Florence Seyvos, scénariste et romancière, autrice de " Un perdant magnifique" (l’Olivier), est l'invitée de Léa Salamé.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20
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00:00sur Inter. Il est 9h27. France Inter. Le 7-10. Et Léa, ce matin, vous recevez une scénariste
00:12et romancière. Et bonjour Florence Sevos. Bonjour Léa Salamé. Merci d'être avec
00:16nous ce matin. Vous publiez l'un des plus jolis livres de cette rentrée littéraire
00:19de janvier, remarqué et loué par toute la critique. Du Figaro à Télérama, vous avez
00:24tout le monde, tout va bien. On va en parler, mais d'abord, si vous étiez un chanteur,
00:29un film et un paysage, vous seriez qui ? Vous seriez quoi, un chanteur ? Un chanteur, peut-être
00:37je serais Robert Charlebois. Pourquoi ? A cause d'une chanson que j'adore, qui s'appelle
00:44je crois Lindbergh, en duo avec Louise Forestier je crois, où il prend l'avion dans tous
00:50les sens en cherchant sa Sophie avec son pot de biscuits. Et surtout, on se demande dans
00:55quel état ils ont écrit et enregistré cette chanson. Est-ce qu'ils ont fumé ?
01:01Est-ce qu'ils étaient sous substance ou pas ? Si vous étiez un film ? Si j'étais
01:06un film, je serais forcément L'Enfant Sauvage de Truffaut, en m'identifiant autant au
01:17personnage de l'enfant qu'à celui du docteur Itard. C'est une histoire qui m'a toujours
01:23fascinée et c'est un film qui m'accompagne depuis l'enfance jusqu'à maintenant.
01:29Et un paysage ? Un paysage, du moment qu'il y a un peu de
01:33relief et de la verdure, une lisière de forêt, des oiseaux si possible et ça, ça va devenir
01:38difficile. Donc vous prenez du vert plutôt.
01:42Sorcha Landon écrit à propos de son père dans Enfant de Salaud, j'ai passé mon enfance
01:47à croire passionnément tout ce qu'il me disait et le reste de ma vie à comprendre
01:51que rien de tout cela n'était vrai. Est-ce que cette phrase résonne avec votre perdant
01:56magnifique, le héros de votre nouveau livre, ce beau père, flamboyant, fantasque, menteur
02:00et instable ? Alors ça résonne d'une certaine manière,
02:06bien que les belles filles de Jacques, elles ne le croient pas. Elles savent que quand
02:13il dit que ses affaires vont reprendre, que ça va très bien se passer, qu'il faut déjà
02:21penser à acheter la maison d'à côté alors qu'ils n'ont pas de quoi payer le chauffage.
02:26Elles ne le croient pas, mais pourtant elles ne désirent pas briser l'espèce d'enchantement
02:34qui les fait régner.
02:35On va parler de Jacques. Florence Sevoz, d'abord un mot sur vous. Vous avez reçu il y a quelques
02:39années le concours des lycéens pour votre roman Les Apparitions et depuis vous bâtissez
02:42une œuvre singulière et sensible entre vos romans, vos livres pour enfants et les scénarios
02:47que vous co-signez et notamment presque tous les films de Noémie Lwowski sont co-écrits
02:53avec vous.
02:54Ce nouveau roman, ce septième sur l'histoire de Jacques, ce perdant magnifique, c'est
02:58un des petits bijoux de cette rentrée littéraire et il raconte la drôle de relation entre
03:02un beau père et ses deux belles filles, Anna et Irène, entre le Havre et Abidjan en Côte
03:08d'Ivoire.
03:09Jacques, cet homme dont vous parlez, c'est un homme insaisissable, à la fois généreux
03:12et autoritaire, flamboyant et instable, aimant et tyrannique et qui n'a surtout aucun sens
03:18des réalités matérielles.
03:19Il couvre sa femme et ses belles filles de cadeaux absurdes alors qu'il est endetté
03:23jusqu'au cou.
03:24Pour sa femme, c'est un homme exceptionnel, pour ses filles c'est un fou, à la fois
03:29ridicule et attachant, un perdant qui croit qu'il est un gagnant, un personnage profondément
03:36ambivalent et d'ailleurs vous dites « il n'y a que ça qui m'intéresse, l'ambivalence,
03:41l'impureté des sentiments quand ce n'est pas très clair ».
03:44Oui, ça m'intéresse quand ce n'est pas très clair et vous avez absolument raison,
03:51c'est un perdant qui se voit comme un gagnant et qui est incapable de vivre dans le présent.
03:58Il est toujours en train de mettre en scène le futur et c'est un joueur aussi et il
04:09ne se rend pas compte de la mise et à un moment, il va jusqu'à risquer sa propre
04:14peau.
04:15Oui, ce qu'on découvre dans le livre, il a en tout cas cette folie dépensière tarée,
04:20l'une des scènes les plus marquantes, les plus drôles et absurdes du livre, c'est
04:23le soir de Noël quand totalement fauché, il se fait livrer, donc les filles voient
04:27débarquer, tout un tas de meubles luxueux qu'il vient d'acheter à un antiquaire,
04:32le salon est débordé de meubles qui ne servent à rien et cerise sur le gâteau, quelques
04:36minutes plus tard, arrive un énorme piano à queue qu'il pose dans le salon alors que
04:41personne ne joue du piano dans la famille.
04:43Oui, il y a juste une de ses belles filles qui a fait un an de piano, mais il trouve
04:49que c'est absolument nécessaire qu'il y ait un piano dans cette maison, au cas où.
04:53Qu'est-ce qu'il essaie de combler avec cette folie compulsive de dépense ? Je ne
05:00sais pas, il essaie d'être… il se voit quelque chose, il essaie d'être quelqu'un
05:08et il essaie de… évidemment, il est aussi dans la séduction, il fait mille choses pour…
05:16c'est étrange parce que voilà, ces deux belles filles, il ne les connaissait pas et
05:22en quelque sorte, il les adopte presque instantanément, il les aime d'une façon inconditionnelle
05:29et par exemple, à un moment, il souhaite absolument qu'elles viennent s'installer
05:34là où il vit et travaille à Abidjan et il fait faire des travaux phénoménaux dans
05:39la maison, une chambre pour chacune avec des jolis meubles, il leur écrit des lettres,
05:46il a envie, mais même un peu de force, que tout le monde soit heureux dans le monde qu'il
05:51est en train de construire.
05:52Oui, c'est ça qui le rend très attachant et comme vous dites, ce qui est intéressant,
05:56c'est la relation qu'il a avec ces deux belles filles de 14 et 16 ans et de manière
06:01générale, ce que moi j'ai aimé dans votre livre, c'est ce que vous dites, cette relation
06:05un peu particulière, complexe, parfois plus intéressante d'ailleurs que les liens biologiques
06:09qui sont ces familles qu'on choisit, la famille d'élection, le beau-père, on sent
06:14bien que toute l'histoire ne nous aurait pas été la même chose si c'était son
06:16vrai père biologique, le fait que ce soit une pièce rapportée, que lui ait choisi
06:20cet homme qui est un peu flamboyant, fantasque, menteur, tout ça, tout ça et qui décide
06:26de dire je n'ai pas d'enfant mais ce sera les enfants que j'ai choisis, cette famille
06:29et qui va les aimer intensément et c'est pour ça qu'elles ont honte de lui, on sent
06:34bien qu'il est un peu malaisant et en même temps elles sont attachées.
06:37Oui, et moi c'est quelque chose qui me fascine et me passionne, ce sont les rencontres entre
06:47les personnes qui n'auraient jamais dû se rencontrer, le hasard les met en présence
06:51et elles s'adoptent mutuellement, il se passe quelque chose.
06:54Peut-être si je n'avais pas vécu dans des familles recomposées, je n'aurais pas
07:03eu, mais en fait pour moi ça a été un enrichissement extraordinaire.
07:08Et puis il y a autre chose aussi, quand j'étais enfant, c'était une époque où les enfants
07:18n'existaient pas tellement dans le regard des adultes et alors quand tout à coup un
07:22adulte posait un regard sur vous, vous regardait vraiment et vous accordait une attention,
07:29c'était extraordinaire et ça vous portait.
07:32Et c'est ça que fait Jacques avec ses belles-filles.
07:34Et c'est ce qu'il fait, il leur apprend au fond à avoir confiance en elles par son
07:38regard qu'il pose sur elles, à avoir de l'estime pour elles, à bien s'habiller,
07:41il leur fait croire que ce sont les enfants les plus importants du monde.
07:45Exactement.
07:46Et elles ne s'attendaient pas du tout à ça et même s'il est très pesant, il est
07:55très autoritaire, il leur empoisonne l'existence, mais en même temps il les porte par son admiration
08:04et par exemple si l'une décide qu'elle veut prendre des cours de théâtre, tout
08:07à coup les cours de théâtre ça devient sacré.
08:10Et il y a le cours de théâtre, le piano et puis il leur apprend des chansons comme
08:15celle-là.
08:39Ce livre est-il mu, Florence Evos, par une forme de culpabilité ? Vous vouliez rendre
08:50hommage à cet homme ambivalent.
08:52Il y a une volonté de le célébrer après sa mort cet homme ?
09:00Déjà, je crois que j'adore faire des portraits.
09:04Et je suis très touchée par les personnes qui chutent, qui perdent, qui sont en faillite.
09:14Parce que par exemple, il y avait une histoire un peu comme ça avec le personnage de Buster
09:20Keaton dans Le garçon incassable.
09:22Buster Keaton est un des personnages qui vous fascinent le plus, obsessionnel chez vous
09:27Buster Keaton.
09:28L'idée de Le garçon incassable, c'est un livre que vous avez écrit il y a dix ans
09:32je crois, et magnifique aussi sur la chute.
09:36Sur la chute, mais aussi j'aime faire des portraits et peut-être aussi c'est une
09:45façon de rattraper les traces du passé et d'essayer de les imprimer avant qu'elles
09:54disparaissent complètement.
09:55Mais j'ai souvent été attirée aussi par des personnes comme ça qui exagéraient,
10:03qui étaient au bord de la folie, qui étaient un peu extrêmes, qui avaient des comportements
10:06extrêmes, qui se mettaient en danger.
10:10Et j'ai toujours éprouvé pour elles un mélange d'affection et d'admiration si
10:19je crois, et au fond de gratitude parce que ce sont des personnes avec qui la vie est
10:27plus forte.
10:28Elles vibrent davantage, elles exaltent l'existence.
10:30On vit plus fort avec ce genre de personnes.
10:34Alors c'est pas facile, mais en même temps on vit, on ressent, on a le coeur qui bat,
10:42c'est plus intense.
10:43C'est ce qu'on sent et c'est ce qu'on ressent.
10:45Et les enfants cherchent particulièrement ça je crois.
10:48Pour rendre la vie plus belle.
10:50C'est aussi un roman emprunt de nostalgie, vous essayez de garder les traces du passé.
10:56On communique par fax entre le Havre et Abidjan, les filles regardent Rocky, se bourrent la
11:00gueule au whisky-coca et écoutent des vinyles allongés sur la moquette et notamment Neil
11:05Young.
11:06I caught you knockin' at my cellar door I love you baby can I have some more
11:15Oh the damage done
11:24I hit the city and I lost my band I watched the needle take another man
11:34Gone, gone, the damage done
11:40Vous aussi Florence Sevos, vous écoutiez Neil Young, vous aussi vous avez eu une enfance
11:44un peu laissée à vous-même, un peu solitaire, mélancolique, comme Anna, vous étiez une
11:48adolescente semi-abandonnée et raisonnable.
11:51Oui, j'écoutais Neil Young et j'ai eu quelques expériences avec mes frères d'être un peu
12:03la responsable de la maison, un peu jeune et d'ailleurs c'est en… j'avais commencé
12:12ce livre il y a très longtemps et j'aime beaucoup, ça m'amuse les adolescents livrés
12:18à eux-mêmes et puis un jour j'ai lu un livre que je trouve magnifique qui s'appelle
12:24Canada de Richard Ford dans lequel un frère et une sœur mineure se retrouvent seules
12:31chez eux parce que leurs parents sont en prison, parce qu'ils ont commis un hold-up alors
12:35qu'ils n'ont aucun talent pour ça.
12:38Donc ils se sont fait prendre tout de suite et voilà il y a cette sœur et ce frère
12:43qui sont là, qui espèrent échapper aux services sociaux et en fait c'est la lecture
12:48de ce livre je crois qui a réveillé des pages que j'avais dans un tiroir.
12:52Qui a réveillé des pages et qui vous… et en tout cas on sent bien que dans cette
12:56enfance où vous avez dû prendre en charge vos frères ou en tout cas une enfance très
13:00solitaire, vous dites vous « je m'en racontais des histoires » et même ce rapport à la
13:04folie où c'est votre manière aussi en racontant des histoires de canaliser des choses.
13:09Vous dites, il y a cette phrase « quand vous étiez petite, je me demandais si j'étais
13:15normale, j'étais débordée par tout ce qui se passait dans ma tête ». Vous me l'avez
13:19mis dans les livres ensuite.
13:20Oui, mais aussi ça m'a rassurée quand j'ai commencé à lire des livres, des livres
13:26qui étaient autre chose que la bibliothèque rose ouverte et tout à coup il y avait des
13:31vrais personnages, des vrais enfants.
13:32Peut-être que ça a commencé la toute première fois avec Pagnol et je me suis dit « ah,
13:38je ne suis pas la seule à avoir des pensées bizarres, à me sentir différente, à mentir ».
13:46Donc la lecture m'a réconfortée de ce point de vue-là.
13:52Et après vous avez écrit aussi des livres pour enfants, notamment « L'ami du petit
13:56tyrannosaure » qui est absolument génial, que j'ai beaucoup lu, que je connais presque
14:01par cœur.
14:02Marguerite Duras dit qu'on n'écrit que sa propre vie, on n'invente pas des histoires,
14:06c'est sa vie qu'on raconte.
14:07Écoutez-là.
14:08Je ne sais pas les choses avant de les écrire.
14:11On écrit bien des bouts de papier avec les courses à faire, les choses auxquelles penser.
14:18Moi je fais des livres aussi.
14:20J'écris aussi des bouts de papier, mais je fais aussi des livres.
14:24Quand c'est trop obscur pour moi de déchiffrer ce qui m'arrive à moi-même, je fais un livre.
14:33On fait toujours un livre sur soi.
14:35Ce n'est pas vrai l'histoire.
14:38L'histoire inventée, ce n'est pas vrai.
14:41Elle a raison, on fait toujours un livre sur soi, à la fin.
14:45On fait un livre avec la matière dont on est fait.
14:51Il me semble que Marguerite Duras a dit aussi qu'on écrivait avec ce qu'on a oublié.
14:57Ça je le ressens souvent.
15:00C'est comme si le passé se sédimente.
15:03Moi j'aimerais savoir écrire sur le vif à chaud, mais j'ai l'impression qu'il
15:10y a besoin d'une maturation très longue, d'une sédimentation.
15:15Tout à coup on tire un fil et c'est une espèce de relecture de choses qu'on a vécu
15:22et qui se mélangent.
15:25L'époque est à l'immédiateté, à la rapidité, à la violence, au clash des gens
15:30qui parlent fort.
15:31Vous êtes une discrète, vous êtes une timide, à la voix douce qu'on entend ce matin,
15:35à l'écriture extrêmement ciselée et sensible.
15:38On a l'impression que vous mettez des heures pour choisir le bon mot, le bon adjectif.
15:42L'époque, son bruit, son chaos, est-ce qu'il vous inquiète ?
15:46Est-ce que vous vous sentez bien dans cette époque ?
15:49Je vois bien que je fais des choses pour ne pas être en contact avec certains aspects.
15:55Par exemple, je ne sais pas à quoi ressemble une page Facebook, enfin on ne dit plus Facebook.
16:01Ah oui, on le met ça vous voulez dire.
16:04Vous n'avez pas de réseaux sociaux ?
16:06Non, je n'ai jamais vu et en fait ça me fait assez peur.
16:11Vous vous protégez de ça, dans votre monde, avec vos personnages ?
16:16Oui, pas qu'avec les personnages, avec la vraie vie, les personnes que j'aime.
16:23Les impromptus pour terminer, vous répondez rapidement sans trop réfléchir.
16:26Buster Keaton ou Charlie Chaplin ?
16:29Buster Keaton mais il faut arrêter de les mettre en concurrence.
16:32Duras ou Sagan ?
16:34Duras.
16:35Houellebecq ou Despentes ?
16:37Les deux.
16:40C'est vrai qu'à 4 ans vous avez dit à votre mère, je ne me marierai jamais ?
16:44Oui, c'est vrai.
16:45Vous avez tenu votre promesse ?
16:47Joker.
16:50Roi et Reine ou Roubaix et Lumière ?
16:53Florence Séos.
16:55Je ne peux pas choisir.
16:58Quel est votre film préféré d'Arnaud Desplechans ?
17:02Mon film préféré, je crois que c'est Esther Canne et je ne le connaissais pas encore à l'époque.
17:09Vous votez ?
17:11Oui.
17:12Liberté, Égalité, Fraternité, vous choisissez quoi ?
17:15A priori je choisirais Liberté mais j'ai l'impression que sans l'égalité c'est absolument impossible.
17:22Et Dieu dans tout ça ? La question Jacques Chancel.
17:26Un jour j'ai lu une pièce de théâtre où tous les personnages sont ivres-morts du début à la fin de la pièce.
17:32Ça s'appelle Les Enivrés d'Yvan Viripayev.
17:34Et dans une scène, tous ces personnages mais vraiment complètement sous,
17:39commencent à dire que s'ils font silence, ils entendent Dieu chuchoter à l'intérieur de leur cœur.
17:45C'est une scène très drôle mais j'ai l'impression qu'en fait si on entend Dieu chuchoter à l'intérieur,
17:52c'est notre propre voix malheureusement qu'on entend.
17:56Le livre s'appelle Un Perdant Magnifique et c'est aux éditions, je ne l'ai plus.
18:02Quelles éditions ?
18:03Les éditions de l'Olivier.
18:04Les éditions de l'Olivier.
18:05Parce que je l'ai oublié à côté de mon lit donc je suis venue sans mon livre ce matin.
18:09Merci infiniment et très belle journée à vous.
18:11Merci à vous.
18:12Merci Léa Charline.