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Lundi 25 novembre 2024, SANTÉ FUTURE reçoit Lucien Bennatan (président fondateur, Act Pharmacie) , Pierre Boutouyrie (chef de service, Hôpital Georges Pompidou) et Isabelle Moine-Dupuis (maître de conférences, spécialiste du droit pharmaceutique)

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Transcription
00:00Au carrefour de la science, de la technologie et des soins de santé, le médicament occupe
00:09une place particulière, un domaine où avancées scientifiques et innovations technologiques
00:15se conjuguent pour répondre aux besoins de santé de la population.
00:18Mais derrière chaque médicament se cache un processus complexe allant de la recherche
00:23en laboratoire à la mise sur le marché, en passant par des réglementations strictes
00:27et des enjeux économiques, alors le médicament est-il un bien comme un autre ? C'est le
00:32thème de notre débat.
00:34Isabelle, j'aimerais commencer avec vous rapidement, quelles sont les étapes réglementaires
00:39clés pour la mise sur le marché d'un nouveau médicament ?
00:42Alors la principale étape, la première étape clé, c'est l'autorisation de mise sur le
00:50marché, ou également une autorisation d'accès précoce, certains produits n'ont pas subi
00:58la totalité effectivement des tests, mais les patients en ont besoin rapidement, c'est
01:02un processus qui a commencé avec les médicaments contre le HIV, et à ce moment-là, avec beaucoup
01:08évidemment de précaution, on met ces médicaments à la disposition des patients, mais pas complètement
01:15sur le marché bien entendu.
01:18Donc l'AMM est effectivement un processus extrêmement important, un dossier AMM est très long à
01:25remplir, avec notamment, vous l'avez rappelé tout à l'heure, la balance bénéfice-risques,
01:33il faut évidemment que les bénéfices l'emportent largement sur les risques, ce qui fait qu'un
01:39médicament qui est mis sur le marché, un médicament évidemment pas sur à 100%, mais
01:45pour lequel la balance penche très largement.
01:48Oui, il y a effectivement trois phases préliminaires, une phase 1 où on administre, il y a des
01:54phases de recherche de toxicité, déjà, sur des modèles animaux, sur des modèles cellulaires,
02:00ensuite une phase 1 où on administre des doses à des patients, des volontaires sains pour voir
02:05la tolérance, ou des malades selon les médicaments, puis une phase 2 où on recherche
02:09l'efficacité du médicament et de la tolérance, une phase 3 où on démontre l'efficacité.
02:15Et donc, une fois que ces trois phases sont remplies, plus toute la pharmacologie préclinique,
02:19c'est-à-dire sur les modèles animaux, là on peut se lancer dans l'autorisation de mis sur
02:24le marché avec une relative certitude sur la balance bénéfice-risques.
02:29Par contre, les effets indésirables des médicaments sont beaucoup plus difficiles à
02:34investiguer, surtout s'ils sont rares, parce que les populations exposées aux médicaments avant
02:40la mise sur le marché sont relativement peu nombreuses et relativement homogènes,
02:45alors que le médicament va être prescrit dans des populations beaucoup plus larges et plus
02:50inhomogènes. Et donc, c'est pour ça qu'il y a besoin d'une surveillance post-AMM, où on recherche
02:55les effets indésirables des médicaments avec les centres de pharmacovigilance industrielle
03:02et hospitalier, et c'est dans ces conditions-là qu'on assure globalement la sécurité
03:09réglementaire du médicament. Et comment pourrait-on optimiser ces étapes réglementaires pour
03:15accélérer l'accès au marché sans compromettre la sécurité ? Est-ce qu'on y pense ? On y pense au
03:20niveau européen, puisqu'une directive récente, la directive HTA, prévoit une évaluation clinique
03:29qui va être petit à petit, jusqu'en 2030, complètement harmonisée. On n'harmonisera
03:37pas, en revanche, le prix du médicament, c'est-à-dire l'évaluation médico-économique,
03:46c'est uniquement sur les aspects cliniques, donc notamment pour les médicaments les plus récents,
03:52d'ailleurs qui font déjà l'objet d'une AMM centralisée en Europe, on pense que ça va
03:58effectivement accélérer les choses. Alors sinon, il faut quand même rappeler un petit peu le passé,
04:04à ce que vous avez dit, toutes les phases d'essai, c'est quand même relativement récent dans
04:10l'histoire de l'humanité et de la médecine. Dans les années 50, il y a eu un certain nombre de
04:14scandales, le scandale du stalinon, de la thalidomide, précisément on n'avait pas fait tout
04:20cela. Ce dont il faut se rappeler, effectivement, très important, c'est qu'en fait chaque étape
04:27réglementaire correspond à un accident, c'est-à-dire c'est exactement comme les régulations dans
04:33l'aéronautique. Il y a des rapports sur les accidents médicamenteux et on s'est rendu compte,
04:42par exemple pour la thalidomide, qu'il y avait eu des essais de toxicité seulement sur une espèce
04:47animale, ce qui était le rat en l'occurrence, où il n'y avait pas de toxicité démontrée, alors que
04:54quand ça a été testé chez le carnivore, chez le chien, il y avait la toxicité démontrée. Et donc
04:59il y a eu une nouvelle étape réglementaire avec le test de toxicité sur deux espèces animales, un
05:04rongeur, un carnivore, qui répond en fait au scandale du thalidomide. Et en fait chaque étape
05:13réglementaire correspond grosso modo à un accident, à une erreur. L'exemple type, c'est
05:20l'accident de Nantes avec je ne sais plus quel médicament Neurotrop, où effectivement c'était
05:28le comité d'éthique local qui avait donné son avis, qui avait l'habitude de regarder ce type
05:34d'essais, qui a regardé avec suffisamment d'attention les essais cliniques en question,
05:40et en a découlé l'obligation d'avoir recours à un comité d'éthique national tiré au sort pour
05:47éviter justement ces effets d'habituation à certains types de protocoles. Donc c'est pour
05:54ça qu'il y a des étapes qui sont à mon avis relativement incompressibles dans le temps du
05:58développement du médicament, parce que toutes les étapes en fait sont justifiées. Donc on est
06:02déjà dans une version optimale du modèle. Et il ne faut pas oublier que l'industriel, le compte à
06:07rebours commence dès la pose de brevets sur la molécule, et que lui il a un intérêt majeur à
06:13aller très vite, et que l'intérêt des réglementaires est plutôt de le freiner un petit
06:19peu. On va évoquer la question des brevets. Oui non, moi je dirais que moi je parlerais
06:26post commercialisation, je pense qu'on pourrait aller plus vite et de manière plus précise sur
06:33la vraie vie du médicament, la vie du médicament dans la vraie vie, chose qu'on ne fait pas
06:38aujourd'hui. On a 20 000 pharmacies, Hervé l'a rappelé tout à l'heure, on a 20 000 points de
06:43vente qui sont des véritables post avancées en matière de pharmacovigilance. Aujourd'hui le
06:53pharmacien n'est pas encouragé à être dans la vigilance et la remontée d'informations. Et ça
07:01c'est un vrai problème, on l'a réclamé, mais on préfère nous cantonner dans la distribution plutôt
07:07que dans notre rôle, un rôle important qu'on pourrait jouer en tant que professionnels de
07:12santé. Mais tu as tout à fait raison, il y a une mutation en cours qui est l'accès aux données de
07:18santé, le système national des données de santé, le SMDS, où effectivement on peut avoir accès à
07:26toute l'historique des médicaments pour un patient donné. Alors de façon anonyme, c'est très
07:33réglementé d'accès, mais ça commence à donner des résultats. Et c'est comme ça qu'on a pu mettre
07:38en évidence avec un degré de certitude très élevé les relations entre les médicaments hormonaux et
07:46la survenue de méningiomes multiples chez la femme, qu'est l'acétate de ciprothérone pour le nommer,
07:55grâce à l'accès aux données de santé où on a pu voir qu'il y avait un effet de dose cumulée,
08:00c'est-à-dire qu'à partir d'un certain moment, les femmes étaient beaucoup plus à risque de développer
08:05cette humeur bénigne, mais néanmoins très embêtante à l'intérieur du cerveau, qui était
08:11proportionnelle à l'exposition aux médicaments, chose qu'il y avait des cas cliniques qui avaient
08:15été rapportés, et un niveau de preuve qui était bas. Et grâce à l'accès aux données de santé,
08:19en fait, on a la possibilité d'avoir la vraie vie des médicaments sur des expositions longues et
08:27des effets indésirables rares, parce que là c'est toute la population qui est étudiée, et là aussi
08:31il faut des moyens. Je pourrais effectivement ajouter, je crois qu'on n'en a pas parlé, qu'il existe des
08:37agences du médicament, donc il y a l'agence, il y a la NSM en France, puis l'agence européenne du
08:41médicament, qui peut suspendre l'AMM d'un médicament. Si un médicament, son cycle de vie
08:49devient plus dangereux, entre guillemets, qu'on l'avait imaginé, et ce sont des choses, il y a une
08:54surveillance effectivement constante. Oui, qui est nécessaire parce que les populations évoluent,
08:58c'est-à-dire que, quand moi je m'occupe d'hypertension, par exemple, les patients qui
09:04étaient hypertendus il y a vingt ans ou trente ans n'étaient absolument pas les mêmes que maintenant,
09:08ils avaient des hypertensions avec des chiffres plus élevés, ils avaient des comorbidités plus
09:13fréquentes, ils avaient tout un tas de choses qui étaient différentes, et on ne peut pas partir du
09:17principe que les médicaments dont l'efficacité a été démontrée il y a vingt ou trente ans ont
09:21toujours le même bénéfice-risque. Il y a une question qui se pose pour l'aspirine en prévention
09:25primaire, par exemple, où les gens étant à moindre risque global de faire des complications
09:30cérébrales et cardiaques, parce que meilleure prise en charge, effectivement le bénéfice de
09:36l'aspirine est moins évident maintenant qu'il ne l'était il y a vingt ans, et donc il y a une
09:42nécessité d'évaluation presque en continu de la balance bénéfice-risque, en tout cas pour
09:48des maladies très fréquentes, des traitements préventifs, on a vraiment besoin de réévaluer
09:56périodiquement la balance bénéfice-risque. Sur l'impact des biotechnologies et de la
10:02pharmacogénomie, les avancées scientifiques et technologiques révolutionnent le domaine
10:07du médicament, comment ces disciplines transforment la recherche pharmaceutique ?
10:13Alors je vais peut-être entamer la discussion. C'est vrai qu'on a des mutations avec les
10:18biothérapies en particulier, donc on a parlé des carticelles dans l'éditorial de Hervé,
10:25on peut parler aussi des ARN d'interférence, les petits ARN d'interférence, qui sont des
10:33médicaments qui commencent à être sur le marché pour le traitement de l'hypercholestérolémie,
10:37de maladies rares, maintenant aussi pour le traitement de l'hypertension artérielle,
10:41et qui en fait permettent en une administration, parce que c'est des médicaments qui vont aller
10:48bloquer l'expression de certains gènes, et donc grâce à des astuces galéniques, on peut prolonger
10:57la durée d'action des médicaments, et par exemple ce qui est développé pour l'hypertension que je
11:01connais bien, c'est un médicament qui bloque l'enjeu tensinogène et qui va avoir une durée
11:07d'action de trois mois, six mois, voire un an, et pour lequel la problématique, ça va être à la
11:15fois d'avoir un médicament efficace en une administration, donc ça c'est fantastique,
11:22mais aussi d'avoir un antidote au cas où on aurait besoin de faire remonter la pression artérielle.
11:27Donc ça c'est des changements, des mutations absolument incroyables, parce qu'on va passer
11:32d'un traitement quotidien pour l'hypertension à un traitement tous les six mois, en injection,
11:37voire en auto injection, et donc c'est une mutation complète. Et là, pareil, on a des
11:46possibilités théoriques, beaucoup plus que pratiques d'ailleurs, d'aller ajuster les
11:51médicaments en fonction de profils génétiques, de métabolisme, donc on sait qu'il y a des
11:56médicaments qui sont métabolisés par certaines voies métaboliques, et de prévoir effectivement
12:05l'efficacité ou la toxicité de certains médicaments sur cette base-là. Et ces transformations,
12:11elles ont un coût, quel impact aussi sur les délais de développement ? Isabelle, je vous vois réagir.
12:22Je ne sais pas si vous aviez quelque chose à ajouter ? Alors c'est vrai que le développement
12:28et même l'explosion des biothérapies a un impact quand même très important sur
12:32l'accès aux médicaments et sur le marché. Monsieur Bonneau rappelait tout à l'heure
12:41que certains produits, qu'on appelle les produits matures, les médicaments qui sont
12:47éprouvés, du type amoxicilline par exemple, ont un prix de vente qui est beaucoup trop faible,
12:53c'est vrai que ce n'est pas rentable pour l'industrie, donc du coup certains industriels
12:59ne les fabriquent plus. On sait que c'est une des causes des fameuses ruptures, des pénuries. Et
13:07d'un autre côté, on le voit avec la spécialisation aujourd'hui de Sanofi par exemple, pour rendre
13:12que cet exemple, qu'évidemment on va se précipiter vers des produits qui certes sont très longs à
13:17développer mais qui seront rentables sur lesquels on pourra déposer effectivement un brevet. Et
13:23finalement, on parle du médicament mais il y a peut-être maintenant des médicaments, il y a des
13:30marchés des médicaments, on ne peut plus avoir vraiment le même modèle juridique et économique
13:34sur ces produits qui sont quand même très très très différents. Tout à fait, c'est qu'est-ce
13:41qui est bien commun, qu'est-ce qui est bien public, qu'est-ce qu'on peut aujourd'hui considérer
13:48comme des traitements qui devraient être accessibles à tous et systématiquement. D'ailleurs, est-ce que
13:55la pharmacie sera impliquée dans cette dispensation ? Si elle doit l'être, c'est à mon avis elle
14:02doit l'être, mais là ça veut dire une formation poussée aussi des pharmaciens dans le domaine de
14:08la dispensation de ce type de produit. Donc là encore des coûts supplémentaires, il y a des
14:16questions qui ne sont pas résolues, des problèmes qui ne sont pas résolus. Il y a une dimension sur
14:21les biothérapies qui est importante, c'est les biothérapies ciblées sur des maladies bien
14:28caractérisées au plan moléculaire, certains cancers effectivement avec quelques dizaines de
14:35cas, quelques centaines de cas maximum qui vont être accessibles à un médicament bien précis dont
14:40le coût est exorbitant, mais avec des guérisons miraculeuses, avec des choses qui font que le
14:46coût va être acceptable et un bénéfice ressenti, enfin mesurable immédiatement, qui est très
14:53différent effectivement. Donc là c'est un coût individuel très élevé, peu de patients qui vont
14:59être traités, mais avec un bénéfice très important potentiel. Et donc l'acceptabilité d'un
15:07coût comme ça, même si c'était devait être en partie à charge aux patients, c'est relativement
15:14acceptable. Là où c'est plus difficile, c'est pour des thérapies de maladies chroniques où la
15:20thérapie est préventive, c'est à dire que là le bénéfice il est théorique, lointain, hypothétique,
15:27même s'il est parfaitement prouvé. Effectivement on dit vous aurez 50% de chances de mourir d'infarctus,
15:34très bien tout ça, mais il vous reste 50% de chances de vivre. Donc le bénéfice n'est pas
15:40évident alors que les effets indésirables sont parfaitement évidents. Donc là si vous avez un
15:44médicament qui est très cher, effectivement l'acceptabilité sociale d'un tel médicament
15:48va être plus difficile parce qu'on va dire oui mais regardez il y a plein d'effets indésirables,
15:55le bénéfice n'est pas évident, histoire des statines. Evidemment au point de vue pour un
16:01individu donné, le bénéfice n'est pas évident, pour un groupe de patients il est énorme et ça on
16:05le voit pas. Et toujours sur les enjeux économiques, est-ce qu'on pourrait penser à des modèles
16:09alternatifs qui pourraient rendre la recherche pharmaceutique plus durable et accessible des
16:15partenariats publics privés, des fonds d'innovation ? Alors ça fait quand même assez longtemps
16:22que des expériences ont été tentées et qu'on y pense. Alors c'est vrai il y a finalement
16:27plusieurs attitudes dans ce conflit finalement entre ONG et laboratoires pharmaceutiques puisque
16:35c'est quand même à la base un peu de ça qu'il s'agit. Alors il y a l'opposition frontale qui a
16:41donné par exemple le procès avorté de Pretoria où les laboratoires finalement ont retiré leur
16:47plainte face à l'Afrique du Sud qui voulait permettre que l'on copie les antirétroviraux
16:56qui à l'époque étaient protégés par des brevets. Ou le procès mis en place lorsque le sophos buvir
17:04qui coûtait 40 000 euros pour un traitement de trois mois je crois, a demandé sa brevetabilité
17:12devant l'office européen des brevets, donc Médecins sans frontières. Mais il y a aussi,
17:16c'est peut-être moins connu, moins visible, la collaboration. Un certain nombre d'expériences
17:22effectivement sont tentées depuis longtemps, par exemple entre une ONG qui s'appelle DNDI et Sanofi
17:34pour la diffusion sans brevet, la mise à disposition sans brevet d'un médicament combinant trois
17:44molécules pour combattre le paludisme des enfants en Afrique. Alors bien sûr ces expériences sont
17:53encore isolées. C'est en cours d'expérimentation ? Non c'est déjà effectivement, déjà c'est une
17:56opération qui est déjà assez lointaine. Il y a aussi des renonciations à la protection par
18:04propriété intellectuelle qui, alors bien évidemment, qui restent un petit peu à la marge encore dans la
18:11politique des laboratoires. Puisque c'est quelque chose qui n'a peut-être pas été évoqué jusqu'à
18:15présent, les laboratoires importants, ce qu'on appelle les big pharma, entre guillemets, et bien
18:22sont sur le marché boursier. Et ils ont des actionnaires. Et c'est vrai que ce qu'on ne
18:26voit pas toujours, c'est qu'en fait ils sont possédés par des fonds d'investissement, des
18:32fonds qui sont les mêmes qu'ont possédé Apple ou Stellantis, ou des entreprises qui sont
18:38structures beaucoup plus grosses. Et ces entreprises veulent déjà faire leur marge de rentabilité sur
18:48les biothérapies. Et ensuite, lorsqu'elles ont fait effectivement cela, elles acceptent
18:56effectivement de faire de l'éthique, de l'humanitaire. Et c'est effectivement sous cet angle,
19:02alors certains disent que c'est complètement insuffisant, qu'il faudrait modifier complètement
19:06le statut du médicament. Mais pour l'heure, le médicament reste une marchandise, un bien privé,
19:12c'est une marchandise qui n'est pas comme une autre, bien évidemment.
19:15Juste pour compléter ce que vous dites, qui est passionnant, il y a aussi des effets paradoxaux.
19:20Moi je pense à la polypile. Alors la polypile, je le fais très très bref, les maladies non
19:28transmissibles, hypertension, diabète, sont la première cause de mortalité dans les pays en
19:32voie de développement. Bien devant les maladies infectieuses, bien devant même le paludisme,
19:36et on l'oublie. Et ils n'ont pas les moyens effectivement de prendre des traitements efficaces.
19:40Donc c'est des groupements de médecins, des types ONG, qui ont développé une approche qu'on appelle
19:47polypile, dans laquelle on va combiner un médicament pour l'hypertension, de l'aspirine,
19:52une statine, un médicament pour le diabète, à petite dose, et qui est une sorte de panacée
19:58pour les traiter, les patients. Donc ça a été développé, validé, sur des critères durs de
20:05mortalité. Ça marche, ça marche remarquablement bien. Il y a une entreprise indienne qui a essayé
20:11de commercialiser la polypile. C'est un échec commercial. Pourquoi ? Parce que les Indiens qui
20:17accèdent à un certain niveau de vie, ou les Africains, préfèrent acheter à prix d'or des
20:23médicaments de riches, plutôt que la polypile, qu'ils considèrent comme un médicament de pauvres.
20:28Et ça, c'est quelque chose qu'il faut prendre en compte. C'est effectivement que les Africains,
20:36les Asiatiques, ils n'ont pas envie d'avoir des médicaments considérés comme horribles,
20:41même si l'approche est absolument logique et extraordinairement économique. C'est moins de
20:46un dollar la polypile par jour. Est-ce qu'il n'y a pas une confusion finalement, quand même,
20:50entre ce qu'on appelle les médicaments de qualité inférieure, les médicaments substandard,
20:56et puis les génériques dans l'esprit aussi, commerciaux ? Je crois qu'il y a beaucoup de
21:01confusion. Ça a été toute la difficulté de lancer le générique en France, entre autres. Et vous
21:05savez que des exemples au comptoir, les pharmaciens pourront vous parler, de gens qui me disent mais
21:10moi je ne paie pas ma mutuelle, donc je veux l'original. Ne me donnez pas la copie. Et ça a
21:17été, j'ai le droit. Ça c'est encore très actuel ? Beaucoup moins aujourd'hui, beaucoup moins,
21:21moi je peux dire. En fait, les 25 ans du lancement du générique en France, 32 milliards
21:29d'économies en 25 ans, juste 1,6 milliard à peu près par an ces derniers temps. Donc vous voyez,
21:36l'industrie pharmaceutique, on peut la critiquer, mais elle participe quand même à l'amélioration
21:42de l'économie de notre chère assurance maladie. Et au tout début, oui, on a eu cette difficulté.
21:51Aujourd'hui, on a par exemple une manne financière qui nous tend les bras, c'est la substitution des
21:57biosimilaires. Et là encore, on a une résistance inexplicable due à l'intervention de lobbyeurs au
22:07niveau européen, etc. Et aujourd'hui, on ne veut pas donner ce droit de substitution aux pharmaciens.
22:14Combien même seraient-ils encore plus encadrés que le droit de substitution classique du médicament ?
22:20Il y a tout un aspect subjectif, effectivement, dans la perception du médicament qu'il faut
22:25prendre en compte. Les patients sont très attentifs, ils vont regarder la liste des
22:29excipients, regarder les excipients qui sont dits cancérigènes, parce qu'ils ont regardé sur
22:34internet et ça participe. Et ça, de votre point de vue et au fil de votre carrière, vous sentez
22:39que c'est un phénomène qui va crescendo ?
22:41Ça va crescendo. La méfiance et le décortiquage du médicament par les patients, je dirais que c'est
22:48un patient sur deux de ma consultation, qui est dans cette optique-là, où ça devient de la
22:53négociation, d'aller regarder dans la liste des génériques, effectivement, les excipients pour
23:05choisir l'excipient qui convient au patient. L'intolérant au lactose, s'il y a du lactose
23:11dans l'excipient, alors que c'est des microgrammes ou des milligrammes, ça va donner la diarrhée,
23:17il aura la diarrhée. Cette négociation est effectivement permanente.
23:22Est-ce qu'il n'y a pas un rôle à jouer pour les associations de patients ? C'est
23:26quand même effectivement un corps intermédiaire qui se développe. Ils sont maintenant présents
23:31dans beaucoup d'institutions et certains, et même il y a le statut de patient expert.
23:35Ça a commencé à l'époque du sida et d'Actops, où finalement les gens connaissaient,
23:42et ces associations pourraient tout à fait, je ne sais pas s'il y a pleinement ce rôle de relais.
23:48Je suis complètement d'accord. On a besoin, alors moi je me place du point de vue du médecin,
23:53on a besoin de relais. Donc le relais, c'est les paramédicaux, c'est les pharmaciens qui sont
23:58plus qu'un relais. C'est la deuxième roue de la transmission, on va dire. Mais on a besoin
24:04effectivement de ça pour faire de l'éducation thérapeutique. Moi je vois pour ceux qui m'occupent
24:11d'hypertension, 90% de mon temps de consultation, c'est de l'éducation thérapeutique. C'est de
24:16réexpliquer les objectifs aux patients, c'est de réexpliquer les problèmes de tolérance,
24:21c'est d'écouter leurs doléances. C'est vraiment dans ces échanges-là.
24:27Donc ce serait un travail de sensibilisation en amont à faire.
24:30Et encore une fois, j'insiste, il y a une énorme différence entre les médicaments curatifs du
24:36cancer ou d'une leucémie ou de je ne sais quoi, où là il y a une attente exorbitante des patients
24:41qui veulent... Le prix n'a pas... Ce que disait Hervé, ma santé n'a pas de prix mais ça a un
24:47coût. Mais là le coût est oublié. Et les traitements de prévention, où là on est dans
24:54une problématique complètement différente du point de vue des patients, complètement différente.
24:59On a évoqué la question des brevets plusieurs fois. Je sens que vous avez tous un avis. Quels
25:07sont les arguments les plus convaincants pour et contre le système de brevets dans
25:13l'industrie pharmaceutique ? On commence par le contre ou par le pour ? Par le contre. Par le
25:18contre. Par le contre quoi ? Contre le brevet ? Oui. Il y a le premier, c'est qu'effectivement ça n'a pas toujours
25:24existé. Mais on pourrait dire aussi la même chose du droit d'auteur. Le droit d'auteur n'a pas toujours
25:30effectivement existé. Alors en fait le débat, il prend un petit peu racine avec l'accord
25:38sur les ZPIC de l'OMC. L'accord sur lequel le centre de recherche sur le droit des
25:47marchés internationaux auquel j'appartiens, Dijon, a commencé à travailler et à publier,
25:53à commencer ses publications sur le sujet. Et effectivement cet accord a porté sur la scène
26:00internationale le problème des brevets parce que l'OMC, qui est un forum de négociation,
26:08finalement a abouti à cet accord qui oblige les États à protéger la propriété
26:17intellectuelle des laboratoires. Et ça, le procès de Pretoria, procès avorté de Pretoria que j'évoquais
26:24tout à l'heure, a conduit à de nouvelles négociations et a permis par la suite de mettre
26:32en oeuvre des licences d'office par l'intermédiaire des États pour qu'un médicament protégé soit copié,
26:38puisse être copié avant qu'il tombe dans le domaine public. C'est un système qui est très
26:44perfectible encore. En 2022, il y a eu une nouvelle amélioration de l'accord pour que
26:53ça fonctionne mieux et plus vite. Alors c'est vrai qu'on a évoqué aussi au moment de la COVID-19
26:59l'idée d'une suspension générale des brevets, donc le brevet est complètement dans le débat,
27:06mais ce n'est pas le seul problème. Le problème n°1 par exemple pour les vaccins ARN et les
27:13médicaments, ce qu'on appelle de thérapie innovante, c'est le transfert de technologie.
27:17Parce qu'avoir le droit de copier, c'est juste une autorisation juridique, mais ça ne permet pas
27:23de fabriquer le médicament, d'avoir la technologie qui va avec et d'avoir également derrière les
27:30usines de fabrication. Et d'ailleurs, l'une des tendances aujourd'hui, je crois, des industriels,
27:34c'est d'investir dans les pays qui n'ont pas d'industrie effectivement pharmaceutique pour
27:40que les personnels soient formés, que les technologies d'ailleurs que l'OMS cherche
27:46à mutualiser depuis quasiment sa création. L'idée, c'est un peu d'une négociation entre les
27:53laboratoires, les ONG et même les gens. Non, je suis complètement d'accord et quand vous dites
28:01que le brevet n'est pas la garantie qu'on est capable de fabriquer le médicament, c'est-à-dire
28:05qu'il y a tous les process de fabrication, le savoir-faire, effectivement, qui sont peut-être
28:12encore plus secrets que la molécule elle-même, qui font que c'est un process global, effectivement,
28:22d'où le transfert de technologie que vous évoquez, effectivement, qui est absolument nécessaire.
28:26C'est-à-dire que si on vous donne les plans d'un rafale, ce n'est pas pour autant que vous allez
28:31être capable de construire le rafale. Il y a énormément d'étapes industrielles et moi,
28:36je ne suis pas le mieux placé, mais Lucien peut commenter dessus. Moi, si on me donne la recette,
28:45je ne suis pas capable de fabriquer, je peux comprendre, mais je ne peux pas fabriquer le
28:50vaccin ARN. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais c'est pour ça que bien souvent,
28:57je souris lorsque j'entends régulièrement qu'on nous explique qu'on pourrait réinstaller des
29:04industries en France pour produire certains médicaments ou d'autres produits, sachant que
29:10réinstaller en France, oui, c'est un vœu merveilleux, mais il faut à nouveau réintroduire
29:23tous les process de fabrication, des savoir-faire, qu'on a complètement perdu. Aujourd'hui, ce qu'on
29:31ne veut pas comprendre, c'est que c'est international. Les laboratoires, comme vous l'avez
29:35rappelé tout à l'heure, les fonds sont des fonds, la plupart d'ailleurs, regardez, la plupart ont
29:40leur siège aux Etats-Unis. Ce n'est pas pour rien. Ensuite, si ce sont les Indiens qui fabriquent
29:47bien ce produit, faisons confiance aux Indiens et derrière, mettons en place les process qui
29:53permettent de contrôler la qualité, etc., plutôt que de vouloir s'entêter à nationaliser quelque
30:01part la gestion et l'organisation de la production. Avec des problèmes qui vont avec, c'est-à-dire
30:07des problèmes géopolitiques, quand effectivement la Chine se décidera à utiliser le médicament
30:13comme arme géopolitique pour faire plier l'Occident sur certains points, puisqu'il y a
30:2195% de la production d'héparines extractives, qui sont des anticoagulants, à partir d'intestins de
30:31porc qui viennent de Chine. Il y a le moindre hic, peste porcine ou je ne sais quoi, il n'y a plus
30:37d'héparines. Ça a déjà été un drame dans le passé, mais le jour où la Chine décidera de ne plus
30:44exporter les héparines, on sera dans des vrais problèmes, des énormes problèmes. C'est vrai
30:53que c'est un modèle où les process de fabrication, on n'a pas envie de les réinventer tous pour les
31:01nationaliser, comme disait Lucien, mais ça reste néanmoins une menace en fonction de la situation
31:07internationale qui peut se retourner vraiment contre nous à tout moment. 80% des matières
31:15premières pour les médicaments sont fabriquées en Asie. Problème géopolitique, on n'a plus
31:21d'antibiotiques. C'est vrai qu'on est très dépendants, on est pharmaco-dépendants. C'est
31:26déjà la fin de ce débat, mais j'aimerais terminer, puisque cette émission s'appelle
31:30Santé future, sur la façon dont vous envisagez chacun rapidement les perspectives d'avenir
31:37pour le développement de nouveaux médicaments dans un contexte de marché mondialisé et
31:42concurrentiel. Qui veut commencer rapidement d'une phrase chacun ? Moi, je vais commencer. Je vois
31:50des médicaments pour les maladies chroniques non transmissibles, qui restent un vrai problème de
31:57santé publique, avec des médicaments qui vont être en administration beaucoup moins fréquente,
32:03c'est-à-dire qu'il n'y aura plus des administrations quotidiennes. Ce sera en des administrations qui
32:07se feront par injection chez le pharmacien une fois tous les trois mois, tous les six mois, avec
32:13contrôle des facteurs de risque et des biomarqueurs. Quelque chose qui va d'un certain point de
32:20vue échapper à la décision médicale, à un certain moment. C'est comme ça que je vois. Alors moi, je veux une réponse de juriste. Trouver
32:30effectivement les outils, que ce soit traités, contrats, poules de brevets, qui permettent de
32:41ne pas mettre un frein à l'innovation, tout en rendant accessibles et présents les médicaments
32:48matures, et les voies sont possibles. Et c'est le mot de la fin. Je suis ministre de la santé en France,
32:55je spécialise la France dans la production de certains produits. Voilà, et en effet, les problèmes
33:03géopolitiques vont se poser, mais j'ai monnaie d'échange, puisque je suis spécialisé dans la
33:08production de certains produits qu'on trouve en France, et comme l'industrie pharmaceutique
33:14s'est concentrée, s'est spécialisée pour certains, sans abandonner certains pans, de la même façon,
33:22un État devrait pousser son industrie à se spécialiser dans certains domaines. C'est le
33:30mot de la fin de ce débat, Lucien. Allez, on passe à notre dernière séquence, la pépite santé.

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