Gaël Faye, artiste franco-rwandais, revient sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et les conséquences de ces événements atroces sur la société rwandaise.

  • il y a 17 heures
Gaël Faye, artiste franco-rwandais, revient sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et les conséquences de ces événements atroces sur la société rwandaise. Bourreaux et survivants : comment les peuples parviennent-ils à cohabiter aujourd'hui, 30 ans après ? Il nous raconte les mesures mises en place dans le pays pour qu'une telle barbarie ne se reproduise jamais.
Son nouveau livre Jacaranda est paru aux éditions Grasset.

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Transcription
00:00Le Rwanda, de par son histoire tout à fait inédite dans notre contemporain,
00:04nous montre quand même une dimension de la capacité à refaire société,
00:09à vivre ensemble, que je n'ai retrouvée nulle part ailleurs.
00:13J'ai grandi avec ma sœur et mon père, donc au Burundi,
00:17élevé par un père français dans un pays qui n'était pas le sien.
00:20On n'a pas entendu le bruit de la guerre qui se rapprochait.
00:23Il y a le génocide des Tutsis au Rwanda qui a lieu entre avril et juillet 1994.
00:29Il y a eu des élections présidentielles.
00:31Le résultat des urnes n'a pas été accepté par l'armée.
00:33Et le président qui a été élu a été tué par l'armée.
00:37Et suite à ça, la guerre civile a commencé.
00:39Un génocide, ce n'est jamais une explosion de haine subite
00:42qui arrive comme ça du jour au lendemain dans un ciel clair.
00:44Un génocide, c'est une idéologie.
00:46On a commencé à dire les Tutsis sont des cafards, sont des cancrelas.
00:50Et quand on commence à éduquer les gens avec ces mots-là,
00:53on permet par la violence des processus d'impunité
00:56qui font qu'on peut tuer un Tutsi sans être jamais inquiété.
00:59Et bien là, petit à petit, on habitue les gens à ce que l'autre en face
01:03ne soit pas un être humain et qu'on peut le faire disparaître.
01:06Et de l'idéologie, on passe au crime.
01:09Et c'est ce qui s'est passé au Rwanda.
01:10Un million de personnes au Rwanda sont assassinées
01:13pour une seule et unique raison, c'est qu'ils sont Tutsis.
01:16Il y a aussi des Hutus qui sont assassinés,
01:18mais non pas en raison de ce qu'ils sont,
01:21mais en raison de ce qu'ils pensent ou de ce qu'ils font,
01:23souvent des opposants politiques.
01:24La particularité de ce qui s'est passé au Rwanda,
01:27c'est que les gens qui ont massacré connaissaient leurs victimes
01:30et les victimes connaissaient leurs bourreaux.
01:32C'était vraiment un génocide de proximité.
01:35Le génocide des Tutsis va emporter une partie de la famille de ma mère
01:39et la partie que je connaissais, qui vivait au Burundi,
01:42elle, dès le lendemain du génocide, va retourner au Rwanda après 30 ans.
01:46Et donc, avec ma sœur, on a vécu deux ans dans cette guerre.
01:50La France avait envoyé un avion de rapatriement.
01:52Nous, ce n'était pas un retour à la patrie, c'était un exil.
01:55C'était un aller simple vers un pays que l'on ne connaissait pas.
01:58Mais comme la famille était là, chaque année, j'y retournais.
02:01Et peu à peu, j'ai vu le pays se reconstruire,
02:04mais se reconstruire d'une façon qui dépassait l'entendement,
02:08parce qu'on demandait aux survivants de cohabiter avec leurs bourreaux.
02:14Comment le peuple rwandais y est parvenu à vivre à nouveau ensemble ?
02:18Je crois que c'est déjà des volontés politiques.
02:21Le génocide, c'est d'abord la déshumanisation.
02:23Et donc, il faut réhumaniser la société.
02:26Et on réhumanise la société par la justice.
02:28Une décision ferme dès les lendemains du génocide
02:31qui n'aura plus jamais d'impunité.
02:32Il y a eu un immense travail de justice qui a été fait,
02:35qu'on a appelé les tribunaux gatchatcha.
02:37Plus de deux millions de procès qui ont permis d'entendre les récits
02:40des survivants et des bourreaux,
02:42de savoir où avaient été jetés les corps des disparus.
02:46Je le ressens dans la société rwandaise
02:48que les gens font cet effort-là de ne pas trouver un bouc émissaire.
02:52Je pense que c'est une façon de créer un autre
02:54et c'est une façon de créer la violence à venir.
02:56Il faut se rappeler en permanence de l'histoire
02:58parce que le présent est toujours habité par le passé.
03:01Et penser que ce qui s'est passé avant n'a aucune incidence sur le présent,
03:06c'est la plus grande faute.
03:08Nous sommes toujours le produit du passé.
03:10Nous sommes toujours le résultat, les conséquences de ce qui nous a précédés.
03:14Pendant des années, j'ai dû vivre avec ce poids-là
03:18qu'une partie de mon identité,
03:21à savoir rwandaise, de famille Tutsi,
03:24avait été trahie par une autre partie de mon identité,
03:26française, parce que la France officielle de ces années-là
03:30a soutenu un régime qui a commis un génocide
03:33contre une partie de ma famille.
03:34Au lendemain du génocide,
03:36je disais ça dans l'espace public en France.
03:38Ils me disaient, tu dis n'importe quoi, ce n'est pas vrai.
03:40Comment la France aurait pu faire ça ?
03:41Emmanuel Macron est allé au Rwanda en 2021
03:44et finalement, il a reconnu les responsabilités lourdes et accablantes
03:48de la France au Rwanda.
03:49Et ça, c'était une façon aussi de regarder le passé,
03:52de le regarder en face.
03:53Aujourd'hui, le Rwanda, c'est comme un pays neuf,
03:55c'est-à-dire que 1994, c'est une année zéro.
03:59Avant ça, la société avait une grille de lecture raciale,
04:02c'est-à-dire que tout le monde se définissait en tant que Hutu ou Tutsi.
04:06À partir de 1994, on a aboli l'écarte d'identité raciale.
04:11Aujourd'hui, il est même interdit par la loi
04:14de se revendiquer d'une ou l'autre ethnie.
04:17Et la seule ethnie que chacun porte, c'est l'ethnie rwandaise.
04:20Là où il n'y a pas de discours de haine dans un espace public,
04:23il ne peut pas y avoir de génocide.
04:24Et donc aujourd'hui, c'est impossible que le génocide revienne au Rwanda
04:28pour la simple et bonne raison,
04:29c'est que le discours de haine n'existe pas dans l'espace public.
04:32Au Rwanda, il y a des êtres humains qui ont en eux, dans leur cœur,
04:36parfois, une haine contre leurs voisins.
04:38Des survivants qui disent, je peux cohabiter avec mon bourreau,
04:41mais ne me demandez pas de l'aimer.
04:42Ou qui disent, on me demande de pardonner,
04:46mais est-ce qu'on m'a demandé pardon ?
04:47Je suis impressionné par les survivants et les survivantes
04:50parce que c'est sur eux, c'est sur leurs épaules
04:53que pèse tout le poids de cette société qui a fait le pari de cohabiter.
04:57C'est à eux qu'on dit, tu vas devoir vivre à côté de ton bourreau.
05:00Il y a une énergie de la volonté,
05:02de la volonté que ce qui s'est passé ne se reproduise plus jamais.
05:06Et ça, c'est une grande leçon.
05:09Je n'entends pas de discours populiste.
05:10Je n'entends pas de discours de division.
05:13Ça fait 30 ans.
05:14C'est un exemple qui, pour moi, peut avoir valeur d'enseignement,
05:19même en dehors des frontières du simple Rwanda.

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