🇳🇪 "S'il n'y avait pas eu un terreau favorable, le reste de l'armée aurait refusé le putsch et la population s'y serait opposée."
Comment comprendre le coup d'État au Niger ? Brut a posé la question au journaliste nigérien et président du Centre international de réflexion et d'études sur le Sahel, Seidik Abba.
Comment comprendre le coup d'État au Niger ? Brut a posé la question au journaliste nigérien et président du Centre international de réflexion et d'études sur le Sahel, Seidik Abba.
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00:00Le Niger est quand même le troisième producteur mondial d'uranium.
00:04C'est devenu un pays pétrolier depuis 2011.
00:07Malgré tout ça, le taux de pauvreté est très élevé.
00:10La richesse est confisquée par une élite.
00:13Donc tout ça a créé les conditions favorables d'un coup d'État.
00:16Et c'est pour cette raison, à mon avis,
00:18au-delà de la raison du coup d'État,
00:20qu'il faut regarder l'adhésion que ça a suscité.
00:23Les personnes qui sont rentrées dans la rue pour soutenir les pouves,
00:26toutes ces personnes-là peuvent être sincères.
00:28Parce qu'elles ont vu que la démocratie a été confisquée.
00:31Et c'est pour cette raison que quelque chose de tout à fait personnel au départ
00:35a pu prospérer parce qu'il y avait un terreau favorable.
00:39Autrement, s'il n'y avait pas le terreau favorable,
00:41le reste de l'armée aurait refusé,
00:43le reste de la population se serait opposée.
00:45Après le Mali, le Burkina Faso, la Guinée,
00:48est-ce que c'est si surprenant de voir aujourd'hui le Niger touché par un coup d'État ?
00:53Non, dans le cas du Niger, on n'a pas pu venir le coup d'État
00:56pour deux raisons principales.
00:58La première raison, c'est que le Niger n'est pas dans une situation
01:02de crise politique à proprement parler.
01:05Il y a un dialogue entre l'opposition et le pouvoir qui fonctionne.
01:10Le cadre permanent du dialogue, qui est le Conseil national du dialogue politique CNDP,
01:16a repris ses activités et les relations étaient beaucoup plus fluides
01:20que sous son prédécesseur.
01:22Deuxième élément, il n'y avait pas une situation sécuritaire
01:26aussi dégradée qu'au Burkina Faso et au Mali.
01:30Si vous évacuez donc la crise politique et le défi sécuritaire,
01:35vous verrez qu'il n'y a pas de raison de voir venir un coup d'État.
01:40La surprise vient aussi du fait que,
01:42lorsqu'on regarde l'histoire politique du Niger,
01:45il y a eu trois coups d'État récemment,
01:47en 1996, en 1999 et en 2010.
01:51À chaque fois qu'il y a eu ces coups d'État,
01:54c'était le fait de blocages politiques.
01:56Les coups d'État ont été perpétrés pour dénuer des situations de crise politique.
02:01Les militaires se sont sentis dans la responsabilité d'intervenir sur la scène politique,
02:07pour remettre le compteur à zéro, pour faire en sorte que la démocratie reparte.
02:12On n'est pas dans ce cas de figure et c'est pour cette raison
02:14qu'on a été presque tous surpris par le coup d'État qui a eu lieu mercredi dernier.
02:19Est-ce qu'on peut quand même tenter de l'expliquer ?
02:22Nous sommes dans une configuration où le président Bazoum,
02:27qui est arrivé au pouvoir il y a plus de deux ans maintenant,
02:30a décidé de reprendre l'appareil sécuritaire à main.
02:33Donc, il était annoncé un mouvement à la tête de la garde présidentielle
02:37et le patron de la garde présidentielle, le général Abdraman Djani,
02:41qui est aujourd'hui l'homme fort de Niamey et le chef de la junte,
02:47a pris le devant pour faire le coup d'État qu'il a fait,
02:50qui est un coup d'État pour des raisons personnelles au départ.
02:52Il faut regarder ce qu'il y a de contexte.
02:56Ce que les militaires ont avancé comme argument pour justifier le coup d'État
03:00n'est pas totalement faux en ce qui concerne la crise de la gouvernance sociale et économique.
03:06On sait que la corruption n'a jamais été aussi élevée au Niger.
03:10On a à mémoire le fameux dossier du ministère nigérien de la Défense
03:15où on pense qu'au moins 78 milliards ont été détournés dans des commandes fictives,
03:21dans la surfacturation du matériel militaire.
03:23Et le protagoniste de ce qu'on appelle le MDN gate n'a jamais été arrêté ni jugé.
03:31Il y a aussi le fait qu'il y a une mauvaise redistribution de la richesse nationale.
03:36Le Niger est quand même le troisième producteur mondial d'uranium.
03:40C'est devenu un pays pétrolier depuis 2011.
03:43Malgré tout ça, le taux de pauvreté est très élevé.
03:46La richesse est confisquée par une élite.
03:49Donc tout ça a créé les conditions favorables d'un coup d'État.
03:52Et c'est pour cette raison à mon avis, au-delà de la raison du coup d'État,
03:56qu'il faut regarder l'adhésion que ça a suscité.
03:59Les personnes qui sont rentrées dans la rue pour soutenir les pousses,
04:02toutes ces personnes-là peuvent être sincères
04:04parce qu'elles ont vu que la démocratie a été confisquée.
04:07Et c'est pour cette raison que quelque chose de tout à fait personnel au départ a pu prospérer
04:12parce qu'il y avait un terreau favorable.
04:15Autrement, s'il n'y avait pas le terreau favorable,
04:17le reste de l'armée aurait refusé, le reste de la population se serait opposée.
04:21Quel est le rôle de l'ancien président Youssoufou dans cette crise ?
04:25Oui, le rôle du président Youssoufou n'a pas été très clair.
04:28Et le rôle du président Youssoufou est très important à analyser
04:32parce que le président Youssoufou a aidé le président Bazoum à arriver au pouvoir.
04:37C'est lui qui l'a choisi comme dauphin, c'est lui qui a accompagné sa succession.
04:41Et le président Youssoufou a demandé aussi au président Bazoum
04:46de garder l'actuel patron de la garde présidentielle qui a été l'auteur du coup d'État.
04:51En quelque sorte, c'est comme s'il s'était porté caution
04:55pour que le président Bazoum garde le général Tchani.
04:58Donc après le coup d'État, il a tenté la médiation
05:01et il a déclaré publiquement qu'il n'a pas pu convaincre Tchani de renoncer.
05:05Donc du coup, ça a créé une forme d'ambiguïté
05:08puisque le parti même qui est au pouvoir,
05:11qui est le parti cofondé par le président Youssoufou et le président Bazoum,
05:15ce parti a mis quand même presque un jour et demi pour faire un communiqué de condamnation.
05:20Donc tout cela sont des éléments d'ambiguïté
05:23qui font qu'on n'a pas une lecture claire et visible du rôle que le président Youssoufou a pu jouer.
05:29Mais on retiendra aussi que les chancelleries,
05:33que les partenaires extérieurs ont misé sur l'aura du président Youssoufou
05:39et sur sa proximité avec les deux principaux acteurs,
05:42le général Tchani et le président Bazoum,
05:44pour essayer de voir dans quelle mesure on pourrait trouver un compromis politique.
05:48Mais les médiations n'ayant pas marché,
05:50on se retrouve aujourd'hui dans cette situation
05:52où l'avenir nous aidera à mieux comprendre le rôle que le président Youssoufou a joué dans la crise.
05:59Beaucoup parlent du coup d'État de trop en Afrique de l'Ouest.
06:02C'est aussi votre lecture des choses ?
06:04Je pense aussi que c'est le coup d'État de trop
06:07parce qu'il faut comprendre qu'il y a eu deux coups d'État au Mali.
06:14Il y a eu deux coups d'État au Burkina Faso aussi.
06:16Donc ça nous fait déjà quatre coups d'État.
06:18Maintenant, il y a le coup d'État en Guinée
06:21et le sixième coup d'État en Afrique de l'Ouest,
06:24en cet espace entre août 2020 et aujourd'hui.
06:29On est à six coups d'État.
06:31Il y a une sorte de contagion dont personne ne peut prévoir
06:35là où elle va s'arrêter et à mon avis,
06:37c'est aussi ce qui explique la fermeté et la prontitude de la réaction de la CEDEAO
06:44parce qu'il y a une inquiétude qu'après le liger aussi qu'il y ait un prochain.
06:49On peut aussi dire que c'est un coup d'État de trop
06:52compte tenu de la dégradation du contexte sécuritaire.
06:55Ce qu'on avait redouté est en train d'arriver,
06:57c'est-à-dire que l'instabilité politique en Afrique de l'Ouest
07:01vient s'ajouter à une insécurité chronique, endémique, multiforme.
07:05À mon avis, c'est la sécurité de l'ensemble du continent
07:09et sa stabilité qui se joue dans cette partie de l'Afrique de l'Ouest.
07:12Est-ce que la CEDEAO peut survivre à ça en fait,
07:15à des tensions internes aussi extrêmes ?
07:18Non, la CEDEAO laissera des plumes dans la gestion de la crise au Mali,
07:25au Burkina Faso, en Guinée et au Niger.
07:28Elle n'a pas su, par exemple, avoir la main dans le dossier du Mali,
07:32du Burkina et de la Guinée.
07:34Elle n'a pas réussi à imposer à ces différents gentes militaires
07:38un agenda de transition très clair,
07:40ni même, on va le voir dans les prochains mois,
07:43l'impossibilité que ceux qui dirigent la transition puissent se présenter.
07:48On ne sait pas encore, mais tout porte à croire,
07:50après le référendum du 18 juin au Mali,
07:5318 juin 2023 au Mali,
07:55que la jeune a la possibilité de présenter à Simi Goïta.
08:00En tout cas, dans la Constitution, ne leur interdit,
08:02alors que la CEDEAO veut imposer
08:05que ceux qui dirigent les transitions ne puissent pas se présenter.
08:08Elle n'a pas réussi à imposer le calendrier,
08:11je ne suis pas sûr qu'elle réussisse.
08:12Aujourd'hui, vous entendez les critiques qui sont faites contre la CEDEAO
08:17en ce qui concerne sa collusion avec des puissances extérieures
08:21pour dicter les agendas.
08:22Il y a, je pense, deux choses que la CEDEAO a ratées,
08:26deux choses importantes.
08:27La première chose, c'est la prévention des coups d'État.
08:32Elle n'a pas réussi.
08:33Dans le cas de la Guinée, on a vu venir le coup d'État.
08:36Donc, du point de vue de la crédibilité de la CEDEAO,
08:39il y a quelque chose qui se joue.
08:41Ensuite, du point de vue de sa crédibilité auprès des opinions publiques aussi,
08:46il y a quelque chose qui se joue.
08:47On a aujourd'hui le sentiment que la CEDEAO est unanimement rejetée
08:52par une grande partie des opinions publiques dans les pays membres de cet espace
08:57parce que les sanctions qu'elle a imposées au Mali,
09:01d'abord n'ont pas fait plier le Mali.
09:04Ensuite, elles se sont révélées pour une partie de l'opinion totalement inutile
09:08parce qu'il y avait une situation de crise, de tension,
09:12le pouvoir ne faisait qu'à sa tête
09:14et la CEDEAO n'a absolument rien dit.
09:17Dans le cas de Burkina Faso, la crise était...
09:20on la voyait venir, le président Roque semblait un peu dépassé par la crise.
09:26La CEDEAO ne lui a pas apporté l'assistance qu'il faut,
09:28l'accompagnement qu'il faut.
09:30Ça, c'est une chose.
09:31La deuxième chose aussi, c'est sa faible implication dans le défi sécuritaire.
09:36Puisque nous sommes dans un espace communautaire avec un destin commun,
09:40lorsqu'il y a une situation sécuritaire,
09:43on aurait espéré que la CEDEAO n'abandonne pas le Burkina,
09:46n'abandonne pas le Niger, n'abandonne pas le Mali
09:49à eux seuls face au défi sécuritaire.
09:52Elle a tardé à réagir et lorsqu'elle a réagi même
09:56en disant qu'elle va mobiliser des fonds pour aider les pays à lutter contre la sécurité,
10:00cela ne s'est pas traduit de façon très concrète.
10:03Donc, elle a été totalement absente dans le leadership
10:06de la réponse à la crise sécuritaire au Sahel.
10:09Lorsque vous mettez tout cela ensemble,
10:11c'est clair que la CEDEAO aujourd'hui est face à une crise existentielle.
10:16C'est son existence qui pose problème.
10:19Aujourd'hui, les quatre pays qui sont en froid avec la CEDEAO,
10:25le Burkina Faso, le Mali, le Niger et la Guinée,
10:28commencent à se rapprocher.
10:30Il n'est pas exclu qu'on veuille aller vers un autre espace,
10:33un espace autre que celui de la CEDEAO.
10:35Et à mon avis, ça serait le pire danger pour l'Afrique de l'Ouest.
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