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00:00– De retour dans votre émission Angle de vue en compagnie de Catherine Marcelline.
00:08Alors vous êtes, on l'a dit, Mélinda l'a dit dans votre portrait,
00:12vous êtes également une grande passionnée de culture et d'histoire,
00:16l'histoire avec un grand H et en particulier celle de ses figures féminines.
00:20Vous avez d'ailleurs échangé la robe contre la plume
00:24en écrivant un premier ouvrage dédié à la cantatrice Christiane Edapierre
00:28qui a paru en 2019, pourquoi avoir choisi cette figure pour vous lancer dans l'écriture ?
00:34– J'avais envie d'écrire sur une femme noire emblématique de notre histoire
00:38parce que je trouvais que malheureusement,
00:40bien qu'il y ait pas mal de femmes dans notre histoire qui s'étaient illustrées,
00:44on n'en parlait pas suffisamment.
00:46Et donc Christiane Edapierre était une femme que j'avais rencontrée pour la première fois,
00:51à la Martigny quand elle était venue faire un récital,
00:55ma mère m'avait emmenée la voir et c'était mon premier contact avec l'art lyrique,
00:58j'étais une petite fille de 8 ans et donc j'avais gardé ça en mémoire.
01:02Et puis elle était en vie et ça pour moi c'était vraiment précieux
01:05de pouvoir commencer à échanger avec elle.
01:07Et donc l'écriture a été fluide parce qu'elle est inspirante bien sûr
01:13et puis c'était un témoin aussi privilégié de son époque
01:16donc j'ai beaucoup appris en discutant avec elle, en échangeant avec elle.
01:21– Alors un premier travail d'écriture qui vous emmène sur les traces de la tante
01:25de Christiane Edapierre à savoir Paulette Nardel, militante de la cause noire,
01:30première femme de couleur à étudier à la Sorbonne, journaliste,
01:34inspiratrice du courant littéraire de la négritude
01:37et pourtant pendant très longtemps l'histoire n'aura retenu que Césaire et Senghor.
01:42Comment vous l'expliquez ?
01:43– Césaire, Senghor et Damas.
01:45D'abord parce que l'histoire… – En tout cas trois hommes.
01:48– Voilà trois hommes, l'histoire est évidemment posée sur des bases patriarcales
01:52donc les femmes ont contribué mais elles n'apparaissent pas officiellement
01:57et puis ensuite parce que je pense que beaucoup considèrent
02:01que pouvoir honorer le travail de Paulette Nardel
02:05c'est retirer à Césaire ce qu'il a fait.
02:08Paulette Nardel était la première étudiante noire à la Sorbonne en classe d'anglais.
02:12Elle a donc maîtrisé parfaitement l'anglais qu'elle parlait couramment
02:16et donc pu traduire des auteurs noirs américains.
02:18Ces auteurs noirs américains venaient dans son salon à Clamart
02:22et ils lui ont montré ce qu'était l'internationalisme noir.
02:25Il y avait à ce moment-là aux États-Unis un mouvement culturel, intellectuel
02:29qui s'appelle Harlem Renaissance qui prenait donc les valeurs culturelles, littéraires, noires
02:36en disant que les noirs avaient autant de valeur que les blancs.
02:39Donc c'était quelque chose qui était très important pour la fierté américaine noire.
02:44Et donc elle a fait cette découverte-là, Paulette Nardel,
02:47quand elle est partie faire ses études et elle a ouvert son salon à des personnes
02:52et quand Césaire est arrivé bien plus tard,
02:54parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y a plus de dix ans de différence entre les deux,
02:57il a pu bénéficier de ces contacts-là.
02:59Mais la seule qui parlait anglais c'était Paulette Nardel,
03:01la seule qui pouvait traduire des textes c'était Paulette Nardel.
03:05Donc elle lui a donné accès à un certain nombre de compréhensions de clés
03:09que lui ensuite a développées sous le terme de négritude
03:14mais les éléments premiers c'est elle qui les amène et elle le dira dans une interview.
03:19Elle a dit oui bien sûr nous avons ouvert la voie
03:21mais nous n'étions que des femmes.
03:23Et donc il y avait vraiment cette importance,
03:25ce poids de la société patriarcale qui faisait que les hommes n'en parlaient pas
03:30et qu'ensuite, par la suite, quand son travail a commencé à être mis en lumière,
03:36ça fait depuis des années que je travaille à ça,
03:40beaucoup se sont dit mais si on reconnaît ce qu'a fait Paulette Nardel
03:43ça veut dire qu'on enlève à Césaire.
03:45Donc il y a quelque part un malaise, une gêne, en tout cas ici en Martinique,
03:50à pouvoir le reconnaître.
03:52Et je me suis souvent retrouvée confrontée à des personnes
03:54qui m'interpellaient autour de conférences par exemple ou dans la rue
03:58en me disant mais pourquoi est-ce que vous voulez enlever ça à Césaire ?
04:01Césaire c'est la négritude.
04:03Il ne s'agit pas d'enlever ça à Césaire,
04:04il s'agit de reconnaître que là où lui il a théorisé, conceptualisé la négritude,
04:09avant il y avait une femme et d'autres femmes
04:12parce que la femme de Césaire aussi, Suzanne Roussy,
04:14a beaucoup œuvré en matière de féminisme, de féminisme noir
04:18et de valeur, de prise de conscience des valeurs noires.
04:21Il s'agit de restituer ce qui a existé et qui a été porté par d'autres.
04:25Donc on est sur un combat qui est aussi un combat d'égalité homme-femme en fait.
04:29– Et donc un travail de restitution que vous menez aussi depuis 2016
04:34afin que justement Paulette Nardel entre au Panthéon par l'apposition d'une plaque.
04:39J'ai lu qu'on vous a traité de folle à l'époque.
04:41– Oui, en me disant mais Paulette Nardel c'est qui ?
04:44Mais comment tu veux faire entrer quelqu'un qu'on ne connaît pas au Panthéon ?
04:47Et en fait, moi ma question c'était à ce moment-là quand on me disait ça mais,
04:51comment ça quelqu'un qu'on ne connaît pas ?
04:53C'est peut-être quelqu'un que tu ne connais pas toi,
04:54donc essayons d'en parler, essayons d'échanger.
04:58Et la deuxième question qui venait c'était,
04:59mais elle n'a rien fait, vraiment tu n'y penses pas ?
05:01Il n'y a aucune raison qu'elle rentre au Panthéon.
05:03Et là je répondais pareil, peut-être que tu ne sais pas ce qu'elle a fait
05:06mais renseigne-toi sur ce qu'elle a fait.
05:07Et quand on voit son parcours, elle a été première dans beaucoup de choses en fait.
05:11Première femme, première femme noire dans beaucoup de choses.
05:14Et en plus, c'est une femme qui s'est illustrée
05:17pendant la période de l'amiral Robert en Martinique et ça, peu de gens le savent,
05:21parce qu'elle a donné des cours d'anglais clandestinement
05:23à des jeunes qui partaient en dissidence au risque de se faire arrêter.
05:26Et ça, c'est une preuve de résistance au sens où l'entendent,
05:31je dirais, des experts historiques nationaux et qui peuvent effectivement
05:34justifier que quelqu'un ait sa place dans un endroit comme le Panthéon.
05:38Donc elle a un parcours qui permet ça.
05:40– Où en sommes-nous justement de ce projet ?
05:42– Pour l'instant, nous n'avons pas l'oreille du Président là-dessus.
05:45– Oui, car c'est lui qui peut décider.
05:47– Il n'y a qu'une seule personne qui peut décider,
05:48c'est le Président de la République.
05:50Et en fait, ce que l'on m'avait expliqué au moment où je commence ce travail en 2016,
05:55c'est qu'il faut faire en sorte qu'il y ait du bruit autour de Paulette-Nardal.
05:58Donc de faire que des rues soient baptisées Paulette-Nardal,
06:01que des articles, des éléments sortent sur Paulette-Nardal.
06:05Donc à ce moment-là, j'ai fait deux choses, écrire à tous les maires de Martinique,
06:10écrire à certains maires de villes en France,
06:13pour qu'ils soient sensibilisés à qui elle était et quel était son parcours.
06:16Et j'ai aussi écrit évidemment au Président de la République,
06:20et j'ai aussi demandé que l'on puisse faire en quelque sorte
06:23que dans des écoles, on puisse en parler davantage.
06:25Donc je suis allée donner des conférences,
06:27il y a un établissement scolaire qui maintenant porte son nom.
06:30Donc l'idée c'est qu'il y ait une plus grande connaissance de qui elle est,
06:34donc une reconnaissance en Martinique pour qu'à un moment donné,
06:38on puisse s'en saisir au niveau national.
06:40– Et dans l'Hexagone d'ailleurs, un premier pas a été franchi en 2018
06:44avec la création d'une promenade Jeanne et Paulette-Nardal
06:47dans le 14e arrondissement de Paris.
06:49D'ailleurs on va voir s'afficher la photo, on vous voit tenir la plaque.
06:54– Oui, c'était le jour de l'inauguration.
06:56– Qu'est-ce que vous avez ressenti ce jour-là ?
06:57Vous vous êtes dit, bon ça y est, on a fait une partie du chemin
06:59ou alors il reste encore tellement à faire ?
07:01– Ah non, non, j'ai pas pensé qu'on était arrivés au bout,
07:02au contraire, je me suis dit, c'est bien, c'est une pierre qui est posée,
07:06mais le chemin est long, le chemin est très très long
07:08et depuis cette plaque, il y en a eu d'autres,
07:11il y a eu donc des établissements scolaires, il y a une rue à Marseille,
07:16il y a même une salle en Allemagne, donc l'idée fait son chemin
07:21et puis récemment…
07:23– Les JO ?
07:23– Oui, grande consécration, cette statue qui sort,
07:27enfin quand je suis devant ma télévision et que je vois ça, je me dis oui.
07:30– Vous vous y attendiez, vous étiez dans la confidence ?
07:32– Non, je n'étais pas dans la confidence, la famille l'était bien sûr
07:36puisqu'il fallait l'autorisation et avait été expressément sollicité
07:40pour garder le secret et heureusement parce que c'était un vrai bonheur
07:43de voir cette statue se soulever comme ça pendant cette cérémonie,
07:46donc oui, c'était magnifique et c'est une belle consécration
07:50et elle a maintenant cette visibilité nationale voire internationale
07:53puisque 2 milliards de personnes l'ont vue ce jour-là.
07:56– Votre militantisme féministe, car c'est comme ça aussi que vous le décrivez,
08:01est vraiment né de cette soif de faire reconnaître justement ces femmes
08:04peut-être trop longtemps tombées dans l'oubli, dans l'histoire commune ?
08:10– Alors je pense que probablement mon militantisme féministe remonte à mon enfance
08:15quand j'écoutais les conversations entre ma mère, ma marraine
08:19et que je comprenais ce que ça voulait dire quelque part avec mon oreille d'enfant,
08:24c'était que les femmes pouvaient accéder à tout ce qu'elles voulaient,
08:28et ça c'est ce que ma mère m'a toujours dit,
08:29tu pourras faire tout ce que tu décides de faire, tu pourras le faire.
08:32Par la suite, comme je l'explique encore aujourd'hui à des personnes,
08:37le féminisme c'est quoi ?
08:38C'est vouloir l'égalité entre les femmes et les hommes,
08:40c'est pas la supériorité des femmes sur les hommes, ça n'a jamais été ça,
08:43c'est l'égalité de droit, l'égalité de considération,
08:46l'égalité d'accès, de chance entre les femmes et les hommes.
08:49Je veux qu'une petite fille ait exactement les mêmes possibilités
08:52demain qu'un petit garçon, c'est ça le féminisme pour moi.
08:55– Quelle est justement la place des hommes aujourd'hui en 2024
08:57dans ce combat féministe ?
08:58Et je vous pose la question, car cela arrive encore très souvent,
09:03que justement certaines féministes nous expliquent que le combat
09:06doit être mené par la jante féminine et qu'à la limite
09:09elles n'ont pas forcément envie que des hommes s'impliquent dans le combat.
09:12Quel est votre positionnement à vous sur cette question ?
09:14– Mon positionnement est que le combat féministe
09:16est un combat qui concerne aussi bien les femmes que les hommes.
09:19Néanmoins, nous avons, nous, un certain nombre de faits
09:24qui nous permettent de le dénoncer, évidemment, en premier lieu,
09:28par rapport à un homme qui n'aura pas vécu ces situations discriminantes.
09:32Une femme va vivre des situations discriminantes
09:35qui fait qu'elle pourra en parler.
09:36Néanmoins, un homme, il peut être un père, il peut être un frère,
09:41il peut être un parrain, donc concerné, il est concerné aussi
09:44par ces discriminations et il peut en parler, et il doit en parler.
09:47– Ou être le fils d'une maman qui a été battue, ou qui a été abusée.
09:51– Voilà, le fils d'une femme qui a été victime elle-même,
09:54et donc il a toute légitimité pour en parler.
09:56Moi, ce que je pense, c'est qu'effectivement,
09:57les combats féministes sont soulevés par des femmes,
10:00mais ils doivent être accompagnés par les hommes, soutenus par les hommes,
10:05prolongés par les hommes, parce qu'on n'y arrivera pas
10:08si nous ne sommes, nous, que 50% de la population mondiale
10:12à se préoccuper de ces questions d'égalité,
10:15et que l'autre moitié considère que ça ne la concerne pas,
10:18on ne va pas y arriver.
10:19Donc oui, il faut que les messieurs se sentent concernés aussi,
10:22mais je crois que beaucoup commencent à se sentir concernées.
10:25– Et vous diriez que le combat féministe avance plutôt bien en Martinique,
10:29est-ce qu'aujourd'hui les femmes martiniquaises ont compris aussi
10:32le rôle social qu'elles peuvent, qu'elles devraient jouer,
10:35au même titre que les hommes ?
10:37– Mon constat aujourd'hui est que non, les femmes n'ont pas suffisamment compris
10:40qu'il faut qu'elles y aillent davantage, et que si elles n'y vont pas,
10:45personne n'ira à leur place.
10:47Et mon constat aujourd'hui, c'est de dire quels sont les outils,
10:51quelles sont les compétences que l'on pourrait donner à ces femmes
10:54pour qu'elles puissent le faire.
10:56Pour moi, un des outils, et c'est vrai que ça a été mon positionnement
11:00depuis des années, c'est de pouvoir leur permettre
11:02de prendre la parole en public.
11:05Combien de femmes m'ont exprimé qu'elles n'arrivaient pas à parler,
11:08même simplement à un conjoint pour demander un titre de propriété,
11:12d'une maison que pourtant ils étaient deux à payer ?
11:14Combien de femmes m'ont exprimé que dans une réunion
11:17elles n'arrivaient pas à prendre la parole pour exprimer une idée
11:20qui était pourtant pertinente et qui pouvait être prise
11:22à ce moment-là par un collègue ?
11:24Et donc je dis qu'aujourd'hui, c'est une compétence
11:26que les femmes doivent acquérir.
11:28C'est la raison pour laquelle je m'investis beaucoup
11:30sur des classes de leadership au féminin dans des établissements scolaires,
11:33pour rétablir, entre guillemets, ce que je pense être un déséquilibre,
11:36à savoir que les petites filles ont plus de mal
11:38que les petits garçons à prendre la parole.
11:40Il faut que les petites filles prennent la parole,
11:42qu'elles apprennent à le faire de façon décomplexée et totalement libérée,
11:45que les garçons trouvent normal, qu'ils ne les coupent pas systématiquement
11:49pour que chacun puisse exprimer, pour que par la suite,
11:52des femmes puissent s'autoriser à prendre la parole dans une entreprise,
11:57qu'elles puissent investir des fonctions politiques
12:01et que les hommes trouvent absolument normal d'avoir une femme en face
12:05qui a le même poste, les mêmes responsabilités.
12:08Donc pour moi, la chose la plus importante aujourd'hui
12:11qui pourrait faire la différence, c'est prendre la parole.
12:13Donc c'est la raison pour laquelle je me suis beaucoup investie là-dessus.
12:16Mais ensuite, je pense qu'il y a, pour certaines femmes,
12:19à aller plus loin dans les formations pour aller chercher des compétences managériales
12:23parce qu'elles sont en capacité de gérer, qu'elles ont peur de le faire,
12:27peur de perdre un conjoint qui ne va pas supporter qu'elle s'investisse davantage,
12:30qu'elle travaille davantage, peur de pouvoir se retrouver seule à élever des enfants
12:36parce que c'est parfois le prix à payer quand on est une femme
12:38entre guillemets de responsabilité et de pouvoir.
12:41Mais il faut y aller parce que si, comme dit Michelle Obama,
12:44on ne s'assoit pas à la table à égalité avec les hommes,
12:48ils vont continuer à prendre des décisions sans nous.
12:50Alors désormais, Catherine Marceline,
12:52vous prenez la parole d'une autre façon aussi,
12:55à travers ce nouveau projet, cette maison d'édition et de contenu, Pilibot.
13:01Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
13:03Pilibot, c'est un rêve d'une vingtaine d'années.
13:05Je voulais créer cette maison d'édition sans avoir précisément les contours.
13:10Et puis récemment, enfin depuis quelques années, les contours se sont précisés.
13:14Oui, il y a une réalité, c'est que les gens lisent de moins en moins,
13:17mais il y en a quand même qui lisent.
13:19Et les gens vont chercher du contenu où ils peuvent le trouver,
13:22les réseaux sociaux par exemple.
13:24Et donc l'idée, c'est de plus simplement fonctionner en termes de
13:28je donne un livre, j'offre un livre, c'est du contenu.
13:31Et ce contenu, il peut avoir plusieurs formes.
13:33Ça peut effectivement être un livre, ça peut être de la bande dessinée,
13:36ça peut être du texte, ça peut être des formations,
13:39ça peut être quelque chose qui est en support papier,
13:41ça peut être quelque chose qui est digital,
13:43ça peut être du film, du documentaire, du podcast.
13:47Donc c'est l'idée de repenser les supports,
13:50de repenser les modes de diffusion pour s'adapter au goût, aux mentalités.
13:54Mais surtout, l'idée pour moi, c'est de raconter nos histoires.
13:59Parce que qui raconte nos histoires aujourd'hui ?
14:01Et alors justement, vous racontez une nouvelle histoire
14:04dans le nouvel ouvrage que vous publiez consacré au combat judiciaire
14:09que vous avez mené aux côtés d'Ingrid Littré
14:12lors de sa séparation avec le fenteur Kalash.
14:15Pourquoi avoir voulu tirer un livre de cette affaire plutôt que d'une autre,
14:19vous qui en avez traité des dizaines ?
14:22L'affaire en question est vraiment en arrière-plan.
14:27L'histoire me paraît plus importante.
14:29L'histoire d'Ingrid Littré est l'histoire de plusieurs femmes,
14:33de plein de femmes que j'ai vues passer dans mon cabinet.
14:36C'est une femme qui est dans un processus de séparation.
14:40Jusque-là, ça arrive à tout le monde.
14:43Mais je découvre avec effarement que c'est une femme
14:45qui se fait régulièrement insulter sur les réseaux sociaux,
14:49sans que personne à aucun moment ne prenne sa défense.
14:53Aujourd'hui, pas une association féministe ne s'est levée à un moment donné pour dire
15:00« ce n'est pas normal qu'une femme se fasse insulter sur les réseaux sociaux ».
15:04La plupart des personnes se sont abritées derrière une phrase qui est « on ne veut pas prendre partie ».
15:12Mais le fait de ne pas dire que ce n'est pas normal
15:15que quelqu'un se fasse insulter sur les réseaux sociaux
15:17est déjà une certaine façon de prendre partie.
15:20Et cette histoire-là, c'est l'histoire d'autres femmes
15:22qui se font insulter par exemple sur leur lieu de travail,
15:25qui se font insulter dans leur famille,
15:27qui se font insulter devant leurs enfants, devant leurs parents,
15:31par un conjoint, sans que personne ne réagisse
15:34parce que l'insulte, l'injure, est devenue quelque chose qui est normal.
15:39Et moi, ça m'a beaucoup interpellée, ça.
15:41Et le fait qu'elles décident de rester silencieuses,
15:45pour une simple et bonne raison, on en a beaucoup parlé, elles et moi,
15:48parce qu'il n'était pas question de rentrer dans une espèce de déballage
15:52qui était déjà plus sordide que ça pouvait l'être en répondant.
15:57Parce qu'il y a des petites filles derrière, il y a deux petites filles
16:00qui commencent, en tout cas pour les nés, à être en âge,
16:03de lire ce qui se passe.
16:05Et même quand elles n'étaient pas encore en âge de le lire,
16:08il y avait quand même des camarades qui revenaient
16:12parce qu'ils avaient entendu des parents discuter
16:15pour lui dire un certain nombre de choses.
16:18Donc, protéger les enfants était quelque chose
16:20qui était absolument indispensable pour elles.
16:22Donc, elle a choisi de ne pas parler pendant cinq ans
16:26et elle n'a jamais répondu sur les réseaux sociaux.
16:28Mais depuis quelque temps,
16:31la pression s'est faite beaucoup plus forte sur les réseaux sociaux
16:35avec des phrases, des mots,
16:38qui étaient de plus en plus difficiles et durs à encaisser.
16:42Et donc, il a fallu à un moment donné y répondre.
16:45J'y ai moi-même répondu avec un communiqué.
16:48Et les choses se sont-elles calmées pour autant ? Non.
16:51Donc, il y a deux ans,
16:54un jour où vraiment il y avait eu encore plus de phrases et de mots que d'habitude,
17:00où à ce moment-là, elle reçoit des messages sur ses réseaux
17:04en lui disant « on sait où tu habites ».
17:08Alors qu'elle s'est fait cambrioler quelques jours auparavant
17:10et que donc la menace est réelle,
17:13cette corrélation entre les mots qu'elle reçoit sur les réseaux sociaux
17:16et ce qui se passe ensuite dans son intimité,
17:19les menaces qu'elle reçoit et la peur qui est générée,
17:22est telle que c'est une femme qui est totalement dévastée à ce moment-là.
17:28Et moi, je lui dis « mais Ingrid,
17:31personne ne sait ce que vous vivez en fait à ce moment-là ».
17:34Alors, ma question va être volontairement très naïve,
17:36mais dans ces cas-là, pourquoi aussi ne pas tout simplement couper
17:40les réseaux sociaux, sortir aussi de…
17:43Mais quand vous coupez les réseaux sociaux, les insultes, les mots ne s'arrêtent pas.
17:47Ce n'est pas ça qui arrête les mots, ce n'est pas ça qui arrête les phrases,
17:49ce n'est pas le fait de sortir des réseaux sociaux.
17:52Parce que sinon, effectivement, c'était très simple.
17:54Et par ailleurs, et c'est intéressant que vous puissiez poser cette question,
17:58l'activité professionnelle d'Ingrid Littré
18:01était totalement liée à sa présence sur les réseaux sociaux.
18:04Donc, ça veut dire que parce qu'elle reçoit des mots
18:06qui sont générés par d'autres personnes,
18:09elle doit sortir des réseaux sociaux et donc se couper
18:12de ce qui est à ce moment-là son activité et sa source de revenus,
18:16c'est-à-dire ce que vive la majorité de femmes
18:19quand elles reçoivent un certain nombre de phrases,
18:23de voir, elles, prendre des dispositions,
18:26alors que ça ne vient pas de ce qui est du système
18:31qui est à l'origine des mots qu'elles reçoivent.
18:33C'est ça qui est difficile aussi.
18:35– C'est la double peine dont vous parliez.
18:36– C'est la double peine dont je parle.
18:37Et donc, on s'est retrouvés à ce questionnement-là,
18:40et donc c'est à ce moment-là que naît l'idée d'écrire sa biographie
18:44parce que tous les combats qu'elle vit et qu'elle décrit dans cette biographie
18:47sont des combats que moi j'ai vus de la plupart de mes clientes.
18:52– Même si, et là je ne prends pas parti, je pose la question,
18:56à un moment donné, ça a été une relation très médiatisée aussi,
19:00et finalement, elle était dans cette lumière-là,
19:04est-ce que ce n'est pas aussi le revers de la médaille
19:07quand on est dans des positions exposées,
19:11quand la vie privée est exposée à un moment donné,
19:13et qu'il y a des dérives qui sont inhérentes aussi à ça ?
19:17– Alors, elle a été dans la lumière avant lui,
19:20et ça, beaucoup de gens l'ont oublié, puisqu'elle a été Miss,
19:24et que c'est la première femme noire à avoir osé aborder une élection
19:30en ayant des cheveux naturels coiffés en lox, ça ne s'était jamais vu.
19:35Et ce qu'elle a fait, a ouvert la voie à beaucoup d'autres femmes,
19:39que ce soit dans des élections ou des manifestations emblématiques et visibles,
19:43ou d'autres femmes, je dirais, dans la rue.
19:47Donc, elle a ouvert la voie à ce moment-là,
19:49où effectivement, c'était un autre temps, une autre époque.
19:52Aujourd'hui, nous avons des cheveux naturels, vous et moi,
19:56ça paraît absolument normal, ça n'était pas à l'époque.
19:59Donc, la lumière, elle était sur elle, et elle l'accepta effectivement.
20:03Par la suite, avec ce mariage, avec cette relation, la lumière a continué.
20:09La relation s'arrête, la lumière peut continuer,
20:11mais pourquoi la lumière doit-elle impliquer
20:15des phrases et des mots qui font mal, alors que ce n'est pas utile ?
20:19Mais ça, c'est un aspect des choses, je dirais, les mots, les phrases,
20:22c'est un aspect, vous imaginez bien que je n'ai pas construit une biographie
20:26autour de quelques postes.
20:28– Vous avez envie de brosser le portrait de cette femme
20:30en femme inspirante pour cette jeunesse martiniquaise, c'est ça ?
20:34– J'ai eu envie de brosser son portrait en disant que
20:37vous pouvez avoir eu à un moment des rêves que vous avez mis de côté.
20:42Par choix, personne ne l'y a forcée en ces termes-là,
20:47par choix, par choix de vie, par choix d'une vie à deux,
20:50et qu'à un moment donné, ça n'est pas possible et que ces rêves-là se brisent.
20:54Et que ce que vous aviez imaginé comme une relation, finalement se brise.
21:00Il faut rebondir, il faut reconnecter avec ce qui était vos rêves,
21:06il ne faut pas accepter le fait d'avoir pu être brisé dans une relation
21:10qui ne vous a pas permis de pouvoir vous épanouir.
21:14Ce n'est pas parce qu'une relation n'a pas fonctionné
21:16qu'elle doit vous briser non plus.
21:18Mais il y a aujourd'hui dans le fonctionnement entre les hommes et les femmes
21:22de notre société martiniquaise, une problématique qui doit aujourd'hui
21:26être déposée de façon claire et précise.
21:28La violence n'est pas acceptable,
21:30le fait d'écraser l'autre pour exister n'est pas acceptable.
21:34– Et c'est sur ces mots que nous sommes déjà obligés de nous quitter.
21:38– Merci Catherine Marcelline, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
21:42Merci à vous chers téléspectateurs et chers auditeurs
21:44de nous avoir accompagnés pour cette douzième émission Angle de vue,
21:48une émission à retrouver sur nos trois médias via atv.tv, rci.fm et franceanti.fr.
21:55Nous vous disons à très bientôt pour un nouveau portrait.

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