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Investiture de Donald Trump : un retour au pouvoir historique ? Avec Christine Ockrent, journaliste, écrivaine, et Philippe Corbé, journaliste et auteur du podcast et de la newsletter "Zeitgest" sur les Etats-Unis.

Retrouvez « Le débat du 7/10 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00Le 7-10.
00:01Débat au lendemain de la vestiture de Donald Trump, devenu hier le 47e président des Etats-Unis,
00:08huit ans après sa première accession à la Maison-Blanche.
00:11Alors que retenir du discours du nouveau président américain, dont les accents étaient parfois
00:17vengeurs ? Comment comprendre la proclamation d'un nouvel âge d'or pour l'Amérique ?
00:23Quels vont être ses premiers pas de président ? Trump 2 sera-t-il radicalement différent
00:29de Trump 1 ? Mille questions à poser à nos invités, Christine Ockrent, bonjour.
00:35Bonjour.
00:36Vous êtes journaliste, évidemment, vous venez de signer la préface d'une famille
00:40américaine.
00:41C'est le roman de J.
00:43Evans, vice-président américain depuis hier, il a prêté serment juste avant Donald Trump,
00:50c'est aux éditions Globe.
00:52Je cite également l'empereur et les milliardaires rouges aux éditions de l'Observatoire.
00:58Philippe Corbet, bonjour.
00:59Bonjour.
01:00Journaliste, ancien correspondant de RTL aux Etats-Unis, auteur du podcast et de la newsletter
01:07« Zeitgeist », consacrée précisément aux Etats-Unis.
01:12Vous l'avez bien dit.
01:13Merci d'être au micro d'Inter.
01:16Retour donc sur la cérémonie d'hier qui s'est tenue, on l'a dit et redit, à cause
01:22du froid polaire à l'intérieur du Capitole.
01:25Même question à chacun, avant d'entrer dans les détails, est-ce que vous avez été
01:29frappée par un mot, une image, un geste qui vous a semblé particulièrement révélateur
01:36de l'air qui s'ouvre ?
01:37Christine Ockrent.
01:38Moi j'ai été frappée par le ton, le ton de Donald Trump qui était plus proche d'un
01:44pasteur évangélique, essayant de répandre sa bonté, son onction, et d'abord vis-à-vis
01:51de lui-même, parce qu'il a quand même passé beaucoup de temps à dire du bien de
01:56lui-même.
01:57Mais cette tonalité était d'autant plus intéressante qu'elle contrastait en quelque
02:03sorte avec la violence des propos, la critique absurde, d'assassin, de Biden, du bilan,
02:14etc.
02:15La description de cette Amérique absolument désastreuse, qu'il va évidemment redresser.
02:22Mais ce qui était encore plus frappant, c'était le discours avec les prompteurs.
02:28Il était relativement canalisé par ce qui avait été écrit sur le prompteur.
02:33Mais ensuite, il s'est adressé dans la salle qui avait été privatisée pour l'occasion
02:39à ses supporters.
02:41Et là, c'était du Trump ! C'est-à-dire, franchement, ça n'avait ni queue ni tête,
02:48et c'était d'autant plus intéressant qu'on retrouvait ses obsessions sur le mur, sur
02:53le nombre de voix qu'il avait, qui étaient immenses, mais historiquement jamais, et même
02:58en Californie où il triche tout le temps.
03:00Et ce discours-là était, me semble-t-il, très révélateur de ce qui attend les États-Unis
03:07et par voie de conséquence, nous aussi.
03:09Philippe Corbet, un mot, une image, une tonalité, un éclat.
03:15Je vais reprendre le premier mot de son premier discours, le mot « âge d'or ». C'est
03:19une référence qu'il avait déjà utilisée dans son discours de victoire en début novembre.
03:23On peut y lire beaucoup de choses.
03:25D'abord, c'est la manière dont il voit sa victoire.
03:27Une sorte de victoire à la régale en 1984, de large victoire.
03:30Il la voit plus large qu'elle ne l'est vraiment, mais voilà, d'un âge d'or.
03:33Mais c'est aussi une clé pour comprendre ce qui peut-être nous attend.
03:37Il y a une période dans l'histoire américaine qui s'appelle le « Gilded Age », qui
03:41est une période qui couvre sur les 30 dernières années du 19e siècle, c'est une formule
03:44qui avait été trouvée par Mac Twain, le grand écrivain national.
03:47Et on sait que Donald Trump se réfère à cette période-là.
03:50Il a d'ailleurs choisi de débaptiser le nom de la plus haute montagne de l'Amérique
03:54du Nord, reprendre le nom de McKinley, qui est l'un des présidents de cette période.
03:57C'est une période intéressante parce que c'est la période où se construit la grande
04:00puissance économique américaine, grâce à des puissants, des gens très riches, les
04:05Rockefellers, les Vanderbilt, les Carnegie, les Morgan, les Astor et les autres.
04:08C'est à dire qu'il y a une espèce d'oligarchie très puissante, mais qui a permis de bâtir
04:14la puissance américaine.
04:15C'est aussi une période de puissance expansionniste, c'est à ce moment-là qu'il récupère
04:20une partie des territoires, l'Alaska, Hawaï, Porto Rico, Guam, les Philippines.
04:25Donc c'est aussi une clé pour comprendre cette période qui nous attend, et on disait
04:30à l'époque qu'il y avait, je cite, « des barons voleurs ». Et on verra si dans les
04:34quatre prochaines années, certains des milliardaires qui étaient alliés hier seront des barons
04:38voleurs.
04:39Justement, les milliardaires de la Silicon Valley, les Musk, Zuckerberg, Bezos, Tim Cook
04:46pour Apple, la semaine dernière, dans ses adieux télévisés, Joe Biden a mis en garde
04:50contre l'avènement potentiel d'un complexe techno-industriel qui pourrait faire courir
04:55de vrais dangers à notre pays.
04:57Biden a ajouté « une oligarchie prend forme en Amérique, faite d'extrêmes richesses,
05:04de pouvoirs et d'influences ».
05:06Vous voyez le même risque, Christine Ockrent ?
05:09Mais ce n'est pas un risque, c'est une réalité.
05:12C'est un fait pour vous ?
05:13Le fait est d'abord que les plus grandes compagnies qui gouvernent nos vies numériques
05:21sont américaines.
05:22Les dirigeants, ceux qui contrôlent ces empires, étaient tous là, plus Bernard Arnault et
05:32l'un de ses fils, il faut le noter au passage.
05:34C'est-à-dire que vous aviez hier un parterre représentant en trillions de dollars à peu
05:41près l'essentiel de la fortune du monde.
05:45Mais singulièrement, ce qui est fascinant avec cette génération qui vient d'ailleurs,
05:51ils ne venaient à Washington en traînant des pieds que pour comparaître devant une
05:56commission de contrôle.
05:57Là, ils viennent au pouvoir.
05:59Et ils viennent de la Silicon Valley, ils viennent d'une idéologie qui combat l'État,
06:08qui combat la règle de droit, qui combat l'impôt, pour les plus riches en tout cas.
06:14Et donc, on va voir jusqu'où ces gens-là qui veulent aller sur Mars.
06:21C'est d'ailleurs le moment où on a vu Elon Musk comme un gamin sauter de joie quand
06:25Donald Trump a dit « et on va planter le drapeau américain sur la planète rouge ».
06:30Et tout cela pour dire qu'on va voir comment ces gens qui entrent en politique pour d'une
06:35certaine manière transformer la politique, sinon la détruire, comment cette osmose va intervenir.
06:42Le trumpisme, première manière, idéologiquement, Philippe Corbet s'est métissé, s'est
06:49mélangé avec ce qu'apportent ces gens-là, ceux dont on vient de parler, les gens de
06:56la Silicon Valley.
06:57Oui, mais depuis le départ, depuis son entrée en politique il y a maintenant une décennie,
07:00Donald Trump, il y avait toujours une sorte de paradoxe, c'est-à-dire que c'était
07:03Trump qui avait construit sa légende sur le côté clinquant du toque de sa tour en
07:10marbre rose à Manhattan et de son palais de Mar-a-Lago, était celui qui défendait
07:14les petits, ceux qui se sentaient victimes de la mondialisation, victimes des échanges
07:19commerciaux déséquilibrés, etc.
07:21Là, il y a quelque chose qui a changé, où il fait un pari, où il tente une sorte
07:25d'alliance entre les super en colère et les super riches, et des gens qui sont très
07:29très riches et des gens qui sont très très en colère, et on va voir si, soit c'est
07:33une alliance très fructueuse, ou si, à un moment donné, il peut y avoir des contradictions.
07:36C'est-à-dire que moi je me mets à la place de beaucoup d'électeurs de Donald Trump,
07:40que j'ai eu l'occasion de voir ces dernières années, qui avaient une sorte de ressentiment
07:44mais violent contre les élites, le pouvoir, la Silicon Valley, Hollywood, Washington,
07:49Wall Street, qui voyaient hier exposer de façon très glorieuse tous ces gens très
07:56riches.
07:57Est-ce que, de leur point de vue, d'une certaine manière, est-ce que Trump est en
07:59train de les mater ? En tout cas, c'est l'une des questions qu'on va devoir suivre
08:02dans les prochaines années.
08:03Là, ça peut, enfin, le Trumpisme peut être traversé par un clivage, voire déchiré
08:07selon vous, Christine Hoffert ?
08:09C'est-à-dire que la base MAGA, c'est d'ailleurs ce que décrit JD Vance dans ce
08:12livre qui est sorti en 2016, et qui a fait la carrière, le tremplin politique de Vance,
08:19l'actuel vice-président, mais qui explique aussi le duel qui se durcit entre Steve Bannon,
08:27d'un côté, qui est le porte-voix gargantuesque du Trumpisme des origines, voilà, des petits
08:34blancs victimes de la mondialisation des drogues, du fentanyl et de l'immigration clandestine,
08:43et la Silicon Valley représentée par Musk.
08:47Donc, le duel Bannon-Musk va nous donner, je crois, un espèce de baromètre de cette
08:53fusion ou pas, dont parle Philippe.
08:55Philippe Gormet peut parler en France, mais il y a eu, entre Noël et Nouvel An, un premier
08:58conflit sur ce sujet-là, entre Bannon, c'est-à-dire le nationalisme-populisme, et Musk, donc techno-libertarien,
09:05sur faut-il ou pas accorder des visas à des ingénieurs pour la Silicon Valley.
09:10Musk disait « il le faut, c'est l'enjeu, c'est l'intérêt économique des Etats-Unis »,
09:13Bannon qui disait « pas du tout, non ». On a vu Trump donner plutôt raison à Musk,
09:19contre sa base MAGA, c'est contre-intuitif par rapport à ce qu'il avait dit pendant
09:22des années.
09:23On va voir si ça se reproduit, et si, à certains moments, il y a une forme de dichotomie
09:27ou de contradiction qui est intenable.
09:28J'ai été étonné que ces premières flèches dans le discours aient visé le système judiciaire,
09:36avec une attaque tout de même sévère, brutale.
09:39Oui, mais il avait quatre ou cinq procès assez basques, et il a été quand même
09:44condamné dans l'un de ces procès.
09:46Et là, on a une attaque contre l'un des pouvoirs de la démocratie.
09:50Ah oui, mais là, on va voir, à mon avis, une métamorphose de la démocratie américaine.
09:56La règle de droit, le respect des minorités, le « check and balance », les contre-pouvoirs.
10:06Comment est-ce que cela va tenir ou pas avec cette nouvelle conception d'une accélération
10:16réactionnaire ? C'est très curieux, l'accélération, elle est numérique, et la réaction, elle
10:21est bien celle que vient de décrire Philippe.
10:23Sur l'équilibre ou le déséquilibre des pouvoirs, Philippe Corbyn ?
10:27Les Etats-Unis, plus que beaucoup d'autres pays occidentaux encore, sont des pays où
10:30le droit est placé, sont vraiment au cœur du fonctionnement, et donc, par exemple, c'est
10:34sur le terrain du droit que se font les combats.
10:37Dès cette nuit, il y a un combat qui s'engage sur la question de l'immigration.
10:40C'est-à-dire que Donald Trump a pris un décret pour retirer le droit du sol aux enfants
10:46de sans-papiers.
10:47C'est contraire à la Constitution, puisque c'est garanti par la Constitution.
10:51Donc, il y a déjà eu, dès cette nuit, un recours devant un juge fédéral qui va trancher,
10:54il y aura un appel, tout ça va terminer devant la Cour suprême.
10:57Et à ce moment-là, la Cour suprême dira, d'une certaine manière, remettra en cause
11:00tout un pan de l'histoire américaine, pas seulement l'histoire juridique, l'histoire
11:03de l'immigration, l'histoire même de ce que c'est cette nation, ou alors, peut-être,
11:08on verra, peut-être la Cour suprême, malgré six juges conservateurs sur neuf, considérant
11:13que la Constitution est plus forte que Donald Trump.
11:15Et donc, c'est aussi sur le terrain du droit que se jouera, ou pas, le sort de Donald Trump.
11:19Les institutions sont affaiblies, ou pas ?
11:22Elles sont secouées par un nouveau principe, qui est la loi du plus fort.
11:25Moi, je suis plutôt optimiste, ou en tout cas, ces institutions ont survécu à une
11:33tentative de coup d'État menée par des partisans de Trump en 2021, elles ont tenu.
11:37Des partisans qui ont tous été graciés ?
11:39Absolument, cette nuit.
11:40Y compris des gens qui étaient condamnés à 22 ans de prison ?
11:43Des otages, a dit Donald Trump, bien sûr.
11:46Je crois que tout l'édifice, tout ce que nous avons observé, étudié, admiré, jusqu'à
11:52un certain point, de cette culture politique américaine, de cette construction fondée
11:58effectivement sur le droit, et sur une interprétation très littérale d'un texte qui remonte à
12:04la fin du 18e siècle, je crois que nous allons assister véritablement à de fortes secousses.
12:13Donald Trump avait dit, c'était une boutade, qu'il ne serait pas dictateur s'il était
12:18réélu, sauf le premier jour.
12:21Qu'en est-il aujourd'hui, maintenant qu'on a un peu de recul, à la lumière des décrets
12:26présidentiels qui ont été ou vont être signés, ceux sur l'immigration, avec gigantesques
12:33programmes d'expulsion, extraction d'énergie fossile, mais je ne peux pas tous les citer.
12:41Sortie de l'accord de Paris, quitté l'OMS, ça, ça dessine quoi pour les semaines, les
12:51mois qui viennent ? Ces textes-là ont vraiment de la puissance ou c'est de l'affichage aussi ?
12:57Il y a un effet volume, c'est-à-dire qu'il a voulu en faire plein, il y en a quasiment
13:00une centaine pour montrer qu'il défait tout ce qui a été fait pendant quatre ans.
13:05Il y a assez peu de surprises dans ces décrets, à part justement le champ de grâce des « otages »
13:12du 6 janvier qui est plus large que prévu.
13:14Ce sont des choses auxquelles on s'attendait.
13:16Sans défendre l'idée de dictateur en un jour, ce qu'il voulait dire, c'est qu'il
13:20voulait passer très très vite, sans passer par le Congrès.
13:22Il faut bien comprendre que Donald Trump, il y a la montre qui tourne.
13:27À la fin de l'année prochaine, il y a des élections de mi-mandat, la majorité républicaine
13:31à la chambre est si serrée, ça se joue à deux ou trois sièges, que logiquement
13:36dans une élection de mi-mandat, il est possible, voire probable, que ce serait une surprise
13:41que les républicains gardent la chambre à la fin de l'année prochaine.
13:44Donc en fait, il a un an et demi devant lui pour gouverner comme il le veut.
13:47Aujourd'hui, il a un an et demi avec les deux chambres à lui.
13:50Ce qu'on va voir, et c'est ce qui nous concerne au premier chef, c'est évidemment
13:54la guerre commerciale.
13:55Il a déjà annoncé dans la rafale dont vous parlez des droits de douane.
14:01« Mexique-Canada ».
14:03Qui dit Mexique dit Chine, parce qu'il y a ce système triangulaire où les exportations
14:10chinoises passent par le Mexique pour bénéficier d'un traitement meilleur.
14:15Il n'a pas parlé de la Chine en direct, mais il est en train de négocier TikTok,
14:21puisqu'il a obtenu en fait la suspension de cette loi, pourtant approuvée par la Cour
14:29suprême.
14:30En échange, il dit « ah ben oui, mais on va avoir un deal et donc une entreprise américaine
14:35va prendre 50% ».
14:36Ce n'est pas encore fait.
14:37Il n'a pas parlé de la Chine, il n'a pas parlé de la Russie, mais pour nous autres
14:42Européens, il faut quand même souhaiter, espérer, prier que l'Union Européenne tienne
14:48le coup.
14:49Merci à tous les deux.
14:50Christine Ockrent, je renvoie à votre préface « D'une famille américaine » au roman
14:54de J.D.
14:55Vance, vice-président américain aux éditions Globe.
14:59L'Empereur et les milliardaires rouges aux éditions L'Observe-la-Choix, et le podcast
15:07de Philippe Corbet « Zeitgeist ».
15:09Merci encore d'avoir été au micro d'Inter.
15:11Léa et son invité, Florence.

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