• hier
Lundi 13 janvier 2025, SOUS LA ROBE reçoit Félix de Belloy (Avocat, Belloy & Associés)

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour, bienvenue sur Sous la Robe. Je suis très heureuse aujourd'hui de recevoir Félix
00:18Demélois. Bonjour. Félix Demélois, bonjour. Il y a quelques grands procès à votre actif et si
00:25vous voulez bien, je veux bien que vous reveniez sur ces combats que vous avez menés dans votre
00:31carrière. J'en citerai trois. Vous avez défendu des d'anciens prisonniers de Guantanamo. Vous
00:38avez mené un long combat, je crois, pour faire condamner l'État pour contrôle faciès. Et vous
00:45avez obtenu l'acquittement de Baladur dans l'affaire Karachi. Est-ce que vous pouvez revenir
00:52là-dessus et me dire ce que ça a représenté pour vous ? Alors, brièvement, parce que c'est une
00:56affaire assez longue et, pour moi, emblématique. À la conférence du stage, j'ai eu l'honneur de
01:05défendre l'un des Français de Guantanamo, un garçon auquel je me suis beaucoup attaché,
01:11qui avait été détenu pendant plus de deux ans à Guantanamo et incarcéré une fois arrivé en France,
01:17mis en examen pour l'association malfaiteurs en vue d'attentats terroristes. Et j'avais été frappé
01:27par le fait qu'il avait été très injustement arrêté au Pakistan après avoir fui l'Afghanistan,
01:34une période à Guantanamo absolument épouvantable, dont on se demande comment un humain peut survivre.
01:41Et j'avais trouvé que le traitement que lui avait infligé la justice française à son arrivée en
01:46France était d'une profonde injustice, parce que, pour moi, il n'avait jamais participé à la moindre
01:52entreprise terroriste, même lorsqu'il était chez les talibans à Kaboul. Et je suis assez fier,
01:58puisque c'était le seul Français de Guantanamo relaxé en première instance. Alors, j'étais aidé
02:02par le parcours, mais la justice française, qui l'avait gardé plus d'un an en détention
02:06provisoire en France, après deux ans de Guantanamo, l'a relaxé en première instance. Voilà. Donc,
02:13ça a été une aventure extraordinaire et puis une plongée dans l'histoire aussi de la fin des années
02:1790, du début des années 2000. Ben Laden, le 11 septembre, l'intervention des Américains en
02:25Afghanistan, la fuite des étrangers de Kaboul, etc. Ça a été passionnant et c'était vraiment un
02:32dossier où l'histoire et le droit se croisaient. Vous avez ensuite évoqué l'affaire des contrôles
02:38faciès. Avec mon ami Céline Benachour et une organisation qui s'appelle Open Society Justice,
02:47on a décidé, au début des années 2010, d'introduire une action judiciaire, avant toute
02:56forme d'action collective, pour lutter contre la pratique systématique de contrôles faciès.
03:02Ça vous était venu comment ? Par Open Society Justice Initiative, voilà. Et ça a été un long
03:08combat qui a abouti à, après une défaite en première instance, une victoire en appel qui a
03:16été confirmée par la Cour de cassation, qui a reconnu que le contrôle au faciès est une
03:21pratique discriminatoire, engageant l'État pour fautes lourdes. Ça a été un long combat très
03:27intéressant, avec plein de choix stratégiques pas évidents. Mon regret, c'est que malheureusement,
03:33ça n'a pas du tout, du tout mis fin au phénomène ou à la pratique des contrôles faciès. On ne se
03:40rend pas compte quand, comme moi, on est un petit blanc dans les beaux quartiers, il y a des gens
03:46qui sont contrôlés chaque jour. Ils ne savent pas pourquoi. Ça plonge certains de nos concitoyens
03:54dans une impression qu'ils sont des sous-citoyens, qu'ils n'ont pas la dignité suffisante pour
04:01pouvoir se promener dans la rue. Moi, je considère qu'on n'a pas arrêté des gens pour leur demander
04:06leur identité. Soit quelqu'un fait quelque chose d'illégal et on a une raison de l'arrêter, soit
04:12il ne fait rien d'illégal et on n'a pas de raison de l'arrêter. Est-ce que vous imagineriez un nouveau
04:17combat judiciaire sur le sujet ? Oui, il faudrait qu'on relance le combat judiciaire. Il y a des
04:23dossiers qui continuent un peu. Je continue à défendre des jeunes discriminés, notamment de
04:28violences policières. Mais je crois que sur le contrôle d'identité discriminatoire, maintenant,
04:36la parole est aux politiques et à l'Assemblée nationale. Je ne suis pas très optimiste sur ce
04:42que va faire l'Assemblée. Nous tournons entre les deux tours, je ne sais pas quand est-ce que...
04:48Voilà, mais il ne s'est rien passé depuis dix ans là-dessus de concret ou très peu de choses. Donc
04:56oui, je pense que le combat politique qui doit maintenant être mené sera un long combat.
05:01Dernière grande affaire, l'affaire Baladur. Oui, l'affaire Karachi, où j'ai défendu le
05:09premier ministre Édouard Baladur devant la Cour de justice de la République et devant la Commission
05:13d'instruction. Donc ça a été aussi un très long dossier. Donc la même juridiction que celle
05:17devant laquelle s'est retrouvée Dupond-Moretti et d'autres anciens ministres. Et on a obtenu la
05:26relaxe d'Édouard Baladur. Pareil, long combat, des choix stratégiques difficiles, beaucoup,
05:34beaucoup d'écriture, beaucoup de vue de cerveau et puis des plaidoiries épuisantes.
05:38Vous en conservez quoi comme image, comme sentiment ? Je ne sais pas, un sentiment de
05:46victoire, un sentiment de... Alors je ne vous ai pas fait la liste de mes défaites. Je suis
05:51concentré sur les dossiers que j'ai gagnés. Non, moi, je trouve que ce que j'aime dans ce métier,
05:58c'est la liberté que j'ai essayé de garder. C'est l'idée qu'on défend des puissants,
06:05on défend des faibles, on défend des blancs, on défend des noirs, on défend des riches,
06:09des pauvres, des femmes, des hommes, des victimes, des coupables, des innocents. Et ils ont tous un
06:14point commun, c'est qu'ils ont besoin d'être défendus. Et j'essaye de faire en sorte de
06:19pouvoir continuer à garder cette diversité de clients et de causes. Vous êtes avocat,
06:25mais vous n'êtes pas que ça. Vous êtes aussi écrivain, romancier. Vous êtes même essayé au
06:34métier d'acteur. Sur ce sujet, Sacha Guitry a dit « les comédiens peuvent jouer les avocats,
06:42l'inverse n'est pas vrai ». Du coup, je vous pose la question, est-ce que vous pensez qu'un avocat
06:48fait un bon acteur ? Je pense qu'un avocat peut faire un bon acteur. Et j'ai plein de confrères
06:54qui adorent jouer au théâtre. Et moi, j'ai pris beaucoup de plaisir à tourner ce format qui
07:00s'appelait « La folle histoire des lois ». En revanche, il ne faut pas faire l'acteur en
07:04audience. C'est peut-être ce qu'a voulu dire Guitry. Ça, c'est interdit parce que ça se
07:08sent tout de suite. Il y a une absence d'authenticité, de sincérité, qui fait que c'est
07:13une catastrophe de jouer les acteurs dans une audience. Donc, si un avocat a envie de jouer,
07:21autant qu'il s'essaye comme vous à vraiment… Il faut le faire en dehors des tribunaux.
07:25On va parler de la prison maintenant parce que c'est évidemment quelque chose que vous connaissez
07:33mieux que la plupart des gens. J'ai envie de vous dire et vous demander, pour vous, la prison,
07:42à quoi ça sert et quel est votre regard là-dessus ?
07:45Alors, je vais vous répondre à côté. Je vais vous répondre en tant que président d'une
07:52association qui s'appelle Lilo, qui fait de l'accueil de sortants de prison et de personnes
07:57sous main de justice. Hébergement, formation et réinsertion. On a des ateliers d'insertion
08:04dans plusieurs métiers. Et en tant que président de Lilo, je dois dire que ce qui m'intéresse,
08:13ce qui me tient à cœur, c'est ce qui se passe à la sortie de la prison. Il y a 75 000, 70 000,
08:20ça dépend des périodes détenues en France aujourd'hui. C'est beaucoup. Ça rassure les
08:26gens de savoir qui sont derrière les barreaux. Mais si je vous demande combien de personnes sortent
08:31chaque année de prison, 70 000, vous vous dites, je ne sais pas, je vous pose la question.
08:35Je n'en sais rien. Je n'en sais pas la moitié, un tiers.
08:37Un tiers, 15 000. Beaucoup de gens répondent 10 000, 15 000. Comme il y a beaucoup de peines
08:42courtes, il y a 90 000 personnes qui sortent chaque année de prison. C'est-à-dire que chaque année,
08:46il y a 90 000 personnes qui rentrent en prison. Il y a un stock permanent de 70 000 personnes,
08:5265 000. Et puis, il y a 90 000 qui en sortent. Et donc, chaque jour, il y a 300 personnes,
08:57par jour ouvré, si vous voulez, il y a 300 personnes qui sortent de prison. Ça, c'est une
09:00cause qui me tient beaucoup à cœur. Il y a malheureusement beaucoup de sorties sèches,
09:04avec des gens qui ont une longue tête, sans accompagnement. Et ces 300 personnes qui,
09:10ce soir ou aujourd'hui, vont sortir de prison, où est-ce qu'elles sont logées ? Quelles sont
09:15leurs possibilités d'obtenir un emploi, une formation ? Qu'est-ce qu'elles vont faire ? Il y a
09:20un taux de récidive colossal en France, à la sortie de la prison. Vous dites en France,
09:26parce que c'est particulièrement en France ? Oui, la France a un taux de récidive très
09:30important. Avec un autre fait marquant en France, c'est qu'on tient très peu de statistiques. Mais
09:39les seules statistiques qu'on ait sur la récidive sont affligeantes. Pour vous, l'enjeu, c'est ce
09:45moment-là ? En tout cas, c'est un sacré enjeu. C'est l'enjeu auquel je participe avec mon
09:50association. Il y a un enjeu colossal sur ce qui se passe pendant la détention. Et simplement,
09:55sur ce qui se passe pendant la détention et sur l'idée qu'on peut réinsérer des hommes et des
09:59femmes alors qu'ils sont enfermés entre quatre murs, ce qui me paraît une aberration. Je ne suis
10:02pas du tout abolitionniste. Je pense qu'il faut une peine de prison. Je pense qu'il faut punir.
10:05Sinon, la société va être dans une anarchie totale. Mais il faut sortir de l'illusion qu'on
10:11peut réinsérer, qu'on peut préparer la réinsertion entre quatre murs. Ça ne marche pas.
10:15Donc, il faut peut-être penser à une peine en deux temps, en trois temps, j'en sais rien. Il
10:18faut peut-être réfléchir à des parcours de peine. C'est ça mon sujet. Oui, c'est à quoi vous ne
10:21croyez pas. C'est à la capacité de préparer la sortie correctement en prison. On ne peut pas se
10:28resocialiser en étant désocialisé. Voilà, c'est l'idée un peu simple. Et moi, je suis très frappé.
10:34J'ai repris quelques comparutions immédiates. La commission d'office, tous les deux mois,
10:40je vais en comparution immédiate. C'est un privilège d'ancien secrétaire. C'est un truc
10:43absolument essentiel et très, très intéressant que j'avais un peu oublié avec le droit pénal des
10:48affaires. Je suis de nouveau très frappé par la pauvreté du débat sur la peine. On passe beaucoup
10:55de temps sur des questions de culpabilité qui sont parfois très faciles à trancher.
10:59De procédure, je vous pose aussi la question, parce que c'est l'impression que le grand public
11:04peut avoir aussi. Oui, c'est important pour la procédure, c'est très important pour les droits
11:06de la défense, etc. Mais il y a une pauvreté du débat sur la peine dont, les avocats,
11:11nous portons aussi une responsabilité parce qu'on a un débat un peu puérile avec un procureur qui
11:16dit il faut qu'il parte où ce mois. Nous, on dit il faut qu'il parte beaucoup moins. Et puis,
11:20tout le monde est content. En fait, c'est pas le temps. Bien sûr que le temps de prison,
11:24le temps d'enfermement est très important pour la personne. Mais il y a une question fondamentale
11:27qui est qu'est-ce qu'on fait en prison et comment la peine va évoluer pour que la sortie permette de
11:33ne pas récidiver, pour que le temps d'enfermement ne soit pas un temps d'achèvement de la
11:40désocialisation. Et là encore, vous semblez dire qu'il manque peut-être des dispositifs permettant,
11:50ce que vous disiez, des peines à tiroirs ou des temps... Non, je crois qu'on a les dispositifs.
11:57On a les dispositifs. La loi est riche. Il y a eu mille réformes qui ne sont pas appliquées. La peine
12:06d'enfermement continue à être la peine de référence parce que l'opinion publique n'est pas du tout,
12:12du tout prête à autre chose. Mais il faut comprendre aussi pourquoi c'est important
12:16pour la société que les gens sortent de prison dans des conditions acceptables parce que celui
12:22qui ne récidive pas, c'est celui qui ne fait pas une nouvelle victime. Non, je pense que les
12:30solutions existent. Il y a des magistrats qui, avec la loi telle qu'elle existe, passent beaucoup
12:36de temps à réfléchir à la peine, obligent à l'audience à avoir un vrai débat sur la peine.
12:41Les tiges, ça existe. Nous, à Lilou, on fait des tiges pédagogiques qui sont un dispositif très
12:48intéressant pour les travaux d'intérêt général, pédagogiques. C'est-à-dire qu'on apprend. Le
12:57tige consiste à faire une formation. Les gens se disent « Ah, mais il n'est pas puni ». D'accord,
13:01mais si ces peines intelligentes-là accompagnent des peines strictosanctions, il y a quelque chose
13:09à construire. Il faut qu'on ait des débats beaucoup plus importants et un suivi des peines avant
13:17de faire la révolution et des nouvelles lois. Robert Badinter, une grande figure française
13:25tout court et évidemment aussi du barreau, a dit « Le courage, pour un avocat, c'est
13:33l'essentiel. Sans quoi le reste ne compte pas. Talent, culture, connaissance du droit,
13:38tout est utile à l'avocat. Mais sans courage, au moment décisif, il n'y a plus que des mots,
13:44des phrases qui se suivent, qui brillent et qui meurent. Défendre, ce n'est pas tirer un feu
13:49d'artifice. La belle bleue, la belle rouge, le bouquet qui monte, qui explose et retombe en
13:54mille fleurs. Puis le silence et la nuit reviennent, il ne reste rien. Pour vous,
14:00qu'est-ce qu'un grand avocat ? Et est-ce que, comme le disait Badinter, le courage est la clé ?
14:08Très belle cette phrase de Badinter évidemment. Et c'est certain que les artifices, les mots
14:21artificiels à l'audience, oui c'est un feu qui s'éteint et donc il ne reste rien. Mais il y a
14:28quand même une évolution due aux nécessités de l'audience et de la justice. Je crois que les
14:35avocats ne jouent plus à ça, ne jouent plus à se vautrer dans des bons mots, dans des artifices
14:44d'audience. Le courage, il en faut bien sûr. Il faut se confronter au juge, il faut lui dire
14:51qu'il a tort. Et c'est quelque chose qu'on apprend à faire au fur et à mesure des années. C'est pour
14:57ça parfois qu'un avocat qui a un peu de bouteille, c'est mieux qu'un petit jeune qui n'ose pas trop
15:00dire les choses au juge. Et j'encourage les gens de ma génération à faire des comparaisons
15:05immédiates, aller aux comparaisons immédiates pour ça. Il faut se confronter à l'adversaire,
15:08etc. Donc il faut un peu de courage. En revanche, je crois quand même que ce terme de courage dont
15:15parle Badinter, il faut l'utiliser avec modestie en ce qui me concerne. Moi je suis avocat depuis
15:2320 ans. Dans une période de l'histoire et dans un pays où être avocat et dire les choses ne
15:32nécessite pas un courage, ne nécessite pas un grand courage. Je ne défends pas des résistants
15:38sous Vichy, je ne suis pas un avocat de l'opposition devant des tribunaux en Russie. Il y a des avocats
15:45dans le monde qui font preuve d'un courage extraordinaire. J'ai assisté à des audiences
15:49en Tunisie qui sont bluffantes quand vous voyez que des avocats se mettent en danger physique
15:53pour défendre un confrère, un journaliste. Là il y a une notion de courage. Là il y a une notion
16:00de courage. Moi je ne peux pas dire qu'au quotidien, oui je dois surmonter quelques tracs, quelques
16:05peurs, mais je ne peux pas dire que je fasse oeuvre de courage au quotidien, ça serait menti.
16:09L'émission s'appelle Sous la Rome. Vous avez une robe d'avocat, j'imagine. Je voulais savoir si
16:16c'était la première. Est-ce que ça représente pour vous ?
16:19Oui, c'est ma première robe, donc ça fait 22 ans que je l'ai.
16:25Ce n'est pas une très belle robe. J'avais un peu radigné à l'époque. Je n'avais pas encore eu ma
16:31première peille, donc j'avais vraiment choisi. Mais elle est bien parce qu'elle ne se froisse pas.
16:37Ce n'est pas le tissu le plus noble, mais peu importe, je l'aime beaucoup. Et qu'est-ce qu'elle
16:43représente pour moi ? Elle représente la fonction que j'occupe quand je la porte, qui est une fonction
16:49fondamentale dans un état de droit, sans être grandiloquent. Ça reste une fonction fondamentale.
16:55Et c'est une fonction avec laquelle j'ai l'impression de me confondre quand je la porte.
17:00Il y a une autre justice qui va assez mal, mais il y a un usage auquel je suis attaché et qui,
17:06je pense, n'est pas près de disparaître. C'est le port de cette robe, qui n'existe pas
17:11notamment dans les systèmes anglo-saxons. Et je trouve que cette robe, c'est un truc
17:15très utile. Ce n'est pas que de l'apparat. Vous avez commencé votre carrière en 2002,
17:22je crois. C'était quoi votre état d'esprit quand vous avez commencé ? Est-ce que vous
17:27vous souvenez de votre première, toute première audience ? Alors, mon état d'esprit, je n'avais
17:32aucune idée préconçue de ce que je voulais vraiment faire. J'ai fait des études de droit
17:38public. J'avais fait un stage dans un quimien d'affaires en droit public. Je m'étais ennuyé.
17:41Je m'étais dit, tiens, le pénal, ça ne peut pas être plus marrant. J'avais trouvé une
17:45collaboration en pénal des affaires. Mais si ça avait été en pénal général, je serais parti en
17:50pénal général. C'était une époque où je commençais à fonder l'association Proxité. Donc,
17:54je voulais absolument passer beaucoup de temps et je voulais aussi faire cette profession pour
17:57avoir le temps de faire d'autres choses. Donc, j'étais dans un état d'esprit de curiosité,
18:02d'amusement. Vous n'aviez pas peur ? Ah non, non. Vous n'êtes pas du genre à avoir peur ? Moi,
18:08je devrais peut-être. Non, je suis très optimiste et je n'ai pas peur. Et vous m'avez posé une
18:14question sur ma première audience. Ça, ce n'était pas très brillant. Je défendais le GIEU des cartes
18:21bancaires. Il y avait des fraudes à la carte bancaire. Et donc, il y avait des audiences
18:24correctionnelles tous les jours. C'est des années où j'allais tout le temps aux correctionnelles et
18:27parfois aux assistes pour défendre des guichetiers de banque qui étaient attaqués. Bref, pour les
18:33cartes bancaires, c'était des audiences très répétitives. Et moi, c'était ma première
18:37plaidoirie. Donc, j'avais préparé à fond. Monsieur le juge, le préjudice des cartes bancaires,
18:41la fraude, etc. Je n'étais pas rendu compte que j'allais plaider devant un juge qui entendait ça
18:46toutes les semaines. Donc, j'ai commencé un peu grandiocant. Monsieur le juge, monsieur le tribunal,
18:52j'ai l'honneur de défendre le GIEU des cartes bancaires. Et puis, le juge m'a tout de suite
18:56arrêté. On connaît le préjudice des cartes bancaires. Vous vous demandez combien ? J'ai
19:00regardé la feuille et finalement, là. Donc, ma première plaidoirie que j'avais préparée avec
19:03beaucoup de soin a été coupée par le magistrat et ça a été une leçon. J'en profite pour vous
19:07poser la question. Qu'est-ce qu'un bon magistrat pour vous ? Sachant que cette année, on a entendu
19:17beaucoup de discussions sur les relations avocat-magistrat, que les choses n'ont pas l'air
19:20simples, qu'il y a eu des événements un peu, si ce n'est tragique en tout cas, très problématiques
19:26cette année, notamment une avocate à qui le magistrat avait refusé un renvoi qui a malheureusement
19:32commencé à accoucher en audience. Donc voilà, je voulais votre avis là-dessus. Qu'est-ce qu'un
19:38bon magistrat et pourquoi parfois les choses se passent mal entre avocat et magistrat ?
19:43Je pense qu'un bon magistrat, c'est celui qui a une capacité d'écoute, d'écoute des avocats,
19:52bien sûr, mais pas seulement, d'écoute du justiciable, des justiciables, de l'accusé,
19:57de la victime, du demandeur, du défendeur. Il n'y a pas que le pénal, il y a le civil aussi.
20:00D'écoute de ses assesseurs, je trouve que les magistrats pourraient travailler bien
20:07davantage en équipe. Plutôt pour les collégiales. Oui, mais il faut que ce soit une vraie collégiale.
20:14Je trouve qu'ils devraient travailler comme on travaille dans nos cabinets en réalité. On a
20:19une équipe, on réfléchit à plusieurs. Il y en a un qui prend la plume, il y en a un qui corrige,
20:24on réfléchit. Les magistrats sont quand même assez seuls dans beaucoup de leurs fonctions.
20:31Et peut-être que c'est ça aussi qui peut expliquer les tensions. Je pense que les magistrats
20:37travaillent dans des conditions difficiles. Ils n'ont pas les moyens, on le sait. C'est
20:43fatigant. Sortir d'audience à deux heures du matin, c'est fatigant, avoir des jugements
20:49rédigés. Donc les tensions, elles peuvent venir aussi de ces audiences. Cet incident épouvantable,
20:55très recrétable que vous avez décrit, j'imagine que le magistrat lui a accordé un renvoi à ce
21:02moment-là, alors que l'affaire... Je ne connais pas les faits exacts. Ça lui paraissait impossible.
21:06Donc voilà, je pense que magistrats et avocats s'entendraient bien sûr beaucoup mieux si la
21:14justice allait bien, ce qui n'est hélas pas le cas. Je vais terminer cet entretien par des
21:24questions un peu courtes, en espérant que vous fassiez des réponses plutôt courtes.
21:29Qu'est-ce qui vous révolte, Félix de Béloin ? Je pense que c'est l'indignité, c'est-à-dire le
21:43fait de ne pas accorder les égards à un être humain qui a l'exacte dignité de tout être humain.
21:53C'est une réponse un peu longue, mais j'ajoute qu'en comparution immédiate, j'y reviens,
21:59on se demande parfois si la dignité humaine est respectée. Convaincre ou gagner ? Convaincre
22:10pour gagner, c'est ce que doivent vous répondre tous les confrères. Vous êtes plutôt un avocat
22:15de combat ou un avocat empathique ? Je vais vous faire la même réponse, il faut les deux,
22:21parce que si on n'est que combatif, on devient pénible et on se fatigue. Et si on n'est qu'empathique,
22:26je pense qu'on peut être un peu mou du genou, donc il faut à la fois savoir être combatif et
22:31empathique. Je vous propose de profiter de ce moment pour passer un message à un avocat qui
22:39vous souhaiterait dire quelque chose qui a peut-être marqué votre carrière ou je ne sais pas. Je l'ai
22:44évoqué tout à l'heure, Michel Bossier qui m'a accueilli il y a 22 ans dans son cabinet et avec
22:51lequel j'ai passé cinq années formidable et qui en ce moment a une vie pas facile. Et voilà,
22:59je lui en profite pour lui dire toute mon amitié et ma profonde affection. Qu'est-ce qui vous empêche
23:03de dormir la nuit si tant est que vous ayez un petit problème de sommeil ? Je pense que c'est
23:09le temps qui passe, l'angoisse du temps qui passe. Et pour finir sur une note littéraire,
23:16puisque vous essayez régulièrement à l'écriture, quel est le dernier livre que vous avez lu ? Je
23:24suis en train d'achever, ça a été long, le côté de Guermantes qui est le troisième volume de
23:31La Recherche du Temps Perdu. Et j'ai l'impression de terminer une randonnée en haute montagne dans
23:42les hautes sphères de la poésie, de l'intelligence, de la culture, de l'humour, de la psychologie et de
23:49la langue bien sûr. Une langue et un sens de la formule absolument sidérant. Merci beaucoup. Qu'est-ce
23:56que je peux vous souhaiter pour la suite, pour terminer ? Continuer à être heureux dans mon
24:03métier, dans ma vie. Alors je vous le souhaite. Merci. Merci beaucoup.

Recommandations