Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies de l'IFOP, était l'invité du Face à Face sur RMC et BFM ce lundi 11 novembre.
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00:008h32 sur BFM TV et RMC, bonjour Jérôme Fourquet.
00:07Bonjour.
00:07Vous êtes le directeur du département Opinion et Stratégie d'entreprise de l'institut de sondage IFOP,
00:12auteur de nombreux ouvrages de référence sur la société française que vous analysez en continu.
00:18Le dernier livre, Métamorphose française, état de la France, en infographie et en image, est paru aux éditions du Seuil.
00:24Merci d'être avec nous ce matin pour nous aider à comprendre ce qui se joue en France
00:28alors qu'une expression refait la une depuis quelques jours.
00:32Plan social et même au pluriel plan sociaux chez Michelin, Auchan, Airbus pour ne citer que les plus connus.
00:38Des suppressions d'emplois annoncées, jusqu'à 150 000 emplois menacés d'après les économistes.
00:45Et pour une fois, gouvernement et syndicats parlent la même langue en disant
00:48il y aura d'autres plans annoncés dans les prochaines semaines.
00:52J'ajoute que le chômage est annoncé à la hausse pour l'année prochaine.
00:58Jérôme Fourquet, est-ce que la France replonge dans la crise ?
01:02Alors, on n'est pas encore dans une situation aussi grave en termes de chômage
01:09que ce qu'on a pu connaître ces dernières années.
01:11On rappelle qu'on était monté jusqu'à 10, 11, 12 % de taux de chômage
01:15et qu'aujourd'hui le taux de chômage se situe à 7,3 %.
01:19Ce qui avait eu une conséquence tout à fait spectaculaire dans l'état psychologique du pays
01:24que nous, nous mesurions dans nos enquêtes d'opinion,
01:27c'est que la priorité numéro un des Français qui, depuis 40 ans,
01:30était la lutte contre le chômage, avait complètement disparu des écrans radar.
01:34On entendait plutôt, sur vos plateaux ou ailleurs,
01:38le refrain selon lequel de nombreux secteurs n'arrivaient pas à recruter.
01:42Et donc, la météo sociale avait changé quand même très singulièrement,
01:46notamment depuis le Covid, où, encore une fois,
01:49cette crainte du chômage avait disparu ou était très fortement rétrogradée
01:54dans le classement des priorités des Français.
01:56Et elle revient ?
01:57Eh bien, il est un peu tôt pour le mesurer, mais il va falloir suivre cela attentivement
02:01puisque, effectivement, les annonces de certains grands groupes,
02:05qui sont des groupes emblématiques, Auchan, Michelin, Airbus,
02:09ce ne sont pas des petites entreprises,
02:11tout ça va peut-être colorer les perceptions des Français
02:15et recréer une inquiétude sur le chômage qui, encore une fois, avait disparu.
02:19Jérôme Fourquet, je voudrais vous faire écouter le responsable d'une usine de chimie dans l'Oise,
02:24le responsable CGT, Grégory Dubois, qui était ce matin sur RMC.
02:29Nous avons appris que nous perdions notre plus gros client.
02:33Et puis est arrivé, au début octobre, l'annonce du plan social
02:36avec la suppression de 130 emplois.
02:38On ne savait pas si, au mois de janvier ou au mois de février,
02:40ils allaient pouvoir continuer à remplir le frigo.
02:42Et puis c'est un bassin d'emplois au niveau de l'industrie chimique pas mal sinistré.
02:46On est dans l'Oise.
02:47Quand on regarde la carte des plans sociaux évoqués,
02:51Auchan, c'est Clermont-Ferrand, Wapi, Bar-le-Duc,
02:54Aurillac, Michelin, Chaux-les-Vannes,
02:56ExxonMobil supprime des postes à Port-Géraud, près du Havre,
03:00Vancorex, c'est de la chimie en Isère, c'est juste à côté de Grenoble,
03:035 000 emplois menacés à Pont-de-Clay.
03:05C'est aussi une crise territoriale.
03:06On se demande si ces suppressions d'emplois ne recoupent pas
03:10ou ne recréent pas une inquiétude sur ce qu'a été la France des Gilets jaunes.
03:13Est-ce que les cartes se superposent ?
03:15Oui et non.
03:16Une des spécificités, une des caractéristiques de l'industrie,
03:21c'était notamment le fait qu'elle avait été présente sur tout le territoire national
03:25et qu'elle irriguait des régions entières.
03:28Souvent, l'industrie n'était pas aux portes des grandes villes
03:31et les exemples que vous avez pris en sont emblématiques.
03:35Quand une usine, souvent de taille importante,
03:37ferme dans un bassin d'emploi, bien évidemment,
03:39c'est un véritable électrochoc puisqu'il y a tout un réseau de sous-traitance
03:43qui va être menacé.
03:45La crise des Gilets jaunes, c'était une crise de nature un peu différente
03:49qui concernait d'abord la population qui se déplace en voiture.
03:54C'était une crise de ce que j'ai appelé le peuple de la route.
03:57Néanmoins, un nouvel affaiblissement,
04:00une nouvelle saignée dans le tissu industriel va fragiliser ces territoires.
04:05Et peut recréer un mouvement type Gilets jaunes ?
04:07On sait que c'est notamment l'inquiétude Jérôme Fourquet des politiques,
04:10d'Emmanuel Macron, qui a été très marqué par cet épisode-là.
04:13Est-ce que vous percevez, dans les mouvements d'opinion,
04:15quelque chose qui ressemble à ce qu'a été le climat social pré-Gilets jaunes ?
04:20Il faut être très modeste.
04:22C'était très difficile à déceler, cette crise des Gilets jaunes.
04:25On voit souvent que des ingrédients existent,
04:27mais ce qui manque souvent à un mouvement social,
04:30c'est le déclencheur qui fait que tout va s'embraser.
04:34Si on veut rester sur des comparaisons historiques,
04:37on serait plutôt sur la période 2010-2012,
04:41quand les plans sociaux, dans le secteur industriel,
04:45se sont multipliés.
04:47On se souvient de mouvements, notamment,
04:52on parlait de l'Oise avec les Comptis,
04:54de l'usine continentale de Compiègne.
04:57On avait eu également des choses dans la région toulousaine,
05:01dans la région grenobloise, avec, vous vous en souvenez peut-être,
05:04des séquestrations de cadres dirigeants dans ces entreprises,
05:08ou des salariés qui menaçaient de faire sauter ou exploser leur site
05:13avec des produits chimiques à l'intérieur.
05:16Mais donc, ça avait été des colères qui étaient restées assez localisées,
05:19parcellaires, même si le nombre de plans sociaux s'était multiplié.
05:23La crise des Gilets jaunes avait permis d'agréger un large public.
05:27On n'en est pas là pour l'instant,
05:29mais encore une fois, il faut être très prudent et très modeste.
05:31On n'est pas là pour l'instant. Dans votre dernier livre,
05:33Jérôme Fourquet, Métamorphose française,
05:36vous évoquez notamment le basculement du modèle français.
05:38Vous dites, en réalité, ce qui frappe les Français,
05:41ce qui les fragilise, ce qui nourrit le sentiment de déclassement,
05:43c'est de passer d'une nation de production
05:45à une nation de consommateurs, en fait, de consommation.
05:48Et c'est ce que l'on voit encore avec des sites industriels
05:50qui annoncent des suppressions d'emplois.
05:53Et nous allons parler d'autres producteurs dans quelques instants,
05:55les agriculteurs.
05:57Sauf que si l'on prend l'exemple d'Auchan, on se dit,
05:59finalement, la consommation aussi va mal.
06:02Alors, ce que j'essayais de montrer,
06:04c'est comment le moteur économique s'était déplacé
06:06de la production vers la consommation,
06:09avec comme image emblématique l'entrepôt
06:13ou la grande surface qui a remplacé le site de production.
06:17Toutefois, pour consommer, il faut qu'il y ait des richesses
06:20qui soient créées dans le pays.
06:22Et donc, c'est toute la difficulté.
06:24On voit comment, sans doute, qu'on est allé très très loin
06:27dans cette économie de la consommation,
06:29que dans de très nombreuses agglomérations,
06:33aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de grandes surfaces.
06:36Et les arbres ne grimpent pas au ciel.
06:38À un moment, il faut bien des clients
06:40pour faire le chiffre d'affaires de ces grandes surfaces.
06:42Et un corollaire de cette désindustrialisation,
06:45c'est que la capacité de pouvoir d'achat
06:48de ces habitants de ces territoires,
06:51n'est pas la même quand on est dans une économie de service
06:53et dans une économie de production.
06:56Et donc, aujourd'hui, c'est ça qui s'est dessiné,
07:00notamment avec la crise des Gilets jaunes,
07:02des gens qui n'arrivaient plus à boucler les fins de mois
07:04parce qu'on est dans des secteurs, l'aide à la personne,
07:07la logistique, où on est sur des salaires assez faibles.
07:09Contrairement à l'industrie, il y a peu de gains de productivité,
07:12donc on ne peut pas facilement augmenter les salaires.
07:14Et tout ça crée des groupes sociaux
07:18qui sont en voie de déclassement.
07:20Et ce n'est pas un hasard si c'est Auchan qui, aujourd'hui,
07:23est le plus en difficulté, parce que le groupe Auchan
07:26avait beaucoup misé sur le format de l'hypermarché,
07:29la très grande surface qui n'est plus aujourd'hui adaptée
07:33à la réalité du marché de la consommation en France.
07:37Il est attaqué notamment par le bas,
07:39par les enseignes de discount, d'hyperdiscount,
07:42qui se sont implantées en France.
07:44Et le clair intermarché, notamment, pour ne citer que cela.
07:47Alors ça, ce n'est pas l'hyperdiscount,
07:48c'est ceux qui étaient plus concurrentiels sur les prix.
07:51Et donc on voit comment il y a une réorganisation
07:53au sein du marché de la grande distribution,
07:56avec des grandes enseignes qui n'ont pas pris les tournants
08:00au bon moment, qui sont aujourd'hui en grande difficulté.
08:02Je rappelle ce chiffre, 150 000 emplois menacés,
08:05l'estimation faite par des économistes,
08:07c'est aussi le chiffre avancé par la CGT.
08:09Qu'est-ce que cela produit politiquement, Jérôme Fourquet ?
08:12Est-ce que les Français vont en tenir responsable
08:14Emmanuel Macron, le gouvernement de Michel Barnier
08:17ou l'ensemble de la classe politique ?
08:18Alors sans doute plutôt le gouvernement qui est aux affaires,
08:23mais tout ça tombe au plus mauvais moment pour Emmanuel Macron,
08:27puisqu'il était déjà en difficulté,
08:30et qu'une de ses principales qualités ou compétences
08:35qui étaient reconnues par une partie de l'opinion,
08:37c'était l'économie.
08:38Donc on avait déjà eu une première fragilisation de ce point fort
08:42avec les annonces sur l'ampleur du déficit public.
08:46On disait en fait que le budget de l'État n'avait pas été aussi bien tenu
08:50que ce qui nous avait été vendu.
08:52Et puis on se disait, la majorité de l'époque disait
08:55oui, mais tout ça on l'a fait pour être au service de l'économie,
08:58et regarder les résultats.
08:59Et regarder l'emploi,
09:00et regarder les investissements étrangers en France,
09:02et regarder les industries qui se réinstallent.
09:04Exactement.
09:05Et donc là, c'est la deuxième partie du récit
09:07qui est aujourd'hui mise en contradiction,
09:10qui est fragilisée,
09:11donc ça arrive encore une fois au plus mauvais moment
09:15et sur le plus mauvais secteur de crédibilité pour Emmanuel Macron.
09:19Donc c'est Emmanuel Macron qui risque d'en faire les frais,
09:22si je comprends ce que vous me dites Jérôme Courquet,
09:24et le gouvernement associé.
09:27Alors on voit comment Michel Barnier,
09:29qui a eu de l'expérience politique,
09:32a su à l'Assemblée nationale,
09:34dans un premier temps,
09:36trouver les mots et la parade en disant
09:38on va demander des comptes à ces entreprises
09:40parce qu'elles ont reçu des aides publiques.
09:42Mais une fois que vous avez dit ça,
09:43ça ne tiendra pas longtemps.
09:44Vous savez qu'il a été obligé d'envoyer ses ministres sur le terrain
09:47et ces images, vous les avez montrées des dizaines et des dizaines de fois,
09:51c'est-à-dire un ministre qui est face aux organisations syndicales,
09:54au désarroi des salariés,
09:56et qui n'a en fait pas grand-chose à répondre
10:00à la colère et à la détresse de ses salariés.
10:02Donc hélas, ces images vont se reproduire
10:05dans les semaines et les mois qui viennent.
10:07Et à qui elles vont profiter Jérôme Courquet ?
10:09Eh bien aux oppositions politiques.
10:12Rappelons qu'on a deux tiers des Français
10:14qui ont soit voté pour l'opposition de gauche,
10:16soit pour l'opposition du Rassemblement national,
10:19qui chacune vont avoir la lecture des événements,
10:22mais qui vont converger en fustigeant l'incurie,
10:26l'incompétence, entre guillemets,
10:29si je reprends en anticipation leurs mots,
10:32économique de la majorité présidentielle.
10:35La gauche d'ailleurs est présente au Rassemblement.
10:38On voit des personnalités de gauche aux côtés des salariés, des syndicats.
10:41Pas le Rassemblement national.
10:43Et pourtant, si j'en crois l'enquête que vous avez récemment publiée
10:47sur le vote Rassemblement national,
10:49Marine Le Pen a tout de même des chances, si j'ose dire,
10:52de récolter les fruits de cette colère,
10:54parce que vous développez un concept,
10:56le concept d'empathie de point de vue
10:58qui profiterait aux dirigeants du Rassemblement national.
11:00Est-ce que vous pouvez m'expliquer
11:02ce qu'est l'empathie de point de vue, Jérôme Courquet ?
11:05On a essayé de schématiser,
11:09de synthétiser un mécanisme politique
11:12qui a lieu aujourd'hui en France,
11:14mais aux États-Unis également.
11:16Tout ça peut être utile pour comprendre
11:18la victoire de Donald Trump.
11:20Aujourd'hui, beaucoup d'électeurs,
11:22pour faire leur choix, se fixer sur un candidat
11:24ou un parti politique,
11:26regardent le diagnostic qui est porté
11:28par ces candidats ou ces partis politiques
11:30sur l'état du pays.
11:31Et la première chose que font ces électeurs,
11:33c'est de dire, est-ce que le diagnostic
11:35que ces gens font, correspond à ce que moi,
11:37je vois depuis ma fenêtre ?
11:38Le diagnostic compte autant que les propositions ?
11:40C'est un prérequis, c'est-à-dire
11:42si le diagnostic n'est pas le bon,
11:45c'est-à-dire si ce n'est pas celui que moi, je vois,
11:47les électeurs n'écoutent même plus.
11:48Ce n'est même pas la peine d'aller jusqu'aux propositions
11:50parce qu'elles seront décalées.
11:51Et la deuxième dimension de l'empathie de point de vue,
11:53c'est une fois que le diagnostic est partagé,
11:55ce qui est déjà très important,
11:57est-ce que le paysage qui est dressé
12:00par les partis politiques sur l'état de la société,
12:02est-ce que cette grande photo, la photo de famille,
12:04est-ce que moi et les miens,
12:06dans cette photo de famille, nous sommes présents ou pas ?
12:08Est-ce que les élus me ressemblent ?
12:10Est-ce que les élus me ressemblent
12:11ou est-ce qu'ils se battent pour moi
12:12et est-ce qu'ils savent que nous existons ?
12:15Et donc ça, c'est très important.
12:17C'est ce que Trump a réussi manifestement
12:20à faire advenir aux États-Unis.
12:23Et donc, voyez bien qu'on peut ensuite
12:25critiquer les propositions,
12:27on peut critiquer les outrances
12:28de positionnement de tel ou tel candidat,
12:30mais si déjà vous avez réussi à nouer cette relation
12:33avec une part importante de l'électorat
12:35en disant qu'ils se battent pour nous
12:37et, comme diraient les jeunes,
12:39eux au moins ils nous calculent,
12:40ils savent qu'on existe,
12:41eh bien vous avez déjà quasiment remporté la partie.
12:44Jérôme Fourquet, on vient de parler
12:45des salariés et de l'industrie,
12:46mouvement également de colère chez les agriculteurs,
12:48est-ce que ce sont les mêmes mouvements ?
12:51Est-ce que le sentiment de déclassement
12:52chez les agriculteurs correspond
12:53à ce que vous percevez,
12:55à ce que vous analysez
12:56chez les salariés, chez les ouvriers ?
12:58Alors c'est différent parce qu'on est sur des statuts
13:01qui vont être différents,
13:02un agriculteur il est indépendant,
13:04il est aujourd'hui davantage chef d'entreprise
13:07qu'ouvrier agricole, si l'on peut dire,
13:11et il y a une spécificité très marquée
13:14chez les agriculteurs,
13:15c'est le sentiment d'être sur un groupe social
13:18qui est en voie de disparition.
13:20On avait encore un million d'exploitations agricoles
13:22en 1988, il en reste 380 000 aujourd'hui
13:27et donc c'est la survie même,
13:29pas simplement de son exploitation,
13:31mais de son univers professionnel
13:33qui est en jeu.
13:35Une forme d'insécurité culturelle,
13:37économique, existentielle.
13:39On va être rayé de la carte.
13:42On le montre dans le livre
13:43Le poids de l'agriculture en 1988 et aujourd'hui,
13:46vous voyez que dans des régions entières,
13:48il reste une, deux, trois exploitations
13:50dans un village,
13:51alors qu'il y a encore 30 ou 40 ans,
13:53ils étaient beaucoup plus nombreux.
13:55Donc ça, c'est une spécificité
13:57qu'on peut peut-être retrouver
13:58dans certains secteurs industriels
14:00en disant on est la dernière usine du coin,
14:03on est le dernier site de production
14:06de telle ou telle filière
14:08et on va être rasé de la carte.
14:10Et là encore, vous voyez que le déclin de l'agriculture,
14:13comme celui de l'industrie,
14:14signe bien le passage d'une économie de la production
14:17à une économie de la consommation.
14:19Les agriculteurs, l'industrie,
14:22la fonction publique aussi,
14:24craignent un projet de loi
14:26qui notamment consacrerait
14:28la fin de l'emploi à vie.
14:29Ça produit quoi, la conjonction de ces trois colères ?
14:32Les agriculteurs, l'industrie,
14:34la fonction publique.
14:35Alors, ça crée un climat de tension qui est fort,
14:38mais encore une fois,
14:40dans une société qui est assez archipélisée,
14:42on voit qu'il est très difficile
14:44de faire converger les colères.
14:46Vous savez, une partie de la gauche
14:51se mobilise régulièrement
14:52pour essayer de faire converger,
14:53agréger ces fameuses colères,
14:55et souvent, chaque corps social,
14:57chaque groupe professionnel
14:59part sous ses propres couleurs.
15:01Il est difficile de faire converger ces luttes.
15:04Le mouvement agricole repart
15:06parce qu'en fait,
15:07les braises couvaient sous la cendre,
15:09mais vous vous rappelez que l'année dernière,
15:11ce n'était pas l'ensemble de la profession agricole
15:13qui s'était mobilisé,
15:14c'est-à-dire qu'y compris au sein d'un secteur
15:15comme l'agriculture,
15:16entre les producteurs de lait,
15:19les céréaliers, la viticulture,
15:21les gens qui sont dans l'arboriculture,
15:23eh bien, on est sur des problématiques
15:25qui vont être différentes,
15:26et donc, c'est toujours difficile
15:27de faire agréger ou converger ces colères.
15:30Néanmoins, tout ça va créer un climat,
15:32c'est-à-dire que le citoyen lambda,
15:34quand il va écouter BFM le matin,
15:37il va voir que dans telle région,
15:38c'est les agriculteurs qui protestent,
15:40dans telle autre, la fonction publique,
15:42ici, des ouvriers,
15:43parce que leur usine est en train de fermer,
15:45et tout ça, bien évidemment,
15:46va teinter négativement leur perception,
15:49en disant que le pays est en grave difficulté,
15:53et tout ça va nourrir l'idée
15:55que ce qu'on a vécu cet été
15:57avec les Jeux Olympiques
15:58n'était qu'une parenthèse,
16:00enchanté que l'atterrissage
16:01est décidément très douloureux.
16:03Oui, Emmanuel Macron voulait
16:04que cette année 2024
16:05soit une année de fierté française,
16:06disait-il, avec notamment
16:07les Jeux Olympiques.
16:09Vous craignez que ce ne soit pas le cas,
16:11compte tenu de la musique de cette année.
16:13On voit comment l'année
16:15est en train de se terminer,
16:17et donc Emmanuel Macron
16:19comptait sur les Jeux Olympiques,
16:20sur la réouverture de Notre-Dame de Paris,
16:22sur les commémorations
16:23du débarquement de Normandie,
16:25c'était ses voeux du 31 décembre dernier,
16:28en disant que ça va être l'année,
16:30le millésime français,
16:31et on voit qu'on a eu la dissolution,
16:33toute une série de tensions,
16:35on n'a pas parlé notamment
16:36de la question du trafic de drogue,
16:39qui endeuille de très nombreux quartiers
16:42quasiment quotidiennement en France,
16:44et donc la fin d'année,
16:46en termes d'opinion,
16:48en termes d'ambiance,
16:50est quand même beaucoup plus sombre
16:52que ce qui s'est passé cet été,
16:54et bien évidemment,
16:55dans un système comme la Ve République,
16:57les regards se tournent vers le président.
16:59Et il y aura par ailleurs
17:01ce rendez-vous de jeudi soir,
17:02ce match à très haute tension,
17:04ce match à risque,
17:05le préfet de police
17:07le reconnaissait hier sur BFMTV,
17:09je parle évidemment de France-Israël,
17:11jeudi soir au Stade de France,
17:124000 policiers mobilisés,
17:13y compris, et c'est rarissime,
17:15dans l'enceinte du stade.
17:17Jérôme Fourquet, pourquoi ce match
17:18ne peut pas se tenir dans des conditions normales ?
17:21J'ai le souvenir qu'on dit généralement
17:23que le sport, le football en particulier,
17:25rassemble, là ce n'est pas le cas.
17:27Alors le football rassemble
17:29quand les Bleus affrontent
17:32dans une compétition
17:34une autre équipe nationale,
17:36on fait encore bloc,
17:38notamment si les Bleus parviennent à gagner.
17:41Là on a un contexte très particulier,
17:43avec la présence de l'équipe israélienne,
17:47nous sommes un an après le 7 octobre,
17:50qui a réactivé
17:53les tensions communautaires en France,
17:56qui a fait exploser l'antisémitisme,
17:59comme à chaque crise géopolitique au Proche-Orient,
18:03on a, depuis le début des années 2000,
18:06le choc en retour,
18:08ici dans nos sociétés européennes,
18:10les autorités sont très inquiètes
18:11parce qu'elles ont vu ce qui s'était passé
18:13à Amsterdam,
18:15et donc elles craignent
18:17qu'au stade de France,
18:19on ait potentiellement ce type de manifestation
18:22ou de comportement.
18:23Mais vous dites, Jérôme Fourquet,
18:24qu'il y a eu un moment de bascule
18:25au mi-temps des années 2000,
18:27c'est-à-dire que depuis,
18:28le conflit israélo-palestinien,
18:30de fait, est importé en France,
18:31alors qu'on entend des politiques dire
18:32qu'il ne faut pas l'importer.
18:34Il ne faut pas l'importer,
18:35mais il est de facto importé,
18:38et certains, bien que disant cela,
18:41jouent sur cette corde sensible.
18:43La bascule, effectivement,
18:44s'opère au début des années 2000,
18:46au moment de ce qu'on a appelé
18:47la deuxième intifada,
18:49avec, dans les sociétés occidentales
18:53et notamment en France,
18:54un mouvement de sympathie
18:56vis-à-vis de la cause palestinienne
18:58qui va être partagé
18:59dans toute une partie de la population
19:01issue de l'immigration,
19:02et qui va se muer
19:04en une forme d'antisémitisme,
19:06ici en France,
19:07avec l'attaque ou la dégradation
19:10de commerce juif,
19:11la menace d'élèves
19:13qui vont dans des écoles communautaires.
19:15Tout cela est très documenté
19:16depuis le début des années 2000,
19:17donc le vieil antisémitisme,
19:20historiquement venant de la souche catholique,
19:24puis repris par l'extrême droite française,
19:26aujourd'hui s'exprime encore,
19:28mais il n'a plus le monopole,
19:31loin s'en faut,
19:32et en termes de volume,
19:33c'est plutôt ce nouvel antisémitisme
19:35lié à la question du conflit israélo-palestinien,
19:38qui aujourd'hui fait parler de lui
19:41et fait des dégâts graves dans notre société,
19:43et c'est d'autant plus vrai
19:45depuis le 7 octobre.
19:46S'il fallait se quitter sur une note positive,
19:48Jérôme Fourquet, en 30 secondes,
19:49est-ce que les Français
19:50ont encore une bonne raison d'être optimistes ?
19:52Quand on les interroge,
19:54on le voit,
19:55pour leur situation personnelle,
19:57ils sont encore relativement optimistes,
19:59et donc face à ce paysage assez sombre,
20:03ils s'investissent beaucoup
20:05dans leurs sphères privées,
20:07amicales ou associatives.
20:09On voit que le tissu associatif
20:11est assez vivace en France,
20:13et quand vous vous déplacez en France,
20:14vous voyez qu'à la base, au quotidien,
20:16on n'a pas non plus un pays
20:19qui est complètement en dépression
20:21ou en pré-guerre civile.
20:23Les Français continuent de vivre leur vie,
20:25et dans leur vie personnelle,
20:27ils sont assez heureux.
20:28Les Français sont pessimistes collectivement
20:29et optimistes à titre personnel.
20:31Merci Jérôme Fourquet d'avoir répondu à mes questions.
20:34Je rappelle que vous êtes le directeur du département
20:36Opinion et Stratégie Aliphop,
20:38fin observateur et analyste
20:40de la société française,
20:42et auteur notamment de Métamorphose française,
20:45parue aux éditions du Seuil.
20:47C'est le dernier opus signé de Jérôme Fourquet.
20:50Merci à vous d'être venus ce matin dans ce studio.
20:54Bonne journée à vous, bonne journée à tous.