SOUS LA ROBE - SOUS LA ROBE, 1er partie du 14 octobre 2024

  • il y a 5 minutes
Lundi 14 octobre 2024, SOUS LA ROBE reçoit François de Cambiaire (Avocat associé, Seattle Avocats)

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour François de Cambière, on est très heureux de vous recevoir sur cette émission
00:18de Sous la robe, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
00:20Bonjour Mathilde, merci de me recevoir, je suis François, je suis avocat depuis maintenant
00:25bientôt 15 ans, je suis associé et cofondateur du cabinet Seattle Avocat et je me définis
00:31comme un avocat engagé qui essaie de se battre aujourd'hui pour faire reconnaître les droits
00:37humains, les droits de l'environnement et devant les tribunaux parce que c'est aussi
00:43ça qu'on attend, que ce soit une justice qui réponde aux grands défis d'aujourd'hui.
00:48On reviendra sur cette notion d'engagement mais je voulais commencer cette émission
00:52par une affaire assez retentissante sur laquelle vous avez eu l'occasion de travailler, c'est
00:58l'affaire Yucca contre ce qu'on peut appeler le lobby de la charcuterie, est-ce que vous
01:05pouvez revenir un peu sur cette affaire ? Bien sûr, déjà c'est une affaire qui est
01:10importante parce que je crois que ça correspond exactement à ce que je veux faire en tant
01:14qu'avocat et ce qu'on veut faire avec mes associés, nos collaboratrices et collaborateurs,
01:19on est aujourd'hui une vingtaine, travailler pour une entreprise comme Yucca, la défendre
01:24dans le cadre d'un procès qui est un véritable procès Bayon où, comme tu le dis bien, le
01:29lobby de la charcuterie a voulu les empêcher d'alerter sur les risques de ces additifs
01:34nitrés qui sont aujourd'hui utilisés comme des conservateurs dans la charcuterie et qu'on
01:38donne à manger à nos enfants, que nous on mange depuis qu'on est jeune et qui est une
01:42dérive en réalité de l'industrie agroalimentaire.
01:46Donc c'est vraiment ça, c'est travailler de manière engagée et travailler pour les
01:50entreprises. Ce qui était intéressant dans ce dossier,
01:54c'est que l'action avait été initiée devant le tribunal de commerce sur, je crois,
02:01la concurrence déloyale et que finalement c'est une stratégie judiciaire tout ça.
02:09On reviendra sur le fait qu'on peut aussi penser que dans les dossiers que tu défends,
02:16que tu utilises parfois la justice dans le cadre de ton engagement, je crois que c'était
02:20mal parti au départ. Comment est-ce que tu as réussi à retourner ce dossier ? Comment
02:27tu as réussi à convaincre les juges ? Dans ce dossier, on a été exposé tout de
02:32suite à un défi, c'est comment arriver à inverser la vapeur. C'est exactement ce
02:37que tu dis parce qu'on arrive, on a des confrères qui ont fait du très bon boulot
02:42en première instance devant les juges du tribunal de commerce, mais le droit est contre
02:46Yuka est condamnée sur du dénigrement, des pratiques commerciales trompeuses et ils
02:52ne sont pas condamnés sur l'appel au boycott, mais c'est un truc extrêmement marginal.
02:55Mais ils sont quand même condamnés à quasiment 100 000 euros d'hommage à intérêt. On connaît
03:00tous Yuka, aujourd'hui ils ont quasiment 40 millions d'utilisateurs, mais c'est une
03:02start-up, c'est moins de 10 personnes, donc c'était un coût quasiment mortel pour elles.
03:07Et en fait, on a fait un pas de côté parce que si on allait dans la jurisprudence classique
03:15qu'on peut trouver dans les manuels, dans les jurisprudences, on allait se planter.
03:19Et c'est aussi ça la force du collectif. On est des avocats engagés, on est des avocats
03:24spécialistes de pénales des affaires, de contentieux commerciaux, mais aussi de liberté
03:29d'expression. Et on croise ces compétences. Et on se retrouve avec plusieurs de mes associés,
03:34mon associé François Ranger, notre collaboratrice Olivia Lévy, notre collaboratrice Louise de
03:38Kersin, et on brainstorme avec Yuka. Et en fait, ce que l'on comprend, c'est que Yuka,
03:44c'est pas simplement une entreprise, c'est pas simplement une application. Ce sont des
03:47gens qui sont pas des militants, qui sont engagés, qui veulent faire changer le monde,
03:51qui veulent informer le consommateur. Et on fait le parallèle avec des dossiers qu'on
03:55traite nous tous les jours parce qu'on est les avocats de Mediapart. On se dit, en fait
03:59c'est un sujet de liberté d'expression, c'est un sujet fondamental de société, puisque
04:05les gens qui consomment tous les jours du jambon, etc., ou quels que soient les aliments,
04:09ont le droit de savoir les ingrédients. Et en réalité, on a déplacé le sujet qui était
04:16très technique et vraiment des dizaines et des dizaines de pages de conclusions, on
04:21aurait sans doute pas fait mieux, mais tout de suite, on a revendiqué le droit de Yuka
04:26d'être subjectif. Et donc, à partir de là, on décale le sujet. C'est-à-dire que la question
04:31n'est plus de savoir si on a une base factuelle suffisante, exacte, puisque c'est ça la question
04:36du dénigrement, s'agissant de risques de cancer dont on parle. C'est de savoir si on
04:40a le droit de mettre la lumière, d'accentuer un risque en particulier, parce que, de manière
04:46extrêmement engagée, c'est ça la promesse à l'utilisateur de Yuka, c'est de pouvoir
04:52faire des choix éclairés et des choix différents. Et en fait, c'est ça qu'on a fait reconnaître
04:56devant la cour d'appel, les trois cours d'appel. Et c'est une vraie évolution du
05:01droit. On a l'impression que dans ces contentieux
05:04qui sont un peu nouveaux, en tout cas qui traitent de sujets...
05:09Les défis de la société, c'est aujourd'hui. Voilà, des sujets actuels, la défense a
05:14besoin d'être créative, est-ce que tu dirais ça ? Parce que tu disais, on a dû faire
05:17un pas de côté. Est-ce que tu penses que sur ces nouveaux enjeux, finalement, le droit
05:22n'est pas super adapté et qu'il faut être un peu créatif, plus que dans les autres
05:27contentieux ? Je crois qu'il faut être créatif par principe.
05:31En tout cas, nous, c'est notre conviction. Et moi, c'est mon moteur. Si on arrête d'être
05:35créatif, je crois que j'arrête de faire du droit. Demain, je lisais hier dans la presse
05:38qu'ils sont en train de travailler l'élaboration de robots avocats. Oui, ils feront ça mieux
05:43que nous. Ils connaîtront par cœur la jurisprudence, l'application des textes. C'est évident
05:48sur l'intelligence artificielle. En revanche, être créatif, aller au-delà de ce qui est
05:51attendu, dépasser ce à quoi on peut tout de suite penser, c'est essentiel, je dirais
05:58vraiment, pour que le métier soit agréable et pour répondre à des défis qui ne se
06:03sont jamais posés. Et donc, apporter et donner envie aux juges d'accompagner ces changements
06:09de la société. Il y a un autre sujet sur lequel tu es très
06:13impliqué, c'est le devoir de vigilance. De manière préliminaire, je veux bien que
06:19tu expliques ce que c'est, parce qu'on en parle beaucoup. Tout le monde sait ce
06:22que c'est, donc je veux bien que tu nous expliques ce que c'est, si tu veux bien.
06:26Le devoir de vigilance, déjà, c'est une innovation française qui a introduit dans
06:31notre droit en 2017 ce qu'on appelait jusque-là le droit mou, qui date des années 70, de
06:36fin des années 70, et comment les entreprises adoptent une conduite responsable. Tout un
06:40tas de recommandations qui ont été élaborées pour que les entreprises respectent les droits
06:44humains, l'environnement, la santé, les libertés. En gros, c'est la responsabilisation
06:50des entreprises qui est essentielle dans notre monde aujourd'hui, puisque la majorité
06:53des atteintes à l'environnement, elles sont commises par nos modèles économiques
06:57des entreprises. Et donc, la loi de devoir de vigilance, elle prévoit l'obligation,
07:01depuis 2017, pour les plus grandes multinationales françaises, plus de 5000 salariés, d'adopter
07:07un plan, d'établir, de publier un plan de vigilance qui doit comprendre tout un tas
07:11de dispositifs dans lesquels je ne rentre pas en détail, mais qui vont permettre de
07:15prévenir et de limiter les atteintes graves à l'environnement, à la santé, à l'environnement
07:20qui sont causées par les entreprises, et point très important, pas simplement par
07:24l'entreprise, mais également par ses filiales et par ses fournisseurs et sous-traitants.
07:29C'est-à-dire, c'est l'appréhension par le droit des chaînes d'approvisionnement.
07:32Donc, on dépasse ce qu'on appelait le voile social et que le droit civil ou le droit pénal
07:38avait du mal à dépasser.
07:39Ça, c'est une vraie innovation.
07:40Et aujourd'hui, on parle là, quelques jours après, une nouvelle innovation majeure, même
07:47si on est un peu reculé par rapport à ce qu'on pouvait s'attendre, l'Union européenne
07:52vient d'adopter une directive sur le devoir de vigilance européen.
07:56Donc, on a une nouvelle réglementation qui prend le modèle de la loi française et qui
08:01s'inspire en réalité aussi beaucoup de ce qui s'est fait en Allemagne et qui va
08:04s'appliquer à l'ensemble des entreprises européennes et des entreprises hors Union
08:08européenne qui interviennent en Europe.
08:10Donc, c'est comment on arrive, par le droit, à réguler l'activité des multinationales.
08:15L'autre particularité de ces procès, parce qu'on n'a quand même pas tout à fait
08:19cette habitude en France, c'est que les actions, tu vas nous en dire plus, sont engagées
08:28par des ONG.
08:29C'est des actions, donc il y a des ONG, alors je crois Notre Affaire à Tous ou encore
08:36Sherpa, qui sont à l'initiative de procédures judiciaires.
08:39Ce n'est pas forcément quelque chose qui est très courant.
08:42Est-ce que tu peux nous dire ce que ces ONG que tu accompagnes dans ces contentieux recherchent
08:49quand elles engagent des actions judiciaires et qu'est-ce qu'elles reprochent exactement
08:53aux sociétés qu'elles attaquent ?
08:56Alors, première chose, c'est qu'elles sont même à l'initiative de la loi et ça c'est
08:59super parce que c'est véritablement elles qui ont permis, avec des professeurs de droit
09:03et ça, il faut vraiment le dire, c'est une loi qui a été pensée par des juristes
09:07et c'est fondamental.
09:08Ensuite, il faut aussi dire que le droit de vigilance s'est appliqué tous les jours
09:11dans les entreprises et que c'est une façon de faire changer les entreprises en interne.
09:16Les juristes qu'on rencontre, avec lesquels on travaille, nous le disent, c'est une nouvelle
09:19écoute de la part des dirigeants d'entreprise.
09:21Et enfin, pour les ONG, c'est un vecteur, c'est-à-dire qu'au-delà du plaidoyer qu'elles
09:27font depuis des années pour essayer de se faire entendre sur ces sujets si graves, le
09:30droit peut être utilisé en matière de contentieux stratégique, c'est-à-dire comment on fait
09:35avancer une cause aussi nouvelle mais aussi grave que le changement climatique par exemple,
09:41la déforestation, comment est-ce que l'on trouve des solutions devant les tribunaux.
09:45Et les contentieux qu'on a engagés pour le compte de coalition, il y a des ONG, mais
09:50il y a des ONG françaises, il y a des ONG américaines, il y a des ONG ou des associations
09:55qui travaillent aussi pour des peuples amazoniens, qui demandent à Casino, dans le cadre d'un
10:01procès, de limiter la viande bovine qui provient de zones déforestées dans ces chaînes d'approvisionnement,
10:08dans ces magasins en Amérique latine, on est en train d'essayer de régler des problèmes
10:11qui n'ont pas de solution jusque-là dans le droit.
10:15Donc c'est pour ça que c'est extrêmement fort et en même temps, c'est un vrai défi
10:19pour la justice puisque les sujets sont très complexes.
10:21On est au carrefour du droit de l'environnement, du droit civil, du droit des sociétés, du
10:25droit pénal, des dossiers extrêmement volumineux.
10:29Comment est-ce que la justice française qui est en souffrance, on le sait tous, comment
10:34est-ce que la justice s'adapte ? Et juste pour terminer là-dessus, le droit de vigilance,
10:38pourquoi c'est un grand espoir ? Parce qu'on l'a dit, c'est un vecteur de changement,
10:41c'est un vecteur aussi pour arriver à faire évoluer tout un environnement.
10:45Quand une société est assignée, déjà elle peut discuter, c'est le principe de
10:49la loi.
10:50Si elle ne discute pas, on peut aller demander aux tribunaux de lui demander, de lui enjoindre
10:55judiciairement de prendre des mesures et si elle ne le fait pas, c'est sa responsabilité.
10:58Donc on est vraiment dans ce qu'on peut appeler le pollueur-payeur, là il y a celui
11:03qui cause l'atteinte doit réparer, c'est vers ça qu'il faut qu'on tente.
11:06Est-ce que, parce que c'est une question qu'on peut se poser, est-ce que c'est une
11:08question de gros sous ? Est-ce que les ONG demandent de l'argent dans ces procédures
11:11?
11:13Aujourd'hui, l'urgence sur beaucoup de sujets, c'est déjà de prendre des mesures
11:16de prévention en matière de réchauffement climatique, en matière de déforestation,
11:20en matière de plastique.
11:21On conseille des ONG, et pas simplement, on est par exemple dans l'action engagée
11:26contre Total pour demander à Total de respecter l'accord de Paris, on représente également
11:31une quinzaine de collectivités, et dedans il y a Paris, il y a New York, il y a Grenoble,
11:36il y a des grandes villes.
11:37Donc on voit qu'on est sur une préoccupation globale des parties prenantes, c'est ça
11:39que prévoit la loi de devoir de vigilance.
11:41Et en fait, est-ce qu'on va demander de l'argent ? Certains le pensent.
11:45Il y a une professeure d'ARVAR, Noémie Oreskes, qui se dit, notamment en matière
11:50climatique, demain ce sera les grands procès avec des milliards d'euros comme il y a
11:53pu y avoir aux Etats-Unis en matière de santé ou de cigarettes.
11:56Moi, je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne voie, je crois que les gens avec
12:00qui on travaille ne sont pas non plus convaincus que c'est ça.
12:03De toute façon, le droit français, il n'y a pas de dommage punitif, il faut arriver
12:07à démontrer des réparations.
12:08Ça se posera peut-être dans 10 ans, 15 ans, 20 ans, et peut-être même au-delà
12:14des réparations, des responsabilités pénales.
12:17Je crois qu'on est, Mathilde, on est encore au stade très préliminaire de tout ça.
12:21On a plaidé il y a moins de 15 jours la première grande audience de la nouvelle chambre de
12:27la Cour d'appel de Paris, spécialement composée avec des juges, comme on l'a dit,
12:32qui regroupent toutes ces spécialités.
12:33On est à l'aube d'un changement et on peut espérer qu'en tout cas, gros sous
12:40ou pas, ce soit une vraie solution pour relever les défis de nos sociétés.
12:43L'un des repranges que certaines grandes entreprises font et qu'on entend sur les
12:48actions sur le fondement du devoir de vigilance, c'est que finalement, ce n'est pas du
12:52droit, que finalement, la justice n'a rien à faire là-dedans, mais que tout ça, c'est
12:56de la politique.
12:57Je peux même te poser la question à toi, est-ce que tu trouves que c'est le rôle
13:02d'un avocat d'être engagé ? Comment tu vis les choses de ce point de vue-là ?
13:09Je crois qu'on n'a pas attendu d'être là pour que le rôle de l'avocat soit l'engagement.
13:16On a des illustres confrères, Gisèle Halimi, Robert Badinter, qui ont montré que oui,
13:23bien sûr, l'avocat, il est là pour porter un engagement, un engagement par le droit.
13:28Vraiment, très souvent, quand je discute avec… Vraiment, on travaille avec des entreprises,
13:34des ONG, et certaines entreprises, parfois, sont surprises, puisqu'on leur dit « mais
13:37nous, on n'est pas militants, nous, on accompagne par le droit ». Et en fait, si l'application
13:45de la règle de droit le permet, il faut engager ces actions, évidemment.
13:48On n'est pas là pour instrumentaliser la justice ou la politiser.
13:53Je crois qu'il faut véritablement distinguer les choses.
13:55Il peut y avoir de la place pour du plaidoyer, il peut y avoir de la place pour les politiques,
13:59et au milieu, il y a une autre voie, qui est… Et d'ailleurs, les entreprises appliquent
14:03ce devoir de vigilance, et les juges souhaitent l'appliquer.
14:06C'est donc bien que s'il y a aussi ces moyens qui se mettent en place, c'est qu'on
14:10est dans le juste, on est dans le vrai.
14:12Gisèle Halimi disait « en vérité, je n'ai jamais pu me contenter de mon rôle d'avocate,
14:16je sentais en moi l'exigence du témoin engagé, de la militante des droits et des libertés ».
14:21Est-ce que tu te retrouves dans cette phrase ?
14:26Je crois que non seulement je me retrouve, mais c'est ce qui m'a motivé à devenir
14:32avocat.
14:33Et je ne m'en suis pas aperçu tout de suite.
14:35Pendant 4-5 ans, j'ai exercé dans des cabinets beaucoup plus d'affaires, même
14:40ma formation, que ce soit à l'université, à Assas ou en école de commerce, ça m'a
14:48stimulé intellectuellement.
14:49Puis après, il a fallu cet engagement.
14:51Je le rappelle, tu es un avocat qui a fait des études plutôt côté droit des affaires,
14:56une école de commerce, donc une sorte de cliché de l'avocat d'affaires.
15:01Je rappelle le parcours parce qu'effectivement, ce n'est pas forcément évident de te voir
15:05dans ce parcours-là, très technique, un peu traditionnel, et ensuite d'avoir une
15:11action forte sur le devoir de vigilance comme tu l'as aujourd'hui.
15:13Mais je pense que liberté va avec engagement.
15:17Je rejoins Gisèle Halimi là-dessus.
15:20C'est-à-dire que l'avocat, avant tout, il est libre.
15:22Et pour revenir sur la question que tu me posais, est-ce qu'il peut y avoir des stratégies
15:26politiques ? Elles me sont indifférentes.
15:28Ça ne t'intéresse pas ?
15:31Si, ça m'intéresse dans la vie, mais pas dans mon métier d'avocat.
15:34C'est-à-dire que le droit est politique, mais il n'est pas politique au sens militant
15:38du terme.
15:39Il est politique au sens où le juge va être sensible.
15:42C'est l'avocat qui m'a permis d'être ce que je suis aujourd'hui dans mes convictions
15:48et je suis engagé.
15:49Jean-Pierre Mignard qui nous a lancé, qui nous a permis aussi d'ailleurs de prendre
15:53notre envol avec le cabinet Seattle.
15:55C'est-à-dire que oui, les juges, ce sont des femmes, des hommes avec des convictions.
16:00Et il faut leur parler, il faut que le droit leur parle là-dessus.
16:02C'est ça la politique du droit.
16:03Mais ce n'est pas de se dire, est-ce que je suis un avocat de gauche ou est-ce que
16:06je suis un avocat de droite ? Pour moi, là, évidemment, on s'aligne une partie au moins
16:11de l'auditoire.
16:12Et on ne connaît pas les juges, on ne connaît pas leurs convictions, on ne connaît pas leur
16:15fort intérieur.
16:16C'est ce que je pensais parce que ça aussi, c'est un cliché, donc j'y reviens rapidement.
16:19Certaines personnes pensent que les magistrats seraient tous de gauche, c'est quelque chose
16:26qu'on entend parfois.
16:27Ce que tu dis, ce n'est pas vrai et puis on n'en sait rien.
16:31Et puis, en réalité, ce n'est pas ça qui m'importe.
16:33Ce qui m'importe, c'est comment est-ce qu'on va arriver à les convaincre et les
16:35toucher.
16:36C'est ça notre métier.
16:37Et comment nous, parce qu'on se tient droit dans les convictions qu'on porte, en tout
16:41cas, moi, c'est comme ça que le matin, je me lève, je me dis, je suis heureux d'aller
16:44travailler parce que les clients pour lesquels je travaille, je suis heureux de les accompagner,
16:48soit de les faire changer, soit de les permettre de défendre des causes qui sont justes, certaines
16:53qui, parfois, sont moins justes, mais qui nécessitent d'être défendues pour être
16:55bien comprises.
16:56C'est ça qu'ils aient, tous les défendre et les défendre tous.
16:59Donc, il faut cette liberté.
17:02Ça, c'est vraiment un principe fondamental.
17:03Tu parles de liberté, j'ai parlé d'insolence.
17:07Éric Dupond-Moretti a dit, un avocat qui ne serait ni insolent ni impertinent ne serait
17:13pas un avocat.
17:14Est-ce que tu es d'accord avec ça ? Est-ce que tu penses que tu es quelqu'un d'insolent ?
17:19Je pense que la liberté, elle peut toujours gêner quelqu'un, effectivement.
17:23Je ne suis pas sûr que ce soit une question d'insolence.
17:28En revanche, c'est une question de ne pas accepter et de savoir dire non.
17:33Il y a un truc qui m'a construit et qui fait souvent rire, je dis beaucoup non.
17:40Et c'est Alain le philosophe qui dit, penser, c'est dire non.
17:44Il ne faut pas dire non pour le principe de dire non.
17:46Dire non parce qu'on refuse l'arbitraire, on refuse l'injuste.
17:51Et face à une situation qui peut être d'injustice, il faut être insolent, il faut être impertinent,
17:57il faut la questionner, il faut la remettre en cause.
17:58Je crois que c'est ça que veut dire Éric Dupond-Moretti qui a montré que c'était
18:03un avocat aussi de combat.
18:04Alors, est-ce qu'il faut toujours se battre ? Moi, je ne suis pas sûr.
18:07Je pense qu'il y a plein de sujets sur lesquels on peut arriver à concilier.
18:10On doit discuter.
18:13Et la violence fait partie aussi de nos rapports dans les tribunaux.
18:16J'essaye de prendre de la distance avec tout ça.
18:19C'est quoi ton regard sur le rapport avocat-magistrat ?
18:21Est-ce que ça se passe bien ? Est-ce que ça ne se passe pas bien ?
18:25Comment tu vois les choses ?
18:27Ça dépend des moments.
18:29Je crois qu'il y a une volonté de se comprendre, il y a une volonté de travailler ensemble.
18:33Tu nous parlais du devoir de vigilance.
18:35On voit beaucoup de juges qui aujourd'hui tendent aussi la main.
18:38On discute avec eux, on fait des formations, on échange.
18:41Et puis parfois, à l'audience, il survient l'arbitraire.
18:45Je fais aussi beaucoup de pénales.
18:47Donc, il peut y avoir le vice de procédure, il peut y avoir le juge qui ne veut plus attendre.
18:53Si, c'est inquiétant. Et là, il faut se révolter.
18:54En tout cas, il faut défendre, il faut se tenir droit.
18:56Et là encore, c'est la liberté de deux paroles de l'avocat, de défendre.
19:01Donc, je crois que les rapports, ils n'ont pas à être bons ou mauvais.
19:05Ils ont à être dans un dialogue.
19:07Tu es venu avec ta robe, tu nous as fait l'amitié de venir avec.
19:11Je suis à la cour d'appel après.
19:14Je ne me balade pas dans mon petit vélo avec ma robe sur le dos tous les jours quand même.
19:19Qu'est-ce que ça représente pour toi ?
19:22Je vais rendre hommage à ce que disait et à ce que dit toujours mon associé Emmanuel Tordjman,
19:27qui m'a donné le goût de cette audience, notamment dans les procès de presse.
19:31C'est notre armure.
19:33C'est-à-dire que, et encore une fois, dans les rapports avec les magistrats,
19:36ils peuvent être durs par moments parce que c'est la robe que l'on porte.
19:40Et c'est cette robe qui nous fait nous exprimer, qui nous protège.
19:44Et de la même manière, eux aussi, ils sont là parce qu'ils sont dans la fonction.
19:47Ils sont en robe aussi.
19:47On est dans la fonction.
19:48Nous sommes aux silières de justice.
19:50Une fois que c'est fini, et c'est pareil avec les confrères, les consœurs, les confrères,
19:53une fois que c'est fini, aucune animosité.
19:57Est-ce que c'est ta première robe ?
19:58C'est ma deuxième robe qui a un peu vécu, qui a une bonne douzaine d'années maintenant
20:03parce que la première, on me l'a volée.
20:07Ce n'est pas forcément un très bon présage.
20:09Je faisais des comparaisons immédiates, donc la défense d'urgence, le samedi matin.
20:16Et peut-être, tous ceux qui l'ont fait savent que c'est parfois un peu dur le samedi à 9h
20:21de partir pour une journée.
20:22On ne sait pas jusqu'à quand, y compris dans la soirée tard.
20:24On va défendre plein de dossiers très difficiles.
20:26Et je pars dans le métro.
20:28Et j'arrive, à l'époque c'était l'ancien palais, aujourd'hui la cour.
20:33Et la panique parce que je suis jeune avocat, je dois avoir 2-3 ans de barre et je n'ai pas de robe.
20:38Et j'ai déjà joué à les 5 ou 6 dossiers, il faut voir les gens dans le box et je n'ai pas de robe.
20:43Et voilà.
20:44Donc c'est aussi ça, la solidarité, la compréternité, on m'a prêté la robe.
20:49Et puis c'était une robe que j'avais faite sur mesure, j'étais un peu saigné avec mes économies.
20:53Et puis finalement, c'est moi qui me suis fait à cette robe parce qu'elle n'est pas du tout sur mesure.
20:57Mais je me suis, voilà, c'est moi qui prends.
21:00Et je trouve que j'aime bien l'image.
21:02Il faut rentrer dans le métier.
21:04C'est-à-dire qu'évidemment, on le fait avec sa personnalité.
21:06Mais je crois qu'il y a aussi des choses que l'on comprend.
21:08Pour ça, oui, je peux être insolent, oui, je suis marseillais, je peux être excessif,
21:14je peux être de mauvaise humeur, je dis non.
21:16Mais je suis en retard, je me soigne.
21:20Mais il faut savoir, oui, il y a un moment, je crois,
21:24en tout cas c'est ça qui permet de conserver sa force intérieure et sa personnalité.
21:28Mais aussi, cette robe, on doit en être digne.
21:31On doit, oui, rentrer dans le costume.
21:35Je pense que c'est important.
21:36Question courte, réponse courte, si tu le veux bien.
21:40C'est quoi ta plus grande réussite ?
21:48Notre plus grande réussite ?
21:51Il y a des belles décisions, comme Yuka, tu en as parlé.
21:55Et je crois aussi c'est d'avoir construit un cabinet qui aujourd'hui
21:59correspond à ce que je veux faire.
22:02Qu'est-ce que tu trouves le plus réjouissant dans le métier d'avocat ?
22:08C'est comprendre l'autre.
22:10Qu'est-ce qui t'empêche de dormir la nuit ?
22:13Ma prochaine plaidoirie.
22:15Elle est bientôt ? C'est bientôt ?
22:16Oui, tu disais ça tout à l'heure.
22:1813h30.
22:18Du coup, t'as mal dormi ?
22:19Avec Olivia Lévy, on va défendre Mediapart sur une affaire de marché public,
22:25de favoritisme.
22:26C'est pas mal dormir, c'est être mobilisé.
22:31Ton film préféré ?
22:37En fait, c'est pas un film, c'est un film d'animation.
22:40C'est un film d'animation.
22:41C'est Valse avec Bachir.
22:43Je ne sais pas si vous l'avez vu.
22:45Aujourd'hui, malheureusement, on repart de manière tragique d'Israël-Palestine.
22:49Et ce film, je pense, mérite d'être vu.
22:53Parce que sur les ravages de la guerre au Liban, on est en train de revivre des choses
22:59difficiles.
23:00On est en train de revivre des choses difficiles des deux côtés.
23:02Et ce film, oui, je pense qu'il parle avant tout de ce qu'on oublie vraiment beaucoup
23:07aujourd'hui, c'est l'humain dans tout ça.
23:09Qu'est-ce que t'écoutes en ce moment ?
23:14Qu'est-ce que j'écoute ?
23:16Je peux écouter vraiment beaucoup de choses.
23:19J'écoute beaucoup de vieux rock, de Bowie, de Neil Young.
23:25J'écoute aussi, je peux écouter, j'écoute Nova, alors un peu tout ce qui passe, du
23:30Doja Cat, du ce que vous voulez.
23:31Et puis j'écoute beaucoup de classiques.
23:33Parce que ça fait quelques années que je me suis remis au piano.
23:35Et Valse avec Bachir, il y a les variations Goldberg jouées par Gould sur les massacres
23:42de la Guerre royale.
23:43Et en fait, c'est aussi ça qui ressurgit.
23:45C'est derrière l'humanité de la musique classique, moi, qui me porte.
23:49Pour finir cette émission, je voulais te demander, est-ce qu'il y a un message que
23:54t'as envie de passer à un de tes confrères ?
24:01Alors, il y aura un message pour deux confrères.
24:04Une disparue, et tu en as parlé, c'est Gisèle Elimi.
24:08Et j'ai envie de lui dire merci pour, effectivement, cet engagement qu'elle a mis dans le métier,
24:14d'une voie qui s'est ouverte.
24:16Et aussi pour les femmes, parce que je crois qu'aujourd'hui, c'est extrêmement important.
24:20Parce qu'on a souvent beaucoup parlé des ténors masculins, c'est tous des hommes,
24:24quasiment.
24:25Et voilà une belle image.
24:26Nous aussi, en tant qu'hommes, on n'a pas parlé des parents, mais dans le portrait
24:31de la relève, j'en ai déjà beaucoup parlé, mais je crois que c'est dans ce métier ce
24:35qui nous anime.
24:36Il y a sans doute quelque chose d'intrafamilial, et j'ai autant d'admiration pour mon père
24:40et pour ma mère.
24:41Et je pense que c'est important qu'il y ait des avocates comme ça.
24:44Et le deuxième merci va être très court, il est pour Henri Leclerc.
24:48Merci de cette longévité dans ces combats, et de nous montrer qu'on peut être un très
24:55grand avocat, un très grand homme, respecté, et d'avoir une si grande longévité.
25:03Merci François.
25:04Merci.
25:05Merci à toi, et merci à vous tous.

Recommandations