Chères lectrices, chers lecteurs,
Enregistrée le jeudi 12 décembre 2024, voici la captation de la rencontre de Rémi Babinet autour de son ouvrage Pas de publicité merci, paru aux éditions JBE Books.
Cette discussion est animée par Sonia Devillers.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
L’ouvrage essentiel et indispensable de toutes les bibliothèques créatives.
Journal de bord des explorations de l’agence élue la plus créative du monde en 2024, Pas de publicité merci offre une intimité immédiate avec les lecteurs. Dans la tête de son fondateur on plonge dans un monde où art, photographie, film, design, musique, architecture, idées, économie, entreprise se télescopent dans l’élaboration du processus créatif.
À propos de l'auteur :
Rémi Babinet fonde BETC en 1994 avec Éric Tong Cuong et Mercedes Erra. Il figure dans le top 10 des meilleurs directeurs de création depuis la naissance de la publicité établi par le magazine Forbes. Élue en 2024 agence la plus créative du monde au classement WARC (World Advertising Research Center), BETC est présente à Pantin, New York, Sao Paulo, Londres et Shanghai. Elle a été baptisée also an ad agency par le magazine Creative Review pour ses engagements au-delà de la publicité. Rémi Babinet a été président du Club des directeurs artistiques de 2003 à 2005. Il préside depuis 2016 le Fonds de dotation du Grand Paris Express dont la mission est de réunir les entreprises autour de l’ambitieux projet culturel qui accompagne la création du futur métro. Il est également président des Magasins Généraux, nouvelle plateforme culturelle créée à Pantin en 2016.
Enregistrée le jeudi 12 décembre 2024, voici la captation de la rencontre de Rémi Babinet autour de son ouvrage Pas de publicité merci, paru aux éditions JBE Books.
Cette discussion est animée par Sonia Devillers.
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
L’ouvrage essentiel et indispensable de toutes les bibliothèques créatives.
Journal de bord des explorations de l’agence élue la plus créative du monde en 2024, Pas de publicité merci offre une intimité immédiate avec les lecteurs. Dans la tête de son fondateur on plonge dans un monde où art, photographie, film, design, musique, architecture, idées, économie, entreprise se télescopent dans l’élaboration du processus créatif.
À propos de l'auteur :
Rémi Babinet fonde BETC en 1994 avec Éric Tong Cuong et Mercedes Erra. Il figure dans le top 10 des meilleurs directeurs de création depuis la naissance de la publicité établi par le magazine Forbes. Élue en 2024 agence la plus créative du monde au classement WARC (World Advertising Research Center), BETC est présente à Pantin, New York, Sao Paulo, Londres et Shanghai. Elle a été baptisée also an ad agency par le magazine Creative Review pour ses engagements au-delà de la publicité. Rémi Babinet a été président du Club des directeurs artistiques de 2003 à 2005. Il préside depuis 2016 le Fonds de dotation du Grand Paris Express dont la mission est de réunir les entreprises autour de l’ambitieux projet culturel qui accompagne la création du futur métro. Il est également président des Magasins Généraux, nouvelle plateforme culturelle créée à Pantin en 2016.
Category
🦄
Art et designTranscription
00:00Bonsoir, bonsoir et merci d'être nombreuses et nombreux à nous rejoindre ce soir pour une soirée autour de la parution du livre Pas de publicité, merci de Rémi Babinet.
00:14Merci beaucoup à Loïc Ducroquet de nous accueillir dans cette sublime librairie et à Léo Fourrier d'avoir organisé ce moment avec nous.
00:21Je suis David Derimais, je suis éditeur et directeur de la maison JBE Books.
00:27J'ai eu le bonheur depuis maintenant presque deux ans de travailler avec Rémi et son copieux manuscrit pour cet ouvrage qui...
00:35C'est une blague.
00:37J'aime bien le mot copieux. Alors David est très gourmand, donc c'est un compliment.
00:41C'est évidemment un compliment. Je vais aller très vite. JBE Books, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, c'est une maison d'édition qui fait du livre d'art et du livre d'artiste.
00:52Je pense que ça a du sens de le mentionner ici au début pour vous dire aussi à quel point on a abordé cet ouvrage, non pas comme un livre de marque ou un livre de patron,
01:02mais bien pour ce qu'il est, c'est-à-dire comme un livre d'artiste d'une certaine façon.
01:05Et je crois que la conversation de ce soir va nous renseigner cette conversation, Rémi Babinet, notre auteur, et Sonia De Villers, journaliste,
01:15que l'on écoute avec bonheur sur France Inter et avec l'image sur Arte.
01:19Je vais les laisser discuter ensemble et nous initier, nous ouvrir les yeux et l'esprit autour de tout ce que cet ouvrage traverse.
01:31Ensuite, nous vous invitons au centre de la librairie, à la caisse de la librairie éventuellement.
01:38Pour un moment convivial, il y aura un verre à partager pour poursuivre l'échange en direct.
01:45Et pour profiter de ce moment, ce sera peut-être là qu'on fera la partie questions-réponses, et pas ici, à vous. Bonne soirée.
01:53Je suis désolé, je vais prendre la parole en premier. Je suis tellement heureux que Sonia ait accepté de faire cette petite conversation pour plein de raisons.
02:06D'ailleurs, je te propose de t'interviewer, parce que ça fait qu'elle a tellement d'occupation et tu as une vie un peu pas facile.
02:15Tu te lèves très tôt le matin. Je me lève très tôt le matin. Maintenant, je peux vous le dire, ce petit gros livre est formidable.
02:23En réalité, tous les journalistes vous le diront, on n'a absolument pas besoin de lire les livres pour fabriquer une interview.
02:29Sauf que je m'y suis plongée et qu'on se fait vraiment très, très vite attraper. Le système des fragments fonctionne à merveille.
02:35Il y a énormément de choses là-dedans. Il y a vraiment des pages qui tapent, qui sont malicieuses, qui sont précises, qui sont punchées.
02:41Il y a beaucoup d'émotions. On va y revenir. Alors, bonsoir à toutes et à tous. Salut Rémi.
02:46Salut Sonia.
02:47Voilà. Donc, en fait, on dit d'un historien, quand un historien documente un événement ou une période à travers son propre vécu,
02:57on dit qu'il fait de l'égo-histoire. Et je me suis demandé si un publicitaire faisant la même chose faisait de l'égo-publicité.
03:04Ah oui, t'attaques fort quand même.
03:06Non, j'attaque fort.
03:07Je pensais que c'était une conversation à la con.
03:09Maintenant, vous avez vu ce bandeau. Si ça, c'est pas de l'égo-publicité.
03:13Oui, c'est vrai qu'il y a eu une cassure, en fait, dans l'histoire de l'écriture de ce livre. C'est qu'au début, je me suis lancé dans une sorte de livre
03:22qui était un livre de patron, content de son entreprise et avec tous les défauts que ça peut avoir. Et après, j'ai bifurqué vraiment.
03:32J'ai tout balancé à la poubelle. Et je me suis dit finalement, mais qu'est-ce que tu fous là-dedans? Et qu'est-ce que ça veut dire?
03:40Quel est le plaisir que tu as appris? Quels sont les problèmes que tu as rencontrés? Parce qu'on est quand même dans le genre de boîte
03:47qui est au cœur de nos sociétés, au cœur de la société de consommation. On fait tourner les entreprises, on vend des choses.
03:55Et on essaie de réfléchir à énormément de choses qui traversent tous les gens dans la société. Donc oui, ça m'a permis d'embrasser plein de trucs,
04:06y compris moi, en fait. Je ne m'y attendais pas à me retrouver un petit peu moi-même.
04:12C'est ce que je trouve absolument génial. C'est-à-dire que toi qui prêtes une telle attention aux objets, tu es devenu l'objet de ton livre et tu en as fabriqué un objet.
04:19On va y revenir. Et justement, je me suis dit à quoi vous fait penser cet objet ou à quoi ça fait penser cet objet?
04:26Alors donc, on peut mettre ça au vote comme vous voulez. Une Bible imprimée sur papier Bible, une pléiade, un petit livre rouge ou lequel?
04:39Alors précisément, c'est vrai que ça m'a ému beaucoup parce que ma mère qui est là, que je vois et je trouve ça incroyable qu'elle soit là et que je puisse parler de mon livre comme ça.
04:53Je me suis assis au bureau de mon père et j'ai vu un livre rouge très épais. Alors mon père était prof de droit et c'était le Dallas, le code civil.
05:07Je me suis dit mais c'est dingue, mais il est orange le tien, mais il a le même gabarit. Il y avait un truc. Tu ne savais pas ça. Tu ne t'y attendais pas.
05:18C'est arrivé il y a dix jours. C'est génial. Et c'est vrai qu'il y a des choses qui se ressemblent.
05:26Une vie de pub, est-ce que ça aurait dû ou est-ce que ça aurait pu être un livre d'images?
05:32Non, non, parce que les images, je connais. Alors c'est drôle comme question. Moi, j'ai aucune image chez moi. J'aime pas les images au mur.
05:43Peut être que j'en bouffe trop toute la journée. J'adore les images, mais pour réfléchir avec, pour voir si elles ont du sens et tout.
05:52Mais on est une agence très centrée sur les mots et sur le sens de le sens qu'on donne aux messages qu'on envoie. On est hyper concentré là dessus.
06:04Je ne sais pas pourquoi il y a pas mal de gens dans l'agence, d'ailleurs, qui sont écrivains. C'est drôle. Et donc, c'est quand même ça.
06:14C'est vraiment un plaisir. Depuis le début de l'agence, il y a des bagarres de mots et il y a un atelier de mots. Il y a des choses autour des mots.
06:25Et je pense qu'il y a un travers dans la pub actuelle, notamment dans le luxe, dans la mode, dans pas mal de marques, de jamais mettre de mots.
06:33Et moi, je me suis toujours battu pour ça parce que les images seules n'arrivent à rien orienter.
06:41Et d'ailleurs, tu dis à un moment qu'une agence de publicité, c'est la meilleure école d'éloquence qu'il soit.
06:49Oui. J'ai travaillé longtemps sur la publicité, pas comme publicitaire. Les publicitaires m'ont appris beaucoup de choses, mais on m'avait jamais raconté ça comme ça.
06:58Que l'idée, c'était de rendre un produit éloquent, une marque éloquente, un projet éloquent, une entreprise éloquente.
07:05Oui, tout à fait. En fait, c'est une manière de dire les choses, mais je pense que ça correspond bien à ce qu'on fait.
07:11C'est comment dans le bruit, dans le brouhaha, dans le bordel de signes, de tout ce qu'on se prend dans la tête, il y a quelque chose de plus éloquent.
07:20Que ce soit une chose, une cause, une assoce, une entreprise, n'importe quoi. Un objet qui a peu de chances de prendre une parole.
07:31Un pneu. Moi, j'adore les pneus. On fait parler des pneus aussi dans les agences de pub. On peut faire parler des pneus.
07:39Pourquoi dire en préambule que tu as écrit ce livre toi-même ?
07:44Pour vous traduire ma question, les gens qui se sentent écrivains ne voudraient jamais que la question soit évoquée ouvertement.
07:58Et les gens qui font appel à des ghost writers n'évoquent évidemment jamais le sujet.
08:04Parce que j'ai découvert, je le savais un peu, mais je pensais que c'était marginal.
08:09Et notamment dans la sphère dans laquelle je suis, c'est-à-dire dirigeant d'entreprise, mais pas mal de gens, beaucoup plus de gens,
08:19j'ai découvert que ghost writers, c'était les vrais auteurs de la plupart de ces gens-là, ou en tout cas de beaucoup de ces gens-là.
08:26Et du coup, c'est pour ça que j'ai tenu à le dire comme ça. Je pense que je n'aurais jamais pu signer un livre que je n'aurais pas écrit, tout simplement.
08:37Alors, je vous l'ai dit, c'est un livre de fragments. Pourquoi c'est un livre de fragments ?
08:44En fait, ça, ça tient à l'écriture, puisque moi, j'ai un emploi du temps qui est quand même assez démoniaque.
08:51Et donc, le livre a commencé avec des petits fragments que j'écris ou dans les taxis ou le week-end, des notes au début.
09:02Et puis ça devient des textes. Et là, ça m'aide parce que ça me donne du recul sur ce que je fais.
09:10Dans les taxis, je ne bosse jamais. Je fais autre chose ou je ne fais rien, ou j'écris sur mon téléphone.
09:18Et donc, j'avais déjà une bonne base. Mais une fois que je dis ça, en fait, cette base-là, elle était tellement dure à travailler que le livre a commencé au moment
09:30où j'ai vu la montagne que ça pouvait être d'agréger tous ces fragments à des époques différentes et d'en faire un récit.
09:38Alors, je vous lis la page 1259. Ouh là là ! Ouais, 1259.
09:47« À la fragmentation de la société répond mécaniquement la fragmentation des récits, à moins que ce ne soit l'inverse.
09:54Récits minuscules, offres commerciales millimétrées et desséchées par leur exactitude, aussi minuscules que le moi,
10:02champ ultime de la précision marketing, précision mortelle, ennui mortel, solitude mortelle.
10:09Pas de commun, seulement des liens soigneusement mis en scène entre des milliards de soi.
10:14Je n'ai jamais autant cru aujourd'hui à la nécessité et à l'efficacité des grands récits communs, et pas seulement parce que personne n'y croit.
10:22Mais embarquée dans le grand flux où toutes nos croyances s'entrechoquent, même obligée de le faire enfler chaque jour avec nos minuscules robinets à contenu,
10:31je suis certain que nous rêvons tous à quelque chose d'autre. Je crois que c'est vital pour la société et que c'est important pour le commerce et sa publicité. »
10:39Vous voyez, on vous dit que ça marche.
10:42Oui, mais en plus, ça s'est aggravé en fait dans l'histoire de l'agence, par exemple. Moi, jamais j'aurais pu écrire ça au début.
10:50Mais dans les cinq ou dix dernières années, notamment à cause de la technologie, des possibilités de la technologie,
10:57chacun peut parler à tout le monde, mais finalement, chacun parle de préférence à des gens qui lui ressemblent, avec un algorithme qui favorise ça.
11:09Et donc, ça fragmente. Et c'est un problème parce qu'en fait, l'accélération technologique est telle que la société se fragmente malgré elle,
11:24parce qu'elle est obligée de se représenter elle-même sans arrêt dans la communication. En fait, ce qui s'est passé, moi, ce que je raconte,
11:30c'est que la communication, qui était un mode – on se vend des trucs, on se parle, mais même on se téléphone – est devenue une sorte de terrain majeur d'expression des gens
11:45et de la société elle-même. Elle se représente autant qu'elle existe. Et donc, dans cette représentation permanente de la société par elle-même et par les moyens de communication,
11:55on arrive à un truc un peu faux. On ne se touche plus les uns les autres. On ne sait plus très bien ce qui se passe. Et personne n'a la clé pour l'instant.
12:06Mais il y a vraiment une accélération technologique que la société n'a pas réussi à encaisser encore. Enfin, on est loin de la pluie.
12:14Ni les publicitaires ni les journalistes, je vous le confirme. Alors, comment se faire entendre ? Comment être éloquent au milieu de la fragmentation ?
12:22Page 315. Quand j'imagine la publicité, haut-parleurs, klaxon, trompette, télé à fond, opération coup de poing, bousculade, basse saturée, couleur criarde, prix massacré,
12:35millions de likes, homme sandwich, Times Square, Google Home, jingle, ça crache sa gueule, ça ouvre pas mal d'espace à des expressions plus tranquilles, opportunités.
12:45Entre Minidou et Optique 2000, il y a une place à prendre, me dit Xibé. On va vous dire qui c'est, Xibé, le directeur de création de l'agence.
12:55Moi, j'ai beaucoup aimé ce chapitre sur le calme.
12:58Oui, c'est vrai que c'est Xibé qui m'a dit une fois cette phrase-là, ça m'a frappé. Il est là, Xibé, je ne sais plus où il est. Il est là, je ne le vois pas, c'est bourré.
13:10Non, parce qu'en fait, ça fait allusion à des publicités qu'on a faites sur Air France, notamment, où c'est vrai que dans les écrans publicitaires, tout gueule,
13:19ça sature parce que tout le monde veut parler plus haut que l'autre. Et tout d'un coup, on avait fait des spots à l'époque qui étaient complètement calmes.
13:29C'est comme si tout d'un coup, on avait une minute de calme absolu pour vendre le confort et le calme qu'on était censé trouver sur Air France.
13:38Et avec une phrase qui était faire du ciel le plus bel endroit de la Terre. Donc, tout d'un coup, ça arrivait un peu comme un ovni dans l'écran publicitaire.
13:46Et cette lenteur-là elle-même, qui était contraire à toutes les règles de la publicité. La publicité, ça doit gueuler, ça doit être rapide.
13:53Ça avait une efficacité incroyable par contraste.
13:57Alors, j'ai aimé le chapitre sur le calme. J'ai aimé le chapitre sur la subtilité, c'est-à-dire avec l'idée que tu dis que pour prendre le pouvoir,
14:12pour entamer une conquête politique, tu cites Gramsci et tu dis qu'il faut conquérir les esprits.
14:18Et tu dis qu'en fait, il n'y a rien de plus compliqué que de faire comprendre à un client qu'il peut y avoir des conquêtes subtiles.
14:24Ou qu'en tout cas, la subtilité peut être un terrible moteur de conquête, très efficace, redoutable même.
14:31Oui, alors ça, ça me fait rire que tu dis ça, parce que ça, c'est vraiment les combats les plus difficiles à mener.
14:38Alors, en général, moi, quand je commence sur ce terrain-là, ça se termine par une phrase qu'on connaît bien dans la publicité.
14:48C'est on n'encule pas un peu les mouches. Et donc, c'est des discussions très subtiles.
14:55Et donc, mais j'adore avoir ces discussions, alors qu'en général, on ne les a pas dans les agences.
15:02Mais sur les couleurs, sur tel mot plutôt que tel autre, tel rythme plutôt que tel autre.
15:10Et je suis convaincu, parce que c'est ça aussi, c'est que ces questions de rythme, de détail font qu'à l'arrivée, ça rentre agréablement dans la perception des autres.
15:22Mais ça rentre. Et ça reste. Et ça reste. Voilà. Et ça reste plus. C'est méchant.
15:30C'est très colonial. Pourquoi ? Non, non, c'est une façon de coloniser des espaces.
15:41Mais si c'est des espaces mentaux, c'est une façon de les coloniser.
15:44Mais en même temps, oui, on fait un métier de séduction et de voilà, on est là pour pour convaincre.
15:52On a dit le calme, la subtilité et on va ajouter la simplicité. Mon père me disait souvent tu exagères.
16:02Là, on est page 697. Si parmi les talents d'une agence, il fallait n'en retenir qu'un.
16:09Il faudrait choisir celui ci, l'art de faire simple, une attention payante à l'arrivée.
16:14Au départ, un art martial, une esthétique, un violent travail d'intelligence par le vide.
16:19C'est génial, qui semble n'avoir d'autres raisons d'être que de mécontenter tout le monde.
16:25On enlève 99% de ce que tout un tas de gens rêveraient de voir dans cette publicité.
16:31Pour ne retenir qu'une infime et précieuse part qui doit répondre au 99% du problème posé.
16:37Le publicitaire Bertrand Suchet, qui ment il n'y a pas longtemps, le disait mieux que moi.
16:43Citons Bertrand Suchet, c'est très compliqué de faire simple. C'est très simple de faire compliqué.
16:48La paresse entraîne souvent la complication.
16:52C'est un vrai boulot que j'adore dans les agences. C'est une espèce de violence à simplifier.
17:03Alors que tout le monde veut compliquer.
17:07C'est sûr que quand je dis ça, je sais que le client veut voir son produit.
17:13Plus le directeur artistique aimerait bien voir ceci, cela.
17:19Tout le monde aimerait voir un aspect du problème qu'il voit.
17:23Et nous, on est là pour dire c'est impossible.
17:28Avec un détail, je donne un autre exemple à un moment.
17:31Si tu veux parler vite de Paris, tu peux dire la tour Eiffel.
17:34Tout le monde comprend et ça permet d'aller très vite sur Paris.
17:38Est-ce qu'on a épuisé le sujet de Paris quand on dit la tour Eiffel ? Non.
17:42Mais par contre, on a dit très vite quelque chose qui se représente dans l'esprit.
17:47C'est un détail infime, mais tellement monstrueux.
17:51Parce que souvent, les détails sur lesquels on appuie nos trucs sont des exagérations.
17:57La tour Eiffel, c'est un bâtiment totalement monstrueux.
18:02Il n'y a pas deux tours Eiffel et c'est celle qui représente le mieux Paris.
18:07Il faut chercher toujours un détail qui a l'air complètement exagéré.
18:14Quelquefois, qui a l'air hors norme.
18:17Et souvent, on construit les choses comme ça.
18:20Est-ce que quand tu étais jeune, tu savais faire simple ?
18:24J'avais toujours un problème.
18:26Avec ton père ?
18:27Non.
18:29Non, j'avais un problème avec la simplicité.
18:34Dans le sens où j'étais toujours tétanisé par l'idée d'être compris.
18:39J'avais plusieurs états de texte sur ce que j'écrivais.
18:44C'était long.
18:46Quand je faisais des dissertations avec ma mère qui regardait par-dessus mon épaule,
18:51je reprenais jusqu'à ce que ça soit à peu près simple.
18:55J'ai toujours été un peu tétanisé par ça.
18:58Et alors, qu'est-ce qu'un pneu ?
19:00C'est le titre d'un chapitre, je ne rigole pas.
19:03Qu'est-ce qu'un pneu ?
19:05Non, mais un pneu, ce serait trop long de vous en donner la suite.
19:08T'es sûr ?
19:10Non, mais c'est magnifique.
19:12C'est le chapitre le plus complexe de ce livre.
19:14Il est consacré aux pneus.
19:16J'en parle beaucoup avec Florent Ménégaud, qui est le président de Michelin,
19:21avec lequel on a des discussions sans fin sur le pneu.
19:26Un pneu, c'est sans doute aussi important que la roue.
19:31La roue, on voit déjà l'importance que ça a eu dans la chaîne des inventions.
19:37Un pneu, c'est le contact.
19:39En fait, c'est de la communication pour moi.
19:41C'est une métaphore de la communication.
19:43C'est comment on peut rentrer en contact avec ce qui nous supporte,
19:50avec ce qui nous entoure, de manière harmonieuse, construite, précise.
19:56Et c'est extraordinaire.
19:58C'est le contact. Un pneu, c'est le contact.
20:04Je peux t'en faire plus, si tu veux.
20:07Je ne sais pas.
20:10Moi, je voudrais comprendre comment tu es passé des mots aux images,
20:15aux objets et enfin aux lieux.
20:17Là, l'idée, c'est d'essayer de comprendre comment tu es devenu un publicitaire bâtisseur.
20:21Ce qui est quand même assez rare, le publicitaire bâtisseur.
20:24Tu vois, il n'y en a pas beaucoup, il y a toi.
20:27En fait, comment les choses se sont petit à petit matérialisées au sens propre ?
20:33C'est-à-dire, comment tu es venu à la matière ?
20:35Puisque tu es parti des mots. Et puisque ta culture familiale, c'était des mots.
20:39Tu es une culture de l'esprit.
20:41Tout à fait. Ma culture familiale, c'était effectivement beaucoup les mots.
20:45Mais il y a une partie de cette culture que tu ne connais peut-être pas.
20:51Mais vas-y, raconte.
20:54Depuis qu'on est tout petit, on construit des bouts de maisons
21:01dans des endroits qui sont assez inaccessibles.
21:04On construit des murs de pierres, etc.
21:06Donc ça, je pense que ça a été une sorte de formation très importante pour moi.
21:13Et donc, quand j'ai eu l'opportunité, une première fois avec BETC,
21:18de pouvoir envisager de reconstruire complètement l'agence,
21:22je pense que j'avais une pulsion très forte qui venait du fond des âges presque,
21:27qui m'a conduit à ça.
21:31Et c'est vrai qu'on a eu la chance avec BETC de construire plusieurs fois
21:37nos agences successives, trois fois.
21:40Et je crois que c'est extraordinaire dans l'histoire d'une agence.
21:44Ça n'arrive jamais.
21:46Mais construire veut dire vraiment...
21:48En général, on prend des ruines.
21:50C'est pour ça que ça évoque mon histoire personnelle,
21:52puisque mes parents avaient acheté des ruines
21:54et puis il fallait les rebâtir et habiter dedans.
21:58Donc il y a un parallélisme avec ça.
22:00Sauf que là, c'était des gros trucs,
22:02puisque le premier, c'était 5 000 m²,
22:05et le dernier, à Pantin, c'était 20 000 m².
22:07Donc ça fait beaucoup.
22:09Mais c'était des ruines à chaque fois, complètement désaffectées,
22:12des grands magasins lévitants pour la première adresse de l'agence,
22:17extraordinaires bâtiments,
22:20et des magasins généraux à Pantin,
22:22qui étaient une ruine, une sorte de totem de la ville,
22:25mais complètement désaffectée, taguée jusqu'à l'os.
22:29Et donc à chaque fois, on s'est tapé
22:31de reconstruire quelque chose
22:33qui avait une histoire très, très forte,
22:36en respectant l'histoire
22:38et en même temps en faisant un projet
22:40complètement dans le futur.
22:42Avec l'idée que bâtir,
22:44c'est presque antinomique
22:48avec l'essence de la publicité,
22:50c'est-à-dire bâtir, c'est construire en dur,
22:52c'est quelque chose qui va rester,
22:55c'est quelque chose que tu vas transmettre,
22:57c'est quelque chose...
22:59C'est une trace, c'est le travail des bâtisseurs,
23:03le chiffre d'architecte.
23:05Ah, j'ai oublié...
23:08Non, mais moi, j'ai une mauvaise conception de la publicité,
23:11c'est-à-dire que c'est vrai que tout ce qu'on fait,
23:14plus ou moins,
23:16on essaie que ça reste et que ça dure,
23:19alors que ce n'est pas du tout l'essence de la publicité,
23:21c'est plutôt...
23:23Surtout maintenant, où les contenus se succèdent les uns aux autres,
23:26il n'y a même plus de réflexion sur la permanence
23:29ou la rémanence de ce qu'on fait.
23:32On n'a même plus le temps de réfléchir à ça.
23:34On remplit le tuyau
23:36parce que ça fait pchit, ça fait pchit,
23:38et donc on en met un autre derrière, on en met un autre derrière.
23:40Nous, on a fait exactement l'inverse avec l'agence.
23:43On a essayé de faire des choses qui durent le plus longtemps possible,
23:46voire au-delà de la durée qui leur était assignée
23:49pour la fonction qui était la leur, etc.
23:52On a toujours ça en tête.
23:55Et donc pour nos bâtiments, c'est pareil.
23:57Et en fait, je pense qu'on a bien fait
24:00parce qu'après le Covid, il y a eu une espèce de folie du non-lieu,
24:05genre on peut être chez soi, on peut être n'importe où,
24:08on peut bosser de n'importe où et tout,
24:10qui a quand même un peu vrillé la tête de beaucoup de gens.
24:13Et nous, on venait de construire l'agence
24:16et donc on a eu un retour après le Covid très positif
24:20de gens qui revenaient à l'agence,
24:22notamment des jeunes qui étaient mal chez eux et tout,
24:25et qui étaient heureux aussi d'être dans un endroit très solide
24:29et très utile parce que c'était un lieu
24:32qui était pas mal conçu pour le boulot qu'on faisait.
24:35Donc cette solidité des lieux, pour moi, c'est très important.
24:39Ça stabilise les entreprises.
24:41Ça fait partie d'une bonne entreprise pour moi.
24:43Et d'ailleurs, la plupart, même les plus fous de la Silicon Valley,
24:47sont revenus assez vite sur leur délire premier.
24:51Donc c'est intéressant, cette question du lieu et de la permanence,
24:54de l'endroit où on habite ou où on travaille.
24:56Alors c'est d'autant plus intéressant que ça fait deux lieux
24:59qui sont à l'origine des magasins.
25:01Donc ça fait revenir la publicité au cœur du magasin,
25:05les magasins généraux et les magasins évitants.
25:08Et alors, il se trouve que moi,
25:10j'ai redécouvert complètement par hasard,
25:12je t'ai écrit à ce moment-là,
25:14une histoire que j'ai dû entendre il y a 15 ans.
25:17Et puis, je sais pas, j'étais trop jeune,
25:19je m'intéressais pas à ces sujets-là,
25:21donc elle ne m'avait pas du tout percutée.
25:23Mais l'histoire de BETC, des magasins évitants,
25:27il faut que tu la racontes,
25:29parce qu'elle m'a littéralement séché.
25:31C'est pas rien de s'inscrire dans un lieu
25:33qui avait une histoire avant que ça devienne une agence de publicité.
25:37Oui, c'est vrai que c'est une histoire tragique,
25:41archi douloureuse.
25:43C'est vrai qu'on a fait...
25:45Elle est racontée dans le livre.
25:47Elle racontait un peu un passé
25:49qui était un passé tragique de Paris,
25:52puisque l'agence, enfin, le BETC,
25:55était sur le site d'un des camps nazis
25:59installés dans Paris,
26:02destinés à entreposer les meubles,
26:06les biens spoliés aux familles juives dans Paris.
26:09Et donc, il y avait cinq lieux dans Paris.
26:12Nous, on était le lieu qui était spécialisé
26:15dans les tout petits objets,
26:17mais insensés tellement ils étaient petits.
26:19Ça allait même des bouts de papier peint,
26:22des toutes petites cuillères, des bouts de verre et tout,
26:25et qui étaient rangés dans le bâtiment
26:28comme des meubles du magasin Lévitan
26:32qui existait avant.
26:35Et donc, les dignitaires nazis rentraient dans l'agence
26:38et se servaient et envoyaient par camion
26:41des trucs en Allemagne.
26:43Et donc, cette histoire,
26:45elle a été très bien racontée par Michèle Cohen.
26:48Je ne sais pas si elle est là,
26:50dans un livre, qui était une directrice
26:52de création de l'agence,
26:54qui a écrit un livre qui est remarquable,
26:56d'ailleurs, qui s'appelle La rédactrice,
26:58un métier central dans une agence de pub,
27:01et qui raconte tout ce qu'on a fait
27:04pour exposer ce passé-là,
27:07à poser une plaque pour la mémoire
27:11de ce qui s'était passé.
27:13Et pour la petite histoire, j'ai découvert,
27:15bien après, en rencontrant
27:18Philippe Starck et sa bande,
27:21que le peintre Garrouste,
27:24Gérard Garrouste,
27:27on commence à discuter ensemble,
27:29et il me raconte,
27:31et c'est un de ses grands traumas
27:33qui peut-être explique l'état dans lequel il est,
27:36son père était le patron de ce camp-là.
27:39Donc un collabo qui l'a marqué toute sa vie,
27:42évidemment, pour cette histoire.
27:45Il a écrit un livre absolument génial là-dessus,
27:48qui s'appelle L'intranquille,
27:51livre que je vous conseille de toute urgence.
27:54Et tu dirais, toi, que tu es un intranquille ?
27:57Oui, je suis un intranquille.
27:59Parce que, en fait, quand vous lisez ces 1300 pages,
28:02où, en fait, on imagine le mec qui écrit,
28:04qui dit, je crois que j'ai encore quelque chose à dire.
28:07Eh oui, j'ai encore plein de trucs à dire.
28:10On m'a dit de ne pas faire trop long.
28:13Oui, il ne faut pas faire trop long.
28:15Merci à tous, je vous recommande vivement,
28:17pas de publicité, merci.
28:19Je ne vous fais pas commenter le titre,
28:22je pense qu'il est éloquent.
28:24C'est nul.
28:26Je ne comprends pas, moi, ce titre.
28:29Merci à tous.
28:38Donc, si vous voulez acheter le livre de Rémi Babinet,
28:41je crois qu'il est en vente là-bas,
28:43et que Rémi signe là-bas, pas ici.
28:45Il faut que tu ailles signer les livres.
28:47Il faut que tu ailles y dédicacer.
28:49Merci à tous.
28:51C'est très cool.