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Les rebelles syriens ont annoncé dimanche à la télévision d'Etat avoir mis fin au régime de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 24 ans, à la suite d'une offensive éclair. Analyse avec Jihad Yazigi, rédacteur-en-chef de "Syria Report" et l'expert en relations internationales Bertand Badie.

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00:00Et dans le grand entretien d'Inter ce matin, la chute d'un dictateur et peut-être l'espoir
00:06de la démocratie en Syrie, pour certains ce n'est même pas la peine d'y penser,
00:12d'autres essayent malgré tout de garder l'espoir.
00:16Peu de journalistes en ce moment sur place pour avoir la confirmation de tout ce qui
00:21est en train de se produire dans cette scène politique extrêmement mouvante.
00:26Et on assiste à un régime vieux de plus de 50 ans qui est en train de s'achever
00:32avec donc la chute de Bachar et de son régime.
00:36Analyse à chaud avec deux invités ce matin au micro d'Inter, Jihad Yazhaji, vous êtes
00:42rédacteur en chef de Syria Report, chercheur associé à l'European Council of Foreign
00:47Relations.
00:48Bonjour.
00:49Bonjour.
00:50Bertrand Badié, vous êtes professeur émérite des universités à Sciences Po, expert des
00:54relations internationales, et vous avez publié récemment un livre qui était consacré
01:00à l'art de la paix, l'art de la paix chez Flammarion, on va en parler, chers auditeurs,
01:05n'hésitez pas à partager vos questions, vos inquiétudes, vos réactions également
01:11au standard 0145 24 7000 ou sur l'application de France Inter.
01:16Messieurs, je vais commencer par une question qui semble assez simple mais qui pourtant
01:22est extrêmement compliquée.
01:23Jihad, expliquez-nous ce qui est en train de se passer en Syrie sous nos yeux avec le
01:29soleil qui s'élevait sur Damas, Damas qui est probablement maintenant une ville libérée
01:35de celui qui avait sa main de fer et qui maintenait ce pays sous le règne le plus dur de la dictature
01:44depuis maintenant 2000 quand il a accédé au pouvoir.
01:48Oui, c'est un jour vraiment qu'on attend depuis très très longtemps.
01:52J'étais à Damas au début de la révolution syrienne.
01:54On y a vécu en mars 2011, des jours extrêmement heureux au début, et puis vous savez tous
02:02la catastrophe qu'a été le conflit syrien, la rapidité avec laquelle Bachar a chuté
02:08je vous avoue nous a surpris tous.
02:09Je ne suis pas surpris de l'affaiblissement du régime, c'est quelque chose qu'à travers
02:15mon travail j'ai pu constater depuis de nombreuses années, mais ce qui a permis ce
02:20qui s'est passé ces derniers dix jours, c'est aussi le changement, l'affaiblissement
02:26très significatif de l'Iran, donc une combinaison à la fois d'un effondrement graduel des
02:33institutions étatiques syriennes et une situation géopolitique qui a un peu changé.
02:38Moi ce que je voudrais signaler, je crois que c'est très fort, c'est que malgré
02:42le fait que le conflit syrien soit le conflit probablement le plus internationalisé au
02:47monde avec la présence sur le terrain de troupes russes, américaines, iraniennes,
02:51turques, l'armée de l'air israélienne, c'est les Syriens qui ont pris leur futur
02:56en main, qui ont été au cœur de cette action et qui ont réussi à se débarrasser de cette
03:02terrible dictature.
03:03Je donne la parole dans une seconde à Bertrand Badime et le Syrien que vous êtes, est-ce
03:07qu'il a l'espoir de voir s'installer la démocratie ? Est-ce qu'il a juste,
03:13peut-être simplement le soulagement de voir tomber la dictature et celui qu'il a représenté
03:19Bachar el-Assad à la suite de son père Afez ? Qu'est-ce que vous avez dans votre
03:24esprit et votre cœur ce matin ?
03:25Écoutez, beaucoup, beaucoup, beaucoup de joie.
03:28Hier on a veillé tard avec des amis, on a beaucoup bu tard le soir en espérant qu'on
03:33assisterait à la chute de Damas.
03:35On est parti, on s'est entendu mis en se disant ça s'approche, il ne reste plus
03:39que quelques jours.
03:40C'est une très, très, très grande joie.
03:43C'est passé tellement rapidement qu'on a même du mal à réaliser, mais c'est
03:48un soulagement.
03:49Parler de démocratie et de l'avenir, ça risque évidemment d'être très compliqué.
03:53Comme me l'a dit hier un ami, un ami journaliste français, il m'a dit au moins aujourd'hui
03:59vous avez un avenir à construire, peut-être que ça ne se passera pas très bien, mais
04:03au moins il y a l'espoir d'un avenir.
04:05Bertrand Baddy, comment est-ce que vous regardez ce qui est en train de se produire en Syrie ?
04:09Vous qui analysez, qui connaissez très bien cette région du monde ?
04:13D'un certain point de vue, c'est la défaite écrasante de la traditionnelle géopolitique.
04:19C'est assez remarquable de constater que ces forces qui sont en train de prendre le
04:26contrôle de la Syrie ne sont pas, en tous les cas, à titre premier, manipulés, organisés,
04:34commandés, dirigés par un État, une puissance, encadrés par une armée.
04:39D'un certain point de vue, l'échiquier inter-étatique mondial a été pris ou dépourvu
04:45par la fulgurance de ce phénomène.
04:46Et puis maintenant, si vous regardez, ça c'est quand même quelque chose que même
04:52moi je n'osais attendre, le comportement très passif et apathique des États de la région.
04:59L'Iran, bien entendu, vous avez raison de le dire, a été affaibli, mais surtout l'Iran
05:05a compris que cette vieille alliance, qui était presque contre-nature, n'oubliez pas
05:10que le pouvoir syrien était un pouvoir hyper laïciste, séculier, qui s'appuyait sur
05:18une minorité qu'on présentait comme chiite, ce qui n'est pas exact, les alaouites ne
05:22sont pas.
05:23Et l'Iran, dont on connaît l'orientation de république islamique, l'Iran a peu à
05:29peu compris que cette alliance au sens traditionnel du terme, à l'ancienne, ne lui apportait
05:36rien.
05:37Et la Russie commence à découvrir la même chose.
05:40Quant à la Turquie, alors justement, j'allais y venir, il y a le voisin turc qui est au
05:45nord de la Syrie, la Turquie, c'est une victoire pour elle la chute de Bachar el-Assad ?
05:51Alors, objectivement, oui, parce que, quelles que fussent les tentatives, notamment venant
05:58de Russie, pour rapprocher la Turquie de la Syrie assadienne, ça n'a pas marché et
06:06donc Erdogan restait le premier challenger, et peut-être le seul challenger explicite
06:13parmi les Etats du régime syrien.
06:17Maintenant, la Turquie est dans une situation extraordinairement complexe, parce qu'en
06:22même temps, elle a des sympathies connues avec Tahrir al-Ahram, mais elle est aussi
06:30en situation d'endiguement, voire de combat, des Kurdes, qui sont eux-mêmes les alliés
06:37de ceux dont la Turquie se considère l'allié.
06:40On va rentrer dans la complexité et essayer de faire un travail de pédagogie.
06:45Vous avez cité Ayat Ahir al-Sham, c'est justement cette coalition rebelle islamiste
06:52qui est menée par cet homme, Abou Mohamed el-Joulani, qui était son nom de guerre,
06:59il commence, et Christian Chenau le disait tout à l'heure, à utiliser son vrai nom,
07:03Damed el-Chahré, il y a donc les islamistes, il y a d'autres rebelles qui le seraient
07:09moins, et il y a les Kurdes qui sont à l'est.
07:12Comment expliquer qu'il y a cette coalition rebelle qui, tout à coup, a réussi à faire
07:17tomber un pouvoir qu'on n'a pas réussi à faire tomber en 2011, et les années qui
07:23ont suivi, et au cours d'une guerre, et d'une guerre civile, où on s'est affronté
07:28de manière extrêmement rude ?
07:29Oui, peut-être qu'on n'y est pas arrivé en 2011, parce que détruire, mettre fin
07:35à une dictature aussi cruelle et aussi ancienne prend beaucoup plus de temps que ce qu'on
07:40pensait, parce qu'un niveau de violence qui a été utilisé contre la population,
07:44qui était inimaginable à l'époque, ce qui est clair par contre, et ça aussi c'est
07:48quelque chose que c'est mon boulot de suivre la série depuis 23 ans, et on a assez régulièrement
07:54documenté l'institutionnalisation, si vous voulez, de Hayyat Tahrir al-Sham, donc c'est
08:00une organisation islamiste, mais parmi les différentes régions syriennes, gouvernées
08:04par différents pouvoirs, donc les régions du régime, les Kurdes et HTS, les régions
08:08gouvernées par HTS étaient les mieux gouvernées.
08:12Ils ont mis en place des institutions financières, une entreprise de téléphonie mobile, ils
08:17publient un journal officiel tous les jeudis avec leurs décisions, et donc Abou Mohammed
08:22al-Jourani a mis en place des institutions civiles et militaires extrêmement bien structurées
08:28et organisées.
08:29Justement, il faut que vous nous décriviez ce groupe qui est issu d'Al-Qaïda, avec
08:35le portrait de cet homme, Abou Mohammed al-Jourani, comme vous venez de le dire, c'est un nom
08:39de guerre, al-Jourani en arabe c'est le Gauland, c'est pas anodin, c'est un territoire
08:45qui a été largement annexé par Israël en 1967, comment est-ce qu'un groupe venu
08:52du radicalisme islamiste peut incarner une nouvelle ère et éventuellement être crédible
09:00pour porter l'espoir d'une libération de la population syrienne ?
09:04Écoutez, il y a quelques jours, un ami chrétien a écrit sur Facebook, les exilés syriens
09:15à travers le monde fêtent avec le whisky et l'arak la victoire des islamistes à Damas.
09:20C'est une contradiction, mais c'est une contradiction tout à fait assumée, nous
09:26étions hier à boire, à boire beaucoup, pour fêter la victoire de HTS, évidemment
09:32pas parce qu'on partage leurs convictions idéologiques, et c'est pour ça que quand
09:35vous parlez de démocratie, je vous disais, ça est beaucoup plus compliqué que ça,
09:40mais on est tellement soulagés, tellement libérés, que cette crapule, vraiment cette
09:45dictature horrible, terrible, est enfin disparue.
09:48Celle de Bachar el-Assad et avant lui de son père, Hafez el-Assad, il y a des symboles
09:53qui sont extrêmement importants, c'est d'abord la prise de différentes villes,
09:57on en a parlé depuis 7h ce matin, d'Ahrar, d'Ahrar, là où avait commencé justement
10:03la révolution syrienne, la révolution pacifique en 2011, avec le dessin d'un gamin sur un
10:08mur.
10:09Qu'est-ce qu'il avait fait ce gamin, Géad, expliquez-nous.
10:12Oui, en effet, il avait en fait, il y avait même plusieurs enfants qui avaient mis des
10:16inscriptions sur les murs souhaitant la chute du régime, à la suite des manifestations
10:21en Tunisie et en Égypte, et la chute de Moubarak.
10:25Plusieurs gamins, au départ, ont été arrêtés, les parents sont allés voir les services
10:30de renseignement pour leur demander qu'ils les libèrent.
10:32Le chef des services de renseignement leur a dit, si vous avez les enfants, je les garde,
10:36si vous n'avez pas, faites d'autres enfants, amenez-moi vos femmes et je leur ferai d'autres
10:39enfants.
10:40Ça a évidemment scandalisé tout le monde et ça a commencé comme ça.
10:43Mais évidemment, les racines sont beaucoup plus anciennes et un renseignement politique
10:48de ce style a forcément beaucoup de racines diverses.
10:52Et il y a également une prison symbolique où de très nombreux prisonniers, 3500, qui
10:59représentaient l'enfer de ce régime dictatorial qui a été ouvert avec des prisonniers politiques
11:06pour l'essentiel qui ont pu sortir.
11:08Bertrand Baddy, comment comprendre justement la complexité de cette coalition ? On a du
11:15mal malgré tout et c'est beaucoup d'auditeurs qui demandent de l'expliquer.
11:21Comment expliquer justement cette coalition étrange ?
11:26D'un certain point de vue, c'est l'évidence.
11:28Pourquoi ?
11:29C'est l'évidence ?
11:30Oui.
11:31Pourquoi ? Parce que l'État bassiste syrien et surtout dans son ultime phase depuis 2011
11:38était un faux État, était un État, comme on dit, fragile, fail state, on dit en anglais,
11:45c'est-à-dire un État écroulé qui n'avait plus de substance.
11:48Qu'est-ce qui se passe ? Lorsqu'un État n'existe plus mais qu'une dictature se substitue
11:55à lui avec l'aide de puissances étrangères, vous avez une sorte de coalition de cristallisation
12:01de l'ensemble de la société contre ce régime.
12:05C'est dans la manie que nous avons.
12:08Autrement dit, cette dictature était déjà pourrie, vermoulue, on a sous-estimé l'état
12:12de délabrement dans lequel elle était ?
12:15L'État syrien n'existait plus en tous les cas depuis 2011.
12:18Mais on est tellement obsédé par cette vision hyper-géopolitique des choses qu'on était
12:24persuadé, bon, il y a un État syrien qui est soutenu par une coalition d'États,
12:30or la réalité elle était toute autre, c'est qu'il y avait une société en ébullition.
12:34Vous savez, de 2007-2008 jusqu'à 2011, il y a eu une transformation profonde de la
12:41société syrienne où se sont mêlés des jeunes qui quittaient des régions désertifiées
12:48et qui servaient de base de mobilisation des mouvements d'émancipation.
12:52Quand vous avez face à vous un État dictatorial qui n'a pas de légitimité ni de base sociale,
12:57vous ne regardez pas l'étiquette de votre voisin, si le voisin combat, vous combattez
13:01avec lui.
13:02Maintenant, effectivement, il va falloir résoudre l'équation, parce que jusqu'à maintenant
13:07le problème ne se posait même pas.
13:08Et cette équation, c'est vrai qu'elle est posée aujourd'hui.
13:11Au syrien, Jihad Yazidi, c'est une société qui était en ébullition, disait Bertrand
13:17Badi à l'instant, avec une économie qui s'était complètement effondrée, avec peut-être
13:23500, 600 000 morts depuis le début de la révolte en 2011, des milliers de prisonniers
13:31et des millions, on estime à 6 millions, le nombre de Syriens qui ont dû quitter
13:37la Syrie.
13:38Est-ce qu'aujourd'hui, on peut imaginer qu'ils reviennent chez eux, ceux qui ont
13:42été dans des camps de réfugiés, en Turquie, au Liban par exemple ? Est-ce qu'aujourd'hui,
13:48ils peuvent rentrer en Syrie ou est-ce qu'il est trop tôt pour le dire ?
13:51Non, certainement beaucoup peuvent et beaucoup vont rentrer parce qu'ils vivent dans des
13:56conditions terribles dans les pays voisins, souvent, pas toujours.
14:00Beaucoup ne rentraient pas parce que, justement, l'armée syrienne était présente dans
14:06les villes et villages qu'ils habitaient, ce sont des populations qui, d'abord et
14:09avant tout, ont été expulsées de chez eux ou ont fui la guerre.
14:12Donc, en termes de flot de réfugiés, il est assez probable, par exemple, que des réfugiés
14:19en Turquie rentrent, que des déplacés en fait, parce qu'il y a aussi, vous parlez
14:23de 6 à 7 millions de réfugiés, il faut rajouter 6 à 7 millions de déplacés à l'intérieur
14:28de la Syrie.
14:30Non, évidemment pas !
14:31Non, volontairement déplacés par le régime.
14:33Oui, il y a plusieurs raisons, mais très certainement, en tout cas, le régime a tout
14:38fait pour ne pas leur permettre de rentrer chez eux.
14:40Il y a beaucoup de raisons pour cela.
14:42Mais avant de filer au standard, il y a énormément de questions d'auditeurs, Bertrand Badi, certains
14:48disent qu'on est dans une logique de continuité par rapport au 7 octobre de l'année dernière.
14:56Est-ce que vous partagez ce diagnostic ?
14:59Il faut rappeler que la Syrie, c'est tout à côté, vraiment tout juste à côté d'Israël,
15:06c'est mitoyen du Liban, entre Beyrouth et Damas, il doit y avoir 150 kilomètres pour
15:12qu'on comprenne.
15:13Alors, on ne met pas une heure et demie pour faire le trajet en voiture, évidemment, mais
15:17c'est un tout petit mouchoir de poche où se concentrent des inimitiés, des haines
15:24et des groupes qui ont des intérêts très divergents.
15:26Oui, et refaisons de la géopolitique un court instant, le régime syrien, qui du temps de
15:31Hafez était l'ennemi principal pratiquement d'Israël, était devenu une sorte d'état
15:37tampon dont tout le monde s'accommodait, c'est-à-dire le régime israélien trouvait
15:42que c'était un gage de stabilité et d'équilibre et la Russie se gardait bien de protester
15:48lorsque Israël bombardait les positions iraniennes ou Hezbollahi en Syrie.
15:54Mais quel rapport entre ce qui se passe aujourd'hui et le 7 octobre ?
15:56Ben justement, le rapport c'est la guerre, c'est pas tant le 7 octobre en soi, c'est
16:00tout ce qui a dérivé du 7 octobre, notamment, bien sûr, la guerre de Gaza, mais surtout,
16:05bien entendu, la guerre du Liban Sud et cette guerre entre Israël et le Hezbollah qui a
16:12conduit à affaiblir le Hezbollah, mais non seulement à affaiblir le Hezbollah, mais
16:16à faire comprendre au Hezbollah que ses vrais intérêts à préserver en priorité étaient
16:20au Liban et non en Syrie, et que donc le régime Assad était un poids plutôt qu'une
16:25ressource.
16:26Et ce qui a provoqué, Israël a provoqué indirectement la chute d'Assad, volontairement
16:35je ne crois pas, je crois que c'est un effet de conséquence, et maintenant c'est la porte
16:39de l'incertitude qui s'ouvre.
16:41On file au Standard, bonjour Olivier et bienvenue sur France Inter.
16:45Oui, bonjour et puis merci de retenir ma question et je voulais remercier Bertrand Baddy d'être
16:51présent à l'émission parce que j'apprécie beaucoup aussi ses interventions à France
16:55Culture dans l'émission « Affaires étrangères » ou « L'esprit public », donc longue
16:59vie à vous et voilà.
17:01Bon, maintenant j'avais une question à poser, enfin, c'est comment suit-il que la
17:06Russie ne soit pas intervenue cette fois-ci, non pas que je regrette, mais comme vous le
17:10disiez tout à l'heure, en 2011, la Russie est venue au secours de Bachar al-Assad, l'a
17:15tenté à maltraiter sa population, maltraiter c'est peut-être un euphémisme, mais donc
17:19je m'étonne de ça, et est-ce que ça veut dire qu'il y a entré au lieu des espèces
17:23de négociations en disant « voilà, on accepte la fuite de Bachar al-Assad pour promouvoir
17:30autre chose », etc.
17:31Donc voilà ma question.
17:33Merci Olivier, alors la réponse de Bertrand Baddy, d'autres auditeurs disent que la
17:38Russie est trop occupée en Ukraine, que finalement c'est aussi un signe de son affaiblissement,
17:43mais pourquoi est-ce que la Russie, là, pour le coup, n'est pas intervenue alors
17:46que c'est vrai ? Il faut le rappeler, j'y ai d'acquiescé, ce sont des milliers
17:51de morts sous les bombes des avions russes en 2011 et les années qui ont suivi au moment
17:58de la guerre.
17:59Moi je dirais que la Russie ne le peut pas, mais je dirais peut-être même qu'elle
18:02ne le veut pas.
18:03Elle ne le peut pas pour les raisons qui ont été établies, trop occupées par le conflit
18:07ukrainien.
18:08Vous savez, le conflit ukrainien, ça a coûté 700 000 victimes à la Russie, ce qui n'est
18:12pas rien.
18:13Donc ouvrir un front, qui là, devrait être un front très mobilisateur, on ne peut pas
18:17calmer ce genre ou contenir ce genre de mouvements uniquement en envoyant quelques gendarmes.
18:22Elle n'en a pas la possibilité.
18:24Mais je pense qu'il y a aussi une évolution de la stratégie de Poutine, Poutine considère
18:33que finalement, dans le jeu actuel du Moyen-Orient, Assad était un allié ou un protégé plutôt
18:39en comblant plutôt une charge là-bas et donc on assiste à une logique de retrait
18:46qui est parallèle pour d'autres raisons au retrait iranien et qui fait qu'effectivement,
18:51le roi est nu.
18:52À partir du moment où il perd ses deux vêtements iranien et russe, il se retrouve tout à fait
18:59incapable de résister.
19:01Donc je pense que cette stratégie russe n'a rien d'étonnant.
19:05Il fallait entendre les réactions de Moscou qui, au premier signe, lors de la prise d'Alep,
19:11étaient des réactions lentes et molles qui ne correspondent pas du tout à la rhétorique
19:15habituelle de M. Preskov ou de Poutine lui-même.
19:18C'était intéressant, Yazigi, de voir que Donald Trump avait tweeté « ça n'est pas
19:24notre histoire, nous n'avons absolument rien à faire là-bas ». Il a, sur Twitter, massacré
19:30Barack Obama pour ne pas être intervenu au moment où il avait fixé des lignes rouges
19:36avec l'emploi d'armes chimiques contre la population syrienne.
19:40Vous comprenez là pour le coup que les Etats-Unis regardent ça de loin et ne veuillent surtout
19:46pas s'en mêler ?
19:47Oui, évidemment, l'intérêt des Etats-Unis pour la Syrie est minime.
19:52Moi, ce que je voudrais rajouter par rapport à la Russie, elle est intervenue en fait
19:57en septembre 2015, septembre-octobre 2015, pas dès le début, mais je crois que le
20:01manque de réaction des Russes et la compréhension par les officiers de l'armée syrienne que
20:06les Russes n'intervenaient pas était un facteur assez déterminant aussi dans la fuite
20:10parce qu'ils ont compris que quelque chose avait changé.
20:12Il y a autre chose aussi que je voudrais rajouter, c'est l'exaspération que beaucoup d'hommes
20:17politiques qui ont travaillé avec Bachar al-Assad ont vis-à-vis de lui.
20:21Les Russes ont beaucoup tenté un rapprochement turco-syrien, les pays du Golfe ont beaucoup
20:28tenté et Bachar disait non en permanence, restait inflexible alors que sa situation
20:35économique géopolitique exigeait qu'il fasse le contraire.
20:38Et je crois que son abandon, non simplement par les Russes, parce qu'il a appelé les
20:42Irakiens qui ne sont pas intervenus alors qu'il y a beaucoup de milices chiites, il
20:45a appelé les pays du Golfe, exactement, personne n'est intervenu et ça reflète quand même
20:49son extraordinaire isolement alors qu'il y a à peine dix jours, on pensait qu'il
20:53était soutenu par quasiment tout le monde pour rester au pouvoir.
20:55Est-ce qu'il y a aujourd'hui un risque d'explosion, de partition du pays justement
20:59en fonction des différentes confessions, des différentes communautés qui cohabitent
21:06tant bien que mal mais qui cohabitaient sous le règne de fer des Assad ?
21:10En fait le pays est divisé depuis maintenant de très nombreuses années en quatre zones.
21:15Je crois que maintenant ce qu'on va avoir c'est trois grandes principales zones.
21:19Je parle vraiment des premières semaines qui suivent, une zone dominée par les rebelles
21:23qui viennent de prendre le pouvoir, qui vont contrôler l'axe, vraiment la colonne vertébrale
21:27syrienne qui sont vraiment ces quatre villes Alep, Hama, Homs, Damas.
21:31Donc du nord au sud, ce sont les rebelles de l'opposition.
21:34Exactement, qui viennent de prendre le pouvoir.
21:36On va avoir dans le nord-est les Kurdes, on les a déjà, on va voir sur la côte ce
21:41qui va se passer.
21:42Pour l'instant, il y a les derniers soutiens de Bachar, en fait je pense que ce n'est
21:46pas des vrais soutiens de Bachar, c'est surtout une population en bonne partie composée
21:50d'Alawites qui a peur et qui ne sait pas quoi faire exactement.
21:53Il se peut que cette région ne soit pas tenue par l'opposition tout de suite et qu'il
21:57y ait une forme de deal.
21:59Donc il y a des risques en effet que ce pays ait du mal à se reconstruire mais on est déjà
22:04dans cette situation depuis très longtemps en fait et maintenant comme je l'ai dit je
22:07pense qu'on a la possibilité de pouvoir résoudre ce problème.
22:10Un mot peut-être pour conclure Bertrand Baldi, à quoi pourrait ressembler l'avenir justement
22:15de ce pays qui se débarrasse d'un dictateur et d'un régime peut-être, mais comment
22:22imaginer demain, le lendemain ?
22:25Je ne sais pas écrire les horoscopes, mais je vais essayer quand même de répondre à
22:29votre question.
22:30On a un élément de comparaison, même si les différences restent très importantes,
22:34c'est l'Irak, après la chute de Saddam Hussein, où on a assisté je dirais aux deux
22:39éléments de l'alternative que vous décriviez tout à l'heure, c'est-à-dire un état
22:43qui est resté, il n'y a pas eu plusieurs Iraks qui en sont sortis, mais une fragmentation
22:49de fait, comme vous disiez très justement, c'est-à-dire lorsqu'un état est faible
22:54et qu'il n'y a pas une structure dictatoriale soutenue internationalement derrière, il
23:00y a tendance à avoir réémergé des pouvoirs locaux.
23:03Ça vous fait penser à la Libye par exemple, à la chute de Kadhafi ?
23:07Alors oui, je disais l'Irak tout à l'heure, ça peut aussi faire penser à la Libye, la
23:11Libye c'est quand même très particulier, parce qu'il y a une intervention militaire
23:15extérieure très forte, et que le jeu en Afrique du Nord est différent de celui du
23:20Moyen-Orient, mais c'est toujours, vous avez raison, le même process comme on dit
23:26maintenant, c'est-à-dire cet éclatement de fait sans que ce soit institutionnalisé.
23:33Vous savez, Sykes et Picot, ils sont morts, le temps des découpages institutionnalisés
23:38reconnus par la communauté, c'est fini ça.
23:41Ça c'est terminé, et d'ailleurs, c'est un français et un anglais, 1916, qui avaient
23:45découpé le Moyen-Orient à la règle, et on peut encore en voir les traces en regardant
23:49une carte du Monde.
23:51Ça vous fait moyennement sourire, Jihad Yazici, mais c'est vrai que ça fait partie de cette
23:56histoire.
23:57Un mot avant de vous libérer, messieurs.
23:59Jihad, qu'est-ce que vous gardez comme image ? J'imagine que vous avez passé beaucoup
24:01de temps sur les réseaux sociaux, mais comme image de ce qui s'est passé ces derniers
24:05jours, ces dernières heures dans votre pays, la Syrie ?
24:08Surtout la libération de prisonniers politiques, je dois vous dire.
24:11Il y a des personnes qui étaient en prison depuis 10, 20, 30 ans.
24:17Des gens qui retrouvent des proches qu'ils pensaient disparus, dont ils n'avaient pas
24:21de nouvelles depuis des décennies, et c'est quelque chose qui, je crois, nous a tous beaucoup
24:25beaucoup touchés.
24:26Il a fallu une organisation islamiste pour les libérer.
24:30L'important, c'est qu'ils soient libres aujourd'hui.
24:32Merci infiniment, messieurs, d'avoir été avec nous ce matin et d'avoir permis d'analyser
24:37à chaud cette histoire en train de s'écrire en Syrie.
24:41Merci, je vous souhaite une excellente journée.

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