Une semaine après le renversement du régime de Bachar al-Assad, la Syrie libérée reste plongée dans l’incertitude. Pouvoir, espoirs, relations internationales… Avec Camille Neveux, cheffe adjointe du service Planète, nous passons en revue les nouveaux enjeux du pays.
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00:00C'est quoi la Syrie maintenant ? Après le renversement du dictateur Bachar el-Assad,
00:04quels sont les premiers indicateurs donnés par le nouveau pouvoir syrien ? Et la vie
00:08des Syriens sera-t-elle nécessairement meilleure ? Et puis pour nous aussi, qu'est-ce que
00:12ça change, diplomatiquement parlant, notamment cette chute de Bachar el-Assad ? Il y a beaucoup
00:16de questions en suspens depuis le 8 décembre dernier, mais il y a surtout un espoir immense
00:21aux quatre coins du pays, et c'est de ça dont nous allons parler aujourd'hui avec
00:24Camille Neveu, chef adjointe du Service Planète de Libération, et ma première question c'est
00:28sur le nouveau pouvoir syrien donc, à qui appartient désormais ce pays de plus de 23
00:34millions d'habitants, qui est-ce qu'il a entre les mains du coup finalement maintenant ?
00:37Alors effectivement c'est un peu la question que tout le monde se pose, donc le groupe
00:42islamiste qui a fait tomber Bachar el-Assad s'appelle le groupe Hayat Tahrir al-Sham,
00:47son bastion était jusqu'ici situé dans la région d'Idlib, qui était un peu le
00:50dernier bastion rebelle, puisque jusqu'à il y a une semaine le pays était encore
00:55partagé en quatre parties, que je vais vous expliquer ça rapidement parce que c'est
00:58vraiment important aussi.
00:59J'interviens juste une petite seconde pour vous encourager à vous abonner à notre chaîne
01:02YouTube pour ne manquer aucun de nos prochains contenus, d'ailleurs si vous les appréciez
01:07vous pouvez aussi les liker et les partager, et puis dans l'espace commentaire de nos
01:11vidéos vous pouvez nous souffler des idées de sujets que vous aimeriez retrouver en discussion
01:15ou en reportage ici sur notre chaîne YouTube de Libération, je ne vous dérange pas plus
01:20longtemps et je vous laisse avec Camille Neveu, chef adjointe du Service International de
01:24Libé.
01:25Donc il y avait ce bastion rebelle d'où est parti l'offensive qui a fait tomber Assad,
01:27vous aviez les zones qui étaient aux mains du régime, Damas, le sud, la côte, Tartus,
01:31la Taquie, qui étaient vraiment des fiefs à la huit, fiefs de Bachar Al-Assad, et puis
01:35vous avez au nord, au nord-ouest, un proto-état turc qui était administré quasiment par
01:42la Turquie, mais où vivaient des Syriens, et puis vous avez au nord-est la partie kurde
01:46qui est administrée par les Kurdes, voilà.
01:48Donc il y avait déjà un pays avant la surinversion de Bachar Al-Assad qui était déjà contrôlé
01:51par différents pouvoirs, différents régimes ?
01:54C'était vraiment un pays partitionné.
01:56Aujourd'hui, depuis la chute d'Al-Assad, les positions de régime n'existent plus, et
02:00le groupe Ayatollah Al-Sham, qui est dirigé par Abou Mohamed Al-Joulani, son leader, dirige
02:10via un gouvernement intérimaire à la fois Damas, le sud du pays, la côte, Alep, Hama,
02:17Homs, les villes qu'il a ravies les unes après les autres jusqu'à arriver à Damas,
02:21et vous avez toujours du coup au nord-est une partie qui est administrée par les Kurdes,
02:27et des combats ont toujours lieu dans cette partie-là, alors entre un groupe rebelle
02:31qui n'est pas Ayatollah Al-Sham, qui est un autre groupe, aussi proche de la Turquie,
02:35et qui se bat face aux Kurdes pour aussi des questions de territoire.
02:38Donc en fait, la guerre n'est pas terminée.
02:39Et il n'y a donc pas encore un seul nouveau pouvoir, finalement ?
02:42Non, il n'y a pas.
02:43Parce qu'on parle beaucoup de...
02:44On peut le surnommer HTS ?
02:45Oui, on peut le surnommer HTS, tout à fait.
02:46Donc ce n'est pas simplement eux qui ont le pouvoir aujourd'hui en Syrie ?
02:49En tout cas, c'est eux aujourd'hui qui ont nommé un gouvernement intérimaire,
02:53jusqu'à ce qu'il y ait, en mars, à annoncer Al-Joulani des élections.
02:56Donc ce gouvernement intérimaire va expédier les affaires courantes,
03:00et l'objectif, en fait, est de pouvoir rédiger une nouvelle constitution.
03:03Voilà.
03:04Et donc est-ce que c'est possible qu'il y ait de nouvelles, de prochaines élections,
03:07par exemple, pour élire un nouveau dirigeant du pays ?
03:12Ce serait quoi ?
03:13C'est une élection présidentielle ?
03:14C'est quel genre de régime ?
03:15Ce serait plutôt une élection présidentielle, effectivement.
03:18C'est ce qu'Al-Joulani a dit en disant, voilà, si vous ne voulez pas de moi comme président,
03:21j'entendrai le message que donne le peuple.
03:24Ce sera vraiment très intéressant de voir, déjà, comment s'organisent ces élections,
03:26et surtout, qui va se présenter ?
03:27Bon, lui, il fait déjà plus ou moins de candidatures.
03:30Pour le moment, on ne sait pas qui il pourrait y avoir face à lui,
03:33mais on va voir si ce seront des élections libres.
03:35Ce sera très intéressant, puisqu'il y avait des élections en Syrie sous les Al-Assad de péréfices,
03:40mais enfin, à chaque fois, Al-Assad gagnait avec 94-95% des voix.
03:45Enfin, c'était des fausses élections, réellement.
03:47Oui, c'est ce que j'allais demander, justement, parce que là, on parle, évidemment,
03:49et on va en parler tout au long de ce stream, de cette nouvelle situation en Syrie,
03:52une semaine après le renversement de Bachar Al-Assad,
03:54mais pour bien comprendre à quoi ressemblait aussi la vie des Syriens,
03:57et la vie démocratique, notamment, des Syriens dans ce pays,
04:00ça ressemblait à quoi ?
04:01Du coup, c'est un pouvoir qui était complètement confisqué par Bachar Al-Assad,
04:04il n'y avait pas du tout de place pour, potentiellement, des opposants politiques,
04:07pas de place pour de véritables élections ?
04:09Alors, il n'y avait pas du tout de vie démocratique, en fait, absolument pas.
04:12Pour vous donner un exemple, dans la ville de Daraïa,
04:14que je connais bien, puisque mon conjoint est originaire de là,
04:16et qu'on a écrit un livre sur ce qui s'est passé là-bas,
04:19avant 2011, avant la Révolution, vous aviez un groupe de jeunes
04:22qui étaient affiliés à une mosquée,
04:24puisqu'il faut comprendre que le seul moyen pour les Syriens,
04:27avant la chute d'Al-Assad, de se réunir, c'était dans une mosquée.
04:29Si vous vous réunissiez ailleurs, c'était pris comme une réunion politique,
04:33et vous finissiez en centre de détention.
04:35C'est le même centre de détention dont on a vu les images absolument horribles,
04:38que le monde a découvert, avec stupéfaction.
04:40On savait ce qui s'y passait.
04:42Petite parenthèse là-dessus, on a sorti une vidéo, il y a quelques jours,
04:45notamment avec les images d'Arthur Sarradin, un de nos envoyés spécial en Syrie,
04:49sur la prison de Sednaïa, où on voit un décor apocalyptique,
04:53où on imagine même les actes de torture qu'il y a pu y avoir dans ces prisons-là.
04:57Certains ont été retrouvés vivants, mais il y a aussi énormément de détenus
04:59qui sont morts dans cette prison-là.
05:00C'est un des exemples des prisons syriennes du régime de Bachar Al-Assad.
05:04Tout à fait.
05:05Et donc, avant la chute d'Al-Assad, c'était impossible.
05:08Donc, à Daraïa, avant 2011, les habitants ont voulu nettoyer les rues,
05:11parce qu'ils trouvaient que les rues étaient sales.
05:13Ils ont fini en centre de détention.
05:14Ils ont voulu lancer une campagne contre la corruption,
05:16une campagne pour dire aux gens qu'il fallait arrêter de fumer,
05:18parce que c'était très mauvais en termes de santé.
05:20Ils ont même créé une bibliothèque, en fait, dans un sous-sol de la ville.
05:26Alors, les gens avaient amené leurs propres livres,
05:28ils avaient mis leur nom dessus pour pouvoir les récupérer,
05:30le temps que le projet se fasse.
05:31Ils avaient amené du mobilier, etc., pour pouvoir faire un endroit un peu cosy.
05:35En fait, la bibliothèque est restée ouverte trois jours,
05:37et au quatrième, elle a été fermée,
05:38parce que le régime ne voulait pas qu'il y ait de vie civile, en fait.
05:44Tout passait par lui, et rien n'existait en dehors de lui.
05:46– Et HTS, pour eux, en tout cas,
05:50est-ce qu'il donne l'impression d'être plus ouvert aussi à la position politique ?
05:58Est-ce qu'il donne l'impression d'être plus ouvert à la démocratie,
06:00par rapport à Bachar el-Assad, par exemple ?
06:02– Alors, ce qui a changé entre dimanche, pas hier, mais dimanche avant,
06:07et avant ce dimanche-là, et après, c'est qu'on a vu quand même…
06:11Déjà, le groupe HTS a ouvert les prisons.
06:14Une des premières choses qu'ils ont faites,
06:15quand ils sont rentrés dans les villes, qu'ils ont libérées,
06:18comme disent les révolutionnaires, c'est qu'ils ont ouvert les prisons.
06:20Donc ça, pour les Syriens, c'était quelque chose d'extrêmement important et significatif.
06:24Il faut comprendre que vous avez quasi 100 000 personnes,
06:27sans doute plus, qui ont disparu dans ces prisons.
06:29Ils ont libéré 10 000, 20 000, 30 000 détenus, on ne sait pas exactement,
06:34mais je pense que les chiffres sont plus importants,
06:35et on le saura dans les prochaines semaines, dans les prochains mois,
06:37puisqu'il y a beaucoup d'associations qui travaillent sur ce sujet.
06:40Ils ont ouvert les prisons.
06:41Donc ça, pour la population, c'est un signal extrêmement important.
06:44Vous avez aussi des gens qui ont pu descendre dans la rue,
06:46manifester avec le drapeau de la Révolution.
06:49Ça, c'était des images qui n'existaient plus depuis 2011, en fait.
06:52C'était complètement impensable.
06:54Donc, il y a quand même un vent de liberté et d'espoir qui s'est levé en Syrie,
06:57pour les Syriens qui sont là-bas,
06:58mais aussi pour les Syriens qui sont exilés à l'étranger.
07:01Après, il faut comprendre que les Syriens sortent de 13 ans de guerre,
07:04de 54 ans de dictature,
07:05et qu'ils n'ont pas du tout envie de retomber
07:07dans un système dictatorial et concentrationnaire,
07:09comme était celui des Al-Assad.
07:11Et donc, si jamais le groupe HTS a des velléités de recréer ça,
07:16je pense que les habitants ne le manifesteront pas du tout,
07:20ne seront pas du tout contents.
07:21Et il faut aussi comprendre que le pays est complètement exsangue économiquement.
07:25Vous avez 90% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté,
07:28et le groupe HTS va avoir besoin à la fois de la diaspora à l'étranger,
07:32pour pouvoir reconstruire le pays.
07:34Et donc, on va devoir aussi entendre ce que cette diaspora a à dire.
07:37En 13 ans, les gens sont partis dans les pays limitrophes,
07:40mais aussi en Europe, aux États-Unis,
07:42ils ont appris différentes langues,
07:43ils se sont ouverts à d'autres choses.
07:45Donc voilà, ces gens-là aussi, ils ont leur voix à dire.
07:48Ils n'ont plus du tout envie d'être dans la Syrie d'avant 2011, plus du tout.
07:51Et puis, ils vont aussi avoir besoin du soutien de la communauté internationale.
07:54Et donc, forcément, ils se savent,
07:55le pouvoir HTS serait très regardé par la communauté internationale.
07:59Et en fait, ils ont vraiment fait attention depuis le début de l'offensive,
08:04qui a commencé fin novembre, jusqu'à la chute d'Assad, et jusqu'à aujourd'hui.
08:08Ils font extrêmement attention à leur communication.
08:10Ce sont vraiment, si je puis dire, des maîtres de la communication.
08:13C'était d'ailleurs assez surprenant.
08:15On voyait au fur et à mesure de l'avancée,
08:16ils envoyaient des vidéos sur Telegram, ils maîtrisaient la communication.
08:20Quand ils sont entrés dans Alep, qu'ils ont libéré Alep,
08:22ils ont fait des vidéos où ils distribuaient des sacs de pain aux gens.
08:25Et donc ça, nous, ça nous paraît totalement insignifiant,
08:28mais pour les gens sur place, ça n'était pas du tout le prix du pain.
08:30Sous le régime d'Assad, si vous vouliez acheter du pain,
08:32il fallait attendre d'avoir un SMS du régime
08:34qui vous autorisait à aller faire la queue pendant 5-6 heures
08:37pour récupérer un petit sac de pain.
08:39Enfin, c'était complètement délirant.
08:40Et donc là, HTS a mis ça en scène.
08:41Je vous donne cet exemple-là, mais il y en a beaucoup d'autres.
08:44Et donc, voilà, ils sont...
08:45On va voir si c'est vraiment que de façade, si c'est une espèce de vernis,
08:49ou si, effectivement, ils ont changé,
08:52puisqu'on dit que, voilà, ces 6-7 dernières années,
08:56HTS a changé et montre un visage un peu plus ouvert.
08:58– Oui, tu parles aussi du retour de la communauté internationale.
09:04Ça va être évidemment aussi l'objet de nos discussions ce midi,
09:06de voir un petit peu comment ça peut rebattre aussi
09:08les cartes des alliances internationales, ce nouveau pouvoir en Syrie.
09:14Quand tu dis qu'on va devoir voir si c'est qu'une présentation de façade
09:18ou si, dans le fond aussi, ça va vraiment changer,
09:21est-ce qu'on peut savoir à quel moment peuvent intervenir ces changements ?
09:24Est-ce qu'il y a des échéances particulièrement attendues
09:27ou est-ce qu'on ne sait pas trop,
09:28mais que ça va se profiler vraiment au fil du temps, progressivement ?
09:31– Non, on ne sait pas trop, déjà.
09:32Je pense que l'échéance de la présidentielle va être importante,
09:34de voir comment est-ce qu'ils vont...
09:35le processus qu'ils vont lancer pour modifier la Constitution.
09:38Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces 7 dernières années,
09:41Al Joulani, donc le leader de HTS, a vraiment poli son image et son discours.
09:44Il a troqué sa galerie traditionnelle contre un costume.
09:48Il a envoyé des messages d'ouverture aux différentes communautés,
09:52qu'elles soient chrétiennes, druzes, ismaéliennes, mais aussi halawites.
09:56Puisque là, très récemment, HTS a assuré les halawites
09:59qu'il n'y aurait pas de représailles envers eux,
10:00qu'il ne fallait pas qu'ils s'inquiètent, etc.
10:02Donc voilà, c'est un discours qui existait déjà avant la chute d'Assad.
10:05– C'est quoi l'opposition pour les halawites, par exemple ?
10:08Qu'est-ce qu'ils représentent par rapport à HTS ?
10:10– Les halawites, en fait, c'est l'ethnie dont est issue Bachar al-Assad et sa famille,
10:15donc qui était fortement affiliée au pouvoir.
10:17En fait, il y a très longtemps, ils étaient plutôt dans les montagnes
10:21et quand les al-Assads sont arrivés au pouvoir, ils les ont fait descendre,
10:23notamment, ils les ont fait descendre pour pouvoir gérer, par exemple,
10:26les transports ou des choses comme ça.
10:27C'était des fonctionnaires, en fait.
10:28C'était aussi eux qui tenaient de manière administrative le régime.
10:33Et donc, du coup, le groupe HTS a dit à ces gens-là qu'il n'y aurait pas de représailles
10:38et qu'ils seraient, pour utiliser un mot qu'on connaît, nous, dans la langue française,
10:41qu'ils ne seraient pas traités comme des collaborateurs, etc.
10:44Donc ça, ça a quand même aussi rassuré.
10:45On verra après, à l'usage du temps.
10:47Ce qui est intéressant de noter, c'est qu'en 2018, le HTS, qui était à Idlib,
10:51s'en est un peu pris à une radio qui s'appelle la Radio Fraîche,
10:55où il y avait des citoyens.
10:56Donc, c'était vraiment une radio issue de la société civile,
10:58les citoyens qui racontaient leur quotidien, etc.
11:00Et en fait, il y avait des femmes qui parlaient,
11:02qui diffusaient de la musique.
11:03Et donc, le groupe disait non, on ne peut pas diffuser de la musique.
11:06Donc, ils ont diffusé des piaillements d'oiseaux, des bêlements de moutons,
11:09un peu en espèce de pied de nez.
11:10Ils ont embrouillé les radios des femmes.
11:11La Radio Fraîche a eu beaucoup de problèmes.
11:13Et puis, on voit là qu'en l'espace de 6-7 ans, le groupe a fait sa mue.
11:18Voilà, moi, j'ai pu discuter avec différentes associations
11:20qui travaillent avec ce groupe dans le nord de la Syrie,
11:25où il est présent, donc la ville d'Idlib et puis la province d'Idlib.
11:28Et voilà, le groupe s'est ouvert.
11:30On va voir.
11:31Ces gens-là disent qu'ils n'ont pas l'intention d'appliquer la charia,
11:33parce que c'est une grosse inquiétude aujourd'hui de la communauté internationale,
11:36et même des Syriens.
11:37On va voir à l'usage.
11:38Il y a aussi une chose qui est intéressante, c'est que ce week-end,
11:42à Idlib, il y a un centre commercial qui a été créé.
11:45Alors, au départ, les ultra-rigoristes ne voulaient pas qu'il y ait de centre commercial.
11:47Finalement, Al Joulani a dit OK.
11:50Et on a vu des gens qui démolitaient dans le centre commercial.
11:52Alors, il y avait des femmes voilées, des femmes non voilées,
11:54des gens habillés de manière traditionnelle, des gens habillés à l'occidentale.
11:56Et tout ça fonctionnait.
11:58Donc voilà, pour le moment, on a vraiment des petits indices.
12:01On ne sait pas encore comment ça peut se stabiliser et ça peut fonctionner à long terme.
12:04Mais pour le moment, les petits indices qu'on a sont plutôt encourageants.
12:07Et c'est aussi ce que disent les Syriens,
12:08même s'ils restent extrêmement vigilants sur les dérives qui pourraient advenir.
12:12– Oui, parce que parmi l'une des inquiétudes, par exemple, de certains Syriens,
12:16je disais par exemple que des gérants de bars qui ont pu rouvrir depuis dimanche
12:20étaient inquiets sur la question de s'ils vont pouvoir encore vendre de l'alcool ou pas.
12:25C'est par exemple quelque chose pour lequel HTS pouvait être en opposition,
12:28ou pouvait en tout cas potentiellement interdire.
12:30Est-ce qu'on a des indicateurs par rapport à ça ou c'est encore beaucoup trop tôt ?
12:33– Non, pour le moment, on n'a pas d'indicateur.
12:35L'alcool n'a pas l'air d'être interdit.
12:36Moi, ce que je pense, c'est que la Syrie, pour se reconstruire,
12:40va avoir besoin aussi du tourisme.
12:41Et donc, je ne serais pas du tout étonnée qu'ils favorisent l'avenue du tourisme.
12:45Vous avez des gens qui sont des Français, des Européens, des Américains
12:48qui sont venus à Damas avant 2011, qui gardent un souvenir extraordinaire de leur voyage
12:53et qui ont très très envie de revenir.
12:55Ou des gens qui ne sont jamais allés en Syrie et qui ont envie de visiter.
12:57Et donc, je pense qu'ils vont savoir qu'il y a une manne touristique
13:01dont ils peuvent profiter et que pour pouvoir profiter de cette manne touristique,
13:04il ne faut pas qu'ils serrent la bride, absolument pas.
13:08– Oui, je voyais aussi qu'avec le renversement de Bachar el-Assad,
13:10apparaissait un nouveau drapeau syrien.
13:12C'est quoi cette histoire d'ancien drapeau, nouveau drapeau syrien ?
13:16Qu'est-ce qu'il signifie ?
13:18– Alors en fait, le drapeau, on voit qu'il y avait qu'une bande verte en haut,
13:21une bande noire en bas et trois étoiles rouges.
13:23Contrairement au drapeau, qui était le drapeau officiel syrien,
13:27connu comme le drapeau du régime.
13:29Donc, il y avait une bande rouge en haut, si je ne me trompe pas,
13:31une bande noire en bas et deux étoiles vertes.
13:33J'espère ne pas me tromper dans l'ordre des couleurs.
13:36Mais voilà, en tout cas, c'est le drapeau qu'on voit,
13:38le drapeau avec la bande verte en haut et les trois étoiles rouges.
13:41Et c'est un drapeau qui a été créé au moment de la révolution de 2011,
13:44justement pour s'opposer à ce drapeau qui était vécu vraiment
13:47comme le drapeau du régime.
13:48Les gens voulaient vraiment se démarquer de ça.
13:50Et c'est vrai que c'est un drapeau qu'on n'a plus vu pendant très très longtemps.
13:53Et qu'il a, quand il a commencé à ressortir à Alep,
13:55au moment où le groupe HTS est rentré dans Alep,
13:57c'est vrai que c'était un peu une surprise.
13:59Et c'est vraiment maintenant la bannière sous laquelle
14:01cette nouvelle Syrie veut se montrer.
14:03C'est le drapeau qui a été hissé sur les consulats à l'étranger.
14:06J'ai même vu que le HTS veut réouvrir rapidement l'aéroport de Damas
14:10pour que les Syriens puissent rentrer, mais aussi...
14:12Là, il est actuellement fermé ?
14:13Il est actuellement fermé.
14:14J'ai vu qu'il allait peut-être réouvrir le 18 décembre.
14:17On va voir s'ils y arrivent.
14:18Même chose aussi avec l'aéroport d'Alep.
14:19Et ce qui est très drôle, c'est que sur les avions,
14:22les avions du pays, ils sont en train de changer le drapeau.
14:24Ils mettent ce drapeau-là, ils enlèvent le drapeau dit du régime,
14:27et ils mettent ce drapeau révolutionnaire.
14:28Parce que par exemple, là, on parle d'aéroports fermés.
14:30Comment est-ce qu'on fait, nous, en tant que Média Libération,
14:33pour envoyer justement des reporters sur place ?
14:35Alors, on a notre correspondant au Liban, Arthur Saradin,
14:38qui a pu passer dès le dimanche de la chute d'Assad
14:41par la frontière siro-libanaise.
14:43Donc, il est passé par le point de frontière.
14:45Il a pu rentrer de Beyrouth.
14:46Il a pris la route à l'est.
14:48Et puis après, il a roulé jusqu'à Damas.
14:49Et il a pu rentrer sans problème.
14:51Notre grand reporter envoyé spécial, Luc Mathieu,
14:54a suivi la même route.
14:56Il est actuellement sur place.
14:58Voilà, il a fait aujourd'hui un formidable reportage
15:00sur le camp palestinien de Yarmouk,
15:02qui est complètement détruit.
15:03Il a pu se rendre là-bas.
15:04Avant ça, il a fait un article sur les familles
15:06qui cherchent leurs disparus, aussi extrêmement poignant.
15:09Et puis, on a également aussi notre spécialiste de Moyen-Orient,
15:11Alakhod Manin, qui s'est rendu à Damas par cette route-là.
15:14La frontière turque et la frontière jordanienne
15:17sont aussi ouvertes, mais les gens passent
15:21plus au compte-goutte, plus difficilement.
15:23C'est plutôt par la frontière libanaise, aujourd'hui,
15:25que les journalistes rentrent.
15:26Tu as fait mention de notre journaliste Alakhod Manin,
15:29aussi, sur place.
15:30Je vous ai mis là, en cam secondaire, son papier,
15:34son témoignage.
15:35Ouvrez les guillemets qu'il est cruel et injuste
15:37que tu n'aies pas vécu ça.
15:38Refermez les guillemets.
15:38Lettre de Alakhod Manin à sa sœur, l'opposante,
15:41Basma Alakhod Manin, morte avant la chute d'Assad,
15:43qui est donc une lettre à sa sœur.
15:45C'est ça, Camille ?
15:46Exactement.
15:47Donc, Ala, en fait, quasiment tout de suite,
15:49elle a pris un avion pour Beyrouth, à la chute d'Assad,
15:51pour pouvoir se rendre à Damas,
15:52puisqu'elle n'y était pas allée depuis très longtemps.
15:54Elle avait envie de revoir sa famille, ses amis,
15:56et puis de voir ce qui se passait.
15:57Et elle raconte, dans cette lettre, son immense joie,
15:59comme la majorité des Syriens,
16:01de voir ce pays libéré du joug d'Assad.
16:05Mais elle raconte aussi son immense tristesse
16:06que sa sœur, Basma Alakhod Manin,
16:08qui, vraiment, était une opposante au régime,
16:11une activiste, qui s'est vraiment impliquée
16:14pour ce qu'on voit aujourd'hui.
16:17Elle dit son immense tristesse de voir
16:19que sa sœur n'est pas là, à ses côtés,
16:21pour vivre ces moments complètement historiques
16:23et ces moments pour lesquels elle s'est battue.
16:25Je vous ai mis dans le chat le papier d'Ala,
16:27si vous voulez aller le lire.
16:28Sa lettre, donc, pour sa sœur, Basma Alakhod Manin.
16:32Une autre question aussi, avant de s'intéresser
16:35plus d'un point de vue international
16:37et à l'équilibre un peu diplomatique
16:38que peut remettre en question, finalement,
16:41ce renversement de Bachar el-Assad.
16:44On en a un petit peu parlé, quand même, des prisons syriennes,
16:48mais est-ce qu'on peut s'attendre
16:50à ce qu'il y ait encore de nouvelles découvertes,
16:52notamment dans les prisons syriennes
16:53ou dans d'autres genres d'endroits,
16:56sur ce qu'a pu commettre comme cruauté
16:58le régime de Bachar el-Assad ?
17:00Alors, Luc Mathieu l'a raconté dans le reportage
17:02qu'il a fait avec les familles de disparus.
17:04Les Casques Blancs, qui sont une organisation civile
17:07qui a opéré pendant la guerre pour secourir les gens
17:12qui étaient pris sous les décombres des immeubles
17:14pulvérisés par les bombardements.
17:15Vraiment une formidable organisation.
17:17Les Casques Blancs, donc, aujourd'hui,
17:18continuent de rechercher des prisons secrètes.
17:22Alors, ils ne savent pas.
17:22Ils ont notamment publié un appel.
17:25Ils offrent 5 000 dollars à quiconque
17:27donnera la localisation d'une prison.
17:29Notamment, par exemple, à Alep,
17:30on a vu qu'au moment où la ville a été libérée,
17:32il y a une prison, par exemple,
17:33qui était sous l'Institut de formation militaire.
17:35Alors, on ne savait pas du tout
17:36qu'il y avait une prison qui était là.
17:39Il y a des endroits, en fait,
17:40où le régime a pu cacher 50, 100 prisonniers.
17:42Ce ne sont pas les prisons comme Sednaya,
17:44dont on a vu les images affreuses.
17:46La prison, aussi, de l'aéroport militaire de Medzé
17:49ou d'autres prisons, vraiment,
17:50qui étaient extrêmement redoutées par les Syriens.
17:53C'est aussi comme ça que le régime faisait régner la terreur.
17:55Parce que ce qu'il faut comprendre,
17:56c'est qu'il y a énormément de gens
17:58qui sont morts en détention.
17:59Mais il y a certaines personnes qui sortaient
18:01torturées vraiment de manière atroce.
18:04Et en fait, l'objectif, c'était que ces personnes sortent
18:05pour qu'elles racontent aux autres Syriens
18:07ce qu'elles avaient vécu
18:07et pour entretenir la peur et le silence
18:10pour que les gens ne parlent pas, ne se rebellent pas.
18:12C'est ça.
18:12Donc, aujourd'hui, oui,
18:13les Casques Blancs continuent de chercher
18:16des lieux de détention.
18:17Et puis, après, il y a un énorme travail
18:18qui s'effectue en ce moment
18:20et de manière un peu disparate,
18:21mais qui est extrêmement important
18:22sur la collecte des preuves, en fait.
18:24Puisqu'on a vu Zednaya, les instruments de torture,
18:27tout, puis des tonnes, des tonnes de dossiers.
18:30En fait, chaque dossier de prisonnier était consigné.
18:33Donc, en fait, le régime, comme les nazis,
18:36a vraiment à noter de manière extrêmement précise
18:38tout ce qu'il a fait.
18:40Et donc, aujourd'hui,
18:41évidemment que c'est extrêmement important
18:43de collecter toutes ces preuves de la cruauté du régime
18:46et de ce système quasi-concentrationnaire,
18:47mais aussi toutes les preuves qui...
18:49Pour les familles, en fait.
18:50Les gens dont les familles...
18:52Les familles qui ont perdu quelqu'un
18:54veulent savoir quand cette personne est morte,
18:56comment, éventuellement, essayer de récupérer des affaires.
18:59Puis, il y avait encore des gens qui cherchent les leurs,
19:00qui ont espoir de retrouver un proche disparu,
19:04même si, au fur et à mesure que les jours passent,
19:06cet espoir s'amenuise.
19:09Mais, effectivement, voilà, s'engage aujourd'hui
19:11un travail extrêmement minutieux de collecte de preuves
19:13qui vont servir, espèrent les Syriens,
19:16à juger un jour Bachar al-Assad
19:19et tout son régime en Syrie, ils l'espèrent.
19:23Et plus seulement à l'étranger,
19:24puisqu'il y a des procès qui ont lieu à l'étranger
19:27depuis quelques années.
19:28Ils espèrent que cette justice-là
19:30pourra se faire un jour dans leur propre pays.
19:32Je vois vos salutations et vos remarques dans le tchat.
19:34Si vous avez des questions, n'hésitez pas à nous les poser.
19:37Et je les relaie à Camille qui pourra y répondre.
19:39Je te lis, Camille, une remarque,
19:41si jamais tu veux rebondir dessus,
19:43qui nous dit « Les médias mainstream,
19:44dans leur désinformation, font absolument tout
19:46pour discréditer l'avènement d'un nouveau pouvoir en Syrie,
19:48au motif qu'ils nous rabattent les oreilles
19:50avec leur islamisme.
19:51Un vrai scandale.
19:52Quel soulagement pour les Syriens
19:53d'être débarrassés de ce tyran sanguinaire Bachar al-Assad. »
19:56Est-ce que, toi, tu vois aussi cette...
19:59Alors, en tout cas, ça résume bien le sentiment des Syriens.
20:03C'est que, déjà, un immense soulagement
20:04de voir al-Assad et sa clique tyrannique partie.
20:08Et après, comme je l'ai dit, les gens ne sont pas non plus naïfs.
20:13Ils attendent de voir ce qui se passe.
20:15Mais voilà, ce qu'il faut comprendre,
20:17c'est que, par exemple, moi, mon mari,
20:19il est parti en fin 2011, début 2012 de la Syrie.
20:23Dès la première manif qu'il a faite, en mars 2011,
20:25il est devenu clandestin.
20:26Il a quitté sa maison et il ne revoyait quasi pas sa famille
20:28pour ne pas les mettre en danger.
20:30Il ne pouvait pas rentrer en Syrie.
20:31Là, aujourd'hui, il peut rentrer en Syrie.
20:33Donc ça, pour les Syriens, c'est effectivement
20:35un énorme changement.
20:37Après, moi, j'ai fait plusieurs plateaux de télévision
20:40où on m'a demandé, mais quand même,
20:41est-ce que la Syrie, ça ne va pas devenir
20:43comme le régime des talibans ?
20:44Honnêtement, je ne pense pas.
20:45Je pense qu'il faut rester vigilant
20:47sur ce pouvoir islamiste qui arrive.
20:49Il faut regarder ce qu'il va faire avec grande attention.
20:52Mais je ne pense pas que la Syrie devienne l'Afghanistan.
20:55Et une autre chose aussi, voilà, la question aussi
20:59qu'on peut se poser, c'est est-ce qu'il peut y avoir
21:04un scénario à l'égyptienne où le président
21:07issu de l'Obédience des Frères Musulmans,
21:09Mohamed Morsi, avait été élu en 2013,
21:10donc après la révolution de 2011,
21:12le départ du dictateur Moubarak.
21:14Et puis voilà, il est élu.
21:15Puis finalement, il est renversé par un coup d'État
21:17et arrive le président al-Sissi.
21:19Je pense quand même qu'aujourd'hui, c'est différent.
21:22C'est-à-dire qu'en Égypte, Moubarak était parti,
21:25mais la structure du régime égyptien était restée,
21:27n'avait pas bougé.
21:27Aujourd'hui, en Syrie, c'est complètement différent.
21:29Les gens du régime sont partis.
21:31Vous avez les gros poissons, si je puis m'exprimer ainsi,
21:34qui ont fui à l'étranger.
21:35Vous avez d'autres gens qui sont restés en Syrie,
21:37peut-être qui se cachent.
21:38Vous avez certaines personnes qui ont été appréhendées.
21:41Et les Syriens espèrent vraiment qu'il n'y aura pas de vengeance
21:44et qu'ils puissent un jour être vraiment jugés de manière juste,
21:47ce que eux n'ont pas eu, la justice qu'eux n'ont pas eu
21:51pendant toutes ces années.
21:52Donc voilà, sur un scénario à l'égyptienne qui est possible,
21:55peut-être, mais il y a quand même des indices qui nous montrent
21:57que la base est différente.
21:59Après, on va regarder aussi avec grande attention
22:03ce que vont faire les pays voisins.
22:04– Oui, on va en parler notamment aux Israëls aussi,
22:06parce qu'il y a déjà des tensions aussi.
22:07– Tout à fait, c'est une grosse question, c'est une question importante.
22:09– Mais est-ce que toi tu vois aussi la différence justement,
22:11parce que c'est ce qui revenait un peu dans le chat,
22:13une différence de perception entre les médias,
22:15mais plus généralement peut-être les occidentaux,
22:17sur la situation en Syrie et le renversement de Bachar al-Assad,
22:20et du coup les Syriens ?
22:21– C'est une très bonne question.
22:22La perception des occidentaux et des Syriens n'est pas du tout la même.
22:25Et les inquiétudes ne sont pas du tout les mêmes.
22:27Les Syriens, ils avaient peur de finir dans les centres de détention du régime, voilà.
22:30Aujourd'hui, les occidentaux ont peur que derrière cette étiquette
22:34rebelle islamiste, il y ait des djihadistes qui reviennent un jour
22:40combattre en Europe et voilà, qui sèment la terreur,
22:42comme ce qu'on a déjà connu avec l'État islamique.
22:44Alors sur cette question-là, le groupe HTS a dit
22:46qu'il n'avait pas du tout l'intention, que leur objectif c'était la Syrie,
22:49de renverser Assad et de prendre le pouvoir en Syrie,
22:51que leur objectif n'était pas du tout de se déployer à l'étranger.
22:54Malgré cela, on a vu qu'il y avait des combattants étrangers
22:57qui étaient présents dans les rebelles qui ont permis cette offensive
23:01et donc la question se pose de ce qu'ils vont devenir.
23:04Après, moi, ce qui m'inquiète plus côté djihadiste,
23:06c'est plus tous les djihadistes qui sont dans les prisons kurdes.
23:09Aujourd'hui, on en reste Syriens et en fonction de ce qui va se passer,
23:12si un jour ces djihadistes-là sortent, je pense qu'effectivement,
23:16on peut être inquiet.
23:17Je suis plus inquiète par ces personnes-là que par les combattants
23:20qui ont libéré Alep, Hama, Homs, etc.
23:24Mais encore une fois, c'est un peu tôt pour le dire
23:26et je peux tout à fait me tromper en vous disant ça.
23:27Donc, il faut aussi regarder avec attention ce qui se passe.
23:30D'ailleurs, moi, ce propos aussi sur la réaction internationale,
23:33j'ai été assez choqué quand même, je dois le dire,
23:35de la réaction de certains pays comme la France, par exemple,
23:38de très rapidement, après le renversement de Bachar el-Assad,
23:40parler de la question de renvoyer des exilés syriens en France dans leur pays.
23:46Mais j'ai l'impression aussi que la France n'était pas le seul pays européen
23:48à très rapidement comme ça remettre sur la table la question
23:51de la présence des exilés syriens en Europe
23:52et que du coup, ils pourraient retourner rapidement dans leur pays.
23:56J'étais assez étonné de voir ça.
23:57– C'est complètement fou et d'ailleurs, notre correspondant à Bruxelles,
24:00Jean Quatremer, a fait un excellent article pour dire que désormais,
24:02la politique étrangère de l'UE était menée par les ministres
24:05de l'intérieur de l'Union européenne.
24:06Elle n'était plus menée par les ministres des Affaires étrangères.
24:09Et donc ça, ça veut quand même tout dire.
24:10Effectivement, il y a énormément de gens qui ont été choqués
24:12de voir qu'à peine Al-Assad tombait, c'était le moment où on voyait
24:17toutes ces images affreuses des prisons, ces images de torture,
24:21de familles complètement détruites qui cherchent les leurs.
24:22Et donc la première préoccupation de l'Europe, c'était de renvoyer
24:26les Syriens chez eux, alors même que l'Europe s'interroge justement
24:29sur la nature de ce nouveau pouvoir.
24:30Est-ce que ce n'est pas un pouvoir islamiste avec ses dérives, etc. ?
24:33Donc en fait, le message était complètement paradoxal et brouillé.
24:36– Une question dans le tchat de Damien Hacher qui demande
24:40comment interpréter les frappes israéliennes en Syrie ?
24:42Une bonne question puisqu'on n'a pas encore parlé justement
24:44de ces différents rapports de force à l'échelle internationale.
24:48Et comment se positionne HTS par rapport à Israël ?
24:51– Alors en fait, Israël mène ses frappes.
24:53Alors déjà, ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait,
24:55pendant très longtemps, jusqu'à la chute d'Assad,
24:58Israël a bombardé les positions du Hezbollah en Syrie,
25:01donc le parti milice libanais.
25:04– Parce qu'ils ont des positions en Syrie ?
25:06– Ils avaient des positions en Syrie, bien sûr.
25:08Le Hezbollah, comme les milices iraniennes,
25:11était un grand soutien de Bachar al-Assad.
25:12Mais le Hezbollah ayant été affaibli au Liban par les opérations
25:19d'Israël, de Benjamin Netanyahou,
25:20il s'est retrouvé affaibli aussi en Syrie.
25:22Le Hezbollah qui combattait en Syrie,
25:24les combattants sont rentrés au Liban pour prêter main forte
25:28aux combattants du Hezbollah au Liban.
25:30– C'est ce qui a aussi permis du coup le renversement de Bachar al-Assad
25:32dans une certaine mesure ?
25:33– Effectivement, c'est un renversement qui est dû
25:35à de multiples facteurs et c'est effectivement un des facteurs.
25:38L'Iran aussi, il y avait des milices importantes en Syrie,
25:43affaiblies aussi par les représailles qu'Israël a portées à son encontre.
25:48Et donc voilà, tout ça pour dire qu'Israël a mené des frappes
25:50pendant de très longues années sur les positions du Hezbollah en Syrie,
25:54sur les positions du Hezbollah en Iran.
25:55Depuis la chute d'Assad, Israël bombarde les anciennes positions du régime,
26:00notamment des endroits où il y a pu avoir développement d'armes chimiques,
26:03des centres de recherche, etc.
26:04Notamment le centre de recherche scientifique de Barzé,
26:07mais voilà, d'autres positions.
26:08Et l'objectif en fait, c'est que tout cet arsenal militaire
26:10ne tombe pas aux mains du pouvoir islamiste HTS
26:14parce qu'Israël partage une frontière avec la Syrie
26:17et Israël regarde aussi avec vigilance ce qui se passe à ses frontières,
26:21pour ne pas dire plus.
26:22– Et c'est quoi les premiers signaux envoyés par HTS justement, par rapport à Israël ?
26:26– Alors HTS a été très clair, HTS a dit
26:27on ne veut pas la guerre avec Israël, on n'a pas les moyens de la faire.
26:30– D'accord.
26:31– Mais HTS a néanmoins appelé à ce que le plateau du Golan,
26:35donc il y a un plateau qui a été annexé unilatéralement par Israël
26:39et qui est aujourd'hui en partie sous contrôle de l'ONU avec une zone tampon
26:43et Israël essaie de pousser ses positions sur ce plateau.
26:46Et HTS a demandé à ce qu'Israël se retire et qu'on revienne à la solution
26:50qui prévalait avec cette zone tampon,
26:53un conflit qui n'est pas réglé mais qui est en tout cas gelé jusqu'ici.
26:57– Tu parlais des alliés voisins de Bachar el-Assad,
27:01quels étaient les autres alliés de Bachar el-Assad
27:03et du coup qu'en est-il maintenant que son régime a été renversé ?
27:08– Alors les alliés de Bachar el-Assad, donc le Hezbollah libanais,
27:10l'Iran essentiellement, la Russie,
27:12puisque en 2015, el-Assad était aussi à deux doigts d'être renversé
27:16et c'est la Russie qui l'a vraiment sauvé,
27:18notamment en déployant ses avions dans le ciel syrien
27:21et en bombardant les positions des combattants rebelles,
27:23c'est ce qui a permis à el-Assad de rester.
27:25– Et là ils n'ont pas voulu intervenir par exemple ?
27:27– Non, el-Assad n'a pas été sauvé cette fois-ci par Moscou et par Poutine,
27:32non, l'Iran comme la Russie ont laissé l'offensive se faire et…
27:39– Comment est-ce qu'on peut l'expliquer ?
27:40– Et au moment où cette offensive a débuté, la Turquie aussi était au courant,
27:45puisque la Turquie en fait et la Russie se parlent autour de la Syrie
27:51dans le cadre d'un format d'Iastana qui a été mis en place en 2007
27:54justement pour essayer d'obtenir un cessez-le-feu,
27:56donc voilà, il y avait le parrain russe d'un côté, le parrain d'el-Assad
28:00et puis la Turquie qui était plus un état observateur,
28:02ils ont laissé faire cette offensive, ils ont sans doute été surpris
28:05de la vitesse à laquelle elle s'est déroulée et peut-être du résultat aussi,
28:10mais en tout cas, la Russie aurait très bien pu renvoyer des avions dans le ciel syrien
28:14et sauver encore Bachar el-Assad, la Russie n'a pas voulu
28:16mais la Russie était aussi occupée ailleurs, je veux dire,
28:19il y a une guerre en Ukraine, ce qui n'était pas du tout le cas en 2015
28:22quand elle est venue au secours d'el-Assad, donc voilà,
28:24et on voit ce qui est intéressant c'est que la Russie aujourd'hui n'a pas du tout…
28:27donc la Russie, el-Assad est à Moscou, donc la Russie héberge un dictateur déchu
28:33mais elle a aussi des bases militaires sur la côte,
28:36notamment la base de Hmym et ils ont envie de les sauvegarder,
28:40donc la Russie veut aussi discuter avec ce nouveau pouvoir HTS
28:42pour pouvoir maintenir ses positions en Méditerranée
28:45qui sont essentielles pour pouvoir faire du renseignement, etc.
28:48– Ouais, est-ce qu'on sait déjà si HTS justement va changer un petit peu d'allié
28:51par rapport à Bachar el-Assad ou est-ce qu'on peut s'attendre
28:54à ce qui n'est pas forcément un gros bousculement
28:56d'un point de vue équilibre diplomatique et international ?
28:59– HTS a aussi tendu la main à la Russie, donc les contacts vont se maintenir,
29:04après HTS ne va pas discuter avec l'OSBOL libanais, ne va pas discuter avec l'Iran,
29:09ils les ont combattus sur le terrain puisqu'au moment de l'offensive
29:11il y avait encore des milices.
29:13Et il y a deux États, on a parlé déjà d'Israël,
29:15il va falloir regarder avec attention ce que va faire Israël
29:17et puis il y a un autre État qui essaye de pousser ses pions,
29:20c'est évidemment la Turquie, qui partage aussi une grande frontière avec la Syrie,
29:25qui administre une partie du pays de facto,
29:28et la Turquie qui n'a absolument pas envie,
29:30qui craint même énormément la naissance d'un Kurdistan
29:35qui réunisse à la fois le Kurdistan syrien, turc, irakien,
29:39voilà la Turquie c'est vraiment la matrice turque,
29:43elle est basée aussi sur la question kurde.
29:45Donc voilà, la Turquie va pousser ses positions aussi,
29:48et donc le Kurdistan syrien est extrêmement peur d'une offensive turque de grande ampleur.
29:54La Turquie regarde aussi avec attention,
29:56la Turquie a aussi diplomatiquement repris langue avec ce nouveau pouvoir,
30:03il va y avoir une ambassade qui va, je ne sais plus si elle a été réouverte ou si elle va réouvrir,
30:07idem pour le Qatar, donc voilà, côté Pays Moyen-Orient tout ce qui se passe,
30:13je surveille avec grand intérêt ce que vont faire les Émirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite,
30:18qui eux n'aiment pas beaucoup les révolutions, les drapeaux révolutionnaires,
30:22donc voilà, ça ne se passe pas non plus très loin de chez eux,
30:25et puis c'est quand même deux pays qui avaient permis la normalisation de Bachar el-Assad,
30:29qui l'avaient fait re-rentrer dans la ligne garabe en 2023,
30:32on va voir ce que ces pays font, il faudra regarder aussi quels contacts sont pris,
30:36et puis qui soutiennent en Syrie, je pense qu'eux aussi vont avoir envie de mettre un peu la main dans ce jeu syrien,
30:41et c'est ce que les Syriens craignent,
30:43que des puissances étrangères arrivent et rebouleversent le jeu, ce qu'ils ont connu ces dernières années.
30:49Est-ce qu'on peut craindre que des puissances occidentales aussi veuillent un peu mettre,
30:54se mêler un peu de ces affaires syriennes, quand on sait que voilà,
30:58ancien allié de la Russie, enfin on verra comment ça évolue,
31:02mais est-ce qu'on peut se dire que voilà, des occidentaux, notamment les États-Unis aussi,
31:06pourraient se dire, on aura peut-être intérêt à essayer d'installer quelqu'un à la tête de ce pays
31:11pour éviter qu'il retourne vers la Russie, que ça puisse nous faire un allié supplémentaire,
31:15où on doit que ça puisse participer à équilibrer un petit peu la zone ?
31:17Alors c'est une très bonne question, sur les États-Unis, on ne sait pas du tout ce que va faire Trump,
31:21il ne s'est pas pour le moment exprimé sur ce nouveau pouvoir,
31:23en revanche ce qu'il avait dit, c'est qu'il voulait désengager les soldats américains qui étaient présents en Syrie,
31:28donc au nord-est, donc on va voir ce qu'il fait dans ce contexte,
31:30pour le moment il n'a pas tweeté à ce sujet, donc on ne sait pas.
31:33Et concernant l'Europe, je pense que l'Europe va vouloir être présente,
31:37mais plutôt pour favoriser une transition politique démocratique, pacifique, voilà.
31:42Et puis après aussi faire du soutien humanitaire, puisque la Syrie va en avoir besoin, effectivement.
31:47– Et la France, comment a réagi par exemple Emmanuel Macron ?
31:49– Alors la France est un des premiers pays européens à avoir envoyé une délégation sur place,
31:54donc contact a été officiellement pris avec HTS, voilà.
31:57Pour le moment on n'en sait pas plus, mais en tout cas il y a vraiment une volonté
32:01de faire jouer la diplomatie française à plein, d'être présent,
32:04de regarder ce qui se passe et puis voilà, je pense, d'aider.
32:07– J'ai l'impression qu'on a réussi aussi à adresser une vision d'ensemble et globale
32:10sur la situation actuellement en Syrie après le renversement de Bachar el-Assad,
32:14donc je te remercie Camille d'avoir été avec nous ce midi,
32:17d'avoir pris le temps de parler de la situation en Syrie.
32:19À bientôt Camille. – À bientôt.
32:21– Sous-titrage FR ? – Sous-titrage FR ?