Lundi 9 décembre 2024, SMART IMPACT reçoit Vanessa Benoit (Directrice générale, Samusocial) et Olivia Richard (Sénatrice)
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00:00Générique
00:06Comment aider les femmes sans domicile, les femmes à la rue ?
00:09Voilà le thème de notre débat avec Olivia Richard.
00:11Bonjour, vous êtes sénatrice. Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:15Vanessa Benoît, bonjour. Vous êtes directrice générale du SAMU Social.
00:19Avec trois autres sénatrices, vous étiez rapporteure d'une mission d'information sur les femmes à la rue.
00:23Je vais commencer par le constat.
00:25120 000 femmes sans domicile et parmi elles environ 3000 et autant d'enfants qui passent la nuit dehors.
00:31Déjà, est-ce que vous avez été surprise par l'ampleur du phénomène ?
00:34Oui, c'était l'essentiel intérêt de cette mission d'information.
00:39C'était d'aborder la question des personnes sans-abri et qui dorment ou ne dorment pas précisément à la rue.
00:46C'était d'apporter ce regard genré qui est tout à fait indispensable
00:51parce que ce ne sont pas du tout les mêmes problématiques
00:53et l'ampleur est en effet inédite.
00:55Ce n'était pas du tout le cas il y a dix ans.
00:58C'était un travail important au long cours.
01:01Nous sommes quatre co-rapporteurs.
01:04Ce travail a été fait à l'initiative et sur l'idée de Dominique Vérien,
01:09la présidente de la délégation Droits des Femmes du Sénat.
01:12Cela nous a permis pendant dix mois de rencontrer des acteurs indispensables sur le terrain,
01:20des gens extrêmement mobilisés qui sont face à une situation.
01:24On pourrait dire qu'on est face à une mère qu'on essaie de vider avec une petite cuillère.
01:28Il faut trouver des solutions parce que les problèmes sont épouvantables.
01:31On entrera dans le détail des propositions que vous pouvez faire.
01:34Elles sont plus en danger que les hommes.
01:36C'est une évidence qu'il faut rappeler et peut-être détailler ?
01:40Oui, il y a beaucoup d'évidence qu'il faut rappeler.
01:42C'est pour cela que c'était tellement bien que la délégation des Droits des Femmes du Sénat travaille sur ce sujet
01:47parce que les femmes sans domicile sont vraiment les invisibles parmi les invisibles.
01:50Globalement, on ne voit pas tant que ça les sans domicile.
01:53On voit surtout les personnes qui sont sans abri à la rue et encore qu'une partie d'entre eux.
01:57Or, les femmes se cachent, elles affrontent d'autres dangers quand elles sont à la rue.
02:01Elles se rendent invisibles, on ne les voit pas.
02:03Elles sont dans des bus de nuit, dans les aéroports, dans des voitures, dans des parkings privés
02:07qui sont des lieux qui les mettent encore plus en danger
02:10parce que ces femmes ont des parcours qui sont marqués par la violence du début à la fin.
02:15Ça peut être des violences conjugales, des violences intrafamiliales qui les envoient à la rue.
02:19C'est aussi juste la violence économique qui fait qu'on est moins payé,
02:22plus exposé à des risques de perte ou à des risques de dépendance.
02:25Et donc, lorsqu'une relation toxique prend fin, on se retrouve également en difficulté.
02:30Et toutes ces difficultés s'accumulent et font que c'est encore plus difficile de rebondir quand on est une femme précaire.
02:35On parle d'agression, on parle de viol,
02:39on parle de déplacements aussi incessants pour essayer de grappiller des aides d'un département à l'autre.
02:45C'est ça aussi le constat ?
02:46Alors en fait, chacun a une stratégie.
02:48On ne subit pas complètement la pauvreté ou en tout cas on cherche à trouver des moyens de survivre.
02:53C'est vraiment une lutte pour la survie.
02:55Donc les femmes déploient des stratégies énormes pour se rendre invisibles,
02:58pour passer pour madame n'importe qui, pour qu'on ne les voit pas.
03:01Et après, la vie d'une personne sans abri, c'est une quête incessante pour aller d'un endroit à un autre,
03:06d'une distribution alimentaire à un bain-douche, à une assistante sociale.
03:10Le soir, se demander où on va dormir, se trouver un spot où on ne sera pas en danger.
03:14C'est ça la réalité des personnes qui vivent cette errance.
03:17Et en fait, dans ce temps-là, on n'a pas le temps de construire.
03:20On n'a pas le temps de construire son avenir parce qu'on est déjà en train de construire
03:23juste le fait de survivre et d'être encore là demain matin.
03:26Olivier Richard, vous avez fait un certain nombre de propositions dans ce rapport d'information.
03:30Je vais commencer par celle qui semble la plus évidente, la création de places d'hébergement supplémentaires.
03:35Il faut des places spécifiques ?
03:37Il faut des places spécifiques et il faut monter en qualité pour l'accueil qu'on peut proposer à ces femmes.
03:42Parce qu'évidemment, lorsqu'elles ont fait l'objet de violences, on s'est rendu compte
03:48que toutes les femmes qui sont sans abri au bout d'un an auront été violées.
03:52Donc, on ne peut pas tout à fait les diriger vers des accueils mixtes.
03:57Évidemment, c'est perçu comme très dangereux par elles.
04:01Et ça entraîne un taux de non-recours à toute l'aide qui est très préjudiciable.
04:05Donc oui, plus d'hébergement, mieux d'hébergement.
04:09Et on s'est rendu compte qu'il était aussi important de sortir de cette gestion par étapes
04:18où d'abord, on peut être mis à l'abri.
04:21Après, on a un hébergement dans lequel on va rester un peu plus longtemps pour retourner à la rue.
04:26Pour après, pouvoir être bénéficier de quelque chose un peu plus pérenne pendant quelques années.
04:31Pour après, finalement, aller dans l'hébergement social.
04:34C'est l'espèce de yo-yo permanent.
04:36Il y a un yo-yo permanent et on ne peut pas passer, ou c'est très difficile,
04:39de passer directement de la rue à un logement social.
04:42Et en réalité, il faut favoriser ce genre de logique, ce genre de plan qui existe,
04:47mais insuffisamment parce que, voilà, 10 ans à la rue, ça détruit une vie.
04:52Parce que la rue tue, la rue abîme.
04:55Outre toutes les violences qu'on subit, on ne rappellera jamais assez qu'elle ne dorme pas.
05:01Elle veille, elle surveille et ça détruit.
05:04Elles sont dans un moment d'urgence permanent qui empêche toute reconstruction.
05:09Quand on parle de place d'hébergement d'urgence, c'est combien de places supplémentaires et de qui ça dépend ?
05:14Ça dépend de l'État, ça dépend des communes, ça dépend des départements, des régions ?
05:18C'est aussi un sujet d'attention.
05:20C'est qu'en fait, en fonction de l'âge, ce n'est pas le même interlocuteur.
05:23Il y a plusieurs lignes budgétaires.
05:25Il y a un besoin de simplification, de responsabilisation.
05:27Là aussi.
05:28Là aussi.
05:29Il ne faut pas qu'un acteur puisse se dire, ah non, ça, regardez cette ligne du code action sociale.
05:35Il dit que ce n'est pas moi, c'est l'autre.
05:36Donc je refile entre guillemets.
05:38L'exception n'est pas bonne, mais la patate chaude a d'autres.
05:40Exactement.
05:41Il faut simplifier.
05:42Il faut que chacun se responsabilise.
05:44À l'occasion du budget qui n'est plus, nous comptions, comme l'année dernière,
05:48demander 10 000 places supplémentaires.
05:50Évidemment, il offondrait plus, mais encore une fois, on gère l'urgence en permanence.
05:54Donc 10 000 places, ça aurait déjà été ça.
05:56Le budget de solidarité aurait dû être examiné la semaine prochaine.
05:59Bon.
06:00Tout ça prend du retard.
06:01Vanessa Benoît, à quel point les places, le parc d'hébergement, il est saturé aujourd'hui ?
06:06Il est complètement saturé.
06:07C'est pour ça qu'on se retrouve toujours à demander des places en plus.
06:10Parce qu'en fait, tant qu'il y a des gens dehors, ce n'est pas supportable.
06:13Il faut pouvoir les accueillir.
06:14Mais la réalité, c'est que si l'accès au logement était facilité,
06:17si les lois sur l'accès au logement des plus pauvres étaient respectées,
06:21on n'aurait même pas besoin de créer des places d'hébergement.
06:24On pourrait accueillir les personnes qui sont dehors,
06:26dans les places libérées par ceux qui ont accès au logement.
06:28Et en fait, ce dont ont besoin les personnes sans domicile, et en particulier les femmes,
06:32c'est avant tout d'être mis en sécurité et de retrouver une intimité.
06:35Et ça, la meilleure réponse pour ça, c'est le logement.
06:38Donc pour tous les publics sans domicile, c'est la première réponse.
06:40C'est celle qu'il faut soutenir le plus.
06:42Mais attendez, pour bien comprendre, il y a un effet domino.
06:44C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont dans des logements,
06:47dont ils ont bénéficié à une époque, qui ne devraient plus y être, c'est ça ?
06:51Et on ne s'occupe pas de leur trouver autre chose pour libérer ces places
06:54pour celles et ceux, en l'occurrence celles qui en ont le plus besoin ?
06:57Alors, si vous parlez d'accès au logement, en fait, il y a deux sujets.
07:00Il y a d'abord un sujet qui est qu'on ne construit pas assez de logements sociaux en France depuis des années.
07:04Donc en fait, on ne répond pas aux besoins en logement social.
07:08Malgré la loi SRU ?
07:09Malgré la loi SRU, qui n'est pas respectée partout, et c'est un sujet en soi.
07:13Et par ailleurs, il y a un deuxième sujet qui est que dans les attributions,
07:16c'est-à-dire que dans les nouveaux logements qui sortent quand même,
07:19ou les logements qui se libèrent, on n'attribue pas assez aux ménages les plus pauvres et les plus vulnérables.
07:24Ils se retrouvent en concurrence avec d'autres, et ils sont souvent défavorisés dans cette concurrence.
07:28La loi, elle prévoit juste que 25% des attributions de logement social
07:32soient au bénéfice des 25% les plus pauvres.
07:34Donc ce n'est pas une surpriorisation, c'est juste reconnaître leur poids dans la société,
07:38leur place dans la société, et c'est ça qui n'est pas appliqué aujourd'hui.
07:41Qu'est-ce que vous proposez sur ce point particulier dans votre rapport d'information ?
07:46Nous avons proposé que l'accès au logement social soit en priorité réservé,
07:52qu'il y ait une priorisation pour les femmes à la rue victimes de violences,
07:57comme sur le modèle des femmes victimes de violences intrafamiliales,
08:00puisque 11 000 places leur ont été allouées.
08:03Apparemment, ça répond aux besoins.
08:05Il faut créer un facteur de priorité pour les femmes à la rue, évidemment.
08:09Est-ce que ces femmes à la rue, elles sont souvent avec des enfants ?
08:12Oui et non.
08:14Souvent, en fait, il y a deux choses.
08:17Soit vous êtes avec des enfants, vous allez tout faire pour les protéger.
08:20Et donc vous allez survivre d'hôtel social en hôtel social
08:23dans des très mauvaises conditions pour élever des enfants.
08:26Si vous rencontrez des difficultés plus grandes, en fait,
08:29souvent ce qui va se passer, c'est que vos enfants vous seront retirés.
08:31Et ça, c'est une grande souffrance pour des femmes sans domicile
08:34qui aspirent à reconstruire des liens avec leurs enfants
08:37qu'elles n'ont pas vus depuis des années.
08:39Et en fait, c'est aussi un moteur qui peut les tirer vers l'avant
08:42de se dire que si les choses vont mieux,
08:44elles pourront à nouveau recevoir et voir leurs enfants.
08:46Je parle des enfants parce qu'on voit une sorte de cercle vicieux
08:50de la rue et de la violence.
08:52C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de personnes sans domicile fixe
08:55qui sont issues de famille, qui elles-mêmes étaient sans domicile fixe,
08:59qui sont passées par l'ASE, l'aide sociale à l'enfance, etc.
09:02C'est ça qu'il faudrait briser, cette espèce de fatalité de la rue.
09:06C'est-à-dire un cycle de violence perpétuelle.
09:08En effet, c'est très préoccupant de voir qu'un quart des femmes
09:11à la rue aujourd'hui, encore une fois, on fait ce qu'on peut pour estimer,
09:14mais ce n'est pas facile parce qu'on manque de données,
09:16mais un quart des femmes à la rue sont passées par l'ASE.
09:19Donc, ça pose question sur l'accompagnement des sorties sèches de l'ASE.
09:23Et on a demandé un développement des contrats jeunes majeurs.
09:27Oui, parce qu'il faut expliquer, à partir de 18 ans...
09:30Pardon, je vous ai rien dit.
09:32Mais à partir de 18 ans, on sort de l'ASE et on n'a plus rien
09:35et on n'a plus grand-chose.
09:37Donc, besoin d'accompagnement, mais je pense qu'on en a tous conscience.
09:40Il ne suffit pas d'héberger les gens, il faut les accompagner.
09:42C'est vraiment le sujet de construire des parcours, en fait.
09:45Que le passage dans une institution, que ce soit l'ASE,
09:48l'hôpital psychiatrique ou la prison, ça ne veuille pas dire ensuite
09:51aller à la rue par défaut de construction de la suite.
09:54Donc, tous les intervenants, en fait, devraient être en train de se dire
09:56comment est-ce que j'aide les personnes à se construire des parcours
09:58qui vont les sortir de la pauvreté et pas juste intervenir sur un petit moment
10:02puis ce qui se passe après mois, ce n'est plus mon problème.
10:04Il y a aussi la question des femmes sans-abri qui sont en situation irrégulière.
10:09Olivia Grégoire, alors là, on est dans un casse-tête administratif, pourquoi ?
10:13On est dans un casse-tête administratif parce qu'on ne traite pas le problème
10:16et que, évidemment, c'est une approche qui peut pour certains être difficile
10:23et néanmoins, il faut regarder le problème de façon très pragmatique.
10:26On ne peut accéder au logement social que si on est en situation régulière
10:30d'un point de vue administratif.
10:32Si la situation administrative n'est même pas examinée, on n'accède pas.
10:37Donc, on reste dans l'hébergement d'urgence, parfois 2, 3, 4 ans,
10:41ce qui embolise, ce qui contribue à complètement emboliser le système.
10:44On sait très bien que la majeure partie de ces femmes migrantes
10:47sont dans des situations dans leur pays qui justifient un titre en France.
10:52Certaines même, on en a rencontré, avaient déjà un droit d'asile en France
10:56et pour autant, n'arrivaient pas, même avec des fiches.
11:00Il faut mesurer à quel point c'est embolisé.
11:03Donc, n'arrivaient pas à accéder au logement.
11:06Mais à partir du moment où on ne traite pas la situation, elle pourrit
11:09et donc, c'est des gens qui bloquent l'hébergement d'urgence.
11:12Pour purifier tout ça, nous avons demandé l'application de la circulaire VALS
11:17au cas par cas, l'examen des situations administratives.
11:20Nous avons demandé la création d'un guichet unique auquel pourrait se référer aussi
11:24tout le tissu associatif qui tente d'accompagner ces femmes
11:28parce que pour l'instant, même avoir un rendez-vous à la préfecture, c'est très difficile.
11:33En fait, aujourd'hui, des gens perdent leur titre de séjour
11:35faute d'accès à un rendez-vous en préfecture.
11:38Donc, c'est les délais de traitement qui produisent des gens en situation irrégulière
11:41et qui les bloquent dans des situations où notamment les femmes sont exposées
11:44à des risques d'exploitation en tout genre.
11:47Merci beaucoup. Merci à toutes les deux et à bientôt sur Be Smart For Change.
11:51On passe à notre rubrique Start-up tout de suite.