Un engin explosif dissimulé dans une trottinette garée au pied d'un immeuble a causé, mardi, la mort du général Igor Kirillov et de son assistant à Moscou. Il s'agit du plus haut responsable militaire russe tué depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, en février 2022. L'Ukraine a revendiquée cet assassinat. Ulrich Bounat, analyste géopolitique, auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? aux éditions du Cygne est l'invité pour tout comprendre dans RTL soir.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 18 décembre 2024.
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00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04Bonsoir Ulrich Bouna, vous êtes analyste géopolitique, votre dernier livre « La guerre hybride en Ukraine, quelle perspective ? » est publié aux éditions du Cygne.
00:11C'est donc une trottinette piégée qui a tué hier matin à Moscou un responsable de l'armée russe, Igor Krylov.
00:17Son assassinat a été aussitôt revendiqué par les services de sécurité ukrainiens, le SBU.
00:22Ulrich Bouna, aidez-nous à comprendre qui était cet homme et pourquoi l'avoir ciblé lui en particulier ?
00:27Alors, qui était cet homme ? Effectivement, comme vous l'avez dit, c'était un général de l'armée russe,
00:32donc une personne très haut gradé au sein de l'état-major.
00:34Il était responsable de grosso modo de toutes les activités radiologiques, bactériologiques et chimiques de l'armée russe depuis 2017.
00:41Donc c'était effectivement un des piliers de l'état-major.
00:44C'était aussi un propagandiste relativement assumé qui a divulgué et diffusé pas mal de théories assez folles et loufoques
00:53sur la présence notamment de laboratoires chimiques américains en Ukraine.
00:58Donc c'était une personnalité relativement aussi connue médiatiquement en Russie et à l'étranger.
01:03Et donc effectivement c'était une cible de choix, on va dire, pour l'Ukraine,
01:08puisque notamment il avait été aussi ciblé par les Ukrainiens et par la justice ukrainienne
01:12pour son action et le soutien finalement à l'action des troupes russes en Ukraine,
01:17notamment l'utilisation de certains gaz lacrymogènes qui pourraient être assimilés à des armes chimiques.
01:22C'était un proche de Vladimir Poutine ?
01:24Je ne dirais pas un proche, vous savez Vladimir Poutine n'a pas beaucoup de proches.
01:28Donc ce n'était pas un proche de Vladimir Poutine au sens d'autres,
01:32par exemple le général Gerasimov, chef d'état-major.
01:35En revanche c'était effectivement une figure relativement connue médiatiquement et au sein de l'état-major.
01:40Donc c'est aussi en ça que sa mort est importante, c'est que ça envoie un signal fait finalement à l'ensemble de l'état-major
01:46et qui peut éventuellement se poser la question qu'il est le prochain sur la liste.
01:49Je suis désolé de découvrir que le président russe n'a pas beaucoup d'amis.
01:52Ce sont bien les Ukrainiens qui ont fait le coup, il n'y a aucun doute là-dessus ?
01:55Oui, tout à fait. La revendication a été instantanée.
01:59Déjà il était en quelque sorte sur la liste noire des Ukrainiens,
02:04il avait été mis en accusation la veille par la justice ukrainienne pour justement ses actions en Ukraine.
02:12Mais effectivement il n'y a aucun doute sur le fait que c'étaient les Ukrainiens.
02:15Après la question qui se pose, est-ce que ça a été une action directe des services de sécurité ukrainiens ?
02:20Ou alors est-ce qu'ils ont sous-traité ? C'est un petit peu des choses qui se font désormais pour les forces spéciales et les actions à l'étranger.
02:27Des fois il y a des sous-traitements en payant des intermédiaires.
02:30Donc ça, ça restera à voir. Je pense que les Russes vont probablement communiquer là-dessus.
02:34Mais en revanche, effectivement, le commanditaire est ukrainien, il n'y a aucun doute.
02:37Mais vous pensez qu'on aura une réponse ? Et en tout cas au moment où nous parlons,
02:40on n'est pas sûr que physiquement, si je comprends bien ce que vous venez de nous dire,
02:43ce soit des Ukrainiens qui étaient sur le terrain. C'est bien cela ?
02:45Alors effectivement, il y a une personne qui a été arrêtée par les services de sécurité russes,
02:50qui est de nationalité ouzbek.
02:52D'après la version officielle, c'est toujours un peu compliqué en Russie,
02:55la version officielle prétend que ce serait lui qui aurait placé les explosifs.
02:58Ce n'est pas complètement impossible dans le sens où on a déjà effectivement vu les Russes et les Ukrainiens utiliser des intermédiaires pour leurs actions.
03:05On peut penser par exemple à certaines actions de déstabilisation russes en France, réalisées par des intermédiaires,
03:10notamment des Bulgares ou des Moldaves venus taguer des étoiles de David ou poser des cercueils devant la tour Eiffel.
03:17Mais en revanche, encore une fois, il n'y a pas de doute sur le commanditaire, c'est les services de sécurité russes.
03:23Les autorités russes communiquent sur cette personne, cet ouzbek, qui visiblement dit
03:29« moi je l'ai fait parce que les Ukrainiens m'ont promis que je pourrais ensuite aller m'installer n'importe où en Europe ».
03:36Oui, encore une fois, c'est une possibilité. Après, il ne faut pas non plus toujours prendre au pied de la lettre
03:41ce que racontent les gens qui passent entre les mains des services de sécurité russes.
03:45Il y a beaucoup de témoignages et d'aveux qui sont obtenus sous la torture.
03:50Difficile de dire, il est trop tôt pour dire si cet ouzbek est véritablement la personne responsable ou pas.
03:56En revanche, encore une fois, ce n'est pas impossible.
03:59Ces activités de sous-traitement sont relativement devenues classiques.
04:03C'est beaucoup plus simple de payer quelqu'un pour intervenir parce qu'il passe un peu sous les radars
04:09plutôt que des Ukrainiens directement envoyés sur le terrain.
04:12En revanche, ce qui laisse un peu un doute, c'est que l'opération semble relativement professionnelle.
04:17Déléguer ça à une personne qui, visiblement, n'avait priori aucune expérience dans la réalisation d'attentats
04:24me laisse un peu dubitatif, mais on verra ce que l'avenir réserve.
04:27Comment mener une pareille opération dans une ville comme Moscou,
04:30une capitale qu'on imagine pourtant sous haute surveillance ?
04:33C'est une excellente question.
04:36Ça montre déjà qu'effectivement, les Ukrainiens sont capables de pénétrer relativement en profondeur
04:42le dispositif de sécurité russe.
04:45Il y a cette capacité à pénétrer le réseau défensif russe.
04:48Il y a aussi, probablement, un peu d'incompétence de la part du FSB
04:52qui, effectivement, donne l'impression de complètement maîtriser les choses en termes de sécurité en Russie.
04:58Néanmoins, comme le montre cet attentat, comme le montre aussi un autre attentat,
05:02un attentat djihadiste mené sur le Krokus City Hall,
05:06il est quand même très probable qu'il y ait des trous dans la raquette, entre guillemets, au niveau du FSB.
05:10Si on repense à cet attentat islamiste dans cette salle de concert,
05:13pour le coup, les services de sécurité américains avaient levé le drapeau quelques jours avant
05:19en disant qu'un attentat était prévu.
05:20Ils avaient informé les services russes qui avaient complètement écarté l'idée.
05:24Donc, on voit bien qu'effectivement, le FSB n'est pas aussi tout puissant qu'ils le laissent penser.
05:30Et il y a effectivement des grosses failles de sécurité au sein de l'appareil répressif en Russie.
05:34En tout cas, Ulrich Bouna, vous le disiez, la revendication de cet attentat a été instantanée.
05:41C'était important pour les Ukrainiens de dire très vite, on peut vous toucher n'importe où, n'importe quand ?
05:47Oui, je pense qu'effectivement, au vu de la cible, au vu de l'endroit où s'est produit cet attentat,
05:52il y avait une volonté de projeter de la puissance de la part des Ukrainiens,
05:55de ne pas laisser de place aux doutes, de justement dire, voilà,
05:58on est capable de frapper où on veut, quand on veut.
06:01Je pense que ça rentre dans un cadre plus global où, effectivement,
06:04chaque camp essaye de maximiser un petit peu sa projection de puissance
06:08avant une éventuelle ouverture de négociation.
06:10Les Russes, ça passe par une espèce de rouleau compresseur sur le terrain
06:13pour essayer de capturer un maximum de territoire.
06:15Et côté Ukrainiens, ça passe par frapper en profondeur la Russie
06:18pour montrer que la Russie n'est pas invincible.
06:20Ça passe par des frappes de missiles, mais ça passe aussi par des assassinats ciblés.
06:23Les Ukrainiens peuvent-ils avoir bénéficié de complicités au sein de l'armée russe ?
06:27Est-ce que c'est concevable, possible ? Je ne sais pas, moi.
06:29Dans les romans d'espionnage, on appelle ça des taupes, des agents doubles,
06:32voire des gens qui ont des comptes à régler, d'ailleurs.
06:34Alors, c'est possible, effectivement.
06:36Il y a régulièrement des arrestations dans un camp et dans l'autre,
06:40qui mettent à jour un petit peu des réseaux de taupes.
06:43L'autre aspect dont ont probablement dû bénéficier les services ukrainiens,
06:49c'est aussi que tout s'achète en Russie,
06:52notamment les bases de données avec les adresses des personnes,
06:55leur numéro de téléphone, etc.
06:57Ça, ça se trouve assez facilement.
06:59C'est comme ça qu'on a pu découvrir toute la liste des agents du GRU,
07:04les services de renseignement militaires russes qui étaient intervenus en Europe.
07:08Et donc, il est probable que les Ukrainiens utilisent les mêmes méthodes,
07:11à savoir acheter des bases de données.
07:12Et donc, c'est peut-être comme ça qu'ils ont trouvé l'adresse de ce général.
07:15– Pour l'heure, Vladimir Poutine n'a pas réagi.
07:17Selon vous, on peut attendre une réponse de sa part ?
07:20– Je pense qu'il va devoir réagir,
07:22parce que ça a quand même fait la une des journaux
07:24et donc Vladimir Poutine ne peut pas se permettre de faire l'impasse.
07:27Il n'a effectivement pas encore réagi.
07:29Alors, c'est assez propre à son mode de fonctionnement,
07:31il réagit rarement à chaud.
07:33Mais du coup, effectivement, il va devoir réagir.
07:35Il est probable qu'il y ait une réaction avec deux facettes.
07:39Une première, finalement, pour insister sur le côté terroriste
07:42des autorités ukrainiennes, ce qui rentre un petit peu
07:44dans l'image globale, on va dire, développée par la propagande russe
07:50sur les autorités à Kiev.
07:52Et d'autre part, probablement une menace de représailles
07:55avec des frappes sur le territoire ukrainien.
07:58Très honnêtement, ça ne va pas changer grand-chose, je pense,
08:01au quotidien des Ukrainiens qui sont bombardés tous les jours.
08:04Mais on peut s'attendre à ça.
08:05La question finalement, l'un des aspects à suivre,
08:08ça va être aussi, est-ce que Vladimir Poutine cherche
08:10à impliquer les services de renseignement occidentaux
08:12dans cette action ou pas ?
08:13Merci beaucoup, Ulrich Bouna, analyste géopolitique.
08:16Je rappelle votre livre, La guerre hybride en Ukraine,
08:18quelle perspective, publié aux éditions du Signe.
08:20Bonne soirée à vous.
08:21Merci d'avoir pris la parole sur RTL.
08:23Merci beaucoup.
08:24Et dans un instant, un homme qui nous piège souvent,
08:26une sorte d'agent trouble.
08:27Marc-Antoine Lebrès, c'est le Breaking News.