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00:00Imaginez un pays qui découvre, je sais pas, un énorme gisement d'uranium ou bien une
00:16énorme mine d'or. A priori c'est le jackpot, c'est vraiment un cadeau tombé du ciel qui
00:20va ruisseler sur à peu près toute l'économie. En tout cas, c'est ce qui est souvent annoncé
00:25dans les médias, un peu partout par les hommes politiques. Voilà, grosse chance qui vient
00:29tomber sur le pays. Pourtant, si vous revenez quelques années plus tard, il y a de grandes
00:33chances que vous tombiez sur un pays qui a sombré dans la pauvreté avec énormément
00:36de corruption voire même des guerres civiles. Comment est-ce possible ? Pourquoi cette richesse
00:40s'est transformée en malédiction ? C'est un paradoxe économique fascinant qui s'appelle
00:45la malédiction des ressources et qui explique ce qui s'est passé dans des pays comme le
00:48Venezuela ou bien la Russie qui, au départ, avaient tout pour réussir et notamment d'énormes
00:53ressources. Et cette malédiction, c'est une théorie qui s'observe depuis des siècles.
00:57L'idée est simple, les pays riches en ressources naturelles, donc pétrole, gaz, minerais, ont
01:01souvent une croissance économique plus faible, des institutions plus corrompues et des sociétés
01:06plus inégalitaires que les pays qui n'en ont pas. Donc dit autrement, cette richesse
01:10peut devenir un poison. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons. La première, c'est ce
01:13qu'on appelle la maladie hollandaise. Ce terme vient d'un article de The Economist
01:17de 1977 qui explique les conséquences de la découverte de gaz naturel aux Pays-Bas.
01:22Depuis que dans les années 60, du gaz a été découvert non seulement dans la mer du nord
01:25mais finalement un peu partout dans le pays, la monnaie locale, le florin, est devenue plus
01:29forte. Résultat, les autres secteurs de l'économie, comme l'industrie, sont devenus
01:33moins compétitifs à l'export. Pourquoi ? Parce que la monnaie étant plus forte,
01:37les produits exportés sont plus chers qu'avant donc ils arrivent moins à trouver des débouchés.
01:42Et c'est une situation qui est vécue par la plupart des pays qui ont été dans la même
01:45situation. Le problème, c'est que tout va bien tant que le prix des matières premières,
01:49tant que l'extraction, la production, etc. tient la route, mais dès que la rente des
01:54matières premières diminue, le pays se retrouve avec les restes de l'économie,
01:57l'industrie je le disais, qui n'arrivent pas à prendre le relais. C'est un peu comme si d'avoir
02:02ce secteur des matières premières qui était trop fort, ça va affaiblir tout le reste de l'économie.
02:06Le deuxième mécanisme, c'est la volatilité des prix. On le sait, les matières premières,
02:10comme le pétrole ou le cuivre, ont souvent des prix qui sont cycliques et même des cycles assez
02:14brutaux. Quand les prix montent, tout va bien, l'économie du pays s'en sort très bien. Mais,
02:18dès qu'il chute, c'est une catastrophe. Pensez à un pays comme l'Angola par exemple où 90% des
02:22revenus d'exportation proviennent du pétrole. Il suffit d'avoir une chute des cours et c'est
02:26l'effondrement budgétaire. C'est impossible, en tout cas pas impossible, mais disons très
02:30difficile de gérer un pays dont les recettes peuvent perdre 40% en quelques mois. Et enfin,
02:34troisième mécanisme, c'est que quand il y a beaucoup de matières premières,
02:37on retrouve aussi beaucoup de corruption et de ce qu'on appelle des institutions extractives.
02:42Donc ce concept d'institutions extractives, il a été popularisé par les économistes
02:46Assemoglou et Robinson qui ont gagné le prix Nobel d'économie 2024. Et ce terme désigne des
02:51institutions qui concentrent le pouvoir et les richesses entre les mains d'une élite. Donc,
02:55plutôt que de favoriser la croissance et l'innovation pour l'ensemble de la société,
02:58ces institutions vont extraire la richesse produite, c'est pour ça qu'on les appelle
03:03institutions extractives, et la capturer au profit d'un petit groupe, souvent au détriment de la
03:08population et du reste de la société. Un bon exemple, c'est la Russie. Depuis la chute de
03:11l'URSS, l'économie russe s'est massivement appuyée sur ses exportations d'énergie. C'était un gros
03:16point fort. Et cette concentration des richesses a provoqué la concentration du pouvoir et la
03:21corruption. Les revenus du pétrole et du gaz sont contrôlés par des entreprises d'état,
03:25on connaît bien Gazprom, on connaît Rosneft, qui servent aussi de levier politique et ça crée un
03:29cercle vicieux où les élites s'enrichissent mais où le pays dans son ensemble reste économiquement
03:34fragile. Mais l'exemple le plus tragique de la malédiction des ressources, c'est peut-être le
03:37Venezuela. A la fin des années 20, le pays découvre ses premières grandes réserves de pétrole. Donc,
03:42très vite, le Venezuela devient l'un des plus gros exportateurs et dans les années 70, il est
03:46incroyablement riche. Les infrastructures se développent, la classe moyenne explose et tout
03:50semble bien se passer. Mais, dès les années 80, tout s'effondre. Pourquoi ? Parce que le pétrole
03:54est devenu une dépendance. Forcément, on a tendance à négliger l'agriculture, l'industrie locale,
03:59etc. C'est tellement plus facile d'importer des produits en payant avec des pétrodollars. Mais,
04:04lorsque les prix du pétrole ont chuté, le Venezuela s'est retrouvé avec un budget
04:07qui était intenable. Mais non seulement ils ont mal géré la volatilité du pétrole,
04:10il y a aussi eu énormément de corruption. Que ce soit sous Hugo Chavez ou bien sous Maduro,
04:14les revenus pétroliers ont souvent été utilisés pour financer les programmes populistes mais
04:18aussi pour enrichir un cercle restreint de proches du pouvoir. La compagnie nationale
04:21pétrolière, la PDVSA, qui était autrefois une entreprise qui marchait bien, très efficace,
04:26très rentable, s'est devenue un gouffre avec une gestion vraiment catastrophique. Au point
04:30qu'aujourd'hui, les employés sont tellement mal payés qu'ils sont quasiment tous obligés d'avoir
04:33un deuxième travail. Personne n'arrive à vivre avec purement son travail chez le géant pétrolier.
04:38Résultat, même si le Venezuela a d'immenses réserves de pétrole, on parle souvent des plus
04:43grosses réserves de pétrole mondiale, ils ont quand même dû, par moments, importer du pétrole
04:47iranien. Ça paraît complètement fou mais c'est ce qui s'est passé ces dernières années. Alors
04:50pourquoi est-ce que certains pays s'en sortent ? Pourquoi est-ce que la Norvège par exemple,
04:55qui a découvert d'immenses réserves de pétrole en mer du nord dans les années 60,
04:58est aujourd'hui l'un des pays les plus prospères, les plus égalitaires du monde ? La réponse c'est
05:02la gestion. Dès le départ, la Norvège a pris des décisions stratégiques pour éviter la
05:06malédiction. En gros, ils ont fait tout l'inverse des autres. Par exemple, ils ont créé leur fameux
05:10fonds souverain où une grande partie des revenus pétroliers est placée pour les générations
05:14futures. Ce fonds souverain, il est vraiment fascinant. Il vaut aujourd'hui environ 1700
05:18milliards de dollars, sachant qu'il y a environ 5,6 millions de Norvégiens. Ça revient à un
05:23montant d'un peu plus de 300 000 dollars par personne. Donc si vous êtes une famille de 4,
05:27vous pouvez vous dire que la Norvège a environ 1,2 million de dollars qui est placé pour assurer
05:32votre avenir. Et ce qui est génial, c'est que c'est totalement transparent. Si vous allez sur
05:35le site du fonds souverain, je vous encourage à le faire, je vais mettre le lien dans la
05:39description de la vidéo du podcast, vous avez sa valeur en temps réel. Vous pouvez voir à quel
05:44point ça monte ou ça baisse. Et surtout, vous pouvez aller voir tous ses investissements. Vous
05:48voyez exactement combien il a investi dans Apple, le nombre d'actions investies dans Apple, dans
05:52Dassault Aviation, etc. Mais vous avez aussi le détail de tout l'immobilier. Donc vous pouvez
05:55voir les immeubles qu'ils vont posséder, que ce soit sur les Champs-Elysées. J'ai vu qu'ils avaient
05:59le magasin, enfin l'immeuble avec le magasin Nike. Vous voyez leur propriété Place Vendôme ou bien
06:04à New York, à Londres ou à Sheffield. Mais grâce à ce fonds, la Norvège n'est pas directement
06:07affectée par la volatilité des prix du pétrole. Au lieu de s'en servir dans son budget annuel pour
06:13payer ses factures courantes, j'ai envie de dire, il est fait pour gérer le pays à très long terme.
06:18Donc ce qui est super, c'est que dès que les revenus du pétrole sont rentrés, ils sont
06:21réinvestis dans beaucoup d'actions, un peu d'obligations d'immobilier, etc. Et ça sert
06:27pour le futur. Alors que forcément, si vous voulez payer vos factures avec vos pétrodollars,
06:31là c'est compliqué. Et dès que le prix du pétrole baisse, il y a de gros soucis. Justement,
06:35la Norvège a bien compris comment gérer ça à long terme. En plus, la Norvège a investi
06:39massivement dans l'éducation, dans les infrastructures et dans des industries
06:42diversifiées, justement pour éviter cette dépendance au pétrole. Ce qu'ils ont fait,
06:45c'est qu'ils ont utilisé le pétrole comme un tremplin et pas comme une béquille. Et peut-être
06:49que comme moi, vous pensez à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, etc. Effectivement, ils se sont
06:53inspirés du modèle norvégien, mais avec des différences quand même importantes. Parce que
06:57la Norvège est vraiment partie sur un modèle prudent, transparent, très long terme, où les
07:02revenus pétroliers sont placés dans ce fonds souverain dont on a discuté, qui va être destiné
07:06à financer le bien-être des citoyens. Et c'est là où ça change un peu par rapport à Dubaï. Et les
07:11générations futures, c'est-à-dire que ce fonds, il va financer les retraites, les services publics,
07:15etc. Alors que de son côté, Dubaï a adopté un modèle beaucoup plus entrepreneurial puisqu'ils
07:21vont réinvestir massivement les richesses pétrolières dans des infrastructures et des
07:24projets économiques. Mais cette fois-ci, pour attirer les capitaux étrangers, les capitaux
07:29expatriés, etc. sans focus sur la redistribution interne comme le fait la Norvège. Mais dans les
07:35deux cas, il n'y a pas de malédiction des ressources. Il y a vraiment une très bonne
07:38gestion. Et ça, ce n'est pas qu'une leçon pour les États. On a exactement la même chose au
07:41niveau individuel, au niveau des entreprises. On a le même principe qui s'applique, c'est-à-dire
07:45qu'une richesse trop rapide est souvent mal gérée et peut faire finalement plus de mal que de bien.
07:49On connaît tous l'histoire des gagnants de loterie qui finissent ruinés ou bien ces entreprises qui
07:54vont exploser rapidement avec vraiment un produit qui va avoir énormément de succès, mais qui vont
07:59ensuite s'effondrer parce qu'ils n'ont pas eu de vraie stratégie à long terme. Alors non, la
08:02malédiction des ressources n'est pas une fatalité. Je vous ai parlé de la Norvège. On a vu Dubaï,
08:06mais il y a aussi le Canada, etc. Donc il y a quand même plusieurs pays avec des ressources
08:10importantes. On peut même presque mettre les États-Unis dans le lot. On peut avoir des pays
08:13qui ont des ressources, des matières premières importantes et qui pourtant ne sont pas tombés
08:18dans la pauvreté, les guerres civiles, etc. Mais on le voit, c'est toute une question de gestion,
08:22mais c'est aussi une question d'institution. C'est comme je vous l'ai dit sur ce thème des
08:26institutions que le prix Nobel 2024 a été décerné à ces trois. Je n'ai cité que deux chercheurs,
08:31mais ils ont été trois. Donc voilà, institutions fortes, transparentes, etc. C'est ce qui sauve
08:36de cette malédiction des ressources. Est-ce que vous pensez que cette malédiction des ressources,
08:40c'est une théorie économique un peu bancale, un peu bidon ? Ou bien est-ce que réellement certains
08:44pays auraient presque mieux fait de ne jamais trouver leur gisement de pétrole ou de gaz ? On
08:48peut penser au Venezuela. Est-ce que réellement ça a été une malédiction, un moment de tomber
08:52sur cette richesse et de ne pas savoir bien la gérer ? J'ai l'impression que ce temps de
08:56malédiction des ressources est un peu derrière nous, qu'aujourd'hui les pays qui ont ces ressources-là,
09:02je vous ai cité déjà pas mal d'exemples, arrivent à beaucoup mieux les gérer. J'ai
09:05l'impression que c'est un peu quelque chose du passé. Mais voilà, dites-moi ce que vous en
09:08pensez en commentaire. Merci encore pour votre fidélité, pour vos abonnements. N'oubliez pas
09:12de vous abonner et d'activer la petite cloche, ou bien évidemment de liker cette vidéo si elle vous
09:17a plu. Moi, je vous dis à bientôt pour d'autres vidéos.