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Auteur d’un "Voyage d’un gourmet à Paris" qui lui a valu le prix Jean Carmet, Jean-Claude Ribaut, qui a été le chroniqueur d’un grand quotidien du soir pendant plusieurs décennies, publie un truculent "Dictionnaire gourmand du bien boire et du bien manger". Un hymne à la France à travers ses plats, ses recettes, ses desserts, ses guides, ses restaurants, ses cuisiniers etc. Une invitation à découvrir les tables, les terroirs, les chefs, les établissements d’excellence qui rassemblent le souvenir des bouquets d’arômes et de savoir-faire inscrits dans notre mémoire collective. En presque 900 pages, Jean-Claude Ribaut nous fait partager le voyage gourmand d’une vie. Passionnant !

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00:00Auteur d'un voyage d'un gourmet à Paris qui lui a valu le prix Jean Carmet, à l'époque,
00:10cet architecte devenu le chroniqueur gastronomique d'un grand quotidien du
00:14soir. Pendant plus de deux décennies, il publie un truculent dictionnaire gourmand
00:19du bien boire et du bien manger. C'est aux éditions du Rocher et c'est en vente sur le
00:24site TVL.fr dans la boutique de TVL. Jean-Claude Ribault, bonsoir.
00:29Bonsoir.
00:30Merci beaucoup d'être présent avec nous pour présenter cet ouvrage bien boire et bien manger.
00:35C'est en quelques mots finalement ce que suggère tout l'esprit français. Tout ça,
00:40ça forme un patrimoine immatériel de l'humanité.
00:43Notamment depuis que l'UNESCO s'est penché sur la question, pas tout à fait de son plein gré,
00:51mais a été incité à le faire et a décrété que, non pas la gastronomie, mais le repas
00:58gastronomique des Français étaient inscrits désormais au patrimoine en tant que pratique
01:04sociale dans le jargon de l'UNESCO. C'est-à-dire le repas de famille, le repas de fête, le partage,
01:11l'idée même de convivialité qui est un mot créé par Briazabar.
01:16Comment vous est venue l'idée de créer, selon vos propres termes, un objet littéraire, didactique,
01:23multiforme, le dictionnaire ? Est-ce pour mettre vos pas dans ceux de vos illustres prédécesseurs
01:29qui sont passés à la postérité de la littérature culinaire, Taïwan, Antoine Carême et quelques autres ?
01:37– La formule du dictionnaire a été pratiquement épuisée par Alexandre Dumas,
01:46dont le grand dictionnaire de cuisine est un modèle, pour l'époque,
01:50mais même pour aujourd'hui, totalement insurpassable.
01:53Un travail comme étaient capables d'en faire les grands auteurs de cette époque.
01:58Alors il y a eu quelques autres dictionnaires, mais qui sont soit des dictionnaires professionnels,
02:02des dictionnaires très purement didactiques, comme Prosper Montagnier,
02:06comme, il y a aussi quelque chose qui m'a amusé,
02:09moi qui ai un dictionnaire de gastronomie jovial, de Robert Derris dans les années 1925,
02:16mais enfin bon, c'est l'esprit du temps.
02:18Sinon, il y a toutes sortes de choses, et moi je n'ai retenu de cette formule du dictionnaire
02:25que la règle de l'ordre alphabétique, et puis c'est un joyau fourre-tout,
02:31un ensemble d'observations, de commentaires, ou d'un exercice un peu à la fois culturel et gourmand.
02:41– Et littéraire.
02:42– Et littéraire, oui absolument.
02:44– Je vais garder l'image du joyau fourre-tout, parce que votre itinéraire gourmand,
02:48donc, en un millier de pages, un peu moins, 900 pages et un bon kilo,
02:52eh bien, a de quoi peut-on se surprendre, puisqu'il mélange les tables, les terroirs,
02:56les cuisines, les plats, les chefs, ou même encore les lieux d'excellence.
03:00Quels sont les axes qui permettent de comprendre vos choix,
03:04l'ordonnancement de ce que vous appelez vous-même un spicilège ?
03:08Un spicilège, c'est un recueil.
03:10– C'est un recueil, c'est un florilège, autrement dit, en langage plus classique.
03:16C'est-à-dire qu'à travers cela, il y a, comme dans la cuisine d'ailleurs,
03:22et ça rejoint, qu'est-ce que la cuisine ?
03:25C'est deux millénaires de préparation pour la cuisine française,
03:29et puis, ce qui se passe aujourd'hui.
03:31Bon, moi, c'est 20 ans de travail que j'ai constitué, retravaillé, regroupé,
03:41et traité de façon libre et, si possible, un peu astucieuse,
03:46un peu amusante, pour donner envie de plonger à un talent droite.
03:51Eh bien qu'effectivement, la première lettre, le A,
03:55ne commençant pas par Artichaut, mais par Abba,
03:58ce qui me semble le plus intéressant et le plus proche du contenu gastronomique.
04:03– Les Abbas. Quel est le ton que vous avez souhaité donner à ce recueil ?
04:06J'ai trouvé une première réponse dans un entretien récent que vous avez accordé,
04:09à la question, qu'est-ce que le rôle de critique pour vous ?
04:13Vous répondez, c'est de dire, je vous cite,
04:16j'y suis allé, j'y suis passé, vous pouvez y aller,
04:20et vous pouvez même y prendre du plaisir,
04:22j'ai le souvent répugné à partager mes écreurs d'estomac.
04:27C'est ce qu'on appelle la bienveillance aujourd'hui en 2024.
04:30– Oui, mais c'était peut-être plus à l'époque où j'ai dit ça,
04:33pour trancher avec la mode qui était chez les chroniquaires gastronomiques,
04:38de critiquer, de flinguer, etc.
04:43C'est beaucoup plus facile pour certains, etc.
04:45Et puis, ça correspond aussi à…
04:48Mais écrire pour descendre un type n'a de sens que si il est vraiment…
04:54descendable, si je puis dire, si c'est vraiment méchant, mauvais,
04:59et ça m'est arrivé, il y a des cuisiniers ou des cuisines que je n'aime pas,
05:04et je dis pourquoi, mais sinon, je préfère envoyer des clients
05:10à une bonne table qu'à dissuader d'aller dans telle ou telle maison.
05:16– Est-ce que vous considériez, vous aviez un pouvoir,
05:18vous écriviez dans un quotidien du soir, pas cité, mais tout le monde le connaît,
05:21ça vous donnait un pouvoir, un retentissement tout au moins important ?
05:24– À l'époque c'était tout à fait considérable, oui.
05:27Quand j'ai commencé en 89, en plus j'avais pris la suite de Laraignière
05:32qui était un espèce de pape de la gastronomie de l'après-guerre,
05:37dans le fond, pendant 20 ans, 20-30 ans même,
05:39et un papier le vendredi soir remplissait le restaurant pour la semaine,
05:44c'était tout à fait connu et admis,
05:51donc je préférais effectivement donner de bonnes adresses
05:57plutôt que de critiquer des acrobates, des types pas très clairs, etc.
06:04et des cuisines approximatives.
06:06– Et quand Jean-Claude Ribault arrivait, est-ce qu'on avait peur ?
06:10– Ben non, j'avais une approche toujours claire et précise,
06:18je n'ai jamais joué les fantômas de la gastronomie,
06:24je ne sais pas si vous voyez à qui je fais allusion.
06:26– On en reviendra, on parlera du Michelin tout à l'heure.
06:28– Oui, mais l'anonymat dans ce genre d'affaires est tout à fait ridicule,
06:33comment peut-on jauger le tempérament de la cuisine,
06:37les qualités d'un chef sans avoir parlé avec lui,
06:40sans l'avoir, je ne dis pas tiré les verres du nez,
06:44mais du moins eu un échange, jauger un personnage.
06:48L'assiette, oui, bien sûr, c'est essentiel,
06:51mais pas seulement, il faut savoir poser des questions,
06:53il faut déterminer telle ou telle origine,
06:59ça me semblait indispensable,
07:01donc je n'y allais jamais anonymement,
07:04mais je n'excipais pas non plus
07:06d'une quelconque mission auprès des cuisiniers que j'allais voir, du tout.
07:15– Allez, on se plonge dans l'ouvrage, à tout seigneur, tout honneur,
07:17commençons donc par les grands chefs de la gastronomie française,
07:20et vous ouvrez le bal, et c'est bien normal
07:22puisque c'est un dictionnaire à la lettre A,
07:24et là je trouve Adrien Ferrand, le chef d'El Bulli,
07:29sur la Costa Brava en Espagne, le meilleur restaurant du monde,
07:32ou un chef qui a empoisonné ses clients avec des produits chimiques,
07:36c'est ce qui s'est dit de lui.
07:38Est-ce que c'est un génie ou un apprenti sorcier ?
07:40Est-ce que vous avez tranché ?
07:41Pourquoi le mettre dans votre dictionnaire ?
07:44– C'est exactement ce que je disais à l'instant,
07:47ça me semble important de dénoncer, ce n'est pas le mot juste,
07:52mais au moins de révéler les pratiques de cette cuisine
07:57qui a fait floresse pendant quelques années.
08:01– Il faut peut-être expliquer cette cuisine
08:02que vous qualifiez de déconstructive,
08:05qu'est-ce que faisait M. Ferrand, qu'est-ce qu'il fait encore d'ailleurs ?
08:07– Alors non, il ne fait plus puisqu'il a fermé boutique depuis,
08:11et définitivement, mais pour d'autres raisons, depuis une douzaine d'années.
08:16Alors, en réalité, cette cuisine moléculaire,
08:21elle est fondée sur l'utilisation avec des produits de base,
08:28mais la plupart du temps transformés, modifiés,
08:33traités avec des composés chimiques,
08:37augmentés, entre guillemets, avec des alginates,
08:42pour faire des sphérifications, pour faire de l'humour en cuisine aussi,
08:49d'ailleurs, il le revendiquait.
08:51Et en fait, Ferrand Adria était une espèce d'adepte espagnol,
08:59catalan, d'Erida.
09:02C'est pour ça qu'il revendiquait lui-même cette déconstruction de la cuisine.
09:07Et il a utilisé, notamment des additifs, des produits de synthèse,
09:16tout ce que l'industrie, dans le fond,
09:19essaie subrepticement de mettre dans nos assiettes,
09:22mais quand c'est de manière cachée, c'est pas trop dangereux.
09:25Lui, c'était à forte dose dans ses plats
09:29et dans toute son invention culinaire de cette époque,
09:33aidé de surcroît par des crédits européens
09:37qui étaient attribués à un laboratoire en Allemagne du Nord,
09:43si bien qu'on a eu une espèce de montage tout à fait extraordinaire
09:49qui a explosé, notamment lorsque les Américains
09:55ont engagé leur action en Irak
10:00et que la France s'est, comme on le sait, opposée à cette initiative.
10:07Si bien que le New York Times, à cette époque,
10:09a fait de Ferran Adria un personnage tout à fait emblématique de l'époque
10:18et qu'il a obtenu dans le New York Times,
10:21on dirait que j'ai un supplément dans le numéro du mois de juillet 2003,
10:30d'une vingtaine de pages,
10:32comment la cuisine espagnole détrône la cuisine française.
10:35C'est l'époque, vous vous en souvenez peut-être,
10:36où le vin français a été jeté dans les caniveaux
10:41et où la frite a été débaptisée.
10:43Donc on a l'affaire là, à une espèce de montage d'époque en fait,
10:49autour d'un personnage, d'une cuisine, soit disant,
10:53et voilà ce que je n'ai pas à vous rappeler.
10:55– Vous êtes génie ou apprenti sorcier ?
10:57Vous avez tranché apprenti sorcier.
10:59Dans ce dictionnaire défilent, heureusement,
11:01les vrais plus grands noms de la gastronomie française,
11:04de Bocuse au chef mondialisé Ducasse,
11:07en passant par Fréchon, Darroze, Rostand, Savoie,
11:10ce sont des noms qui ont mis des années
11:12avant de se faire connaître ou reconnaître.
11:14Et ma question, est-ce qu'il est plus facile aujourd'hui,
11:16en 2024 aujourd'hui, de percer dans la profession ?
11:21– À la fois peut-être plus rapide, sinon plus facile,
11:25et plus dangereux parce que ça peut être sans lendemain.
11:28Au lendemain, évidemment, de la pandémie récente,
11:34il y a eu quelques problèmes, mais disons que je pense que
11:41la cuisine, sur la longue durée, c'est une querelle permanente
11:45des anciens et des modernes, dans le fond.
11:48Une nouvelle génération arrive avec ses tendances, ses goûts,
11:55ses petits défauts peut-être, par moments,
11:57mais arrive à s'installer.
12:01Aujourd'hui, on est sans doute sur la fin de l'époque
12:04où les chefs qui se sont fait connaître dans les années 1970-80,
12:10c'est-à-dire juste après la nouvelle cuisine,
12:12arrivent à un tourment… – Fin de cycle.
12:15– Fin de cycle, bon.
12:16Et aujourd'hui, la nouvelle génération de cuisiniers
12:21est un peu aiguillée par aiguillonnée,
12:23plutôt par top chef, par des émissions de télé, etc.
12:26Donc, on peut penser que ça peut arriver assez vite.
12:29– Soit quelqu'un comme Mathias Marc, voilà,
12:32passé par top chef, chef étoilé… – Tout à fait, oui, absolument.
12:35– Beaucoup de talent, beaucoup de talent, c'est révélé très tôt finalement.
12:38– Oui, mais en même temps, je crois qu'il ne faut pas croire non plus
12:42qu'un chef avant la quarantaine soit au fait de son métier,
12:48de sa possession, de ses techniques.
12:52Les petits génies, oui, mais pas trop petits quand même.
12:58– Alors, on va poursuivre après les chefs, les boissons,
13:02bien sûr, c'est important ça aussi, puisque de bien boire.
13:05Alors, vous donnez une large part au vin de nos terroirs,
13:08et je vous en félicite, au champagne qualifié d'apothéose de la distinction,
13:12au sauterre d'à travers le portrait de l'excellent Alexandre de Lursanus,
13:17qui fut ici à votre place sur TVL il y a quelques années,
13:20mais aussi, et surtout, de la bière.
13:23Et alors, crime supplémentaire, Jean-Claude Ribault, de la bière belge.
13:27– Non, justement, la bière belge, elle est authentique.
13:34La bière belge, elle est encore faite dans les abbayes, la vraie.
13:37Les criques, les lambics, c'est une bière qui correspond à des…
13:44on ne peut pas parler de terroirs parce qu'on est dans l'orge,
13:47dans le malte ou dans les eaux, etc.
13:51Bon, ce n'est pas tout à fait bleu ou blond,
13:53mais ce sont des territoires quand même bien spécifiques.
13:56Et il y a, autour de Bruxelles, un air particulier pour les fermentations,
14:02qui sont tout à fait importantes.
14:05Alors que la bière française, bon, c'est un peu en train de changer.
14:09– Une bière de micro-bière, de bière locale, qui reste partout.
14:12– Oui, ça a changé depuis une quinzaine d'années,
14:13mais sinon, le gros marché de la bière, c'est un business international,
14:18ce sont des multinationales, oui, ça n'a pas d'authenticité.
14:27Bon, il y a encore quelques bières, sans doute, mais sinon…
14:30– Et ces micro-bières, ces micro-brasseries
14:32que l'on voit naître dans toutes les régions de l'Église,
14:35c'est quand même aussi un phénomène qui vous intéresse ?
14:38– Oui, bien sûr, bien sûr, mais enfin, bon, très honnêtement,
14:41ce n'est pas ce qui me fait vibrer, vous l'avez compris, en soulevant ce problème.
14:48Bien sûr, évidemment.
14:49– Et vous faites le choix, je parlais d'Alexandre Lursanus,
14:52le sauterne, c'est un combat aujourd'hui, le sauterne, c'est…
14:55– Hélas, hélas, hélas, c'est un vin merveilleux, formidable.
15:02Oui, encore que, il y a aussi des sauternes accessibles,
15:09sans avoir le prestige, etc., mais…
15:12– Le château de Fargues.
15:13– Le Fargues, c'était absolument formidable, bien sûr.
15:16Et les vrais spécialistes, auxquels je ne prétends pas appartenir,
15:24considèrent que le IKM est peut-être moins bien qu'il n'était du temps du Marquis, voilà, il faut le dire.
15:33– On dirait qu'il vaut mieux boire un château de Fargues qu'un IKM, si ça voulait dire.
15:36– Absolument, oui.
15:37– Oui, on est d'accord.
15:38Le même éclectisme, on le retrouve dans vos choix de produits,
15:42poisson noble ou roturier, vous dites, il faut qu'il soit sauvage.
15:46– Oui.
15:47– Et où se côtoient le safran, alors lui, il voisine avec la betterave,
15:52la volaille de Bresse, eh bien, voisine avec la simple pomme de terre,
15:56c'est quand même pas totalement la même chose,
15:58et permettez-moi de vous le dire, pas forcément les mêmes prix,
16:01safran, pomme de terre.
16:03Encore que, en revanche, volaille de Bresse et pomme de terre,
16:07ça peut marcher si on fait des pommes soufflées ou des pommes dauphines.
16:12Bon, bien sûr, le safran, c'est l'épice la plus chère du monde, on le sait,
16:17puisqu'il faut d'abord n'utiliser que les trois pistils qui ont vraiment le goût du safran
16:23et qui sont porteurs de cette saveur,
16:26et il en faut plusieurs centaines de milliers pour faire un kilo,
16:29donc c'est quelque chose, et en plus, le principal pays fournisseur, c'est l'Iran,
16:34alors donc actuellement, c'est un peu compliqué.
16:37– Ce que je retiens, M. Hippo, c'est que vous ne faites pas de distinguo,
16:40c'est-à-dire que vous pouvez dire que, finalement,
16:44le safran, ça peut être merveilleux comme une pomme de terre peut être merveilleuse.
16:47– Bien sûr, oui, alors ça, c'est un peu une…
16:51je ne hiérarchise pas les produits les uns par rapport aux autres.
16:57Une betterave, qui peut être un souvenir épouvantable quand on se souvient de la cantine,
17:04peut aussi être quelque chose de tout à fait merveilleux
17:06si elle est très finement escalopée et servie avec une sauce intelligente.
17:13Donc, tout est affaire de goût, finalement, et largement de goût personnel, bien sûr.
17:23– On reviendra sur cette notion-là.
17:24Moi, je termine juste mon inventaire de ce dictionnaire
17:26sans noter que vous prenez le parti pris de mettre en concurrence la cuisine française
17:33avec les cuisines espagnoles, italiennes, méditerranéennes,
17:36au risque d'ailleurs d'oublier des gastronomies, notamment asiatiques.
17:40Mais, dans votre esprit, est-ce qu'on doit parler de concurrence ?
17:43– Non, parce qu'il y a des échanges dans toutes ces cuisines,
17:49et ce que je note tout de même, c'est qu'il y a ce qu'Erlonski appelait dans son temps
17:56la précélence, un terme savant, enfin précieux plutôt, de la cuisine française,
18:01c'est-à-dire qu'aujourd'hui, les chefs du monde entier continuent de venir se former en France.
18:07Donc, il y a un échange nécessairement, même si ensuite,
18:13les cuisiniers de tous les pays qui viennent se former,
18:19chez Lucas, chez Savoie, chez les autres, exercent une forme personnelle.
18:28Par exemple, le grand cuisinier Ramsay, anglais,
18:33qui a, je crois, plus de 60 restaurants à travers le monde,
18:37est un type qui a été formé chez Savoie.
18:39Il reconnaît cette filiation, ce n'est pas un héritage,
18:47mais c'est un savoir-faire qui est partagé.
18:50Les cuisiniers aiment bien partager ça,
18:53et la France a été incontestablement, depuis très longtemps,
18:58depuis le 19ème siècle, disons, un lieu de la formation des cuisines.
19:04– Je vais aller plus loin en parler, avant de rentrer dans ce studio,
19:07d'un canard au sang, chez Rostand, qui reste pour vous un souvenir mémorable.
19:11Est-ce qu'on peut avoir l'équivalent dans une cuisine espagnole, italienne,
19:15par un plat, j'entends, un plat,
19:17quelque chose qui retiendrait votre attention de la même façon ?
19:20Il n'y a pas d'équivalent ?
19:23– L'équivalent, pour moi, non, je l'avoue, non par forfenterie,
19:30mais si la gastronomie conduit à une émotion,
19:37très franchement, elle peut exister avec un plat de pâtes parfaitement assaisonné,
19:43mais aussi en Italie, lorsqu'on est, je ne sais pas, au pied de Naples,
19:49et puis cette même émotion peut s'exercer, s'exprimer,
19:56autour de quelques nuances de truffes sur un livre à la Royale.
20:01Mais hiérarchiquement, difficile d'établir un ordre apprécié,
20:12tout dépend du moment, du plaisir et de…
20:16– Il y a beaucoup de bienveillance, je l'ai dit, ce terme-là,
20:19dix fois, d'empathie, à travers ces pages,
20:21à tel point qu'on pourrait même parler quasiment d'un dictionnaire amoureux,
20:24mais à quelques détails près, alors là, les détails ont leur importance,
20:29ainsi, vous n'hésitez pas à régler votre compte, vos comptes,
20:31avec le célèbre guide gastronomique, le Michelin,
20:34alors une charge qui vous amène jusqu'à reprocher au Michelin
20:37d'avoir servi aux Allemands en 1940 pour avoir le plan des villes françaises,
20:41c'était quoi, est-ce qu'elle n'est pas née de mauvaise manière,
20:43faite à Jacques Manière, le chef talentueux qui fut votre mentor,
20:47un de vos mentors, est-ce que ce n'est pas né de cela ?
20:51– Non, oui et non, mais j'ai suivi, par définition,
20:55puisque pendant une vingtaine d'années,
20:57j'assistais à toutes les parutions du Michelin,
21:00qui est devenu, au fil des années,
21:01un espèce d'événement mondial, véritablement considérable,
21:07et j'ai vu, peu à peu, le Michelin s'enliser dans un certain nombre de problèmes, etc.
21:13Si bien qu'il y a une douzaine d'années, déjà,
21:16j'avais publié avec mon complice Decloso,
21:20le dessinateur qui illustrait mes papiers,
21:24un petit bouquin qui s'appelait
21:26« Rouge de honte, biographie non-autorisée de Biobindhomme »,
21:32en recensant toutes les avanies, toutes les erreurs,
21:37tous les problèmes qui s'étaient posés
21:40lors de la publication de ce guide, depuis l'origine,
21:44car c'est une histoire un peu méconnue et assez complexe.
21:50Enfin bon, Michelin, disons,
21:53se présentait comme une espèce de juge de paix universel,
21:59et j'ai toujours été surpris, moi,
22:02et ça m'a semblé suspect que quelqu'un qui va visiter,
22:07cinq jours par semaine, avec une feuille de route,
22:10anonymement, des restaurants, qui mange tout seul,
22:13puisse avoir un jugement sain et serein sur un restaurant,
22:17même si c'est un professionnel,
22:18ou peut-être surtout si c'est un professionnel de la table.
22:24Donc ça me semblait…
22:26– Mais pourtant, le Michelin fait la loi, il fait la loi,
22:28pas le put de l'eau, ski, pas le coémio,
22:31pas le bottin gourmand, c'est fini, je crois,
22:35le Michelin fait la loi, et quand on a perdu une étoile,
22:38quand on en gagne une, un macaron.
22:40– D'accord, parce que la presse continue d'en parler,
22:43mais le Michelin est tiré à 500 000 exemplaires,
22:47jusque dans les années 2005-2010,
22:50depuis l'explosion sur internet, c'est fini,
22:53son tirage est de 20 000 exemplaires par an,
22:56donc c'est la mort du tirage, c'est la fin des grands tirages.
23:01Et alors aujourd'hui, que fait Michelin ?
23:04Multiplie ses éditions dans le monde entier,
23:07en passant des accords de partenariat avec des villes pour qu'on parle d'elles,
23:11donc il est devenu un outil de communication de la Corée du Sud,
23:17peut-être qu'elle viendra de la Corée du Nord, on verra,
23:20mais de la Californie, etc.
23:22Enfin, c'est un outil de promotion de programmes touristiques étrangers.
23:28– Qu'est-ce que vous pensez de phénomènes,
23:30s'ils sont sincères, comme tripadvisor,
23:32c'est-à-dire d'agglomérats de point de vue des personnes
23:38qui ont fréquenté le restaurant,
23:39avec toutes les dérives que ça peut entraîner,
23:41mais le principe étant de donner une agora
23:45qui permettrait d'avoir un sentiment sur les établissements ?
23:48– Alors, je suis d'autant plus attentif à ça
23:51que j'ai participé à l'élaboration d'un outil de communication
23:58autour de la gastronomie qui est la liste,
24:01qui a été créée en 2015 à l'initiative de Philippe Faure et de quelques-uns,
24:08de façon à recenser tout ce qui pouvait concerner les restaurants
24:16et instituer une liste mondiale.
24:18Les 1000 meilleurs restaurants, tout ça a été fait dans un premier temps
24:22pour contrecarrer ou contrebalancer, dirons-nous,
24:26le fameux 50 best anglais
24:32qui recense les 50 meilleurs restaurants du monde, soi-disant.
24:35– Très controversé.
24:36– Qui est très controversé,
24:38dont Ferran Adrian, on en parlait tout à l'heure,
24:39a été le meilleur chef du monde, au lieu de qui, de quoi,
24:43enfin bon, on peut se poser la question.
24:46Et donc la liste, en effet, intègre aussi les classements
24:50des réseaux sociaux, de l'internet, etc.
24:54Donc, en fait, on remet à un algorithme le soin de trier et d'établir, de sortir.
25:03C'est une utilisation, on dira, de l'intelligence artificielle
25:08pour se conforter ou conforter des choix, etc.
25:14Je trouve ça très bien.
25:15Je continue de penser qu'il y a de la place, toujours,
25:18pour l'intelligence naturelle, même si elle peut se tromper.
25:23– Les plateformes à utiliser, donc, avec parcimonie.
25:26En refermant cet entretien, on pourrait rester pendant des heures
25:29puisqu'il y a des centaines de pistes dans cet ouvrage,
25:35en fermant les 900 pages du dictionnaire,
25:37mais vous avez aussi donné déjà quelques éléments,
25:39il m'était venu une question à l'esprit,
25:41qu'est-ce que la quintessence pour vous du bien boire et du bien manger ?
25:46Je vous laisse un choix d'un lieu, d'un plat, d'un homme, d'une recette, d'un dessert.
25:53– C'est très compliqué, je serais tenté,
25:58mais il faudrait que je prenne un papier et un crayon
26:00pour composer un menu idéal fait par plusieurs chefs, voilà.
26:05Donc, il y aurait certainement une becasse cuisinée par Frédéric Hardé,
26:12comme j'ai le souvenir qu'il l'a fait un jour,
26:15dans sa cuisine, devant moi, pratiquement.
26:19Il y aurait certainement cette petite friandise
26:26qu'on pourrait trouver chez Michel Rostand,
26:30qu'on évoquait aussi tout à l'heure,
26:32qu'il servait avec tel ou tel plat, ou bien une…
26:39Bon, le repas idéal, en fait, que vous me demandez,
26:45ou le chef idéal, ou les chefs, ou les plats idéaux,
26:48c'est toujours une question de temps, de moments, de compagnie, etc.
26:56Sachant, en plus, que même autour d'une même assiette ou d'une même table,
27:02on peut très bien avoir des points de vue complètement différents,
27:05dans la mesure où, ça c'est un élément fondamental,
27:10nous n'aimons pas les choses parce qu'elles sont bonnes,
27:14elles sont bonnes parce que nous les aimons.
27:16Je me suis arrangé avec Spinoza pour…
27:19– Pour aboutir à cette conclusion.
27:21– Pour triturer un peu un propos qui est très proche, quand même,
27:25de ce qu'il raconte, par ailleurs, et pour des choses beaucoup plus sérieuses,
27:29mais c'est, voilà, mon sentiment.
27:34– Merci, merci de nous avoir fait partager, pendant quelques minutes,
27:38ce voyage gourmand d'une vie entière, finalement,
27:40et qu'on retrouve dans ce dictionnaire,
27:42il y a vraiment beaucoup de belles choses,
27:45on apprend énormément de choses, parce qu'il y a aussi,
27:48ce qui est important, le passé, l'histoire de la gastronomie française aussi,
27:52qu'on n'étudie plus dans les écoles, même de gastronomie.
27:55Merci beaucoup, c'est moi, merci beaucoup.

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