Un carnet de photos a tissé le lien d'un artiste français avec la Chine lointaine. Un recueil de poèmes a fait rencontrer un sculpteur français avec un poète chinois d'il y a mille ans du nom de Lu You. Jean Anguera, académicien en sculpture de l'Académie des Beaux-Arts de l'Institut de France nous a raconté sa rencontre poétique avec la culture chinoise, son affinité avec les artistes chinois et sa vision sur les sculptures française et chinoise, ainsi que sur la signification des échanges culturels. Écoutons son histoire !
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00:00J'ai eu une attirance pour la pensée chinoise, en fait c'était une attirance inconsciente
00:20et en réfléchissant à cette question, j'ai retrouvé un livre que je regardais beaucoup
00:27quand j'étais enfant qui s'appelait « La Chine dans un miroir » qui était écrit
00:32par un poète qui s'appelait Claude Roy et il y avait des très belles images, alors
00:37c'est un livre qui date des années 1960 à peu près et donc j'étais très jeune.
00:44Avoir des photos de la Chine c'était comme faire un voyage absolument incroyable et découvrir
00:51un paysage, une ambiance, découvrir une population, mais c'était évidemment que
01:01de la photo, c'est-à-dire c'était loin.
01:03Lors, pour un anniversaire, elle m'a acheté un livre justement du poète Lu Yu et j'ai
01:13été très très touché par ses poèmes pour la manière de mettre au présent ce
01:24qu'il avait vécu, la Chine, il y a une dizaine de siècles, il y a mille ans, peut-être
01:31pas mille ans mais huit cents ans, donc c'est quand même très longtemps et en même temps
01:35on a l'impression que c'est aujourd'hui, comment pouvait-il parler de la vie et lui
01:42donner une actualité aussi simple, aussi naturelle, aussi une espèce d'évidence
01:50qui était, j'ai commencé de ce fait, j'ai commencé à faire des dessins sur ses poèmes
01:59mais sans but précis, uniquement parce que j'avais besoin de rencontrer à travers le
02:08dessin, de participer à l'œuvre de Lu Yu, à sa présence.
02:14Je pense que la sculpture, le dessin, l'expression artistique sert à révéler une présence,
02:23une présence pas forcément sa présence personnelle, pas son moi, une présence, la présence des
02:29choses, la présence de la réalité et le poète c'est à travers ses textes, le sculpteur
02:35c'est à travers sa sculpture, le peintre à travers ses dessins ou ses peintures et
02:41donc j'ai essayé de rencontrer, je pense, de trouver une présence qui s'assimile à
02:49celle de Lu Yu et la sculpture a toujours ce côté intemporel, elle est chargée, elle
03:00est dans un matériau dur et donc elle survit à celui qui la regarde momentanément, qui
03:09la réalise.
03:10Donc elle doit franchir le temps, à notre époque c'est très difficile parce que notre
03:18époque vous avez remarqué qu'elle est très changeante, elle est tout le temps poussée
03:22en avant par la technique mais il y a des choses, malgré les changements de notre époque,
03:28il y a des choses qui se maintiennent, qui perdurent et la sculpture elle doit arriver
03:36à trouver dans le fouillis de notre époque, elle doit arriver à trouver ce qui va se
03:42maintenir, ce qui va exister demain encore, ce qui a existé dans le passé mais ce qui
03:48existera aussi demain donc c'est un effort très particulier.
03:52Ça je pense que c'est commun dans les deux cultures, la culture asiatique et la culture
04:01occidentale.
04:02Après il y a aussi une chose qui est commune, c'est la sculpture de divertissement.
04:13En France c'est la sculpture du XIXe siècle, du XVIIIe siècle a été une sculpture de
04:20divertissement, c'est pour plaire, c'est pour décorer son palais.
04:23Alors en Chine on voit ces sculptures avec des danseuses, on voit des statues qui servent
04:35certainement je pense pour décorer, elles ont une fonction comme ça décorative mais
04:41pas tellement.
04:42En Europe c'est devenu très très important la sculpture de divertissement et après c'est
04:47devenu une sculpture de décoration presque pour le plaisir de l'œil.
04:56Alors comment les deux cultures peuvent échanger ? D'abord par des expositions, c'est quand
05:04même parce que l'exposition c'est le moyen d'amener chez l'un une partie de ce que possède
05:11une culture dans une autre culture, c'est un moyen de rencontre.
05:17Après le musée de toute façon dans un pays c'est aussi le lieu où les touristes vont
05:25s'informer de la pensée qui existe dans ce pays, donc vous allez au Louvre, vous voyez
05:32la sculpture française, moi je vais aller au musée des beaux-arts de Pékin et je vais
05:36voir la sculpture chinoise ou la peinture chinoise, c'est là que je sais que je trouverai
05:45ça.
05:46Donc c'est le moyen de l'échange, l'exposition me paraît le moyen de l'échange le plus
05:56pour la sculpture, le plus important, pour une raison précise, c'est que la sculpture
06:03c'est quelque chose qui est dans l'espace, qui est tangible et qui est on pourrait dire
06:10sacré parce qu'elle est avec nous, c'est nous mais en même temps c'est immobile,
06:17c'est dans le même espace, c'est là, c'est présent, c'est cette réalité de l'espace,
06:27si on veut vraiment la ressentir, il faut se mettre avec elle, dans le même espace,
06:34il n'y a pas d'autre solution.
06:35Et le sculpteur moi évidemment que j'ai rencontré en Chine, qui m'a beaucoup impressionné
06:42c'est Wu Weishan, d'abord parce que c'est un très très bon sculpteur et nous avons
06:52des choses qui nous ressemblent, je pense que dans sa sculpture il y a quelque chose
06:56du paysage aussi, il mélange le paysage, il rapproche l'homme du paysage, il mêle
07:02les deux et ensuite il a une richesse d'expression, une capacité d'expression qui est extrêmement
07:12grande donc il me fait penser de temps en temps à Rodin ou à Bourdel, voyez-vous comme
07:19sculpteur, c'est un peu dans cette capacité comme ça à exprimer les sentiments avec
07:27force.
07:28Wu Weishan, moi j'avais été très très impressionné par la série de sculptures
07:33qu'il avait fait pour Nankin en hommage au massacre, en mémoire plutôt, du massacre
07:45de Nankin, c'est une série de sculptures qui représente un petit peu les quelques
07:51scènes, quelques éléments dramatiques de ce moment, il a trouvé dans la façon dont
08:00il a exprimé ces moments dramatiques, il a su exprimer quelque chose qui dépasse comme
08:07ça l'instant, on regarde ces sculptures, on pourrait dire qu'elles sont belles d'une
08:12certaine manière et pourtant elles montrent des scènes terribles donc c'est quand même
08:17ça je trouve ça formidable.
08:18Je pense que les artistes ils sont diplomates par nature puisqu'en fait il n'y a pas véritablement
08:27une frontière, c'est très important qu'ils parlent, qu'ils s'expriment depuis un endroit,
08:36ça je crois que c'est extrêmement important mais le temps n'a pas vraiment d'importance
08:42et le lieu n'a pas vraiment d'importance mais il faut qu'ils commencent à parler d'un
08:46endroit quand même, il y a une époque précise, Laure et moi nous travaillons la sculpture
08:51aujourd'hui ici mais cette sculpture il faudra qu'elle vive longtemps et qu'elle ne soit
09:01pas que d'ici, il faudra qu'elle soit de partout donc elle est en quelque sorte non seulement
09:07diplomatique mais elle va faire de la diplomatie par-delà le temps, c'est une diplomatie en
09:16dehors du temps, ça va être important.
09:19Là je suis en train de faire des dessins sur les poèmes de Louyou, j'avais fait des
09:23dessins il y a très longtemps mais là je les refais, je refais d'autres dessins avec
09:28peut-être plus de conscience artistique, j'espère, j'aimerais bien que ces dessins
09:34soient vus en Chine parce que je pense que c'est un message un peu pour la population
09:40chinoise, c'est un espèce de, comment dirais-je, moi j'ai reçu les poèmes de Louyou, en remerciement
09:49je peux faire quelques dessins je pense, c'est important.