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Pierre Vermeren, agrégé et docteur en histoire, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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NewsTranscription
00:00Dmitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'historien Pierre Wermeren.
00:03Bonjour Pierre Wermeren.
00:05Bonjour.
00:06Bienvenue sur Europe 1, vous enseignez à l'université Paris, un panthéon sorbonne.
00:10Vous êtes spécialiste de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient contemporain.
00:13Votre dernier livre, Les frères musulmans à l'épreuve du pouvoir, c'est chez Odile Jacob.
00:18Cette semaine en France, Pierre Wermeren, on commémore les assassinats de nos deux professeurs martyres de l'islamisme violent.
00:25Samuel Paty, décapité il y a quatre ans, et Dominique Bernard, égorgé l'an dernier.
00:29Dans une tribune parue dans le Figaro, vous nous alertez cette semaine, Pierre Wermeren, sur la toile de fond plus générale de ces deux attentats concernant l'école.
00:37Qu'est-ce qu'il faut y voir ?
00:39Ce n'est que la pointe émergée d'un iceberg beaucoup plus gros.
00:43L'école, par ailleurs, a plein de problèmes, évidemment, sur lesquels nous discutons très souvent.
00:49Il y a beaucoup de débats sur la perte de substance de l'école de la République.
00:53Mais je crois que cette perte de substance, disons qu'elle n'inquiète pas, bien sûr, les islamistes en général et les frères musulmans en particulier.
01:01Et qu'au contraire, elle contribue, elle est un terreau, finalement, favorable.
01:05Parce qu'il considère avec une très faible estime, au fond, l'école républicaine telle qu'elle fonctionne, l'école de la République.
01:13Parce que, pour le dire très simplement, l'école cherche à fabriquer des citoyens.
01:19Et quel est le projet scolaire des islamistes ? Le projet concurrent à celui de notre école ?
01:24Il y a un double discours chez eux, qui consiste, finalement, à dire qu'ils aiment le savoir, ils aiment la connaissance.
01:31Et que, donc, je pense souvent au lycée de Lille, au lycée privé musulman de Lille, à Véroeste,
01:37qu'on met en avant en disant que ce lycée a des résultats aussi bons que les grands lycées privés parisiens, catholiques, ou pas, d'ailleurs.
01:46Et, en fait, c'est une illusion. Parce que, oui, par certains côtés, ils veulent fabriquer une élite qui soit capable de faire ailler, avec les laïcs, les républicains, les modernistes, la gauche de nos sociétés.
01:58Mais, pour la masse, au fond, ils n'ont pas besoin d'une génération, ils n'envisagent pas une école émancipatrice, une école qui favorise l'esprit critique.
02:10Bien au contraire, une école, finalement, qui enseignerait une certaine confusion, qui délivrerait des connaissances médiocres ou faibles, et qui, surtout, ne détournerait pas de l'essentiel pour eux, la foi, d'une part, de l'islam, et puis aussi, bien sûr, éventuellement, la langue arabe.
02:27Il y a une volonté de rendre l'école, de la désarmer, au fond.
02:31Et l'école, justement, comment elle réagit, selon vous ? Par exemple, l'interdiction de la baïa, la protection fonctionnelle ? On entend beaucoup dire, cette semaine, qu'elle fonctionne enfin plutôt bien.
02:41Est-ce que vous sentez un réflexe d'autodéfense de l'école, face à cette offensive islamiste ?
02:46Alors, bien sûr, on ne peut pas attribuer le malaise enseignant uniquement à cette cause-là, parce qu'il est plus général.
02:52Mais il y a quelque chose qui est très inquiétant, c'est la fuite des étudiants, si vous voulez, devant les concours d'enseignement.
02:58Parce que les jeunes, notamment, sont envoyés, de manière privilégiée et prioritaire, vers les zones en difficulté, vers ces zones où il y a une pression sur l'école exercée, notamment, par ces...
03:11Je ne vais pas les appeler des apôtres, mais, en tout cas, par ces militants politiques de l'islam politique.
03:17Donc, ils accentuent la pression sur l'école et ils rendent la vie des profs invivable.
03:21Alors, pas forcément, heureusement, par des grandes violences spectaculaires, mais par toute une ambiance qui fait que, certains jours de fête, il n'y a pas d'étudiants, qu'il y a des contestations,
03:29que, pendant certains jours, certains mois, les filles ne vont pas en cours de natation, les profs de sport ont des difficultés, les profs de sciences...
03:38Bref, tout ça crée un contexte et il faut que les professeurs, souvent, en sont conscients, mais il faut que la société en soit consciente, et notamment nos responsables politiques.
03:47Vous dites aussi, Pierre Wermeren, que la France, l'Europe, en fait, sont des territoires prioritaires pour les islamistes, qu'ils soient frères musulmans ou salafistes.
03:55Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils sont chassés du monde arabe. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ?
04:00Aujourd'hui, ils sont criminalisés dans la plupart des pays musulmans. Alors, en Égypte, en Tunisie, en Syrie, bien évidemment, dans les Émirats, dans le Golfe, etc.
04:13Donc, aujourd'hui, il est très difficile pour eux d'agir dans ces pays. Beaucoup, d'ailleurs, sont en prison, et c'est bien malheureux, parce que, souvent, ça se passe dans des conditions de grande violence.
04:23Mais le résultat, c'est qu'aujourd'hui, l'Europe occidentale, qui a accueilli, avec l'immigration, depuis quelques dizaines d'années, un important groupe de musulmans issus de l'Afrique du Nord, notamment,
04:38représente, pour eux, une sorte de ventre mou et une liberté d'action. Si vous voulez, c'est beaucoup plus facile, aujourd'hui, d'être un frère musulman en Belgique, ou en France, ou ailleurs, ou en Allemagne, que dans n'importe quel pays musulman.
04:53Et, du coup, il y a une opportunité historique qui est saisie et qui, aussi, renvoie, bien sûr, à l'affaiblissement de l'Occident, notamment l'affaiblissement moral.
05:03Et ils y voient, là, bien sûr, une opportunité qu'ils essayent de saisir. Ce week-end, au Sénat, il y avait un colloque, justement, sur la pression que subissent les familles berbères de France.
05:13Et il y a eu beaucoup de témoignages très émouvants, qui prouvent à quel point il y a une offensive très dure, qui est vécue en premier par les musulmans, mais qui concerne, finalement, toute la société.
05:22Merci beaucoup, Pierre Wermeren. Je rappelle que vous êtes historien. Votre dernier ouvrage, « Les frères musulmans à l'épreuve du pouvoir », s'est paru chez Odile Jacob. Merci à vous.