25 Un mot, Jérôme Durain, de conclusion ?
23:27 On a beaucoup utilisé le terme "asymétrie", on a le sentiment qu'il y a une guérilla,
23:31 et que dans cette guérilla, le fort c'est les criminels, et que le faible c'est parfois les institutions de la République.
23:36 Jérôme Durain, merci. Sénateur PS de la Saône-et-Loire, Clothilde Champérache, économiste.
23:44 Votre livre "Géopolitique des mafias", Christophe Nietz, commandant de police, secrétaire national du syndicat des cadres de la sécurité intérieure.
23:52 Merci à tous les trois d'avoir été au micro d'Inter.

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