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Transcription
00:00Et alors c'est un bonheur de recevoir ce matin le comédien, mélomane Christophe Barbier.
00:06Bonjour Christophe.
00:07Bonjour Thomas, bonjour à tous.
00:08On va parler de la nouvelle pièce que vous avez écrite et mise en scène autour d'Offenbach.
00:12Mais avant ça, je ne peux pas m'empêcher d'avoir votre regard de fin analyste de la vie politique sur ce qui se passe,
00:18alors même où on est en train de se parler puisque Michel Barnier est à l'Élysée pour remettre sa démission au président.
00:25Vous qui connaissez par cœur l'histoire de la Vème République, c'est quand même assez inédit ce qu'on vit.
00:30C'est totalement inédit, on ne l'a vécu qu'une fois, c'était dans la nuit du 4 au 5 octobre 1962,
00:35où le gouvernement de Georges Pompidou a été renversé.
00:38La situation n'était pas tout à fait la même, bras de fer entre De Gaulle et l'Assemblée Nationale.
00:42De Gaulle d'ailleurs, puisque Barnier est à l'Élysée en ce moment,
00:45De Gaulle avait refusé la démission du gouvernement de Georges Pompidou.
00:48Pompidou avait remis sa démission, il était obligé par les textes, et De Gaulle l'a refusé.
00:52Et il l'a accepté le 28 novembre.
00:55Entre temps, il a gagné le référendum de la fin octobre sur l'élection du président au suffrage universel direct,
00:59il a dissous l'Assemblée, il a gagné les législatives.
01:02Donc quand il a accepté la démission de Pompidou, il avait tout gagné de Gaulle, donc il a renommé Pompidou.
01:06Évidemment, on n'a pas la même situation cette fois-ci.
01:09Et celui qui avait fait tomber Pompidou, vous savez qui c'est ?
01:12Il avait pris la parole à l'Assemblée, il avait dressé les parlementaires contre Pompidou, c'était Paul Reynaud.
01:16Paul Reynaud, les Français l'ont oublié, c'est le dernier président du Conseil de la Troisième République.
01:20C'est celui qui, le 16 juin 1940, démissionne et passe le pouvoir au maréchal Pétain.
01:26Il avait été réélu député après la guerre, il avait fait une carrière,
01:29il était contre le gaullisme et il voulait une république de parlementaires.
01:32Et il a eu cette phrase incroyable dans la nuit du 45 octobre 1962,
01:36il a dit « La République, c'est nous ! »
01:39Ça vous rappelle quelqu'un ?
01:42Ah tiens, l'histoire répète parfois.
01:45Là, on est d'accord que c'est impossible qu'il renomme évidemment Michel Barnier.
01:49Il ne peut pas non plus dissoudre le président de la République, qu'est-ce qu'il peut faire ?
01:53Il ne peut que nommer quelqu'un d'autre, il a le choix entre deux stratégies.
01:56Une stratégie qui serait une sorte de Barnier bis, c'est-à-dire,
01:59on nomme un Premier ministre macroniste de droite ou carrément de droite
02:03pour essayer d'acheter la paix avec le Rassemblement National,
02:06que le Rassemblement National laisse travailler ce gouvernement,
02:08qui ferait des concessions au RN, peut-être sur les retraites, sur l'immigration.
02:11Ou bien Macron change de pied, il dit « On va tenter une expérience avec les centristes, la Macronie et la gauche. »
02:17Puisque les socialistes, certains socialistes, ont l'air de vouloir s'arracher à LFI pour constituer un autre bloc.
02:24Il a le choix entre ces deux stratégies.
02:26La seconde ne me paraît pas mûre aujourd'hui,
02:28parce que les socialistes, ils ont beau dire « on peut faire autre chose qu'être avec LFI »,
02:32ils ne cessent de se rallier, de se soumettre aux insoumis.
02:35Donc peut-être qu'on aura droit à un deuxième ticket, idéologiquement comme Barnier,
02:39mais incarné autrement.
02:41Est-ce que c'est parce que vous êtes lassé de ce spectacle politique
02:44que vous allez de plus en plus vers le théâtre aujourd'hui, Christophe Barbier ?
02:47Non, j'ai toujours eu les deux fronts, même si maintenant le théâtre,
02:50comme je n'ai plus de responsabilité dans les médias,
02:52j'ai plus de temps pour m'y investir professionnellement.
02:54Mais théâtre et politique, vous savez, c'est les deux faces d'une même médaille.
02:58Depuis la Grèce antique, la cité athénienne a inventé la démocratie,
03:01et en même temps elle a inventé la comédie.
03:03Il y avait les tragédies qui étaient religieuses,
03:05mais on s'est dit que si la démocratie veut être démocratique,
03:07il faut qu'elle autorise sa propre dérision.
03:09Et donc on a autorisé les comédies.
03:11A l'époque, Aristophane, qui écrit les nuées, les grenouilles, les oiseaux,
03:15ça ne parle que de politique dans ses pièces.
03:17C'est le bébé Tchot ou les guignols de l'époque.
03:19Donc, vous voyez, démocratie et théâtre, c'est la même chose.
03:22C'est notre manière d'être ensemble.
03:24D'ailleurs, c'est très théâtral, ce qu'on a vu hier à l'Assemblée.
03:26C'était du pur théâtre, non ?
03:27C'est du pur théâtre.
03:28Alors, il faut voir ce qu'on veut dire par pur théâtre.
03:31Les textes lus, les textes dits, correspondent parfois à des convictions profondes.
03:34Je vous rassure, Mélenchon, il veut vraiment renverser le régime.
03:38Ce n'est pas du théâtre.
03:39Mais c'est mis en scène comme un théâtre.
03:41Vous voyez, hier, Barnier, assis au banc, en entendant l'accusation,
03:46c'est exactement le procès de Louis XVI.
03:49C'était le vote de la mort du roi.
03:51Il attendait la sentence.
03:52De manière symbolique.
03:53Il attendait la sentence, il a fait sa plaidoirie,
03:55et puis le couperet est tombé.
03:56On a une manière très théâtrale, en effet, de faire vivre notre politique.
04:00Les décors, la mise en scène, le jeu de rôle,
04:03c'est très théâtral parce qu'on sait depuis toujours
04:05que pour concurrencer le théâtre et la religion,
04:09la politique doit se mettre en scène
04:11comme ces deux moments de communion que sont le théâtre et la religion.
04:14Et c'est très français, ça ?
04:16C'est très français, c'est très méditerranéen.
04:18Tout ce qui a été influencé par la Grèce est baigné de cela.
04:21Par exemple, les Italiens ne sont pas si loin que nous de ça.
04:25Pareil, les Espagnols.
04:26Rappelez-vous, au tout début de la République espagnole,
04:28après le franquisme, il y a eu un coup d'État.
04:30Vous vous souvenez de ce militaire rentrant dans l'Assemblée,
04:32tirant en l'air avec sa tête du général Alcazar,
04:34là ils sont drôles de képi, c'était aussi très théâtral.
04:37On ne sait faire de la politique que théâtralement en France.
04:40Vous allez chez les Scandinaves, chez les Allemands, c'est différent.
04:43C'est sans doute plus raisonnable, c'est plus ennuyeux.
04:46Ce qui était absolument théâtral hier,
04:48le moment le plus théâtral peut-être,
04:50c'était l'arrivée de Jean-Luc Mélenchon
04:52par le jardin encadré par les députés LFI.
04:56Jean-Luc Mélenchon qui n'est pas député,
04:58donc est allé prendre place au spectacle,
05:01il était au spectacle, à la tribune, sur plomb blanc.
05:04Des débats, je peux vous dire que moi j'étais dans la tribune presse,
05:07il y a un bruit, mais c'est pire que théâtre.
05:09Il y a vraiment des cris sans arrêt,
05:11vous n'entendez pas l'orateur à la télé,
05:13vous ne vous rendez pas compte,
05:14mais vous n'entendez pas les orateurs,
05:16c'est-à-dire que ça hurle, mais ça hurle littéralement.
05:19En tribune avec un large sourire Jean-Luc Mélenchon,
05:21il y a ça aussi qui rendait la scène encore plus théâtrale.
05:23Oui, le grand tireur de ficelles, un large sourire, c'est sa victoire.
05:26Et quand le socialiste prend la parole, il s'en va.
05:28Parce qu'évidemment, les ennemis, on les écoute.
05:31Les alliés, les vassaux, on les méprise.
05:33Allez, dans un instant, on va parler d'un tout autre type de théâtre,
05:37Offenbach et les Trois Empereurs,
05:39c'est en ce moment au théâtre de Poche-Montparnasse
05:42et c'est orchestré par Christophe Barbier, bien sûr.
05:45A tout de suite sur Europe 1.
05:47Vous écoutez Culture Média sur Europe 1, 9h30, 11h,
05:50avec Thomas Hill et avec Christophe Barbier ce matin
05:53pour la pièce dont Christophe Barbier est auteur,
05:56metteur en scène et comédien.
05:57C'est Offenbach et les Trois Empereurs au théâtre de Poche-Montparnasse.
06:08Non, pas la jupe, c'est gênant !
06:11La musique du french cancan Orphée aux enfers du compositeur Jacques Offenbach.
06:16C'est le nouveau rôle que vous interprétez, Christophe Barbier,
06:19sur la scène du théâtre de Poche-Montparnasse,
06:21dans Offenbach et les Trois Empereurs.
06:23C'est une nouvelle pièce que vous avez écrite, mise en scène.
06:27Pourquoi est-ce que vous êtes intéressé à la figure d'Offenbach ?
06:30Pour deux raisons.
06:31D'abord, la passion de cette musique-là,
06:33partagée avec mon épouse Pauline Courtin,
06:35qui chante dans le spectacle.
06:36On avait envie depuis longtemps de créer un spectacle
06:38autour d'Offenbach et de cette oeuvre prolifique.
06:40Et puis la deuxième raison, c'est les résonances de cette époque
06:43avec notre époque actuelle.
06:45Le tsar de Russie est présent dans cette pièce.
06:48Il nous parle de l'invasion de la Crimée.
06:50Il vient de perdre la guerre de Crimée face aux français.
06:53Les français viennent de gagner la guerre de Crimée.
06:55Du coup, il envahit la Tchétchénie.
06:57Il menace la Pologne.
06:58Ça nous rappelle des choses, quand même, aujourd'hui.
07:00En même temps, Paris est dans une espèce de fête insouciante
07:03où on se moque un peu de la politique,
07:05on pense qu'aux bouteilles de champagne,
07:07tout va bien se passer.
07:08Alors que dans trois ans, ça va être la guerre de 70.
07:11Je voulais faire revivre cette époque dans sa légèreté.
07:14Une légèreté formidable.
07:15La fête, la joie de vivre, c'est le plus important.
07:18Et en même temps, une légèreté qui est une forme d'inconscience,
07:20d'aveuglement.
07:21Je voulais montrer tout ça sur scène
07:23et de recomposer le trio
07:25avec lequel nous avions joué Mozart, mon amour,
07:27sur une pièce consacrée à Offenbach.
07:29Un personnage étonnant.
07:30Offenbach, violoncelliste,
07:32né allemand, naturalisé français.
07:34Et déchiré par la guerre de 70, du coup.
07:36Né juif et converti par amour,
07:38catholicisme.
07:39Pour épouser Herminie, sa femme.
07:40Et alors, dans votre pièce,
07:42vous nous emmenez à l'exposition universelle de Paris,
07:44le 7 juin 1867,
07:46époque où il connaît son plus grand succès.
07:53Dites-lui que je l'adore
08:02et que je suis bavard.
08:11Magnifique ça !
08:12La grande musique.
08:14L'opéra à la grande duchesse de Gerolstein,
08:16c'est comme ça qu'on dit.
08:17Ça doit être Félicity Lott qui chante là.
08:19C'est Hortense Schneider.
08:21C'est l'actrice de l'époque.
08:23La voix qu'on a entendue, c'est Félicity Lott.
08:25Hortense Schneider, c'est la grande cantatrice
08:27de l'épopée Offenbach.
08:29Elle l'accompagne.
08:31De ses tout débuts,
08:32il rachète une baraque en bois sur les Champs-Élysées
08:34qui appartient à un prêtre des cités digitateurs.
08:36Il y a déjà une exposition universelle.
08:37On est en 1855.
08:38Cette jeune femme qui arrive de Bordeaux
08:40frappe à sa porte.
08:41Il est séduit par sa voix.
08:42Il la met en scène et c'est un triomphe.
08:44Ça va être un duo qui va animer
08:46toute la vie du second empire jusqu'à la fin
08:48avec de très grands rôles,
08:49dont celui de cette Duchesse de Gérolstein.
08:51En 1867, l'exposition universelle
08:53attire toutes les têtes couronnées d'Europe.
08:55Ça annonce les grandes expositions universelles
08:57de 1889 avec la Tour Eiffel.
08:59La France est déjà pionnière en matière
09:01d'expositions universelles.
09:02Trois empereurs se retrouvent à Paris.
09:03Notamment trois empereurs qui étaient réunis
09:05à Paris pour l'exposition.
09:06Le futur Guillaume Ier avec son chancelier Bismarck.
09:09Le Kaiser et Bismarck qui sont là
09:11venant renifler la France avant de l'envahir.
09:13Alexandre II, l'empereur de Russie.
09:15Et le futur Alexandre III, le fils.
09:18Et bien entendu, notre Napoléon III
09:20qui traîne aussi dans les parades.
09:21Ils vont assister ensemble à une représentation
09:23donnée par cette célèbre cantatrice.
09:25Exactement, par Hortense Schneider,
09:27la Duchesse de Gérolstein.
09:28C'est un succès incroyable, un triomphe.
09:30À tel point que quand elle arrive
09:32à l'exposition universelle,
09:34la police lui barre le passage en disant
09:36que c'est l'entrée réservée aux souverains
09:38et aux souveraines.
09:39Et elle dit que c'est la grande Duchesse de Gérolstein.
09:41Et on la laisse passer.
09:43C'était un personnage, Hortense Schneider.
09:44Ces trois empereurs vont aussi se réunir
09:46à la table du Café Anglais
09:48pour un dîner mémorable qui va durer 8 heures.
09:508 heures, 34 plats.
09:52Le menu parait-il est encore affiché
09:54à la Tour d'Argent, un autre grand restaurant parisien.
09:56Et ça va devenir mythique
09:58parce qu'à la fin du repas, il est 3h du matin,
10:00le tsar n'est pas content.
10:01Il n'a pas eu de foie gras.
10:02Et le chef du Café Anglais lui dit
10:04« Votre Majesté, on ne sert pas de foie gras
10:06au mois de juin. »
10:07Et en décembre de l'année 1867,
10:09il fera envoyer à Saint-Pétersbourg
10:11une caisse de foie gras pour le tsar.
10:13Et alors vous, Christophe Barbier,
10:15vous imaginez qu'Offenbach et sa cantatrice star
10:18auraient été présents à ce fameux dîner.
10:20Ça c'est la part de la fiction.
10:22Ces trois empereurs veulent avoir des extraits
10:24des grands succès d'Offenbach.
10:25Donc ils convoquent Offenbach
10:26qui va devoir improviser un spectacle.
10:28Ils convoquent plusieurs chanteurs
10:29mais ils ne viennent pas.
10:30Il n'y a que Hortense Schneider qui se dévoue.
10:31Et donc il va falloir bâtir le spectacle
10:33avec Hortense et avec l'aide d'un mystérieux pianiste
10:36qui surgit comme par hasard.
10:37Mais évidemment, il n'y a pas de hasard.
10:39Et le tsar Alexandre II
10:41veut absolument percer le secret d'Offenbach.
10:44Savoir comment il arrive à composer
10:45des opéras aussi populaires.
10:47Et alors l'un des secrets, dit-il,
10:49c'est le rire.
10:50Il dit, l'époque veut rire de tout.
10:53Et il ajoute, puisque la vie est absurde,
10:55puisque nous roulons à la bim,
10:56il faut s'amuser, faire la fête,
10:58c'est le plus important.
10:59C'est un conseil que vous donnez aussi
11:01pour aujourd'hui peut-être ?
11:02Bien sûr, mais c'est un conseil
11:03qu'on n'a pas besoin de donner.
11:04Les gens le suivent déjà.
11:05Regardez l'importance caprice,
11:07la vie des amis, la vie de la famille.
11:10On aime faire la fête parce qu'on se dit
11:12puisque tout peut aller mal,
11:13puisqu'on roule à la bim,
11:14amusons-nous, ce sera toujours ça de pris.
11:16C'est une manière aussi de fermer les yeux
11:18sur les problèmes, on le sait.
11:19Il y a quelque chose d'anesthésiant
11:21dans cette volonté de faire la fête,
11:23la grande distraction.
11:24C'est un trait commun entre notre époque,
11:27l'entertainment, et cette époque
11:29de la fête impériale.
11:30Mais les fêtes d'Offenbach,
11:31elles étaient monstrueuses.
11:33Il réunissait chez lui tous les vendredis
11:35les plus grands noms de Paris
11:36et on y débouchait du champagne.
11:38Pendant ce temps-là, il continuait à travailler.
11:39Il composait sur un coin de table
11:40pendant qu'on dansait.
11:42Gustave Doré marchait sur les mains.
11:44C'était vraiment mythique.
11:46Gustave Doré marchait sur les mains.
11:48Très fort.
11:49Vous, vous vous incarnez
11:50ce Jacques Offenbach et Christophe Barbier
11:52avec sa barbe improbable.
11:54Les gros flaquettes, la moustache.
11:56Il faut se faire une tête de l'époque.
11:58Ça vous a fait plaisir de vous grimer comme ça ?
12:00C'est très agréable de le faire
12:01parce qu'on change complètement de personnalité.
12:03Je prends l'accent et ça gratte beaucoup.
12:05Ce n'est pas confortable.
12:07Pour une fois, on verra Christophe Barbier
12:09avec une barbe.
12:10C'était quand même assez logique finalement.
12:12Offenbach et les trois empereurs.
12:14C'est en ce moment au Théâtre de Poche.
12:17On se retrouve dans un instant.

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