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00:00Europe 1 Soir. 19h21, Pierre De Villeneuve. C'est la tradition, je salue mes camarades de la 2ème heure.
00:06Bonsoir Nathan Devers. Bonsoir Pierre. Tout mes voeux à vous. Tout mes voeux à vous aussi.
00:10Nathan essayiste, philosophe, maître à penser. Bonsoir Alexandre Malafaille. Bonsoir Pierre De Villeneuve.
00:16Fondateur du Think Tank Sydnopia, tout mes voeux également à vous. Merci beaucoup.
00:19Et notre premier invité est Frédéric Martin. Bonsoir à vous. Bonsoir. Merci d'être là.
00:25Ancien édificateur du Red lors des prises d'otages de l'Hypercacher, de Damartin-Anguel, ça c'est l'imprimerie.
00:31Vous co-signez ce roman graphique intitulé Janvier, le jour où nous avons été applaudis.
00:39Ça sort en ce moment aux éditions du Rocher. Ça retrace justement cette chasse des frères coulibalis.
00:49C'était important pour vous de participer à cet ouvrage ?
00:55Oui, alors ce n'était pas une importance de fait, mais ça s'est imposé au fil du temps au travers de discussions avec ses amis qui m'ont permis de faire cette BD.
01:07L'idée c'était une construction périphérique autour de cette problématique pour que les gens comprennent bien comment ça s'était passé.
01:16Et pour mettre un petit peu l'église au centre du village, il y a pas mal de choses qui avaient été dites également.
01:20Et là je trouve que le roman est plutôt bien fait, voilà.
01:24Alors ses frères Kouachi, il y a Kouachi et Coulibalis, il y a deux commandos.
01:31Ça commence cette BD à Charlie Hebdo et ça se termine à la fin de la prise d'otage de Damartin-Anguel.
01:43Et vous, vous intervenez en fait pas tout de suite dans cette bande dessinée.
01:49Ce qu'on essaie de comprendre c'est comment est-ce que vous êtes en congé, on vous rappelle, vous venez finalement faire le négociateur, qu'est-ce qui se passe à ce moment ?
02:01Et d'ailleurs, ma première question avant même, puisqu'on est dix ans plus tard, est-ce que c'est encore très présent, très frais dans votre esprit ce qui s'est passé en janvier 2015 ?
02:10Les points majeurs sont toujours très présents, ouais.
02:14Qu'est-ce que c'est les points majeurs ?
02:15Les points majeurs c'est la fierté d'avoir appartenu, puisque j'ai quitté depuis septembre, mais au RAID, d'avoir pu travailler avec ces gens qui sont hors normes dans ces situations-là.
02:28La fierté d'avoir pu travailler avec un autre service comme la BRI à ce moment-là, où on avait pu travailler en commun pour résoudre cette problématique.
02:36C'est-à-dire que le service a résolu la crise, a pu extraire les otages et les passer à la BRI après, voilà comment ça s'est passé.
02:43C'est une espèce de souvenir amer quand même, je dois dire, et ça c'est très présent lorsque certains journalistes, en pris d'une frénésie et d'un problème pour gérer l'information, sont allés tenir les lignes fixes,
03:00qui nous ont obligés, c'est-à-dire les lignes téléphoniques fixes, qui nous ont empêchés de prendre contact avec l'hostile.
03:07Et donc on avait une problématique dans cette problématique qui était déjà très compliquée.
03:12C'est-à-dire que vous n'arrivez pas à joindre l'imprimerie, tout simplement ?
03:15Là c'est plus l'imprimerie, là on est sur l'hyper cachère.
03:18Vous parlez de l'hyper cachère.
03:19On n'arrive pas à joindre l'hyper cachère.
03:21On n'arrive pas à joindre le terroriste dans l'hyper cachère.
03:24Vous savez que les prises d'otages terroristes, très souvent, contrairement à un forcené classique, le forcené classique ne souhaite pas parler à la police, c'est rare, il est plutôt assez véhément.
03:33Alors que le terroriste, lors d'une prise d'otages, bien lui il est ok pour parler à la police, et la police, bien sûr, souhaite commencer la négociation.
03:42Et on ne peut pas, on ne peut pas parce que les lignes fixes sont bloquées.
03:45Et nous on ne peut pas se rapprocher parce que vous avez vu l'infrastructure de l'hyper cachère avec des baies vitrées, il y a une possibilité de vue de loin, donc on est obligé d'être loin.
03:56Et ce qui va permettre de nous dénouer la crise, c'est le beau-frère d'un des otages, l'un des otages d'un intérieur...
04:02Qui intervient d'ailleurs dans le...
04:03Effectivement, et bien je vais travailler avec lui, et je vais, en fait il va venir me présenter son téléphone, et il va me dire ceci, il va me dire, le terroriste souhaiterait vous parler.
04:14C'est des situations très paradoxales avec un ascenseur émotionnel important.
04:19Frédéric Martin, un terroriste vous parle.
04:23Pardon, mais moi déjà rien que cette phrase-là, ça me fait des frissons.
04:29Quand on prend un terroriste, alors vous, vous êtes évidemment, c'est votre métier, vous êtes négociateur.
04:34Mais imaginez quand même dans l'esprit des gens qui nous entendent ce soir, vous prenez en ligne un terroriste, il vous parle.
04:42D'abord, comment est-ce qu'il vous parle ? Est-ce qu'il a un langage particulier ou est-ce que c'est le langage d'un homme de tous les jours ?
04:48Et surtout, vous, comment est-ce que vous faites pour parler à un terroriste ?
04:52Alors déjà, je voudrais remettre les choses en ordre.
04:56C'est-à-dire que, effectivement, j'étais dans le groupe de négociation, mais c'est une équipe, on travaillait en équipe.
05:01Oui, d'ailleurs c'est assez bien expliqué dans la BD.
05:03Et avec cette équipe, comment ça se passe avec un terroriste ?
05:07C'est une personne, c'est compliqué de dire comme une autre, mais nous on va le considérer comme telle.
05:16C'est-à-dire qu'on va prendre contact, comme moi j'ai pris contact avec vous, avec ce qu'on appelle l'escalier comportemental, des formules de politesse de premier contact.
05:24On essaie de créer du rapport en discutant, en écoutant. On essaie, nous aussi, d'étirer la crise, de gagner du temps.
05:30Pourquoi ? Parce que ça l'apaise ? Parce qu'il se dit, finalement, il me parle comme à tout un chacun ?
05:35Ce type de situation est amplie de paradoxes.
05:38Le premier paradoxe, c'est, voici un terroriste qui arrive et lors de ses premières actions, elles sont ultra offensives, donc quelqu'un très énervé dans l'action.
05:48Et puis après, quand il va stabiliser la crise et qu'on va la voir au téléphone, voilà une personne avec un ton calme, un ton serein, comme une espèce de sérénité.
05:57D'ailleurs, il va lui-même échanger avec des otages sur des sujets quasiment géopolitiques.
06:02Ils vont parler de positionnement. Moi, je ne paye pas mes impôts. Pourquoi, toi, tu payes tes impôts ? Tu soutiens tel État ?
06:09Avec un ton très posé. Alors, comment on rentre en contact avec un terroriste ?
06:13Je m'excuse, ce n'est pas très... mais c'est comme avec vous, en fait.
06:18On va se présenter, on va dire qui on est, pourquoi on est là et pourquoi il est là, lui, surtout.
06:24Mais il s'attend, de toute façon, au coup de fil. Il s'attend au fait que vous allez rentrer en contact avec lui.
06:29Ils avaient un process, alors attention, tout ça, c'est évolutif, ça joue, mais ils avaient ce qu'on appelle le Kill, Claim and Fight.
06:35C'est je tue pour créer un effet de sidération et puis ensuite je revendique.
06:40Je revendique, j'ai pas mal de choses à revendiquer et puis ensuite je pars pour le combat final.
06:45Et le combat final, ça veut dire qu'il est prêt à tout abandonner et à se jeter devant les feux des policiers.
06:53Mais le négociateur, lui, jusqu'au bout, lorsqu'il a un vernego, il va négocier comme s'il allait sortir.
07:00Bon, même si on n'est pas dupe, on ne se pose pas la question sur objectif sous-jacent ou pas sous-jacent.
07:06On va traiter avec lui en gardant quand même cette possibilité.
07:10Et puis c'est une possibilité de lui dire, vous pouvez accepter cette réédition pacifique, en tout cas.
07:15On dit aujourd'hui, et je laisserai la parole bien sûr à Nathan et à Alexandre qui vous écoutent avec passion,
07:22parce que c'est absolument étonnant ce que vous nous racontez aujourd'hui,
07:25même si pour vous, encore une fois, ça peut vous paraître banal, mais pardonnez-moi tous les jours qu'on a ce genre d'occasion.
07:31On dit souvent que la jeunesse aujourd'hui est en prise d'un certain fanatisme,
07:38que ce soit de l'islamisme, que ce soit des mouvements violents.
07:42On a encore aujourd'hui une élève qui a frappé sa prof.
07:46On a des jeunes qui sont influencés sur TikTok par, là en l'occurrence, des franco-algériens qui se sont fait rattraper
07:54et qui ont des propos haineux, qui appellent à des attentats, à violer en masse dans toute la France.
08:01Qu'est-ce que vous diriez aujourd'hui que les terroristes sont de plus en plus jeunes ?
08:06Et si les terroristes sont de plus en plus jeunes, est-ce qu'il faut adapter son discours aussi aux plus en plus jeunes ?
08:10C'est très compliqué. De toute façon, il y a un constat de fait, c'est le conformisme social.
08:17La force du groupe, ça a toujours impacté les gens.
08:20Même s'il est aussi jeune soit-il, ce n'est pas une question d'âge, c'est la puissance du groupe.
08:26Vous avez quel âge, Frédéric ?
08:2757, bientôt.
08:28Vous avez 57 ans. Est-ce que vous n'avez pas, j'allais dire, le réflexe de parler comme à un gamin en disant,
08:33écoute, ça va maintenant ?
08:36Ah non, pas du tout.
08:37Non, pas du tout.
08:38Non, je répondais à votre question, c'est par rapport aux jeunes qui ont tendance à se retourner
08:43ou peut-être embrasser certaines terrorists obscurantistes.
08:48C'est la force du groupe.
08:50Quand on est un petit peu perdu, quelquefois, il y a tout un groupe qui a un petit peu tendance,
08:53qui nous sort, qui nous donne une espèce de fierté, etc.
08:56C'est vrai qu'on a tendance à le suivre.
08:58On l'a vu, là on parle de cet obscurantisme-là, mais tout type d'obscurantisme ont toujours joué sur ce système-là.
09:04C'est un peu comme les processus sectaires, un peu ce retournement de personnes.
09:09Mais là, vous adaptez votre discours ou encore une fois, là je viens de singer une situation
09:14où on a envie de rattraper son gamin.
09:16Ben non, vous, justement, vous êtes là pour caler le jeu.
09:19Alors, une crise, c'est un bazar qu'il va falloir organiser.
09:24C'est ça, une crise.
09:25Sans ça, ce n'est pas une crise.
09:26C'est comme une formation, comme un entraînement, comme à la parade.
09:30Donc là, nous, c'est un terrain qu'on a perdu, il va falloir qu'on le regagne petit à petit.
09:34Alexandre Malafaille.
09:35Une question courte d'abord.
09:36Combien de missions de négociations avez-vous réalisé dans votre carrière ?
09:40Je n'ai pas vraiment compté, mais je crois qu'on avait travaillé avec les Américains,
09:43ils nous avaient posé la question, c'était aux alentours de 80 à 100.
09:48Dans combien d'années de service ?
09:50Alors, moi, j'ai passé 15 ans à l'intervention,
09:54donc j'ai une vision périphérique de la crise.
09:56J'étais, de ce qu'on appelle communément, derrière la porte.
09:59Et puis après, j'étais négociateur pendant six ans, puis après, chef de groupe.
10:02Après, je voudrais rebondir sur un mot que vous avez utilisé,
10:04vous avez parlé de secte, en fait,
10:07pour parler effectivement de ce cas en particulier, mais j'imagine de tous les autres cas.
10:11Mais en fait, est-ce qu'on peut considérer finalement que ce que fait l'islam radical
10:15pour amener un certain nombre de personnes à aller jusqu'à commettre l'accultime,
10:19c'est-à-dire d'abord tuer son prochain et ensuite prendre le risque de se tuer et de sacrifier sa vie,
10:22est-ce que ça peut se comparer à toutes les dérives sectaires extrêmes
10:25et que finalement, ce cas-là est comparable à d'autres cas
10:28où tout d'un coup, on tombe sur non pas des forcenés qui sont un peu particuliers,
10:31mais des gens qui sont prêts à sacrifier leur vie pour une cause qui est celle d'une manipulation profonde ?
10:37Oui, alors moi, je crois profondément que tout type d'obscurantisme fonctionne quasiment à peu près pareil.
10:42Quand on parle du processus sectaire, il y a isoler l'individu cible,
10:47essayer de l'extraire de la famille si la famille n'est pas bienveillante,
10:52envers ces notions d'obscurantisme.
10:55Avoir le culte de l'ancien, avoir cette revalorisation des idées,
11:01on le retrouve tout ça dans les sectes.
11:03Voilà, c'est à peu près semblable.
11:05Nathan de Vert.
11:06Oui, il y a une négociation qui avait, dont le verbatim avait été publié ici ou là,
11:11il y avait eu une phrase qui avait marqué les esprits, c'était celle de Mohamed Merah,
11:14qui avait dit à son négociateur, je ne sais pas si c'était vous,
11:17qui avait dit cette phrase, moi à la mort...
11:19Vous le connaissez peut-être ?
11:20Oui, bien sûr.
11:21Moi à la mort, je l'aime comme vous, vous aimez la vie.
11:24Il avait dit ça après avoir fait ses attentats et juste avant l'assaut final où il était mort.
11:29La question que je me posais, c'était en janvier 2015,
11:32le terroriste à qui vous avez parlé, il envisageait comment l'idée de la mort et l'idée de la sienne ?
11:38Alors, l'idée de la mort comme une possibilité plus que probable,
11:45bien entendu comme une finalité, ça c'est certain.
11:47Ils y ont pensé, ils s'y sont préparés.
11:50Maintenant, il faut bien comprendre que devant vous, vous avez...
11:54Alors attention, je n'excuse rien, mais c'est juste d'un point de vue tactique,
11:58d'un point de vue du négociateur.
12:00Face à vous, vous avez quand même un être humain, fait de chair, d'os,
12:05ce n'est pas un robot, un monstre, etc.
12:08Enfin, si c'est un monstre par les actes qu'il va commettre,
12:10mais par contre, nous on va essayer de...
12:13On me demandait dernièrement, mais quelle est la faille ?
12:16Je trouve que ce n'est pas trop la faille, c'est plutôt ce qu'il y a de plus beau en lui au niveau de l'humanité.
12:20Essayer de lui dire, tu t'es planté, tu n'es pas du tout dans les codes de ce pays,
12:25on essaie de te faire revenir.
12:26Alors effectivement, c'est très compliqué,
12:28mais la personne que vous avez en face, elle est comme ça.
12:32Le fait, ces phrases, toutes préparées, apprises, complètement intégrées,
12:37que je ressors comme ça en disant j'aime la mort, j'aime la mort,
12:39oui, ils s'y sont préparés, mais il y a un doute quand même au passage.
12:44Il y a toujours un doute.
12:45Et vous le sentez ça quand ils vous parlent ?
12:48Sur tous les cas qu'on a pu voir, lorsque les terroristes passent à l'acte,
12:52au dernier moment, il y a un doute.
12:54Il y a un doute, on le voit, ils sont accrochés à leur téléphone,
12:57alors que techniquement, ils pourraient complètement lâcher le téléphone.
12:59Mais ce n'est pas anodin de mourir, je veux dire.
13:04Et pour eux, c'est exactement pareil.
13:07Quand vous évoquiez le début de votre intervention,
13:10vous avez dit que vous souhaitiez, à travers cette surmangraphique,
13:13remettre l'église au centre du village.
13:14Est-ce que c'était par exemple avec le problème médiatique
13:16que vous avez rencontré par rapport à la saturation des lignes ?
13:18Est-ce qu'il y a d'autres éléments que vous souhaitiez vraiment
13:21repréciser au travers de ce travail ?
13:23Oui, absolument.
13:25Quatre points, c'est la fierté effectivement,
13:28parce que très souvent on nous oppose des querelles de service.
13:30Et ces querelles de service, on en a, en tout cas les soldats,
13:33les gens qui sont en bas, on en a ras le bol.
13:36Nous on est là pour travailler, on a une problématique en face,
13:39on ne veut pas être emmerdé par toutes ces querelles.
13:41Donc ça c'est le premier point.
13:42Le deuxième point, c'est effectivement, c'est surtout le courage
13:47des gens qui sont rentrés.
13:49Donc là, en l'occurrence, c'est les gens du raid,
13:50malgré 27 bâtons de dynamite.
13:52Et le courage des otages, c'est résilience,
13:54cette résilience par rapport à l'agression de cet individu.
13:58Merci beaucoup, mon cher Frédéric Martin.
14:02Vous nous servez une sorte de leçon de vie,
14:05ça peut vous paraître anodin,
14:06mais les métiers comme les vôtres sont exemplaires.
14:10Ce n'est pas tous les jours qu'on peut faire face à ce genre d'individus.
14:15Vous avez parlé d'individus en chair et en os.
14:18Ce sont malgré tout des individus dangereux.
14:21Et nous saluons bien sûr les gens du raid qui continuent à travailler.
14:25Merci beaucoup.
14:26Merci.
14:27Et vous pouvez lire donc janvier, le jour où nous avons été applaudis,
14:31cette très jolie BD aux éditions du Rocher.
14:35Europe 1 Soir.
14:3619h21, Pierre De Villeneuve.
14:38Nathan Devers.
14:39Et Alexandre Malafaille pour commenter l'actualité ce soir.
14:44L'actualité encore marquée puisqu'il y a encore des cérémonies aujourd'hui officielles
14:48pour clore cette semaine de commémoration des attentats de janvier 2015.
14:53Tout à l'heure, devant l'Hypercacher, plusieurs personnes réunies,
14:57dont l'ancien Premier ministre Manuel Valls.
15:00Le tsunami antisémite que nous connaissons depuis octobre 2023
15:05nous rappelle que ce qui s'est passé il y a 10 ans
15:07nous oblige pas seulement à commémorer,
15:10mais à nous battre contre cette haine
15:12et contre tous ceux qui s'en prennent aux valeurs de la République et de la France.
15:16Et l'antisémitisme encore très présent en France,
15:20en témoignent les derniers chiffres.
15:22Dimanche dernier, Aurore Berger, qui était au grand rendez-vous Europe 1 C News Les Echos,
15:26nous disait qu'on était à 1500 actes antisémites pour l'année 2024
15:30au 30 novembre de l'année 2024.
15:35Ces chiffres devront être précisés par le ministère de l'Intérieur à la fin du mois de janvier.
15:40Jonathan Arfi, le président du CRIF, qui était notre invité tout à l'heure à 19h15,
15:46nous disait que cette date de janvier 2015 faisait encore mal à la communauté juive.
15:51C'est une date qui fait mal.
15:53C'est une date qui fait mal parce qu'elle renvoie à un moment douloureux
15:56de l'histoire des Juifs en France.
15:58Un moment où on a été frappé dans notre chair,
16:01où s'est brisée une partie de la confiance qu'on avait dans l'avenir,
16:04une partie de la capacité à se sentir juif sereinement dans la société française.
16:09Et oui, quand on regarde l'attentat de l'Hyper Cacher,
16:12on voit un événement qui était il y a dix ans,
16:14mais dont les conséquences sont encore présentes aujourd'hui,
16:17dont les causes aussi sont présentes,
16:19puisque certes c'était un épisode djihadiste qui est derrière nous,
16:22mais lui, l'islamisme qui l'a porté, est toujours présent.
16:25Et donc pour les Juifs de France, cette menace,
16:27elle ne se conjugue pas qu'au passé, mais aussi sous nos yeux.
16:30Nathan Devers, dix ans après les attentats de 2015,
16:33comment vous, Nathan Devers, vous vous sentez ?
16:35Quel ressenti avez-vous aujourd'hui ?
16:37Je pense en effet que depuis dix ans,
16:40on ne peut absolument pas dire,
16:42on commémorait récemment les attentats de Charlie Hebdo,
16:45peut-être y a-t-il eu une évolution sur la prise de conscience,
16:48chez certains, pas chez tout le monde,
16:50mais en tout cas chez un nombre important de Français,
16:52de la nécessité absolue de défendre la liberté de s'exprimer,
16:56la liberté de la caricature, la liberté du blasphème, etc.
16:59Sur la question de l'antisémitisme, hélas, il n'y a pas eu du tout d'avancée,
17:03en ce sens que notamment depuis le 7 octobre,
17:06depuis un peu plus d'un an,
17:07il n'y a non pas une augmentation,
17:09mais en fait une révélation.
17:11Parce que le nombre d'actes antisémites,
17:13de paroles antisémites qui ont explosé depuis un an,
17:15ce n'est pas des gens, peut-être pour certains,
17:17mais ce n'est pas des gens qui sont devenus antisémites du jour au lendemain,
17:19c'est des gens qui l'étaient.
17:20C'était une sorte de fond d'antisémitisme latent,
17:23qu'on ne voulait pas voir, qu'on ne voulait pas affronter,
17:25notamment dans une certaine partie de l'échiquier politique.
17:27Sauf peut-être pour les plus jeunes, je ne suis pas du tout en train de les défendre,
17:30mais peut-être les plus jeunes qui ne savaient pas ont suivi un mouvement.
17:33Tout à l'heure, avec Frédéric Martin,
17:35il parlait justement de la force du groupe,
17:38c'est-à-dire qu'on est enrayé.
17:39Aujourd'hui, quand vous avez ces influenceurs franco-algériens
17:43qui appellent aux attentats en France et contre, évidemment, Israël,
17:48on a là un antisémitisme islamiste
17:52qui arrive dans le cerveau des plus jeunes,
17:54qui découvre justement un fait qui est très différent de l'antisémitisme morassien.
18:00Vous avez tout à fait raison.
18:01Il y a des jeunes sans doute qui tombent dedans par naïveté,
18:04parce qu'ils se laissent prendre par cette machine discursive, etc.
18:08Et qui peut-être par chance, d'ailleurs, l'abandonneront dans quelques années
18:11en disant j'ai été complètement débile de rentrer là-dedans.
18:13Espérons.
18:14Mais il y a quand même, je pense, une forme de blocage
18:16ou d'incapacité à voir la réalité en face,
18:18notamment dans une certaine partie de l'échiquier politique.
18:21L'antisémitisme d'extrême droite, il a été largement documenté,
18:23il existe encore à la marge.
18:27Mais l'antisémitisme d'une partie de la gauche,
18:29cette partie-là, refuse de le voir.
18:31Et il y a un refus parfois de nommer les choses.
18:33Sandrine Rousseau avait dit qu'il fallait faire des sortes d'état généraux
18:36de la gauche sur l'antisémitisme.
18:37Elle avait été courageuse de dire ça à ce moment-là.
18:39Elle l'avait dit il y a un an à peu près.
18:41Et il faut voir quand même qu'il y a...
18:43Il faudrait lui reposer la question s'il est toujours d'accord pour le faire.
18:46Il faudrait voir.
18:47Mais globalement, à ce moment-là,
18:48elle avait eu des paroles quand même qui étaient lucides.
18:50Et il y a beaucoup de gens qui ne se rendent pas compte
18:53de ce qu'aujourd'hui on voit dans une partie importante,
18:56trop importante de la gauche,
18:58des gens qui réhabilitent un discours antisémite décomplexé
19:01et qui pensent que parce qu'ils sont de gauche,
19:04ils ne peuvent pas être antisémites.
19:05Je pense qu'ils sont sincères, ces gens-là,
19:06quand ils disent, quand Mathilde Panot disait récemment
19:08« il n'y a aucun problème d'antisémitisme chez nous »,
19:09je ne pense pas qu'elle était cynique.
19:11À mon avis, sincèrement, elle était indignée qu'on lui fasse ce reproche
19:14parce que dans sa tête, c'était absolument incompatible
19:16d'être à la fois de gauche, humaniste, etc.
19:19Mais c'est quoi ce discours antisémite ?
19:21C'est de la... comment est-ce que vous diriez ?
19:23C'est deux choses.
19:24Pour ce cas, Mathilde Panot, précisément,
19:26qui effectivement a été chez nos confrères d'RTL, je crois, cette semaine,
19:29comment est-ce que vous qualifieriez ça ?
19:31Parce que c'est très intéressant ce que vous dites.
19:33Je pense que c'est à la fois de l'inculture sur l'histoire de la gauche,
19:35c'est le fait de ne pas savoir que dans l'histoire de la gauche française,
19:38particulièrement européenne,
19:39il y a eu aussi une tradition antisémite.
19:41C'est une inculture sur l'antisémitisme.
19:42Croire que l'antisémitisme, ça se réduit à la haine raciale.
19:45Dans son interview...
19:46Il y avait eu de l'antisémitisme, je crois, chez Jaurès, corrigez-moi.
19:48Oui, il y en avait eu, en effet, des textes antisémites et des propos antisémites chez Jaurès.
19:52Et Mathilde Panot, dans son interview,
19:54quand elle parlait de l'antisémitisme, j'ai écouté attentivement,
19:56elle ne l'abordait que sous son prisme racial.
20:00Alors qu'évidemment, l'antisémitisme, il a aussi un volet économique,
20:03il a aujourd'hui un volet géopolitique quand il instrumentalise le conflit en Israël,
20:06il a un volet évidemment avec l'islamisme,
20:08donc c'est pas que du racial.
20:10Et je pense qu'il y a une cécité là-dessus.
20:12Et enfin, une cécité peut-être sur une sorte d'humanisme de façade,
20:15qui est en fait profondément hypocrite,
20:17et l'antisémitisme est la porte d'entrée vers le dévoilement de cette hypocrisie.
20:21Que pense le think tank Sinopia sur tous ces sujets éminemment complexes, Alexandre ?
20:26J'ai eu l'occasion d'aller à Auschwitz il y a quelques années,
20:29à l'occasion de l'anniversaire de la libération du camp,
20:33et quand on va là-bas, étonnamment, et notamment à Birkenau,
20:36on sent encore la présence de quelque chose de profondément malin, mauvais,
20:41dans ce profond du terme.
20:42C'est assez extraordinaire comme sensation.
20:44Et ça confirme que cet antisémitisme et ces braises,
20:47qui sont capables de commettre des ravages absolument épouvantables
20:50à l'échelle du déchirement de haine et de violence que ça peut représenter,
20:53sont toujours là, elles couvrent.
20:55Et ce qui est fascinant, c'est que les leçons de l'histoire qu'on devrait avoir tirées vraiment,
20:59notamment par rapport à la notion d'éducation, de transmission,
21:02de ce pourquoi ça a pu se produire,
21:04et ce pourquoi il faut combattre pour que ça ne se produise plus,
21:07ça a été oublié.
21:08Il y a une irresponsabilité politique, pour le coup,
21:11une faute morale très profonde.
21:13Je pense que dans le domaine de l'éducation,
21:15il y aurait eu beaucoup plus à faire pour empêcher qu'effectivement,
21:17on puisse avoir aujourd'hui des générations qui ont perdu de vue
21:20les réalités de l'histoire, et ce que peut donner en effet
21:24le prolongement de certains comportements.
21:26Et après, ce que vous aviez évoqué, sur les différentes raisons
21:29de cet espèce d'entretien commercial, clientéliste, politicien,
21:33notamment à gauche, en ce moment, depuis un certain nombre d'années,
21:36c'est profondément irresponsable et c'est dangereux.
21:39Et en plus, je crois que ça crée un sentiment
21:41qui n'a absolument aucune raison d'être dans un pays comme la France,
21:44c'est celui de faire en sorte qu'on a 600 000 personnes,
21:46si c'est la communauté juive,
21:48qui ne se sentent plus en sécurité,
21:50et pour une partie d'entre eux qui ont envie de nous quitter,
21:52et qui sont dans une logique de défiance par rapport au système,
21:55et de crise de confiance par rapport aux autorités politiques,
21:57y compris le Président.
21:58J'ai assisté à l'hommage rendu le 7 octobre dernier,
22:01par le CRIF, des commémorations des 1 an,
22:05le nom qui a été sifflé, mais honni,
22:07par les 6 ou 7 000 personnes qui étaient là,
22:09c'était celui du Président de la République.
22:10Ça fait bizarre, dans un pays comme la France,
22:12de voir que la communauté juive, réunie ce jour-là,
22:14siffle le Président.
22:16Et aussi parce qu'il n'avait pas participé à la grande marche
22:19contre le antisémitisme.
22:21Et puis toute une série d'atermoiements et de virevoltes politiques
22:24sur la situation en Israël et à Gaza.
22:25Vous parliez de Auschwitz et Birkenau,
22:28je me permets d'ajouter qu'il faut absolument voir
22:33un film qui est sorti en tout début d'année scolaire,
22:36au mois de septembre, qui s'appelle
22:38La Zone d'Intérêt,
22:40qui est l'histoire de cet officier allemand
22:43qui est nommé chef du camp d'Auschwitz.
22:46Et donc il emménage avec sa famille,
22:49ils ont je crois 3 ou 4 enfants,
22:50avec sa femme, sa famille,
22:52et puis c'est une promotion pour lui.
22:53Donc il arrive et il habite la maison,
22:56il y a un mur mitoyen avec le camp d'Auschwitz,
22:59et puis on entend au loin,
23:01comme ça c'est très bien fait dans le film,
23:03les cris, les souffrances absolument innommables,
23:07inouïes des internés d'Auschwitz.
23:12Et eux, ils vivent une vie parfaitement normale,
23:15de vie familiale avec les repas,
23:18l'éducation des enfants, le potager, etc.
23:21C'est quelque chose qui vous donne froid dans le dos,
23:24ça s'appelle La Zone d'Intérêt.
23:25Il faut absolument voir ça,
23:27c'est un film qui apprend beaucoup de choses
23:30sur cette période épouvantable de l'histoire du monde.

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