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Xerfi Canal a reçu Norbert Alter, professeur à sciences Po, pour parler du managerialisme ou l'art de la liquéfaction générale.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Norbert Halter.
00:10Bonjour.
00:11Norbert Halter, pour en finir avec le machin, les désarrois d'un consultant en management.
00:15Vous êtes professeur à Sciences Po, vous êtes sociologue.
00:17Un ouvrage critique qui ne se veut pas dans la dénonciation, mais dans une logique dénonciation
00:25avec un apostrophe, dé apostrophe.
00:27Le machin c'est le managerialisme, on va l'appeler comme ça, c'est-à-dire ce
00:33qu'on fait aussi au nom du management sans toujours savoir ce qui est réellement produit
00:37dans le domaine du management, les connaissances au management, et un chapitre où vous nous
00:43parlez, et ô combien cela résonne aujourd'hui, d'un passage du solide au liquide.
00:48Le machin nous fait passer du solide au liquide, la liquefaction générale, c'est ça l'objectif.
00:56Il y a des grumeaux qui résistent dans l'ouvrage.
01:04L'idéal de l'organisateur, c'est ce qu'on appelle la fluidité industrielle.
01:10C'est-à-dire que tout se déroule sans aucune anicroche, à l'aide de process tellement
01:19bien pensés.
01:20Tellement bien huilés.
01:21Tellement bien huilés qu'aucune intervention humaine aléatoire ne soit nécessaire, et
01:30que même s'il y a des aléas, les interventions sont programmées.
01:39Elles-mêmes, les interventions de correction sont programmées.
01:43Ça, c'est l'idéal de fluidité industrielle qui a nourri, avec le terme de process, les
01:56interventions des cabinets conseils au cours des 15 dernières années, 20 dernières années,
02:03à peu près.
02:04C'est-à-dire qu'on a beaucoup, beaucoup axé, avec l'aide bien sûr des nouvelles
02:11technologies d'information et de communication, le travail des organisateurs dans cette perspective-là.
02:17Il se trouve qu'aujourd'hui, et ça c'est un effet inattendu de ces politiques, il se
02:26trouve aujourd'hui que deux phénomènes émergent.
02:35Le premier, c'est qu'il y a des gens qui résistent non pas aux changements, comme
02:44on le dit régulièrement, mais aux mouvements, c'est-à-dire aux changements permanents,
02:50à l'instabilité, et qui ont suffisamment participé à la logique de fluidité pour
03:00dire à un moment donné « moi, j'ai déjà vécu tel et tel changement, et donc il faudrait
03:08que je puisse avoir une pause dans l'agitation généralisée ». Ça, c'est ce que j'appelle
03:17les grumeaux, c'est-à-dire que dans cette fluidité, il y a des choses qui résistent,
03:25qui durcissent, et on a beau remuer dans tous les sens, ça résiste, ça s'agglomère.
03:32Ça, c'est le premier problème.
03:35Et le deuxième effet inattendu, c'est qu'il y a un certain nombre d'individus qui, au
03:43contraire des premiers, se disent « moi aussi, je vais participer à la liquidité organisationnelle
03:53», c'est-à-dire que je ne vais plus tenir que ma place, c'est-à-dire je vais m'inscrire
04:05dans la fiche de poste qu'on m'a définie, parce que ne pas respecter la fiche de poste,
04:12c'est sortir de la fluidité, et sortir de la fluidité, ça va me poser des tas de problèmes.
04:19Donc, je me désengage de ma compétence réellement mobilisable pour ne plus fournir que ce qui
04:29est attendu de moi par le flux, et donc de cette manière-là, je m'inscris dans la logique
04:38de fluidité, mais bien évidemment, ça crée des dommages pour le management qui veut à
04:45la fois la fluidité et à la fois la capacité à corriger informellement, sans le reconnaître,
04:52l'intelligence collective qui permet de faire en sorte que le flux circule, même si les
05:04process sont mal pensés. De façon plus générale, bien évidemment, cette idée repose sur les
05:12travaux de Sigmund Baumann à propos de la liquidité, pardon, la société liquide,
05:21l'amour liquide, sur l'amour liquide, ce que dit Baumann est d'une grande subtilité. En un mot,
05:30ça résume je crois assez bien sa pensée, on sait qu'on ne peut pas s'attacher parce que
05:41l'amour n'est plus durable et moins durable qu'autrefois. Donc, comme on sait qu'on ne peut
05:50pas s'attacher durablement, on ne s'investit pas complètement dans la relation amoureuse,
05:56et donc comme on n'est pas investi dans la relation amoureuse, on peut se défaire de cette
06:03relation amoureuse plus facilement que si on s'y investit de part et d'autre de manière plus
06:10complète. Dans le monde du travail, c'est la même chose qui se passe, c'est-à-dire que le rapport
06:17au travail et à l'entreprise est devenu plus superficiel, plus éphémère, je ne suis pas
06:25persuadé que ça rende pour autant les gens plus heureux, les entreprises plus efficaces.
06:30Pour en finir avec le machin, les désarrois d'un consultant en management, Norbert Alter, merci.
06:37Merci.

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