Spécialiste des investissements dans les data centers, les réseaux mobiles ou fixes ou les câbles sous-marins, Gaël Sérandour a récemment été nommé directeur du département des infrastructures à la direction de l’investissement de la Banque des Territoires. Un secteur aux enjeux multiples, notamment en termes de souveraineté et de vulnérabilité. Il nous en parle dans la Grande Interview de SMART TECH.
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00:00Quels sont les grands enjeux en matière d'investissement dans nos infrastructures en France ?
00:10Quels investissements d'ailleurs cela représente ? La feuille de route de l'Etat pour 2025.
00:15On va voir tout ça avec mon grand invité aujourd'hui dans Smartag, Gaël Serrandour, bonjour.
00:19Bonjour.
00:19Vous êtes le nouveau directeur du département infrastructure à la direction de l'investissement de la Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts.
00:26Alors d'abord bienvenue dans cette émission.
00:28Merci.
00:29Vous coordonnez les investissements dans les grandes infrastructures du pays, mais pas uniquement sur le numérique.
00:33Bien évidemment, vous êtes passé à l'échelle plus large.
00:36Ça dit, moi, je vais vous ramener à ce sujet du numérique parce qu'on est dans Smartag.
00:40Et vous avez longtemps travaillé sur les investissements vraiment dédiés à ce secteur au sein du groupe la Caisse des dépôts.
00:46Alors quels investissements cela représente aujourd'hui ?
00:48On parle de quel montant quand on parle d'infrastructures numériques à la Caisse des dépôts ?
00:53Alors merci pour l'invitation tout d'abord Delphine.
00:56Alors peut-être pour vous répondre et pour avoir la proportion de ce que peuvent représenter des investissements dans les infrastructures numériques,
01:02juste vous donner une indication déjà du montant d'investissement globalement pour la Banque des territoires chaque année.
01:09C'est à peu près entre 1,5 et 2 milliards d'euros d'investis dans les territoires sur différents projets.
01:16Quand par ailleurs, dans les métiers de la Banque des territoires, nous sommes à la fois prêteurs pour les collectivités territoriales
01:24et les organismes de logements sociaux.
01:26C'est entre 15 et 20 milliards d'euros de prêts que l'on octroie chaque année, des prêts de très long terme.
01:31On utilise l'épargne des Français pour des services utiles et d'intérêt général.
01:37Et puis il y a donc cette activité d'investissement en parallèle de cette activité de prêt.
01:42Et aujourd'hui, le portefeuille de la Banque des territoires en matière d'investissement, c'est 8 milliards d'euros.
01:47À l'intérieur de ces 8 milliards d'euros, les infrastructures représentent 1 milliard d'euros.
01:51C'est déjà en termes de proportion ce que la Caisse des dépôts, la Banque des territoires a consacré aux infrastructures numériques ces dernières années.
01:59Je disais justement que vous avez longtemps travaillé sur ces questions d'infrastructures numériques.
02:03Comment avez-vous vu les choses évoluer dans le temps ?
02:06Il y a eu différentes phases en matière d'infrastructures numériques.
02:12D'abord en montant d'investissement et puis aussi sur la nature des projets eux-mêmes.
02:17Le véritable signal et la modification sur le marché en France a été tout de même la constitution et la définition par le gouvernement d'un programme,
02:28d'un plan, le plan France Très Haut Débit, année 2010, qui a permis d'organiser entre les opérateurs privés, opérateurs de télécommunications,
02:37et la puissance publique, l'État et les collectivités territoriales,
02:41l'organisation de ce qui a été l'un des plus grands chantiers d'investissement dans les infrastructures et dans les infrastructures numériques ces dernières années.
02:50On était très en retard dans les années 2010.
02:52Aujourd'hui, on peut même se féliciter parce qu'au niveau européen, la France est désormais sur le podium
03:01en matière de taux de couverture en Très Haut Débit des foyers français et des entreprises et également en taux de souscription.
03:10Il faut aussi avoir des sentiments de fierté.
03:13Il y a vraiment eu une bascule à partir de 2010 et un grand plan d'investissement qui s'est déroulé ces dernières années.
03:20Il y a encore ce chantier qui n'est pas totalement terminé.
03:24On parle de tous les problèmes autour de la fin du cuivre et de ce 100% qu'on devrait pouvoir réussir à atteindre en France sur la fibre optique.
03:35On ne va peut-être pas rentrer dans ce débat parce qu'on ne va pas avoir le temps.
03:39Mais on est quand même pratiquement à la fin de ce plan France Très Haut Débit.
03:43Quels sont les nouveaux enjeux en matière d'infrastructures numériques ?
03:45Quelles sont les prochaines étapes, les prochains investissements majeurs ?
03:49Tout de même, ça ne fera que cinq secondes de donner la proportion, on est déjà à 90% de l'objectif.
03:56Les collectivités avaient en charge 18 millions de foyers de français qu'il fallait rendre raccordables au Très Haut Débit en fibre optique.
04:03Nous, Banque des Territoires, on avait mobilisé de l'argent pour 13 millions de français.
04:07Aujourd'hui, sur notre empreinte, sur notre activité d'investissement,
04:11je rappelais le milliard d'euros que l'on a consacré à ce chantier-là,
04:15on a réussi la construction de 12 millions de foyers.
04:18On est à 12 millions sur 13 millions, on est quasiment au bout.
04:21Mais c'est vrai, vous l'avez rappelé Delphine, il restera des petits sujets qu'il faudra régler.
04:25Au-delà de ce sujet du chantier de la fibre optique,
04:29ce que l'on voit poindre et arriver assez naturellement dans les territoires,
04:34de la part des PME, des ETI et des collectivités,
04:37c'est que finalement, ce chantier a créé quand même une infrastructure,
04:41un socle qui permet d'accéder à du Très Haut Débit, de la connectivité, de nouveaux services.
04:47Et en prolongement de cela, on voit de plus en plus des entreprises qui ont besoin d'héberger leurs données,
04:53des collectivités locales qui ont besoin de superviser leurs données,
04:57de déployer des capteurs pour vérifier l'hygrométrie des sols pour les agriculteurs,
05:02pour surveiller le CO2 dans les écoles ou pour monitorer l'éclairage public
05:07parce que post-Covid et avec les sujets de délestage d'énergie ces trois dernières années,
05:13il y a eu une mobilisation très importante des collectivités pour transformer leur éclairage public,
05:18le rendre moins consommateur, plus sobre.
05:21Et ça, il faut le piloter, il faut le piloter avec de l'énergie, avec des capteurs.
05:25Donc c'est là que le numérique est venu aider à cette transformation.
05:28Donc ce sont ces mouvements que l'on voit.
05:30Ça veut dire que là, on sort du secteur classique où vous travaillez avec des opérateurs de télécom,
05:36des réseaux de télécommunication pour aller sur un champ d'infrastructure plus large
05:40dans lequel je vais intégrer par exemple des data centers, c'est ça ?
05:44Exactement.
05:45Donc l'investissement dans des data centers, ça fait partie des missions aujourd'hui de la Caisse des dépôts ?
05:51C'est ce qu'on a réalisé et aujourd'hui d'ailleurs, dans le prolongement,
05:54je vous illustre avec le département de la SART qui avait déployé,
05:58et on était investisseurs pour déployer la fibre optique,
06:02et l'étape d'après pour eux assez naturelle, ça a été de dire
06:05je veux doter mon territoire d'un data center pour l'ensemble des acteurs du territoire
06:09et puis déployer un réseau bas débit, un réseau radio bas débit pour déployer tous ces capteurs.
06:15Il y a d'autres territoires en France aussi qu'on pourrait citer.
06:19C'est un exemple.
06:20Ça va jusqu'aux supercalculateurs aussi, ces infrastructures ?
06:24Aujourd'hui la France a besoin de toute façon, là on dépasse l'échelle territoriale,
06:29c'est la France, le pays a besoin de grandes puissances de calcul,
06:33c'est le sujet intelligence artificielle, LLM, Mistral,
06:37pour lesquels on a besoin d'objets qui viennent héberger ces équipements
06:42pour faire tourner les algorithmes et les apprentissages.
06:45Donc ça dépasse la simple initiative locale
06:49et aujourd'hui ce qui va se passer 2025, 2026, 2027, on est quand même sur plusieurs années,
06:54on va avoir cette articulation, on va voir émerger finalement à la fois
06:59des gros calculateurs et des campus, quelque part,
07:03et puis des toutes petites capacités d'hébergement réparties sur le territoire.
07:06On va avoir cette dualité.
07:08Et ça veut dire aussi que vous avez de nouveaux interlocuteurs,
07:11parce qu'on sort du simple champ, je veux dire simple,
07:14enfin bon ce n'était pas forcément si simple, ce plan foncerait au débit,
07:17mais du champ des opérateurs de télécommunications pour adresser
07:20d'autres types d'opérateurs qui sont en charge d'infrastructures
07:23pas forcément numériques au départ.
07:25Tout à fait, alors c'est vrai que nos contreparties, partenaires,
07:28co-investisseurs étaient les opérateurs de télécommunications,
07:31on est aujourd'hui plutôt avec des industriels, des services numériques,
07:36des ESN, des NG, parce que quand on parle de data center ou des Dalkia,
07:42groupe EDF, parce qu'on parle d'efficacité énergétique,
07:46on parle de mix énergétique aussi pour ces nouveaux data center,
07:50pour lesquels tout le monde aujourd'hui veut évidemment baisser
07:53la consommation d'énergie, qu'il soit efficace.
07:56Et donc il y a aussi une dimension avec ces acteurs de l'énergie,
08:00alors qu'on est dans le champ finalement de l'infrastructure de données.
08:04Alors je voulais faire quand même une parenthèse sur Mayotte,
08:08parce que comment ça se passe là après ce cyclone Shidou
08:11qui a ravagé totalement Mayotte ?
08:14Au sujet de la reconstruction des infrastructures, y compris numériques,
08:18on a entendu une première polémique avec le choix de Starlink en urgence,
08:22mais au-delà de ça, est-ce que la question du plan France Très Haut Débit
08:27se pose aussi à Mayotte ? Est-ce qu'on va passer par de la fibre optique
08:31ou on va trouver des solutions peut-être plus légères, plus rapides ?
08:35Alors ça n'est pas un sujet léger malheureusement,
08:38parce que la situation a été assez dramatique,
08:41et sur les trois volets, l'eau, l'énergie et les télécommunications.
08:45En urgence, et ça n'est encore pas fini évidemment pour l'eau, l'énergie,
08:51on espère que fin janvier, l'ensemble du raccordement des particuliers
08:56ou des entreprises sur Mayotte sera fait par Électricité de Mayotte.
09:00Et puis en urgence, les opérateurs de télécommunications
09:03ont aussi rétabli un minimum de couverture mobile sur l'ensemble de l'île.
09:08Et en effet, la question qui va se poser, chacun avait son plan d'investissement,
09:13ses opérations qui étaient prévues, tout est venu être bousculé et percuté.
09:18Et donc là, désormais, le sujet c'est plutôt de repenser de manière concertée,
09:22de manière mutualisée, pour que les infrastructures de l'île,
09:26encore une fois, quelles qu'elles soient, eau, énergie ou télécom,
09:29soient pensées de manière coordonnée, d'abord parce que ça peut permettre
09:33de faire baisser le coût de la reconstruction, c'est quand même important.
09:37Et puis par ailleurs, parce que finalement, les choses sont de plus en plus liées.
09:41Et de repenser aussi les choses avec une visée de résilience.
09:45On a eu malheureusement aussi l'expérience post-ouragan Irma
09:49sur les Antilles du Nord avec Saint-Martin.
09:51Donc on a aussi une petite courbe d'apprentissage
09:54qu'on pourra partager, proposer à tous les acteurs maorais pour la reconstruction.
10:00Mais juste pour illustrer, par exemple Mayotte, il y a deux ans,
10:03on a inauguré, c'est l'un des premiers investissements de la Banque des Territoires à Mayotte,
10:07un datacenter qu'on avait conçu de manière sécurisée, en hauteur,
10:13sur les hauteurs de Mamoudzou, avec un certain nombre de prescriptions techniques.
10:17Ça fait partie des infrastructures qui finalement n'ont pas été tellement perturbées.
10:22Certes, il y a eu un petit peu de dégâts des eaux dans les bureaux,
10:27mais les équipements qui étaient hébergés dans le datacenter de Mayotte ont tenu.
10:32Les opérateurs télécoms qui étaient venus se faire héberger dans le datacenter
10:37ont au moins eu ces équipements secourus et préservés.
10:41Et le centre hospitalier de Mayotte, qui d'un point de vue immobilier,
10:44a malheureusement énormément souffert.
10:46Toute son infrastructure informatique qui était logée dans ce datacenter a été préservée.
10:50Donc c'est ça aussi, repenser les infrastructures de manière globale et coordonnée,
10:55ça va être ça aussi, c'est de se dire comment je reconstruis,
10:58mais je reconstruis de manière sécurisée et résiliente
11:01pour limiter au maximum les éventuels aléas futurs.
11:05Et pas uniquement à Mayotte, dans les critères d'investissement et de prêt
11:12dans les infrastructures numériques, le critère de la résilience s'impose évidemment,
11:17y compris en métropole.
11:19Absolument, et c'est vrai que nous, après la grande vague d'investissement
11:23dans les réseaux fibres, aux côtés des opérateurs, on en a parlé tout à l'heure,
11:27on a invité les collectivités territoriales à penser la résilience de leur territoire.
11:34On a proposé, et aujourd'hui il y a une trentaine de territoires que l'on accompagne,
11:38on co-finance des études ou des schémas directeurs de résilience
11:42à l'échelle d'un département ou de plusieurs départements.
11:45Donc le mouvement est parti, et ces collectivités finalement,
11:49elles vont définir un nouveau plan d'investissement,
11:51elles vont se rendre compte qu'il faut déplacer peut-être certains équipements de télécommunication
11:59et demander au syndicat d'énergie de se coordonner pour eux aussi modifier,
12:04parce qu'il y a une zone accidentogène.
12:07Et donc ça c'est un enjeu qui n'est pas uniquement pour les territoires ultramarins,
12:11il existe aussi évidemment, on a eu plusieurs tempêtes
12:14ou événements climatiques dramatiques aussi en métropole.
12:17Et ça en parlait de la cybersécurité aussi.
12:20Qui est un autre sujet, qui est moins palpable, qui est moins infrastructure hard,
12:23mais qui est tout aussi présent évidemment.
12:25Et alors bon, tout ça, ça fait quand même beaucoup d'investissements nécessaires,
12:29donc la fin de ce plan France Très Haut Débit ne va pas nous permettre de faire des économies,
12:33si je vous entends bien, parce qu'il va falloir continuer à investir,
12:36notamment dans l'IA, dans la résilience.
12:39Il y a des incertitudes aujourd'hui au niveau du PLF,
12:42le projet de loi de finances qui n'est toujours pas voté,
12:45qu'est-ce qui est encore incertain ?
12:48Alors il y avait une mesure très concrète qui était prévue
12:51dans le projet de loi de finances 2025,
12:54qui semblait ne pas poser de problématiques politiques,
12:57au sens de l'approbation des différentes formations politiques.
13:01C'était une enveloppe que le gouvernement avait proposée
13:04pour résoudre ce que Delphine vous évoquiez au tout début,
13:06pour achever le plan France Très Haut Débit,
13:09de résoudre le raccordement final dans des situations très compliquées, très complexes.
13:13Et donc il y avait une ligne budgétaire de 16 millions d'euros
13:16qui était prévue pour amorcer finalement la résolution
13:20de ces cas complexes et problématiques.
13:23Il faudra voir dans le nouveau projet de finances 2025
13:26que le gouvernement prépare si cette ligne est évidemment maintenue.
13:30Et si ce n'est pas le cas, on a un plan B ?
13:33On aura de toute façon collectivement le problème à résoudre
13:36avec une équation financière de toute façon.
13:39Et sur, je parlais des critères aujourd'hui pour la Banque des Territoires,
13:44la Caisse des dépôts en matière d'investissement,
13:46le critère de la souveraineté, c'est un nouveau critère ?
13:50La souveraineté l'a toujours été pour la Caisse des dépôts,
13:53ne serait-ce que parce que les souverainetés économiques,
13:58industrielles ou alimentaires ont fait partie de nos préoccupations
14:03au niveau de la Caisse des dépôts.
14:05La Banque des Territoires, qui est l'un des métiers de la Caisse des dépôts,
14:10s'inscrit évidemment dans cette stratégie globale du groupe Caisse des dépôts.
14:13Et on a réalisé un certain nombre d'investissements
14:16qui résonnent avec les sujets de souveraineté.
14:19On est actionnaire avec DocaPost, Dassault Systèmes et Bouygues Télécom de Numespot.
14:24Le grand projet de cloud souverain.
14:27Le cloud souverain.
14:28Il existe d'autres fournisseurs de solutions françaises d'ailleurs
14:32pour répondre à ces besoins très particuliers.
14:35On n'est pas en train d'adresser 100% des besoins d'hébergement de données,
14:39mais on est en train de parler des hébergements critiques pour la finance,
14:42pour le secteur de la santé, de l'éducation
14:45ou des collectivités territoriales et de la puissance publique.
14:49On a déjà engagé des mouvements en matière de souveraineté numérique
14:54et c'est vrai que les sujets de souveraineté énergétique
14:57seront aussi évidemment au cœur des investissements futurs que l'on fera.
15:01Et si vous deviez me dire juste le mot-clé de votre feuille de route pour 2025 ?
15:05Engagement.
15:06Engagement. Très bien.
15:07Très bien. Merci beaucoup Gaël Serandour d'avoir joué le jeu de la grande interview dans Smartech.
15:12Je rappelle que vous êtes le directeur des infrastructures
15:14à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires du groupe Caisse des dépôts.
15:17Merci beaucoup.