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Ali Baddou reçoit Anna Sigalevitch, journaliste, critique et auteur pour le spectacle "Mozart et nous, fantaisie radiophonique" avec Célimène Daudet en tournée à la Comédie de Colmar du 18 au 22 décembre et à la Philharmonie de Paris la saison prochaine.

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Transcription
00:0015 minutes de plus et ce matin, j'ai le bonheur de recevoir une journaliste musicienne.
00:07Les auditeurs de France Inter la connaissent bien puisqu'elle nous fait vivre les classiques
00:12enco tous les week-ends le matin.
00:14Elle est l'auteure d'un spectacle qui s'intitule Mozart et nous fantaisie radiophonique
00:19qui est entourné à la Comédie de Colmar avant d'aller être jouée à la Philharmonie
00:25de Paris la saison prochaine.
00:26Et c'est justement dans la tête de Mozart qu'elle va nous emmener ce matin.
00:31Bonjour Anna Sigadevich.
00:32Bonjour Agui.
00:33Et bienvenue Anna, comme chaque semaine on va démarrer avec une expérience de pensée,
00:39imaginons qu'on est un gamin, un petit garçon qui a 6 ans, on est en 1762 au château de
00:47Schönbrunn.
00:48Il y a l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, l'empereur François, Marie-Antoinette aussi
00:54puisque c'est leur enfant et qu'elle a le même âge que nous, elle a 6 ans.
00:58On est dans la peau de Mozart et on s'installe dans ce décor majestueux au clavecin.
01:04Qu'est-ce qu'on peut bien avoir dans la tête Anna ?
01:07Ce qu'on a dans la tête, c'est le petit Wolfgang qui a commencé déjà la musique
01:14depuis 2 ans et qui a un don tout à fait extraordinaire, qui a un rapport absolument
01:21naturel à la musique.
01:23Son père, Léopold, est professeur, il est violoniste et c'est lui qui lui enseigne
01:28au départ la musique.
01:30Il a aussi une grande sœur, c'est important, qui s'appelle Nanerl, qui a 5 ans de plus
01:33que lui, qui est une excellente musicienne aussi.
01:36Donc il est baigné vraiment depuis sa naissance dans la musique mais il se trouve que cet
01:42enfant, dès qu'il entend une note, il peut la rejouer, dès qu'il entend un air, il
01:47peut le rejouer.
01:48Ça veut dire qu'il a l'oreille absolue comme on dit mais il a aussi une mémoire
01:50absolue ?
01:51Absolument, tout est un peu absolu chez Mozart, il a en effet la mémoire absolue et l'oreille
01:58absolue.
01:59Donc il a cette capacité comme une éponge géniale à s'imprégner de tous les langages
02:05et de toutes les musiques qu'il entend mais là où il est très extraordinaire, c'est
02:11qu'il ne copie pas les choses, c'est-à-dire qu'il les imprègne et chaque langage, il
02:17les fait sien.
02:18Donc c'est comme s'il avait entendu mille langues mais que chaque langue était pour
02:23lui une langue maternelle et quand on écoute du Mozart, dès les premiers cochons, c'est
02:29du Mozart.
02:30Il a cinq ans et on va écouter justement du Mozart, un morceau qu'il a composé à
02:36cinq ans seulement, Menuet et Trio, on va l'écouter.
02:40Qu'est-ce qu'on entend là ?
02:43On entend une petite mélodie, un petit Menuet parfaitement réalisé, Myrid aussi.
02:48Et il a un don évidemment, son père le comprend, il le fait connaître au monde entier, il
02:53devient une sorte de toute petite superstar mais c'est aussi quasiment un singe savant,
02:58quasiment une attraction.
02:59Oui, c'est complètement une attraction.
03:01Par exemple, on était au château de Schönbrunn, là il impressionne aussi beaucoup l'empereur
03:06parce qu'on lui met un bandeau sur les yeux donc il n'a pas besoin, il arrive à jouer
03:10sans regarder, partout où il va on lui demande d'improviser sur un thème, il le
03:15fait aisément.
03:16Il fait tout ça avec beaucoup de plaisir aussi parce que c'est certes un enfant, on
03:21pourrait dire singe savant mais c'est complètement au-delà de ça, pour lui la musique est naturelle
03:26et ça lui fait plaisir d'écrire.
03:27Ça aussi c'est une des grandes particularités de Mozart, c'est que quel que soit ce qui
03:31lui est arrivé dans toute sa vie, du début à la fin de sa vie, avec des moments très
03:36difficiles, l'inspiration n'a jamais manqué.
03:39Il a composé avec joie et avec une inspiration folle du début à la fin.
03:44Une anecdote qui en dit beaucoup sur Mozart qui voit le monde comme un terrain de jeu
03:50puisqu'il parcourt l'Europe, qu'avec son père il va, et les chiens d'ailleurs, et sa sœur
03:56ils vont parcourir l'Europe, en 1770 en Italie.
04:01Vous pouvez nous raconter ce qui se passe à la chapelle Sixtine ?
04:04Ah oui, il vient entendre le « Miséréré d'allégrie » qui est une œuvre très complexe
04:10avec beaucoup de voix, avec vraiment une œuvre d'une grande sophistication dans son écriture.
04:16C'est une œuvre qui est un peu tenue secrète parce qu'on n'a pas le droit de voir la partition,
04:23donc on a le droit d'aller l'entendre et c'est tout.
04:25Et Mozart va l'entendre une fois, il a 14 ans, et quand il rentre à la maison il retranscrit
04:31absolument tout de mémoire.
04:33En voyageant, il prend connaissance des différents compositeurs, il découvre l'opéra, et il
04:38essaye quelque chose avec des concertos, des concertos pour piano.
04:42Pourquoi ? C'est comme une sorte de terrain d'expérimentation, de journal intime, le concerto ?
04:47Oui, absolument.
04:48En fait, on se rend compte que souvent les compositeurs ont une forme particulière avec
04:52laquelle ils expérimentent.
04:54Beethoven c'était des sonnettes pour piano, Schubert c'était des leaders, et Mozart,
04:59le piano c'est son instrument, et il a beaucoup écrit de concertos, il en a écrit 27, c'est
05:04énorme, beaucoup plus que tous les autres compositeurs.
05:07Et avec le concerto pour piano, il révolutionne vraiment la forme, parce que jusqu'à présent
05:13on est dans l'ère baroque où le soliste joue vraiment avec le reste de l'orchestre,
05:17il se fond avec l'orchestre, et là on écoute, voilà, le piano est seul, et il énonce un
05:25discours qui est très différent de ce que vient de jouer l'orchestre.
05:28C'est-à-dire que le pianiste devient vraiment un protagoniste comme un personnage d'opéra,
05:39on peut même dire qu'il devient presque le dramaturge, et ça change complètement le
05:44rapport et le dialogue qui s'instaure avec l'orchestre, ce qui va être ensuite le concerto
05:50moderne que feront ensuite tous les autres compositeurs.
05:52En quoi est-ce qu'il a révolutionné la musique ?
05:55C'est une vaste question.
05:58Il a révolutionné la musique parce que déjà il a écrit pour toutes les formes, il a écrit
06:02des opéras, il a écrit des symphonies, il a écrit de la musique de chambre, des concertos
06:06pour piano, des messes, beaucoup de musique religieuse aussi, donc il a écrit absolument
06:10pour toutes les formations et dans les différentes formes.
06:13Pourquoi il a révolutionné ? Est-ce qu'il avait conscience de révolutionner ? Je ne
06:18sais pas.
06:19Je pense qu'il était la musique et il était la révolution.
06:21Et oui, la musique jaillissait de lui, on le voit ne serait-ce que dans ses partitions.
06:27Si on regarde les partitions d'autres immenses compositeurs, par exemple Beethoven, il y a
06:32des ratures partout, il reprend, il réfléchit, Mozart n'y a pas de rature, c'est-à-dire
06:37qu'il sait ce qu'il doit écrire, il l'écrit et il avance comme ça toute sa vie.
06:44Donc il n'a pas forcément conscience d'être un révolutionnaire alors que Beethoven, lui,
06:50a conscience de son rôle et de ce qu'il est en train de bouleverser dans la musique.
06:53Absolument, Beethoven, il cherche la révolution, il est dans un rapport probétéen à la musique,
06:59il cherche à faire évoluer le genre, il dit « je veux ouvrir des voies nouvelles ». Quand
07:02il écrit des morceaux trop complexes, il dit « mais ce n'est pas pour vous, c'est
07:06pour les générations futures, tant pis pour vous si vous ne comprenez pas ma musique ». Mozart
07:09n'est pas du tout là-dedans, il est dans le plaisir d'écrire, dans le naturel absolu.
07:13C'est un libre penseur, c'est un esprit libre.
07:16Quand on remet en question sa musique, il n'en change pas une note.
07:19Par exemple, il y a une histoire un peu célèbre, comme ça, on lui avait dit pour l'enlèvement
07:22au Serail « ah mais là, il y a trop de notes ». Il a dit « oui, d'accord, j'en enlèverai
07:26pas une seule de notes ». Donc il est tout à fait sûr de lui, mais il ne cherche pas
07:34la révolution, il est la musique.
07:36On est en 1771 et on continue à nous promener dans la vie, dans la peau de Mozart.
07:43Le jeune prodige n'est plus un enfant et il devient un affranchi, c'est-à-dire qu'il
07:49décide à 25 ans de devenir une sorte de musicien libre, peut-être le premier musicien
07:54libre de l'histoire.
07:56Qu'est-ce que ça veut dire ?
07:57Ça veut dire qu'à l'époque, les musiciens dépendaient beaucoup de l'aristocratie,
08:02de la noblesse, de certaines cours pour pouvoir vivre.
08:06Mozart, tout petit, séduit les cours et les foules, mais quand il a 20-25 ans, il intéresse
08:13quand même moins les gens, donc il a un petit peu de mal.
08:15Il est au service d'un archevêque qui s'appelle Coloredo à Salzbourg, ça se passe mal, Mozart
08:22ne fait pas ce qu'il veut, il refuse d'être soumis à ce monsieur déplaisant et donc
08:27à 25 ans, il lui dit « ciao, moi je pars à Vienne et je vis ma vie de musicien libre ».
08:33Contre l'avis de son père, c'est très risqué, très courageux de faire ça.
08:37Il va le payer d'ailleurs, parce qu'il va avoir des moments d'une très très grande
08:41précarité financière.
08:42Oui, c'est la pauvreté, voire la misère.
08:44Ah oui, par moments c'est vraiment la misère, mais il vit sa vie de musicien libre en écrivant
08:49ce qu'il veut au moment où il le veut.
08:52Si on est toujours dans la tête ou la peau de Mozart, il y a une dimension absolument
08:56essentielle pour la perception qu'on a du monde, c'est la franc-maçonnerie.
09:00Et il a été admis comme apprenti dans une loge maçonnite, 7 ans avant sa mort.
09:06Qu'est-ce qu'il vient y chercher ? Qu'est-ce que ça lui apporte d'être franc-maçon à Mozart ?
09:11Alors oui, il entre en franc-maçonnerie en 1784.
09:15Pourquoi ? Parce que Mozart a toujours eu un rapport complexe avec la mort, il cherchait
09:21le but de la mort, l'existence de la vie, en voyant la mort pas forcément comme quelque
09:25chose de terrifiant, mais comme une amie.
09:27Et dans la religion, il ne renie pas la religion, mais il refuse de s'en remettre uniquement
09:35à Dieu pour éprouver la vie et la mort, le sentiment de vie et de mort.
09:42Pour lui, ça passe par une quête personnelle et par la compréhension de soi, par la recherche
09:47de la lumière, par une quête d'absolu.
09:49Et ça, il le trouve dans les idées maçonniques.
09:52Et ça se transforme, ça devient de la musique, par exemple, avec l'un des opéras les plus
09:56célèbres au monde, la Flûte enchantée.
09:59Absolument.
10:01Pourquoi est-ce que ça, c'est la composition d'un homme libre ?
10:06Alors parce que déjà, c'est une synthèse aussi de plein de choses, il y a plein de
10:10choses dans la Flûte enchantée.
10:12Il y a ce qui est génial chez Mozart, c'est l'enfance, la légèreté, il y a en même
10:16temps beaucoup de choses très profondes qui se racontent.
10:18L'histoire, c'est un parcours initiatique de jeunes gens qui doivent affronter des
10:22choses très difficiles pour trouver la lumière et l'amour.
10:26Et donc c'est tout ça qui se raconte, qui sont des idées maçonniques, avec plein de
10:29signes maçonniques à l'intérieur, des trois, ça après, c'est des détails.
10:34Mais en tout cas, il y a cette quête de la lumière et de la sérénité à laquelle
10:38aspirait Mozart, qui est totalement présente dans la Flûte enchantée.
10:42On l'a souvent présenté comme un homme torturé, justement, dans les nombreux films
10:46qui lui ont été consacrés, dans l'image d'épinal qu'on a de Mozart.
10:50C'est vrai qu'on ne peut pas évoquer son nom sans penser au Requiem, le Requiem qui
10:57dit quelque chose.
10:59Pourquoi est-ce que c'est un morceau ou une pièce de musique aussi importante, le Requiem ?
11:07Qu'est-ce que ça raconte de lui ?
11:10Alors, je me risque une analyse personnelle, mais c'est peut-être une des seules pièces
11:16vraiment autobiographiques.
11:17C'est-à-dire que moi, je trouve qu'il faut se méfier de mélanger la biographie des
11:23compositeurs avec leurs œuvres, surtout chez Mozart, parce que je pense qu'on ne peut
11:27pas le faire.
11:28En revanche, pour le Requiem, on dit qu'il a composé en pressentant sa propre mort.
11:32Et c'est vrai qu'il y a tout Mozart dedans, c'est-à-dire à la fois une forme de légèreté
11:39dans le tragique et de drame dans la légèreté.
11:41Quelque chose de terriblement humain et de puissamment sublime.
11:47Ce sera la morale de l'histoire, Anna Sigalevitch.
11:50Merci infiniment de nous avoir accompagnés dans la peau de Mozart et on vous retrouve
11:55demain matin.
11:56Je voudrais dire qu'avec Célimène Dodé, la pianiste Célimène Dodé, on a vraiment
12:00fait ce spectacle toutes les deux.
12:01Et on mettra tous les éléments sur la page du 6-9.
12:05A demain matin Anna Sigalevitch.
12:07A demain.

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